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07/06/2019

« Médecin en Afghanistan », MC Etienne Philippon, SSA, OMLT 3-Kandak 2, éd. Lavauzelle

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés.

 

 

Mari transve mare, pro patria et humanitate, hominibus semper prodesse.

Sur mer et au-delà des mers, pour la Patrie et l'Humanité, toujours au service des Hommes.

Devise de l'Ecole de Santé des Armées

 

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Tous, nous savons que la vie est précaire ici. Nous sommes tous face à notre destin, à la fatalité. En faisant mes derniers préparatifs, j'ai l'étrange sensation, certainement comme mes camarades, de penser, comme avec un voile noir, à l'éventualité cruelle de ne jamais ranger à nouveau mes affaires au retour, tant ce retour est incertain. La sensation est particulière en fermant la porte de mon box. Le mot « servir », que beaucoup ont oublié, nous a réveillés cette nuit. Je pense très fort à ma femme.

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Mentoring médical par le MP Philippon

En arrivant au poste médical de Tora, Thomas me dit qu'ils viennent d’évacuer un militaire qui, étant gunner arrière du dernier VAB, s'est pris une balle très superficiellement dans le haut du thorax, à trois cent vingt mètres de l'entrée de la FOB. L'axe est pourtant sûr et surveillé et jamais aucune attaque n’a eu lieu à ce niveau. Le tireur isolé a été vu par la victime, mais trop tardivement. Il pourrait s'agir, d'après ce qui se dit, d'un individu voulant régler un compte à la force française. D’après l'hôpital, où le gars a déjà été pris en compte, c'est bien une balle de 7.62 qui s'est fichée tangentiellement entre la Frag et l’épaule du sacré chanceux. La balle sera retirée sous simple anesthésie locale.

Je constate alors que deux heures après l'incident, c'était moi qui, passant au même endroit, était gunner arrière de mon VAB SAN, dernier VAB de notre petit convoi.

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Soldats français et afghans, opération Snakes’nest, mars 2011. Issue du reportage du Ministère des armées ici. Crédit EMA. 

Nous nous suivons à travers champ, le long d'un muret qui nous arrive au genou. Pascal est derrière moi. Nous sommes en queue de colonne ; quelques soldats afghans nous suivent. C’est le début de l'après-midi, le soleil est resplendissant. Le silence est parfait, les hélicos ne sont pas en Bédraou. Un sentiment de sérénité, de balade du dimanche après-midi et d'abandon m’envahit, sentiment rapidement estompé par mes douleurs musculaires et articulaires. Mais désormais chaque pas me rapproche du Chinook de ce soir. Je récite spontanément un « Je vous salue Marie », en écho à ce bonheur qui me prend. Cette satisfaction est mélangée à une anxiété enfouie. Brutalement, plusieurs rafales claquent.

Opération Snakes’nest, mars 2011

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MP Etienne Philippon

La vie est belle après la bataille. C’est la joie de respirer tranquillement. Je constate que, comme parfois ceux qui sortent des hôpitaux, plus on est passé proche de la mort, plus on a le sens de la vie. Drôle d’euphorie. La minute présente, écrasée jusque-là entre le passé lourd de danger et l'avenir redoutable, cesse d'être toute petite. Les minutes semblent remplir tout le temps de leur plénitude, comme l'espace de notre popote parait avoir l'immensité du monde.

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« Médecin en Afghanistan – Journal de marche d’un médecin militaire ordinaire en opération extérieure »

Très intéressant journal de marche qui complète magnifiquement la bibliothèque des Afghaners par la vision d’un jeune « doc » : le Médecin en chef (LCL) Etienne Philippon, Service de Santé des Armées, par son récit intime et très bien mené, nous éclaire sur la mission d’un médecin de terrain, mais aussi sur le « mentoring » ; il a en effet été intégré lors de son déploiement en 2010-2011 à l'OMLT 3, 56 soldats essentiellement du 4e RCh, ayant pour mission d’encadrer, former et appuyer sur le terrain un bataillon afghan, le Kandak 2, 3e Brigade, 201e Corps de l’Armée nationale afghane (ANA).

Nous en profitons pour saluer respectueusement l’engagement et l’abnégation des hommes et des femmes du Service de Santé, médecins, infirmiers, sans oublier les auxiliaires sanitaires des antennes médicales, des régiments et du Régiment médical.

Aux éditions Lavauzelle, disponible ici

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Avec le MC Etienne Philippon, salon des Ecrivains-Combattants 2016 et Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan 2018

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Hommage

Au MED Marc Laycuras, SSA, mort pour la France au Mali le 2 avril 2019,

A tous les médecins, infirmiers du Service de Santé des Armées,

Aux auxiliaires sanitaires des antennes médicales, des régiments et du Régiment médical.

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L’OMLT 3 – Kandak 2. MP Philippon 5e à partir de la gauche.

Il fait frais la nuit et l'excitation du retour m’a sorti de mon lit Picot à 4h30. Toute l’OMLT dort encore profondément. Après une bonne douche chaude, je me mets à marcher dans le camp sans croiser grand monde, alors que le jour se lève. Une sensation d’euphorie et de corps léger me prend. J'ai l'impression de ne rien avoir oublié ce mandat. Tout ce que j'ai vécu s'est gravé dans ma mémoire. Ce stratagème de mon inconscient vient peut-être du fait de l'omniprésence du risque. Comme j'ai naturellement craint la mort en Afghanistan, le désir de vivre pleinement est maintenant plus fort que tout, même sans avoir le moyen ici et aujourd’hui de pouvoir l’assouvir. C'est vrai, je ne me suis jamais senti aussi vivant qu’aujourd'hui, ou peut-être n’ai-je jamais ressenti l’envie de vivre aussi intensément.

MP Etienne Philippon, Kaboul, avril 2011.

 

 

 

 

 

09/05/2019

« Jonquille – Afghanistan 2012 », CBA Jean Michelin, 16e BCP, éd. Gallimard

Extraits publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés.

 

 

Compagnons, 

j'ai voulu vous parler de ces choses

et dire en quatre mots pourquoi je vous aimais.

Lorsque l'oubli se creuse au long des tombes closes,

je veillerai du moins

et n'oublierai jamais.

 

Capitaine Emmanuel de Borelli

 

 

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L'opération s'est bien passée, sans incident. Le soleil se couche paresseusement, mais l’air est encore lourd et je sens un goût de sel et de poussière sur mes lèvres. Un de mes soldats traverse le parking en traînant les pieds. Il porte négligemment sa mitrailleuse sur l’épaule, accentuant une démarche chaloupée. Son visage est couvert de poussière et de sueur, ses chaussures sont sales. Il semble peiner sous le poids d'un gilet pare-balles presque trop grand pour lui. Sa musette est entrouverte et pendouille mollement sur son dos. Dans son cou, on voit dépasser un tatouage approximatif. 

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Photo extraite d’un reportage de l’AFP sur le 16e BC en Afghanistan, 2012. A voir ici

Je le connais bien, je l'ai parfois puni pour des bêtises sans gravité, des retards, une bagarre à la sortie d’un bar le samedi soir. C'est une tête de mule, distrait, maladroit, parfois indiscipliné. C'est aussi un type souriant, rustique, plus à l’aise sur le terrain que dans une salle de cours. Un Jeune soldat, un engagé volontaire comme il en existe beaucoup mais aussi une personne avec un nom, une histoire. Lorsqu'il passe à ma hauteur, il me sourit discrètement et je hoche la tête en réponse.  Il a les traits tirés.

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Un peu plus loin, j'aperçois un groupe d'officiers de l'état-major de la brigade. Ils rentrent de l'Ordinaire et vont retourner à leur poste, certains devant sans doute prendre le quart pour la nuit. Les tenues sont impeccables, les allures sportives et élégantes, les coupes de cheveux millimétrées. Mon petit gars arrive à leur hauteur et se fige dans un garde-à-vous exagérément raide. Les officiers saluent. Il n'est pas très beau mon soldat, mais il redresse la tête, tire imperceptiblement les épaules vers l'arrière pour bomber son torse maigre, puis reprend son chemin en roulant exagérément des mécaniques.

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A cet instant précis, il marche comme si la base toute entière lui appartenait. Il marche avec la fierté d'un César vainqueur. Il marche seul, superbe, immense pour un instant. Peut-être que je l'ai imaginé, mais il y a eu du respect dans le regard des officiers ; un soupçon d’envie même. Il est 18 heures, la fin d'une journée ordinaire, la routine terrifiante d'un été en Afghanistan, et pendant une seconde, mon petit soldat avec sa mitrailleuse sur l’épaule est devenu le centre du monde.

***

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« Jonquille – Afghanistan 2012 » par le Chef de bataillon Jean Michelin.

La collection « blanche » de Gallimard, s'il vous plait, aux côtés des Hemingway, Camus et autre Céline… voici un livre qui n'était pas passé inaperçu à sa sortie. Une plongée dans la vie de la compagnie « Jonquille » (du nom d'une couleur de tradition des Chasseurs) du 16e BCP en Afghanistan en 2012, époque du désengagement français, au travers de la vision de son jeune commandant.

Alors bien sûr, d'aucuns diront que notre affection revendiquée pour les Chasseurs à pied en général et du 16 en particulier, et le fait de retrouver au fil des pages bien des amis (ou a minima des connaissances), pourraient, un chouïa, influencer notre jugement. Nous avons aussi conscience que certaines parties ont pu agacer des camarades. Reste que nous avons trouvé ce livre remarquablement écrit, ce qui en fait, dans notre esprit, l'un des très beaux récits sur la guerre d’Afghanistan.

Prix des Cadets 2018, prix de l'UNOR 2018, mérités.

Aux éditions Gallimard.

Disponible partout.

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Salon du Livre 2019, conférence (de gauche à droite) de Nicolas Mingasson & CNE Mathieu Fotius, auteurs de « Pilotes de combat » abordé ici, CBA Jean Michelin, COL Gilles Haberey (en direct du Mali), auteur de nombreux livres dont récemment « Engagés pour la France : 40 ans d'OPEX, 100 témoignages inédits » avec le LCL Remi Scarpa, aux éditions Pierre de Taillac.

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Avec le CBA Michelin, février 2019.

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Hommage

MAJ Thierry Serrat, GIACM,

ADC Franck Bouzet, 13e BCA,

ADJ Stéphane Prudhom, 40e RA,

MCH Pierre-Olivier Lumineau, 40e RA,

BCH Yoann Marcillan, 40e RA,

morts pour la France en Afghanistan pendant le déploiement du Battle Group Acier,

à tous les morts en Afghanistan,

aux blessés,

à leurs proches.

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Avec Mme Lumineau, maman de MCH Pierre-Olivier, à Saint-Cyr Coëtquidan, 2017.

***

« Codex » par Radiohead 

Greg faisait l’idiot, Mathieu faisait mine de s'énerver, je prenais un air faussement patriarcal en tâchant d'arbitrer les querelles, puis la conversation mourut doucement. Les premiers accords de piano de Codex résonnèrent dans la nuit et comme à chaque fin de mission depuis plusieurs mois, le temps se figea. Nous fumâmes gravement, l’œil perdu dans l'horizon lointain, et lorsque ce fût terminé, sans que nous n’échangions un mot, lorsque, soulagé et triste, je me levais pour enfiler mon treillis propre, mon treillis du retour à la maison, lorsque nous eûmes éteint nos cigarettes et coupé le son de l'ordinateur, lorsqu'il n'y avait plus rien à ajouter à cette histoire, j'échangeais un regard brillant avec Greg et Mathieu, et je sus que j'étais prêt.

CBA Jean Michelin

 

 

 

 

10/01/2019

« Pilotes de combat », Nicolas Mingasson, d’après un récit du CNE Mathieu Fotius, ALAT, éd. Les Belles Lettres

Extraits publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés.

 

« Ce qui donne un sens à la vie

donne un sens à la mort »

Antoine de Saint-Exupéry

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Déjà, nous tombions. Le temps des sensations n'est pas celui du temps qui passe. Combien de milisecondes se sont écoulées entre le moment où tu réalisas que la turbine nous lâchait et celui où je réalisais, moi, que nous allions tomber ? Rien d'autre que le temps d'un éclair, rien d'autre qu'une fraction de temps qui ne laissa de place pour aucune pensée. Ni pour la vie que nous allions quitter, ni pour ce que nous allions laisser derrière nous. Non, je n'ai pas eu le temps de penser à la mort qui nous attendait et de laquelle nous nous rapprochions inexorablement. Trente mètres… Non je n'ai pas eu le temps de penser à Stéphanie. Vingt mètres… Non je n'ai pas eu le temps de regretter de finir ici seul avec toi dans cet étroit cockpit au cœur d’un massif afghan qui avait refusé de nous laisser la moindre chance. Dix mètres… Et tu vois, Mathieu, je ne me souviens même pas m’être préparé à l'impact. C'était écrit, c'était ainsi, et j'attendais. Cinq mètres…

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Les chiens aboient et moi je crève. Mon CIRAS m'étouffe. Mon casque m’assomme. Les chiens aboient et je ne peux pas bouger. Je me traîne dans le sable et la poussière. Qu'est-ce que c'est que ce merdier ?! Je vire mon casque, c'est déjà ça. Pour le reste, impossible de m'extraire de mon pare-balles ; j'ai beau me contorsionner, me débattre comme un poisson jeté sur une rive sablonneuse, rien à faire… je dois être lamentable. Il faudrait que je me lève, que je m'assoie, que je bouge, mais mes jambes refusent de répondre, de faire le moindre mouvement. Elles m’ont abandonné. En tout cas, je n'ai pas mal, c'est toujours ça.

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J'ai capté de nouveau et de très loin le souffle des deux machines. Mais surtout ne me demande pas combien de temps s'était écoulé, je serais incapable de te le dire. Deux Black Hawk se rapprochent de nous, volent vers nous. Les entends-tu, les vois-tu nous survoler, passer à notre verticale ? Faut-il y croire ? Faut-il prendre le risque d'y croire ? Mais oui ! Oui ! Ils se mettent à décrire une large boucle et viennent se poser derrière nous dans un immense nuage de sable à et de poussière. Voilà, c'est fini ! Je vais enfin pouvoir fermer les yeux sans avoir peur de sombrer dans le désespoir et de renoncer. Je vais enfin pouvoir laisser un grand vide en moi.

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Les lieutenants Mathieu Fotius et Matthieu Gaudin en Afghanistan. Photo prise le matin de l’accident. Droits réservés.

Tu n’es plus là ! Tu n’as pas survécu au crash. Le destin t’a envoyé sur un autre chemin que celui de cette salle d'Urgence où nous aurions dû nous retrouver, où nous aurions attendu ensemble notre rapatriement en France, où nous aurions échangé des regards que nous seuls aurions compris, où nous aurions, déjà peut-être et malgré la douleur, commencé à débriefer notre vol, le chasse-poussière, la turbine, le crash… ces dernières minutes où nous avons lutté ensemble, côte-à-côte. Nous aurions essayé de comprendre… Mais tu n'es plus là.

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En 2011, les lieutenants Mathieu Fotius et Matthieu Gaudin du 3e RHC sont déployés en Afghanistan. Le 10 juin, quelques jours après leur arrivée sur le théâtre d’opération, leur Gazelle est prise dans une terrible tempête de sable et s'écrase. Le LTN Gaudin décède de ses blessures.

Fruit de la collaboration entre le CNE Fotius et l’écrivain Nicolas Mingasson, voici un texte court, intense, bouleversant, brillamment écrit. Un superbe hommage au capitaine Gaudin, à la fraternité d'armes et aux bérets cobalt, qui a largement mérité le prix Erwan Bergot attribué par l’Armée de Terre en 2018. A lire impérativement.

Aux éditions Les Belles Lettres, disponible ici.

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Lors de notre belle rencontre avec le CNE Mathieu Fotius au Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr Coëtiquidan 2018.

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Avec Nicolas Mingasson et Pauline Maucort au F.I.L.M. 2017.

Nicolas est en outre auteur de « Journal d’un soldat français en Afghanistan », publié chez Plon, « Afghanistan – La guerre inconnue des soldats français » abordé il y a 6 ans (déjà !) ici et « 1929 jours : Le deuil de guerre au XXIe siècle », éditions Les Belles Lettres ; Pauline Maucort de « La guerre, et après… » également aux Belles Lettres.

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Hommage

Au CNE Matthieu GAUDIN, 3e RHC, mort pour la France en Afghanistan ; à ses proches,

au CNE Mathieu Fotius, 3e RHC, blessé de guerre, et à tous ses camarades de l’ALAT,

à tous ceux qui sont tombés en Afghanistan, aux blessés.

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CNE Matthieu Gaudin. © famille Gaudin

Ces mois entiers de préparation et d'entraînement pesaient de plus en plus lourd à mesure que nous nous rapprochions du premier vol. Sortir, voler, était aussi une libération, une délivrance. Enfin allions-nous pouvoir plonger dans les paysages immenses et d'une beauté majestueuse qui nous séparaient des zones de combats. Enfin allions-nous pouvoir investir la troisième dimension, notre dimension, celle de l'air et du vol. Enfin allions-nous pouvoir faire notre job et des centaines de fantassins qui, du nord au sud de la Kapisa, dans les moindres recoins de la zone verte, à moins que ce ne soit sur une route ou un IED aura fait sauter leur convoi, attendait que viennent du ciel les appuis qui leur permettraient de se dégager de l'emprise des insurgés, de s'en sortir et de continuer à vivre.

Afghanistan, printemps 2011

 

 

 

 

14/03/2018

« Journal d’un reporter militaire - 10 ans d'opérations à travers l'objectif », ADJ Sébastien Dupont, ECPAD, Armée de l’Air, éd. de la Flèche

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés.

 

 

Si tes photos ne sont pas assez bonnes,

c’est parce que tu n’es pas assez près.

Robert Capa

 

Quelques grognons voient en la « photo militaire officielle » un pur outil de propagande… C’est troublant : Quel serait leur sentiment si l’armée ne publiait aucune image de ses opérations ?

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Evidemment, nous ne partageons pas cette opinion. Nous adorons ces photos, si importantes pour le lien « Armée-Nation ». Et cela va même au-delà : certaines d’entre-elles, n’en déplaise, ont rejoint le panthéon de l’art.

Mais que savons-nous des hommes et des femmes de l’ECPAD, des SIRPA, cachés derrière leurs objectifs ? Pas grand-chose, il faut l'avouer.

Voici un livre qui change la donne ; une plongée inédite dans la vie d'un "soldat de l'image", l’ADJ Sébastien Dupont.  Il était, il est vrai, idéalement placé pour prendre la parole au nom de tous ses camarades photographes, vidéastes, reporters militaires : son parcours est impressionnant, de la prise d'otage du Ponant au large des côtes somaliennes, à la charge héroïque au Mali, en passant par les sanglantes embuscades afghanes.

Gardons enfin en mémoire que dans "soldats de l'image", il y a avant tout "soldats" et qu’ils partagent tous les risques du combattant. Nos pensées vont dès lors vers le Sergent Sébastien Vermeille, photographe du SIRPA-Terre, mort en Afghanistan.

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© Sébastien Dupont/ECPAD

Je commence mon intégration. Cela veut dire des prises de contact tout en douceur et bien sûr sans appareil photo. Pas facile, ici tout le monde se connaît, une nouvelle tête est vite repérée. J'explique pourquoi je suis là parmi eux, quelle sera l'utilisation des images mais aux mots « communication », « appareil photo », « vidéo », « média », les visages se ferment et les bouches se taisent. Et je ne parle pas de réseaux sociaux d'Internet : ici, ce sont de véritables gros mots. Les Forces Spéciales ont été nourries dès le biberon à la Secops, « la sécurité des opérations ». Keep your secret, secret.

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© Sébastien Dupont/ECPAD

Avant que la colonne ne reprenne la route, j'en profite pour faire des images au plus près de la réalité du terrain, comme celles des gars qui se rasent devant les rétros de leurs véhicules, ou encore le café que l'on fait chauffer dans le quart. Rien de sensationnel au sens journalistique du terme, mais des tranches de vie que nous partageons depuis des semaines, tous grades et toutes fonctions confondus. La vie du soldat en zone de conflit et aussi ponctuée de scènes ordinaires.

Mali

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© Sébastien Dupont/ECPAD

Le convoi s’arrête. Un VLRA s’est à nouveau ensablé. Je débarque et photographie les gars qui dégagent à grands coups de pelle le sable autour des roues pour placer des plaques de désensablement. Le désert ne se laisse pas dompter facilement. Parfois, je laisse de côté mes appareils et, sans qu'on me le demande, je manie à mon tour la pelle et les plaques surchauffées par le soleil. Dans certaines situations, il est plus important de donner un coup de main que de faire des Images. C'est aussi de cette manière qu'on se fait accepter.

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© Sébastien Dupont/ECPAD

C'est l'embuscade ! Les tirs s’intensifient. On est pris à partie de face et sur le flanc. Il faut absolument rompre le contact et se replier vers les VAB avant que les insurgés ne réussissent à s’imbriquer dans notre dispositif (…) A l'aide de leurs lunettes de tir, certains tentent de repérer les positions ennemies. Je vais les aider à ma manière : je positionne l'appareil photo sur le muret qui nous protège et je fais une série d'images à la volée. Je zoome ensuite sur l'écran où l'on distingue à moins de cent mètres des fenêtres d'où pourraient être postés les Talibans.

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Vidéo de Sébastien Dupont/ECPAD

« On se replie ! On se replie ! Go ! Go ! Go ! ». Une roquette anti-char va être tirée, histoire de calmer le camp d'en face. Le coup est lâché, une vague de poussière est soulevée et s’engouffre vers nous (…) Je me replie avec les premiers, le boitier calé à la hauteur de la poitrine et l'index sur le déclencheur...

Afghanistan

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Autoportrait. © Sébastien Dupont/ECPAD

Ce soir, le désert, la poussière et l'adrénaline ont laissé place aux salons feutrés de la résidence personnelle du CEMA. Une réception « petits fours et Champagne » où se retrouvent de hautes, très hautes autorités civiles et militaires. Vêtu d’un costume sombre, j’évolue de manière discrète entre les invités et les photographie flûtes de Champagne à la main, tout en gardant un œil sur le maître des lieux. A tout moment, il peut vouloir une photo particulière et je dois répondre présent. Je regarde la scène qui se déroule sous mes yeux et je pense qu'il y a encore deux semaines je dormais par terre dans la brousse au fin fond de l'Afrique. Étrange Sensation.

Paris

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0 17052016_PERSO.jpgFormé à l’Ecole d’Enseignement Technique de l’Armée de l’Air, Sébastien Dupont intègre comme photographe en 2005 l’ECPAD (Etablissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense). Pendant 8 ans, il multiplie les OPEX, déployé 12 fois, dont en Somalie où il couvre la libération des otages du Ponant, 4 fois en Afghanistan, 2 fois au Mali ou aux EAU (Opération Chammal contre l’Etat Islamique)… Il rejoint ensuite la cellule communication de la BA 126 en Corse et vient d’être muté au Centre de Recrutement de l'Armée de l'Air de Montpellier. A son actif, plusieurs milliers de photos et de vidéos, l’imposant comme un des photographes majeurs des opérations menées par l’Armée française.

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Avec Sébastien Dupont, garçon bien sympathique, à l’enthousiasme communicatif, aux Salons des Écrivains-Combattants et du Livre de Paris 2017.

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« Journal d’un reporter militaire - 10 ans d'opérations à travers l'objectif », ADJ Sébastien Dupont, ECPAD, Armée de l’Air

ISBN 978-2955837207 – Prix 22,90 € - Format 24x16, 244 pages.

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Aux éditions de La Flèche

Disponible ici.

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L’ADJ Sébastien Dupont reçoit des mains du GAL Le Talenet le prix littéraire « Capitaine Thomas Gauvin » de l’association des Ecrivains-Combattants. Novembre 2017, mairie du XV°.

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Hommage

Au SGT Sébastien Vermeille, SIRPA-Terre, mort pour la France en Afghanistan,

A tous les photographes, vidéastes, reporters des Armées, morts pour la France, mort en service commandé,

A Yves Debay, mort en Syrie,

A tous les photographes, vidéastes, reporters civils, morts en zone de combat,

Aux blessés,

A leurs proches.

***

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© Sébastien Dupont/ECPAD

J’ai essayé d’être en osmose avec ceux que je photographiais, de faire un travail plus humaniste qu’artistique, même si la qualité graphique de l’image fait partie de sa force et de son impact dans les mémoires (…) La photo n’est finalement pour moi qu’un moyen de me rapprocher de ces hommes et de ces femmes, de les comprendre, de leur donner, en quelque sorte, la parole. Si mes images ont été là pour traduire leur message, je n’aurai pas été totalement inutile.

ADJ Sébastien Dupont

 

 

 

 

 

 

27/01/2018

« Par l'ardeur et le fer - Paroles de soldats maintenanciers », LTN Antoine-Louis de Prémonville, 7e RMAT ; LTN Guillaume Malkani, 6e RMAT ; LTN Pierre-Ange Paninforni, 54e RA, 4e RMAT, 25e RGA ; LTN Laurent Biger, 7e BCA, ALAT ; éd. Lavauzelle

Extraits publiés avec l’aimable autorisation des auteurs. Droits réservés.

 

 

L'on peut rester vingt-quatre heures s'il le faut, même trente-six heures, sans manger ;

mais l'on ne peut rester trois minutes sans poudre et des canons arrivant trois minutes plus tard n’arrivent pas à temps.

Napoléon

 

Une Plume pour L’Epée a toujours eu à cœur de s’intéresser, au travers des récits de soldats, à tous les conflits, mais aussi à toutes les armes composant la Force. La découverte de ce livre a été dès lors une très heureuse surprise…

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En premier lieu, nous sommes ravis de voir aborder l'arme du Matériel, mal connue, peu mise en avant et pourtant, une évidence, éminemment stratégique (une opération sans matériel ?). Elle est aussi souvent « chahutée » ; le fait est que l'on se focalise toujours sur ce qui ne fonctionne pas... en oubliant l'usure de nos VAB antédiluviens, les insidieux grains de sable du désert, la faiblesse de nos moyens logistiques...

Ensuite, plutôt que de se livrer à un essai purement "académique", les jeunes coauteurs ont eu l'excellente idée de faire le tour des popotes, regroupant les témoignages de vétérans de Daguet, de Bosnie, d'Afghanistan, du Mali, de RCA, abordant la dualité commandement/technicien, ou encore l'efficace système D français, le tout rendant le livre vivant et, de fait, sa lecture très plaisante.

« Par l’ardeur et le fer » s'inscrit donc parfaitement dans notre scope du récit de soldat, comble un vide important, et répare une injustice criante, en nous éclairant sur l'engagement sans faille des soldats maintenanciers. Alors, par Saint-Eloi, vive le Matériel !

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AMX30, Opération Daguet, Première Guerre du Golfe

En quatre ou cinq jours, la division à laquelle j’appartenais a fait près de 3 600 prisonniers Irakiens. En raison de notre implication dans le dispositif des forces, nous avons également été confrontés à ce problème pour lequel nous n’étions absolument pas formés. Lorsque vous voyez une demi-douzaine de soldats arrivant vers vous avec leurs armes tendues à bout de bras, il faut gérer. Accompagné de quatre hommes, de mon conducteur et d'un chef de section parlant un peu l'Arabe, je pars au-devant d'eux et essaie de leur faire comprendre qu'ils doivent déposer leurs armes. Rien ne nous prémunissait d'une éventuelle manœuvre. Si, au dernier moment, les prisonniers avaient choisi de retourner leurs armes, cela se serait surement mal passé pour nous…

GAL André (alors CNE), Première Guerre du Golfe, 1990

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VAB dans les ateliers de l’aéroport de Sarajevo. Notez les impacts de balles…

Quand ça chauffe et que les véhicules doivent sortir, eh bien, on les sort. Par conséquent la solution trouvée a été très simple : on ne dormait pas. Je partais du principe que si un véhicule blindé rentrait en atelier et que je n'avais pas de problème d'approvisionnement, il devait sortir. Peu importe qu'il soit terminé à quatre ou cinq heures du matin.

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L'appréciation du danger est quelque chose de très paradoxal. On est conscient du danger, mais quand on est dedans, cette conscience s'altère. On a fait des choses sans se poser la question du risque de se faire dessouder. Par exemple, lors de la constitution du poste, nous nous faisions sniper. Nous étions une dizaine dehors. Les tirs ont commencé. Que faire ? On pouvait s'en aller ou rester et se faire tirer comme des lapins. On est rentré, mais tranquillement, sans précipitation. Mais il faut replacer cela dans un contexte où les snipers ne cherchaient pas encore à tuer : Il m’a fallu trois ou quatre jours pour comprendre que les crevaisons à répétition sur le CLD étaient le résultat des tirs d’un sniper qui se faisait un pneu chaque soir. Le premier mois, nous n’avons pas eu de blessé. Cela a commencé doucement, à mesure que nous devenions plus efficaces, et donc que l’on gênait.

COL Grateau, blessé en Bosnie en 1992

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Dépannage de VAB, 3e RMAT

Deux ou trois semaines après son arrivée, l’OMLT Soutien connaissait déjà l’épreuve du feu. C'est ainsi que commença ce que j'appelle le jeu du chat et de la Souris. Une OMLT ou un GTIA d'Infanterie, c'est le chat. Il va chercher sa proie sur le terrain qu'il aura choisi. Ce n'est pas si grave s'ils sont pris à partie ; étant des unités de manœuvre, elles sont faites pour cela. Nous, nous étions plutôt des souris. Un camion tractant une citerne sur une route accidentée, avec seulement des logisticiens à son bord, armés de FAMAS, et c'est beaucoup moins manœuvrable et cela constitue donc une cible facile. D'où une certaine pression sur le moindre coin de route.

COL Desmeulles, 3e RMAT, Afghanistan 2007

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Prise en remorque d’un IVECO, Mali

Ce fut un véritable challenge quotidien. Abandonner dans le désert un VBCI, ou même un véhicule civil, était impensable. En convoi, quelle que soit la panne, ils ont toujours trouvé une solution pour ramener les matériels sur une plateforme relais, quitte à recourir à des solutions de fortune impliquant chewing-gum, latérite et bout de ficelles pour faire repartir le véhicule. Nous avions une politique du sparadrap, mais nous n'avions pas d'autre moyen pour assurer notre mission.

J’ai vu des hommes faire fondre du plastique pour réparer une durite. Et la réparation a tenu.

COL de Roquefeuil et LTN Hamiche, BATLOG Normandie-Provence, Mali 2014

***

Malkani.jpg< Titulaire d’un Master de lettres modernes dont le mémoire de recherche porte sur les notions d’histoire et d’idéal dans l’œuvre de Jean Lartéguy, le Lieutenant Guillaume Malkani a été réserviste au sein de la Gendarmerie Nationale avant de rejoindre l’Armée de Terre en intégrant le 4e bataillon de Saint-Cyr au titre de l’arme du Matériel. Il a pris le commandement d’une section électronique d’armement au 6e RMAT.

photo.jpg> Diplômé des facultés de droit, sciences-politiques et langues, le Lieutenant Antoine-Louis de Prémonville est également docteur ès Lettres et Civilisations. Ancien militaire de réserve, il rejoint l’active au sein du 4e bataillon de Saint-Cyr au titre de l’arme du Matériel. À l’issue de son passage aux Écoles Militaires de Bourges, il prend le commandement d’une section du 7e RMAT. Outre « Par l’ardeur et le fer », il a dirigé « Citoyens-soldats au XXIe siècle, une réserve opérationnelle pour une armée professionnelle » (Lavauzelle, 2013)

Engagé volontaire en 1999 après avoir suivi des études de comptabilité, le Lieutenant Pierre-Ange Paninforni a servi au 42e RT avant de rejoindre le domaine de la maintenance au 54e RA. Sous-officier semi-direct, il sert ensuite au 4e RMAT. Accédant à l’épaulette OAEA, il rejoint le 25e RGA en tant qu’adjoint des services techniques.

A l’âge de 18 ans, le Lieutenant Laurent Biger incorpore Saint-Maixent avant de rejoindre le 7e BCA puis le 1er RIMa en qualité de maintenancier. En 2013, il réussit le concours des Officiers d'Actives des Écoles d'Armes et accède à l'épaulette. Il sert aujourd'hui au sein de l'ALAT.

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« Par l’ardeur et le fer- Paroles de soldats maintenanciers », par les LTN Antoine-Louis de Prémonville (dir), Guillaume Malkani (dir), Pierre-Ange Paninforni, Laurent Biger.

ISBN 978-2702516119 – Prix 21,50 € – Format 15,5x22,5 - 150 pages - cahier-photo couleur

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Aux éditions Lavauzelle, disponible ici

Page FaceBook .

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Nous avons eu la chance d'échanger avec l'un des coauteurs, l’éminemment sympathique LTN Guillaume Malkani. Une belle rencontre au Salon de l'Ecrivain Soldat de Nice où il a représenté tant son 6e RMAT que l'Arme en général. Quelle bonne idée de se montrer ! A renouveler J

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Ajoutons que Guillaume est l'auteur d'un essai majeur/définitif sur l’un des plus grands auteurs de la milittérature, ou plutôt de la littérature française tout court : « L'idéal de Jean Lartéguy ». Paru aux éditions Via Romana et disponible ici. Page FaceBook .

« Les hommes de guerre sont de l’espèce qui se rase pour mourir. Ils croient à la rédemption de l’homme par la vertu de l’exercice et du pas cadencé. Ils cultivent la force physique et la belle gueule, s’offrant le luxe des réveils précoces dans les matins glacés et des marches harassantes pour la joie de s’éprouver. Ce sont les derniers poètes de la gratuité absolue. »

Jean Lartéguy

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Hommage

A tous les soldats maintenanciers morts pour la France, morts en service commandé,

Aux blessés,

A leurs proches.

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Gao, Mali. Démontage de la roue d'un VAB. Photo G. Gesquière

Les soldats maintenanciers m’ont vraiment impressionné, et ils en ont impressionné bien d'autres ! Lorsque certains de nos camarades de la mêlée voient arriver un logisticien, ils ne savent pas trop quoi en penser. Ce sont des gens qu'ils ne côtoient pas au quotidien et qu'ils peuvent percevoir, à tort, comme un frein à leur manœuvre. Aussi, voir les maintenanciers au cœur des opérations, répondre présent en dépit des contraintes tactiques et techniques, ça a forcé leur respect. Ensuite, ils n'ont cessé de demander à bénéficier de maintenanciers détachés à leur côté…

CDT Breton, AMAT (Adjoint Matériel de Théatre) au Mali

 

 

 

 

 

07/09/2017

Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr et Triomphe 2017

Photos © Natacha/UPpL’E – Merci de nous contacter si vous souhaitez en réutiliser

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Comment rater le F.I.L.M et le Triomphe ? Formidable immersion dans le monde mili, parmi les cadets légitimement fiers, casoars ébouriffés par le taquin vent breton, chic bleu turquin ou sabre sur TDF... joyeux « tonneau » et solennel « à genou les homme »... occasion rêvée de retrouver ou faire connaissance avec nos chers miliauteurs…

Alors, pour la 5ème année consécutive, nous avons pris le chemin de Coëtquidan.

Revenons en image sur ce beau week-end, qui, comme de coutume, a tenu toutes ses promesses.

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La 8e édition du F.I.L.M

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Avec Pascale Lumineau, maman du MCH Pierre-Olivier Lumineau, 40e RA, mort en Afgha le 9 juin 2012 lors d'une attaque suicide, qui tua également trois camarades, l’ADJ Stéphane Prudhom et le BCH Yoann Marcillan, 40e RA, et le MAJ Thierry Serrat, GIACM.

Le drame vécu aurait pu enfermer Pascale dans une détresse solitaire. Mais si détresse il y a, évidemment, la solitude n’a pas été une option. Au contraire, Mme Lumineau s’est largement impliquée dans le soutien, créant l’association "De la pierre à l'olivier" qui vient en aide aux familles endeuillées, aux soldats blessés phy ou psy, via des mises en relation, des interventions publiques et des groupes de parole.

En outre, elle a publié un livre, « Une vie sans toi, mon fils, mon soldat », recueil de poèmes en prose écrits pendant les premières années de son deuil. Témoignage forcément très émouvant.

Une dame éminemment sympathique, toute en simplicité et discrétion, comme son mari. Une belle rencontre.

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Page FB de l’association à rejoindre ici. Le livre peut être commandé en envoyant un message sur la page.

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La saine convivialité au Triomphe : déjeuner avec Mr et Mme Lumineau et la CNE (r) Audrey Ferraro

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Nous voici avec le GAL (2s) Jean-René Bachelet, Cyrard, Chasseur alpin, ancien chef de corps du 27e BCA, passé par les 11e BCA et 1er RI, instructeur à l’Ecole Militaire de Haute-Montagne à Chamonix, auquel s’ajoute plusieurs postes d’Etat-Major, notamment celui de commandement de la formation de l’Armée de Terre à Tours. Une telle carrière mériterait une autobiographie complète, mais c’est sur une mission phare que le général s’est penché :

En 1995, le GAL Bachelet est commandant du secteur de Sarajevo dans le cadre de la Forpronu, au paroxysme de la crise. La Bosnie donc, conflit dont nous savons tous la complexité. Nous avons hâte de lire « Sarajevo 1995 – Mission impossible », récit écrit par un sympathique montagnard au caractère bien trempé, pour lequel la langue de bois est inconnue.

N’est-il pas formidable de nous (et vous) donner la possibilité de rencontrer et d’échanger avec de telles personnes ? Merci au F.I.L.M !

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Livre publié aux éditions Riveneuve, disponible ici.

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Et puisque nous venons de parler de la chance qui nous était donnée par le F.I.L.M, poursuivons…

C’est toujours un honneur de rencontrer un Grand Ancien, pour l’occasion l’ADJ Alexis Le Gall, FFL. A 17 ans, dès le 21 juin 1940, il traverse la Manche avec son frère Jacques et rejoint le général de Gaulle à Londres. Il est de fait l’un des fondateurs des FFL, dont il connaîtra tous les combats : El Alamein avec le BM5, Tobrouk, Tripolitaine et Tunisie avec la 1ère DFL, débarquement de Provence, campagne de France jusqu’en Alsace où il est grièvement blessé en 1945. Il en a tiré un récit, au très beau titre : « Les clochards de la gloire ».

A 95 ans, avoir la volonté d’être présent à Coëtquidan, moment certes sympathique mais forcément fatiguant, afin d’œuvrer pour le devoir de mémoire et le lien armée-nation, c’est magnifique.

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« Les Clochards de la gloire », aux éditions Charles Hérissey, disponible ici

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Nous connaissions déjà « virtuellement » le CNE Mehdi Tayeb, 2e RH, 4e RCh, BRB 2, pour avoir lu son autobiographie « De la cité au rang des officiers » et échangé. La rencontre n’a fait que confirmer notre bonne impression sur le personnage.

Son livre est un récit-plongée dans une carrière qui peut (et c'est regrettable) sembler atypique : gosse des cités, né dans un contexte familial compliqué, au bord du précipice de la délinquance, Mehdi découvre l'armée grâce au service militaire. Trouvant sa voie, n'ayant peut-être pas la "gueule de l'emploi" (?) mais très certainement un beau cœur et un esprit saint, il gravit les marches, sous-off' puis officier Ouaoua. Spécialiste du renseignement, il reste forcément discret sur les opérations récentes, mais livre quand même un témoignage rare, sur les Hussards notamment. Déployé 3 fois au Kosovo et en Afgha (la première fois comme militaire du rang, la seconde comme sous-officier, la troisième comme officier !), 2 fois au Mali, mais aussi en RCI et Bosnie (infiltration épique qui aurait pu tourner au drame...), son parcours est exceptionnel... et l'homme tout autant, à la fois tendre et volontaire.

Pour reprendre la formule consacrée, et sans jeu de mot (?) : "il mérite d'être cité en exemple". Une lecture qui fait du bien.

Et nous en profitons pour saluer la charmante épouse de Mehdi, fière cavalière de montagne. 

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Livre autoédité, disponible ici. Page FB officielle ici.

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Un grand plaisir, celui de retrouver la CNE (r) Audrey Ferraro, après une première rencontre à Coët, il y a trois ans déjà. Ancienne militaire passée par le 4e Bataillon de Saint-Cyr, spécialiste de la Com’, Audrey est désormais réserviste. Elle est l’auteur d’un essai/témoignage, « Trahison sanglante en Afghanistan », qui aborde un évènement tragique de la guerre en Afghanistan, qu’il convient de garder en mémoire : Le 20 janvier 2012, un membre de l'armée afghane ouvre le feu sur des soldats français en plein footing dans leur base de Gwan. Cinq d'entre eux y laissent la vie, quinze sont blessés, tous les membres de l'OMLT K4 issus des 93e RAM, 4e RCh, 2e REG et 28e RT sont marqués à jamais.

Plus de la moitié du livre est composée des témoignages des survivants, de l'encadrement médical, de la base arrière, de proches des victimes...

Essai très complet, très émouvant, que nous avons abordé ici. Hommage à Ceux de Gwan.

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Chez Publibook, disponible ici. Page FB d'Audrey

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Retrouvailles encore, cette fois avec le médecin en chef (LCL) Etienne Philippon, SSA. Etienne complète, et c’est heureux, la milibibli des Afghaners avec « Médecin en Afghanistan ». Nous venons d’en entamer la lecture, et ce journal de marche, récit intime, s’avère d’ores et déjà très réussi. Nous en profitons pour saluer respectueusement l’engagement et l’abnégation des hommes et des femmes du Service de Santé, médecins et infirmiers, sans oublier les auxiliaires sanitaires.

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Aux éditions Lavauzelle, disponible ici.

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Nous voici avec notre camarade le LCL Hubert le Roux, habitué du F.I.L.M, lauréat l’année dernière du « Prix des Cadets », avec son complice Antoine Sabbagh, pour « Paroles de soldat », choix très « terrain » que nous avions trouvé particulièrement pertinent…

Nous avons abordé le livre ici

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Aux éditions Tallandier. Disponible ici

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Certes « Une Plume pour L’Epée » est focalisée sur le récit de soldats, mais nous avons toujours laissé une place à la photo, qui raconte une histoire. Alors évidemment, c’est un bonheur d’avoir rencontré Sandra Chenu-Godefroy, ancienne Gendarme, miliphotographe majeure. Son dernier projet en date est enthousiasmant : le livre « Sentinelles », qui rend un hommage *si mérité* à tous nos soldats anges-gardiens, patrouillant dans nos rues. Son « travail » photographique est somptueux, et on ne peut que se réjouir de la réussite de la souscription publique pour réunir les fonds importants nécessaires à la parution du livre (oui, nous avons participé !).

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Voir le projet ici

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Nous avons eu l’honneur d’être « portraités » par Sandra avec Tigrou l’aventurier. Si vous vous en étonnez, voir ici. 

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Toujours dans le domaine de la photo, nous voici avec David Bernigard, auteur avec François Blanchard d’un très beau livre sur la patrouille de France, « La grande dame ». Sujet photogénique s’il en est ; nous gardons en mémoire la prestation « à tomber par terre » de la patrouille au Triomphe l’année dernière. L’Armée de l’Air n’était pas en reste cette année, avec les shows impressionnants des « Couteau Delta » sur Mirage 2000 et du « Rafale solo display ». Le public de Coët a été gâté.  

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David vendait en outre une série de clichés, trop tentants pour y échapper. Le choix, difficile, s’est porté sur celui-ci, afin de compléter notre « galerie de portraits » où l’on trouve déjà des Légionnaires de Victor Ferreira (ici et là), des Gendarmes du GIGN par Mika...

« La Grande Dame » est publié par Blackfeather éditions, disponible ici

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Quelques livres en dehors de notre « scope » du récit de soldat, mais qui méritent votre intérêt :

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Le CNE Léo Karo, ancien des Services Spéciaux, est auteur de polars. Un premier livre, « L’archange contre Daech » est paru, un second tome à paraître et un troisième en gestation. Disponible sur le site de Léo ici

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Deux civils qui s’intéressent de près au monde militaire. Le premier vous est déjà bien connu : Nicolas Mingasson, photographe, reporter et écrivain, l’un des premiers à avoir écrit sur l’Afghanistan, projet mené aux côtés d’une section du 21e RIMa, et notamment le SGT Christophe Tran Van Can.  Nous avons abordé « Afghanistan, la guerre inconnue des soldats français », il y a près de 5 ans déjà, ici

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Sorte d’épilogue à son premier livre, Nicolas revient sur l’Afghanistan au travers de « 1929 jours », recueil d'entretiens menés pendant deux ans avec les parents, les épouses, les enfants, les frères d'armes ou les chefs des soldats morts en Afghanistan. Aux éditions Les Belles lettres, disponible ici

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A ses côtés Pauline Maucort. Journaliste radiophonique, elle aussi s’est intéressée aux vétérans de guerre, les rencontrant, échangeant longuement avec eux. Elle en a tiré un livre brillant, « La guerre, et après… ». Nous avions ainsi présenté notre ressenti post-lecture sur notre page FaceBookPauline, journaliste, a recueilli les témoignages de 9 soldats, un tireur d'élite, un légionnaire vétéran de RCA, des blessés de Bosnie et d'Afgha, un psy, etc. Elle en a tiré un livre extrêmement fort. On y retrouve évidemment la fraternité d'armes, le courage, le mal-être (la guerre n'est romantique que pour ceux qui ne l'ont pas faite), mais pas que : sont également abordés des thèmes rarement sous le feu des projecteurs dans les récits autobiographiques (autocensure, tabou, pudeur...) : le sexe, la fumette, le sexisme, l'incompétence, l'échec... Le fait de se raconter, via une tierce personne, a certainement été libérateur (de plus les témoignages sont majoritairement anonymes) (pour le grand public en tous cas ; nettement moins pour nous...).

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Aux éditions Les Belles Lettres, disponible ici.

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Deux bons camarades : Grégoire Thonnat, auteur de la bien connue et « successfull » série des petits quizz, le dernier en date concernant nos amis Policiers, et l'éditeur Pierre de Taillac venu comme à son habitude avec un stand garni de pépites milittéraires !

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Enfin, nous ne manquerons pas de saluer notre chère amie Delphine, organisatrice du F.I.L.M et impliquée dans la communication des écoles. Il nous semble qu’un record d’affluence a été battu cette année. Une fois de plus, mission brillamment accomplie Delphine. Bravo à toi et à toute l’équipe !

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« Une Plume pour L’Epée », c’est évidemment #milittérature et #miliphoto, mais aussi #milisoutien !

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Clin d’œil à W.O.L.V.E.S.

Association créée par Sandrine et Céline, en vue de participer au rallye des Gazelles 2018 et y représenter tant les veuves que les orphelins de guerre. Voir le projet ici. Page FB .

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Clin d’œil à InvaincuS et à Solidarité Défense

Calendrier-livre de photos de blessés, projet Sabrina Daulaus et Sébastien Breissan, au profit de Solidarité Défense. C’est magnifique. Projet ici. Page FB .

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Et clin d’œil à nos chers camarades du collectif « Debout Marsouins !». Nous avons abordé leur si beau livre ici.

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Mais pas de F.I.L.M… sans Triomphe…

Comme le veut la tradition, les 3e Bataillon de l’ESM et 2e Brigade de l’EMIA ont reçu leur nom de baptême.

Pour les Cyrards de la 203e promotion : « Général Loustaunau-Lacau ».

Pour les Dolos de la 56e : « Lieutenant-Colonel Mairet ». 

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Pour illustrer ces beaux noms de baptême, deux livres : « Mémoires d’un Français rebelle », autobiographie du GAL Loustaunau-Lacau et « Les Parachutistes SAS de la France Libre, 1940-45 » de David Portier en hommage au LCL Mairet.

Hélas épuisés, à dénicher sur le marché de l’occasion.

Nous en profitons pour souhaiter une belle carrière, ou suite de carrière, aux Cyrards de la promotion « Chef d'escadrons de Neuchèze », aux Dolos de la « Colonel Vallette d’Osia » et au 4e Bataillon « Capitaine Jean Lartéguy » ; une bonne continuation à la « Général Saint-Hillier », la bienvenue à la 204e promotion de la Spéciale et à la 57e de l’EMIA.

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Au gala des Dolos de la 55e promotion au Pré-Catelan. Oui, nous avons passé une bonne soirée J et saluons avec affection tous nos jeunes camarades de la "Vallette d'Osia" ! 

 

Chic à Cyr ! Chic à nos soldats !

 

 

 

 

24/05/2017

« Le soleil se lève sur nos blessures », collectif « Debout Marsouins ! », 3e RIMa, autoédité

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation des auteurs. Droits réservés

 

 

La plus grande gloire n’est pas de ne jamais tomber,

mais de se relever à chaque chute.

 Confucius

 

Ils portaient en eux, parfois inconsciemment, une certaine idée de la France. Ils se sont engagés. Ils ont été envoyés au bout du monde par les Français. Ils ont combattu pour les Français. Ils l’ont fait avec courage. Mais ils sont tombés.

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Ils ne sont pas morts. Ils ont été blessés dans leur chair ou leur esprit. Cependant, pour eux, ce fût tout comme une mort : ils n’ont pu poursuivre la mission; ils ont abandonné leurs camarades; ils ont failli; ils se sont demandés si la vie avait encore un sens.

Nous voici bien graves, et ce n’est pas faire justice à cette attachante équipe de joyeux lurons qu’est « Debout Marsouins ! » et à leur livre plein d’espérance, « Le soleil se lève sur nos blessures ». Mais il est vrai que l’histoire n’est pas terminée :

Les cicatrices sont vives, le potentiel physique est diminué, les nuits peuvent être agitées de cauchemars, et le deuil des frères d’armes est porté à jamais. Le chemin a été long, semé de souffrance et de doutes, mais tous ces soldats se sont relevés, et ont décidé de se confier.

On connait une des clés fondamentales de la guérison : accepter les mains tendues et parler. Avec ce livre, nos amis du 3e RIMa tendent à leur tour les mains et parlent : aux soldats en soin, handicapés, souffrant de SSPT, à leurs camarades, aux proches… et pourquoi pas aux Français dans leur brouillard métro-boulot-dodo ?

Saluons la volonté des CCH Benjamin Itrac-Bruneau et Rodolphe Guadalupi, à l’origine du projet. Ils ont su fédérer les énergies et ont convaincu des camarades à se livrer (et il faut du courage pour le faire, nous en sommes conscients). Et le résultat est là : un livre très émouvant, écrit avec un talent certain. L’un des grands récits milittéraire de ces dernières années, qui fait honneur au bel esprit Colo et à l’armée en général.

Le soleil se lève sur nos chers Marsouins de Vannes. Il n’est pas encore bien haut sur l’horizon pour certains, mais même s’il n’atteint jamais le zénith, ce n’est déjà plus la nuit.

Si notre métier n’est pas d’écrire, nous savons néanmoins nous exprimer avec nos cœurs et nos tripes. Et c’est ce que nous avons fait. Nous avons voulu réaliser ce livre pour nos frères d’armes morts pour la France ou blessés, pour tous les soldats de nos armées, pour leurs familles et leurs proches et pour vous, nos concitoyens. (...) Nous ne recherchons aucune gloire, mais espérons simplement que notre engagement et, dans une plus large mesure, celui de nos frères d’armes, soit connu, compris et reconnu par les Français.

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Marsouins à l’entrainement, région d’Ati, Tchad.

Ca ne siffle plus autour de nous, ça claque en permanence. Un avertissement que répétaient ceux qui avaient connu l’épreuve du feu me revient à l’esprit : « quand ça claque ce n’est pas bon signe, c’est que ça passe tout près ». Pour commander mon groupe, il me faut un minimum de champ visuel. Je suis donc légèrement accroupi. Soudain, je reçois comme un grand coup dans la gueule, ce genre d’uppercut à assommer un cheval. Je ne réalise pas que je viens de me faire toucher. Je cherche à commander, sans me rendre compte que j’en suis incapable, je ne peux pas parler, je parviens juste à émettre des borborygmes en crachant du sang, dès que j’ouvre la bouche. Je me sens faiblir.

LCL Jean-François Libmond, blessé en 1978 au Tchad lors du combat d’Ati.

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CCH Rodolphe Guadalupi en Bosnie

Avant même de comprendre ce qu’il m’arrive, une multitude de pensées imprécises se bousculent dans ma tête. Il me semble de n’avoir d’autre choix que d’accepter quelque chose que je ne comprends pas ni ne maîtrise. J’ai l’impression qu’une sorte de bulle se crée autour de moi, à l’intérieur de laquelle le temps se fige et l’espace se réduit à ma stricte personne. Un peu comme si l’Univers ne se limitait plus qu’à moi et moi seul. Je ne perçois absolument plus rien de mon environnement. Plus rien n’existe à part moi, tout le reste ne compte plus.

CCH Rodolphe Guadalupi, blessé en 1995 en Bosnie

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CCH Salami Abdou en Afghanistan

Je commence à reprendre mes esprits. Je mesure ce qui m’arrive mais sans comprendre et surtout sans l’admettre. Le fait de me retrouver en France, loin de mes camarades et de ne plus pouvoir continuer la mission m’anéantit (…) J’ai envie de tout casser ; j’ai envie de hurler ; Je me demande pourquoi moi ? Pourquoi ai-je été obligé de rentrer avant la fin du mandat ? J’ai le sentiment d’avoir abandonné mon groupe et ma section (…) Je veux revoir mes potes. J’ai besoin qu’ils me rassurent, qu’ils m’aident à me libérer de ce sentiment d’inachevé. J’ai besoin qu’ils me disent qu’ils ne m’en veulent pas de les avoir laissé tomber au milieu de ce vaste merdier.

CCH Salami Abdou, blessé en 2009 en Afghanistan

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CCH Benjamin Itrac-Bruneau en Afghanistan

Je passe mon premier mois à Percy entre pansements, soins, séances de kiné, visites de camarades du régiment, d’autorités, d’amis, de la famille, d’anciens… J’ai parfois l’impression d’être une bête de foire, répondant aux mêmes questions, certains se sentant obligés de me raconter leurs campagnes, comme pour justifier la souffrance qu’ils lisent dans mes yeux et qu’ils ne connaissent pas. Mais au moins je suis rarement seul et cela m’évite de ressasser sans arrêt l’embuscade du 3 août. Car si mon corps est à Paris, mon esprit est resté dans ce petit verger où, pendant quelques instants, ma vie a été plus intense, plus perceptible, plus concrète, plus vive qu’elle ne l’avait jamais été. En quelques instants je suis passé du courage à la peur, de la vie à la mort, de la résignation à la lutte ; mais de Marsouin… à plus rien.

CCH Benjamin Itrac-Bruneau, blessé en 2009 en Afghanistan

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CCH Salami Abdou, médaille militaire, et ADC Nadège Donzé, marsouin d’honneur, à Vannes

Je ressens comme un sentiment d’injustice. Pourquoi eux ? Y en aura-t-il encore d’autres ? Et si oui, combien ? Bien qu’aucun lien de parenté n’existe entre eux et moi, je me sens affectée et me surprends à laisser couler quelques larmes. Je suis effondrée, un peu comme si ces hommes étaient mes frères. Bien sûr, dans nos traditions militaires, nous parlons de « frères d’armes », mais ces hommes, au fond, me sont inconnus. Pourtant, c’est quelque chose de plus fort que moi, presque un besoin, de les voir, de modestement contribuer à améliorer leur quotidien entre les quatre murs blancs de leur chambre d’hôpital.

ADC Nadège Donzé, affectée au cabinet du ministre de la Défense, visite les blessés sur son temps libre

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Le pont de Vrbanja, Bosnie

Je retourne sur le pont. Décidément, les ponts jalonnent ma vie (…) J’entame le deuxième pack de bière. Ma tête commence à tourner, je commence à gueuler, à crier très fort, encore plus fort. Je gueule pour évacuer le stress, le mal-être, la rage, la haine, toute cette merde qui me ronge depuis dix ans. Le bruit des voitures couvre mes cris. Je gueule, je hurle à m’en faire péter les cordes vocales. Dans quelques instants, l’ivresse m’attirera vers le bas et mon voyage tourmenté se terminera.

Je crois aujourd’hui que je ne voulais pas mourir, je ne voulais pas quitter la vie, je ne voulais pas abandonner ma famille, mes amis. Je voulais juste qu’on m’aide.

CCH Eric, blessé physiquement et psychologiquement en Bosnie en 1995 lors de la reprise du pont Vrbanja

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Soldats français au Mali

Nous devons humblement accepter de n’être que des hommes. Nous ne sommes pas des machines de guerre insensibles à toutes les blessures faites à notre corps, à notre cœur et à notre esprit. C’est sans doute en acceptant cette fragilité qu’il est possible de sortir de la dépression. Il n’y a que dans l’abandon du rôle qu’il s’attribue ou que les autres lui attribuent que le blessé psychologique pourra se reconstruire.

CCH Eric, blessé physiquement et psychologiquement en Bosnie en 1995

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150px-3eme_RIMa.pngLe collectif « Debout Marsouins ! » a été créé à l’initiative de deux Caporaux-Chefs du 3e RIMa Rodolphe Guadalupi et Benjamin Itrac-Bruneau, avec la volonté de témoigner de leur engagement au service de la France, mais aussi de leur reconstruction physique et psychologique, après leurs blessures respectives en Bosnie et Afghanistan. Fédérant autour d’eux plusieurs Marsouins du 3e, vétérans du Tchad, de Bosnie et d’Afghanistan, blessés physiquement ou moralement, mais aussi des proches, des personnes œuvrant dans le soutien, des psychologues, infirmiers et médecins militaires. L’aventure est menée à bien et quinze textes sont publiés en autoédition, sous le beau titre « Le soleil se lève sur nos blessures ». Préface du COL (r) Pierre Servent.

Nous ne sommes pas des têtes brûlées. Nous sommes des citoyens au service de nos concitoyens et de notre pays, dont nous défendons les intérêts, les armes à la main, dans la discipline, dans le respect des lois, et sans état d’âme à chaque fois qu’on nous le demande. Nous sommes en même temps le bras armé de la Nation et le bouclier de chaque Français.

Nous ne sommes pas des victimes. Nous sommes des blessés de guerre.

Collectif « Debout Marsouins ! »

 

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Souvenirs de nos bons moments avec Nadège, Benjamin et Rodolphe en 2016. Déjeuner à Paris, Salon du Livre et Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr à Coët. 

Mais notre relation avec les soldats auteurs ne s’arrête pas après une rencontre sur un salon, la lecture du livre et son humble promotion. Nous la vivons dans la durée et beaucoup sont devenus des amis proches. Un exemple : Le 20 mai dernier, nous avons assisté à une conférence de l’IHEDN sur le thème « Les gueules cassées, blessures visibles et invisibles », organisée par notre chère Nadège du collectif « Debout Marsouins ! ».

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Sous la houlette du médecin en chef (COL) Jean-Christophe Amabile, du Service de Santé, excellentes interventions, passionnantes et d’une heureuse spontanéité, du CCH Frédéric Cantelou, Marsouin du 1er RIMa blessé physique et psychique au Mali, de l’ADC Christian Bonnot, chef du bureau environnement humain du 1er RIMa, et de Mr Henry Denys de Bonnaventure, président de l’UBFT – fondation « Les Gueules Cassées », blessé en Algérie. Parallèlement, l’artiste René Apallec présentait ses œuvres, impressionnants collages sur le thème de la blessure de la face. Voir son site ici.

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Le 16 mars 2013, au Mali, Frédéric Cantelou est gravement blasté, blessé, brulé, par l’explosion d’un IED.  Le CPL Alexandre van Dooren, pilote de leur AMX10RC, est tué ; les deux autres membres de l’équipage sont grièvement blessés eux aussi. Nous étions présents sur le pont Alexandre III, pour honorer le sacrifice d’Alexandre et manifester notre soutien à ses proches et camarades. Nous avions tenus à partager notre émotion sur le blog naissant. C’est ici.

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A l'issue de la conférence, les participants ont  manifesté leur soutien à l’association « Au-delà de nos handicaps » représentée par son président le GAL (2s) Georges Lebel, via une participation financière au projet  « Mercantour Dream Warriors », raid que vont effectuer en juin huit militaires atteints de blessures physiques invalidantes ou psychiques/SSPT et deux jeunes adultes civils handicapés. Soutenez comme nous ce beau projet ici. Page FaceBook

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Et pour conclure ce semi aparté (vous aurez noté le Général Lebel posant avec le livre), nous adressons toute l’affection des CCB (Caporaux-Chefs de Bataillon) d’Une Plume pour L’Epée à nos camarades Marsouins ! (blague privée :))

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« Le soleil se lève sur nos blessures » par le collectif « Debout Marsouins ! »

[grades et fonctions à l’époque des faits]

SGT Jean-François LIBMOND, blessé par balle à la gorge lors du combat d'Ati, Tchad, 1978,

1CL Eric, blessé lors la reprise du pont de Vrbanja, Bosnie, 1995,

1CL Rodolphe GUADALUPI, blessé à Sarajevo, Bosnie, 1995 ; Catherine BLANDIN sa maman,

1CL Benjamin ITRAC-BRUNEAU, blessé en Kapisa, Afghanistan, 2009 ; 1CL Chay-Dene, premier camarade à lui porter secours,

CPL Salami ABDOU, blessé par explosion d'IED en Kapisa, Afghanistan, 2009,

1CL Maxime GARNIER, blessé psy après sa mission en Kapisa, Afghanistan, 2009 ; propos recueillis par le collectif et retranscris par Georges GUEHENNEUX,

Olivier BOREL, psychologue de la CISPAT,

COL Thierry MALOUX, chef de la CABAT,

Médecin-général inspecteur Dominique FELTEN, ICAS Anne-Sophie REHEL et MAJ Sébastien KEIRSSE, médecin et infirmiers au groupe médico-chirurgical de Sarajevo, Bosnie, 1995, propos recueillis et retranscris par Sabine FOSSEUX,

ADJ Nadège DONZE, chargé du suivi des dossiers des blessés au sein du cabinet du MINDEF en 2008/2009,

Préface du COL (r) Pierre SERVENT.

ISBN 9781364289119 – Format 15x23, 200 pages – Prix 8,45€

Disponible ici.

Page FaceBook .

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Hommage

A l’ADJ Jean-Louis Allouche, Tchad

Au CPL Joseph Lenepveu, Tchad

Au 1CL Guy Jolibois, Tchad

Au CPL Johnny Comtois, Bosnie

Au CPL Marcel Amaru, Bosnie

Au 2CL Jacky Humblot, Bosnie

Au CPL Anthony Bodin, Afghanistan

Au CPL Johan Naguin, Afghanistan

Au CCH Thomas Rousselle, Afghanistan

Au 1CL Kevin Lemoine, Afghanistan

Au SGT Johann Hivin-Gérard, Afghanistan

A tous les Marsouins du 3e RIMa morts pour la France,

A tous les morts pour la France,

Aux blessés physiques et psychologiques,

A leurs proches.

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« Amazing Grace » par le 3e RIMa, sous la direction de Philippe Hardy 

Durant toutes les années que mon fils a passées au 3e RIMa et à chacun de ses départs en mission, mon entourage familial et amical me montrait une sollicitude un peu encombrante, comme si j’étais la victime, la mère d’une future victime de guerre. J’ai refusé de tous cette attitude et l’ai combattue. J’estimais en effet que le métier de Rodolphe, malgré les terribles risques qu’il comportait, ne devait pas inspirer la « pitié », mais plutôt le courage et la fierté, accompagnés de noblesse, cette noblesse de ceux qui vont au bout de leurs convictions.

Catherine, maman du CCH Rodolphe Guadalupi, blessé en 1995 en Bosnie

 

Je suis aujourd’hui sergent. Je voulais quitter ce métier militaire qui m’a tant fait souffrir. Mais au bout du compte, je ne vois pas d’entreprise capable d’autant d’attentions à l’égard d’un de ses fils. Fils, un mot bien différent des termes usuels : salarié, employé, personnel, ressortissant… J’existe aux yeux de mes frères d’armes, je ne suis pas jugé, je suis un guerrier des Troupes de Marine, je suis un soldat de France.

SGT Maxime Garnier, vétéran d’Afghanistan, blessé psy

 

 

 

 

 

 

12/12/2016

« Trahison sanglante en Afghanistan », CNE (r) Audrey Ferraro ; « Afghanistan – Photographe, un métier risqué », CES (er) Hervé Tillette de Clermont-Tonnerre ; « Dans les pas de Zamaraï Païkan, général et héros afghan », COL Philippe Cholous

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation des auteurs ; droits réservés.

 

Moi contre mon frère ; mon frère et moi contre notre cousin ; notre cousin, mon frère et moi contre les autres.

Proverbe afghan

 

En parcourant nos nombreuses recensions sur l’Afghanistan, nous avons noté que les Afghans n’apparaissaient que sous un seul jour : celui de l’ennemi…

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Or il est bien évident qu’il ne faut pas confondre Afghan et Taliban. D’ailleurs, ce « peuple afghan » n’a rien de monolithique, malgré son Islam omnipotent. Mosaïque ethnique, vendetta de tradition, intérêts économiques (opium/aka morphine), attrait de l’Occident vs Charia, etc. Il y eut (il y a), en Afghanistan, des ennemis redoutables comme de fidèles alliés, des amis à la vie à la mort, comme d’ignobles traîtres...

Et pour illustrer ce fait, nous abordons trois livres, au mérite extraordinaire, relevant de l’euphémisme : nous éclairer sur la complexité afghane…

 

« Trahison sanglante en Afghanistan », CNE (r) Audrey Ferraro, CRR-Fr, éd. Publibook

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20 janvier 2012, un soldat de l’Armée nationale afghane ouvre le feu à l’intérieur de la base de Gwan sur ses mentors français, alors en plein footing ; ceux-là même qui ont pour mission de le former et venir en aide à son pays. Cinq d’entre eux perdent la vie, une quinzaine est blessée, tous les membres de l'OMLT K4, issus des 93e  RAM, 4e RCh, 2e  REG et 28e RT sont marqués à jamais. Si chacun garde en mémoire l’embuscade d’Uzbin, reconnaissons que cet ignoble massacre a reçu peu d’écho. Nous ne disserterons pas sur le « pourquoi », mais remercierons la CNE (r) Audrey Ferraro, officier d’information et de communication notamment en Opex, avant de poursuivre son cursus militaire dans la réserve au sein du Corps de Réaction Rapide, d’avoir, par cet essai regroupant les témoignages déchirants des survivants, de l'encadrement médical, de la base-arrière, de proches des victimes, inscrit dans la mémoire éternelle le sacrifice de Ceux de Gwan. Un très beau livre-hommage.  

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Avec la capitaine (r) Audrey Ferraro au Festival International du Livre Militaire de saint-Cyr Coëtquidan 2015

« Trahison sanglante en Afghanistan », aux éditions Publibook, disponible ici

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Le SCH Svilen Simeonov en « mentoring », fin décembre 2011, Gwan

Il neige. Les précipitations s’accentuent jusqu’à avoir un vrai temps d’Alpins. Lorsque je sors du bureau du capitaine, je tombe sur une scène mémorable : des soldats afghans en train de faire une bataille de boules de neige, comme le feraient nos jeunes engagés ou nos écoliers. Quelques centaines de mètres plus loin, un autre groupe est en train de faire un grand bonhomme de neige. Ce jour-là je suis face à une forme d’universalité dans laquelle je me retrouve : quelles que soient nos différences culturelles, nous sommes finalement très proches avec les mêmes espoirs ou les mêmes aspirations.

Témoignage du LCL Hugues C, chef du détachement OMLT K4.

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Puis la terre se soulève. Chacun  reconnait le claquement d’une arme automatique et réalise que nous sommes pris à partie. Le choc de l’impact à la hanche et le réflexe de survie me jettent à terre. Avec un des membres de l’OMLT, nous nous protégeons mutuellement. Je comprends que ne plus bouger peut être synonyme de survie. Un deuxième impact au coude et puis la résignation…

Penser à ma tendre femme et mes chers enfants me sert de réconfort face à la mort qui arrive. Pas de film de la vie qui passe, juste une dernière pensée pour ceux que j’aime.

Témoignage du LCL Hugues C, chef du détachement OMLT K4.

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SCH Svilen Simeonov, 2e REG, BCH Geoffrey Baumela, ADC Denis Estin, ADC Fabien Willm et CNE Christophe Schnetterle, 93e RAM, assassinés à Gwan

Le plus dur, c’est de voir l’envers de la mort, c’est-à-dire l’impact qu’elle a sur nos proches et les familles endeuillées. Etre prêt à accepter de mourir est bien plus simple que d’en connaître les conséquences autour de nous.

Témoignage du président des sous-officiers du 93e RAM.

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« Afghanistan – Photographe, un métier risqué », CES (er) Hervé Tillette de Clermont-Tonnerre, SIRPA-Terre, éd. Bergame

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13 juillet 2011, Sébastien Vermeille, photographe du SIRPA-Terre, est tué lors d’une attaque suicide d’un taliban alors qu’il couvre une shura. Quatre camarades perdent également la vie, les ADJ Emmanuel Técher et Jean-Marc Gueniat du 17e RGP, le LTN Thomas Gauvin et l’ADJ Laurent Marsol du 1er RCP. Le chef d’escadrons de Clermont-Tonnerre est désigné pour accompagner la famille Vermeille lors des cérémonies officielles, en premier lieu Sandrine, épouse enceinte de Sébastien, et Mathys, leur jeune fils. La vie militaire est ainsi faite que 6 mois plus tard, Hervé rejoint l’Afghanistan, sur les traces de Sébastien, avec pour mission de former des équipes de communication de l’Armée nationale afghane…

Dès 2013 et notre première rencontre avec le commandant au salon du Livre, où il officiait comme organisateur du stand du Ministère de la Défense, nous avions discuté de son manuscrit qu’il cherchait à publier. Nous sommes bien placés pour savoir que la tâche est difficile et nous réjouissons de l’aboutissement du projet. Un récit sans prétention, mais très humain, qui met à l’honneur comme ils le méritent, nos si talentueux photographes et vidéastes militaires.

« Afghanistan – Photographe, un métier risqué », aux éditions Bergame, disponible ici

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Le chef du SIRPAT, l’air grave d’une manière que je ne lui connais pas, me demande de récupérer mon chef de cellule et de venir immédiatement dans son bureau. « Fermez la porte s’il vous plait ». Je sens la mauvaise, la très mauvaise nouvelle. Les mots ont du mal à venir. La tête basse, l’air atteint par une douleur interne. « Bien écoutez. Nous venons de perdre l’un de nos camarades en Afghanistan. Il s’agit du caporal-chef Vermeille, photographe en mission sur la base de Tagab. Cela s’est passé lors d’une attente pour une shura alors qu’il couvrait cette activité sur le terrain. Je n’ai pas le détail pour le moment. Le plus important est de lancer la procédure pour prévenir la famille ».

Pascal et moi sommes passés en quelques secondes dans un autre monde. C’est une impression bizarre. Nous sommes là, dans le silence, sans voix, sans réactions. Une minute, deux minutes…

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Hervé de Clermont-Tonnerre et Mathis Vermeille

Je profite de quelques instants avec Mathis, pour mieux le connaître, être proche de lui. Le plus souvent, je suis en uniforme et cela présente du sens pour lui. « Comme papa », me dit-il souvent.

Paris, juillet 2011

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Le CES de Clermont-Tonnerre à droite, en pleine formation de l’équipe com afghane

[Les deux stagiaires afghans] ont pris en main leurs appareils. Avec de courtes explications théoriques et mises en œuvre pratiques, nous avons débuté le long travail d’apprentissage qui les mènera vers l’obtention de leurs diplômes. C’est important pour eux, car cela leur permettra d’apprendre un nouveau métier éventuellement transposable dans le civil, mais surtout de mettre en exergue les activités de leur bataillon. Ils pourront, grâce à leurs produits vidéo et photo rendre compte, au travers de l’histoire, des actions de leur armée.

 Nijrab, fin 2011

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Je quitte l’Afghanistan, ayant vécu au rythme du Sergent Vermeille, au moins celui de la vie de tous les jours sur la base. Je n’ai pas eu la chance de sortir dans les vallées comme il le faisait si souvent. Mais j’ai côtoyé Jeremy, Mickael et d’autres qui se préparaient ou rentraient de leurs missions. J’ai pu apprécier leur force, leur courage. J’ai pu voir, admirer, leur production photo et audiovisuelle. Ils sont bien les « soldats de l’image ». Ils méritent amplement ce titre, eux qui racontent l’histoire militaire de notre époque, et surtout de leurs camarades.

Nijrab, janvier 2012

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Avec le CES de Clermont-Tonnerre et Sandrine Vermeille.

Nous en profitons pour saluer Sandrine Guillerm-Vermeille, qui a perdu son mari alors qu'elle portait son second fils. Peut-on imaginer plus cruelles circonstances ? Une femme courageuse, aussi charmante qu'admirable.

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Elle est marquée à jamais mais se reconstruit, pour ses fils et pour elle-même. Pour preuve : son projet de participer, avec son amie Céline, veuve en 1ères noces du BCH Fabien Rivère, 515e RT, tué en Côte d’Ivoire en 2003, au rallye Aïcha des Gazelles 2018. Nous vous invitons à visiter le site de leur nouvelle association W.O.L.V.E.S (Widow, Orphan, Life, Voluntary, Energie, Sodarity / Veuve, Orphelin, Vie, Volonté, Energie, Solidarité) ici, rejoindre leur page FaceBook ici, et donner un petit coup de pouce financier

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« Deux ans dans les pas de Zamaraï Païkan, général et héros afghan », COL Philippe Cholous, Gendarmerie Mobile

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Récit très original de par son sujet, puisqu'il nous place dans l'intimité du commandant de L’ANCOP  [Police Nationale Afghane d'Ordre Public], dont Philippe a été conseiller permanent de 2013 à 2015 ; et plus généralement dans celle de cette unité largement inspirée de la Gendarmerie Mobile française.

Une vision de l'intérieur donc, qui va cependant au-delà du seul portrait d’un héros national (Zamaraï a été compagnon d’armes de Massoud), ami de la France, puisque Philippe vit parallèlement le retrait des forces occidentales et le passage de relais sécuritaire aux Afghans (non sans difficulté, nous le savons). Témoin d’un épilogue, en quelque sorte.

Son rapport aux Afghans, à l’Islam, aux alliés ; le terrain, les combats [le colonel est présent lors de 4 attaques contre le général], la corruption, la place des femmes…

En outre, il s’agit du deuxième témoignage de gendarme en Afgha, après celui du COL Stéphane Bras (abordé ici) et nous ne devons pas oublier l'engagement des hommes en bleu [portant pour l’occasion le treillis camouflé] dans le conflit.

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Avec notre très bon camarade Philippe Cholous, gendarme mobile au passé de marsouin et fier papa de hussard :)

« Deux ans dans les pas de Zamaraï Païkan, général et héros afghan », aux éditions Lavauzelle, disponible ici

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Colonel Cholous en Afghanistan

Les Afghans étaient respectueux et polis, même si le fait que je sois, au contraire de mes prédécesseurs et des militaires de la coalition, dépourvu de conducteur et d’équipe de protection, les a toujours persuadés que je n’étais pas vraiment un colonel. En revanche, me voir aller et venir toujours seul dans Kaboul et sur le terrain leur donna l’image d’un combattant autonome et un peu fou. Cette image leur plut et me servit. L’Afghan se plaît en effet volontiers à cultiver un côté fier, insouciant et bravache. Il y a dans les unités de l’ANCOP un petit côté « bandes de Picardie » et dans l’équipe de protection rapprochée de Zamaraï un petit côté « Cadets de Gascogne ».

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Le général Zamaraï et le colonel Cholous

Le général Zamaraï aime à relater des faits ou à raconter des anecdotes sur le terrain même où elles se sont déroulées. Ainsi, il m’a d’emblée amené à Uzbeen, sur les lieux des combats qui coûtèrent la vie à neuf marsouins et un légionnaire. C’était pour lui une manière pudique de montrer son respect pour le sang versé. Il en avait d’autant plus le respect que c’était là des Occidentaux morts pour l’Afghanistan. Il y a beaucoup de débats en France s’agissant de la question de savoir quel intérêt nous allions défendre là-bas. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que, dans l’esprit de cet Afghan, les Français ont donné leur vie pour l’avenir de son pays.

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Le colonel Cholous en Humvee

Pris sous le feu, je ne peux débarquer pendant l’accrochage. Restant inactif à bord de mon Humvee qui est en milieu de rame, les minutes me paraissent interminables. Je sais que le blindage me met à l’abri des armes légères et que la proximité des habitations complique les tirs ennemis. Pour le reste… notamment les roquettes, je me sens vulnérable. Je me sens d’autant plus immobile qu’en tourelle, le servant de la mitrailleuse s’en donne à cœur joie. Les étuis pleuvent dans l’habitacle.

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Le général Zamaraï et le colonel Cholous, départ pour l’Aïd

Ces deux ans d’Afghanistan m’auront marqué à jamais, notamment les missions en opération de guerre. De ce pays j’emporte des images fabuleuses. Pourtant, je sais qu’il ne me manquera pas. Ma vie est ici, auprès de mes ancêtres et parmi les miens. Certains Afghans, en revanche, me manqueront, au premier rang desquels le général Zamaraï, ce héros authentique, ainsi que les soldats de l’ANCOP dans les mains desquels j’ai si souvent remis ma vie. Leurs visages me reviendront. Du Pouliguen au col de Salang, le vent portera mes pensées vers eux, mes frères d’armes d’un temps.

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Photo Sébastien Joly, auteur du reportage ‘Aito.

Revenons sur notre introduction. Certes l’Afghanistan avait toutes les allures d’un guêpier, mais nous n’entrerons pas dans un débat sur le conflit.

Nous laisserons par contre la parole au SCH Yohan Douady, Marsouin, vétéran d’Afgha, qui y a perdu son camarade Cyril Louaisil, 

avec dans nos pensées Sandrine, Mathis, Maxence, la famille Vermeille, les proches de ceux de Gwan et de tous les morts en Afghanistan,

avec dans nos pensées les blessés et tous les Afghaners,

avec dans nos pensées, également, les Afghans dont le GAL Zamaraï, qui, contrairement aux Talibans, veulent continuer à voir voler dans leur pays les cerfs-volants.

« Certains pourront toujours prétendre que nous n’avons influé sur rien, que ces dix années de guerre en Afghanistan ont été inutiles, mais il suffirait que germent les quelques graines d’espoir que nous avons semées lors de nos mandats successifs, pour que rien n’ait été inutile.

Et même si rien ne germe, pourquoi devrions-nous regretter d’avoir essayé ?

Pourquoi devrions-nous renier ceux qui ont été tués ou blessés, en essayant ?»

 

 

 

 

09/03/2016

« Dieu désarmé », Padre Richard Kalka, aumônier militaire, autoédité

V2. Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés. 

 

+ + +

Le centurion qui se trouvait devant lui, voyant  qu’il avait ainsi expiré, dit :

Vraiment, cet homme est bien le fils de Dieu.

Luc [15.39]

 

 

Il nous a fait sourire, le padre : « J'espère que vous ferez preuve de bienveillance en lisant mon livre... »

Comment ? Faire preuve de bienveillance, mon père ?

Richard Kalka, aumônier-para, Tchad, Rwanda, Irak, Centrafrique, Bosnie, Kosovo, Gabon, Afghanistan... Epervier ! Daguet !  Amaryllis ! Turquoise ! FORPRONU ! Barracuda ! (on passe les décorations).

Et vous nous demandez de faire preuve de bienveillance, padre ?

Vous avez vraiment le sens de l'humour !

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Ah, « Dieu désarmé » ! Derrière l’intelligence du titre, quelle belle remontée du Mekong…

Prenons cette image, le Mékong : La vie se compare-t-elle à un fleuve, coulant parfois gentiment, entre des berges champêtres, affrontant soudain des rapides, voire des Niagara ?

C’est, il nous semble, une mauvaise parabole : le flux n’a pas de mémoire.

Nous ne voyons pas la vie comme un fleuve, nous la voyons comme la Terre, au sens géologique du terme.

Faites une coupe : les states se superposent ; des couches de bonheur, de détresse, de métro-boulot-dodo, de désespérance, de joie immense, de drame… Une épaisseur recouvre la précédente, certaines se mêlent du fait des mouvements des plaques tectoniques  et des tremblements de Terre. Mais cela  reste  des strates, et notre vie les conserve toutes, en mémoire, dans nos cœurs, dans nos âmes.

Avec ce livre, le Padre, mec costaud, a pris sa pelle et a fait une belle tranchée dans sa Terre, exposant les strates de sa vie.

- Strates d’humour -

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Tchad, 1992

Tchad

Alors qu’un dîner de fête est organisé, alerte à l’aviation libyenne : "Tout le monde aux abris ! Padre, cette fois, c’est du vrai ! Venez avec moi !". (…) J’obtempère, sans oublier toutefois d’emporter les deux bouteilles de rouge abandonnées sur la table de la popote…

Tchad

Un Capitaine de l’armée tchadienne m’apporte tout fier une grande tasse de café au lait. Le café est très chaud. Avec précaution, j’en avale une première gorgée. Le goût de ce breuvage est absolument infect ! Je me fais violence pour en venir à bout… [Plus tard j’apprends que]  ce n’était pas du lait de vache, mais de chamelle. Et dans le désert, pour que ce lait ne tourne pas, les femmes l’arrosent avec leur urine…

Bosnie, lors d’une rencontre dans un « bouge » avec des partisans Bosno-Serbes

Le café nous a été servi, suivi d’un verre à moutarde plein à ras bord de Slivovica [eau de vie de prune]. Bien entendu, nous avons été tenus de le vider à la santé de nos hôtes. Le second verre, nous l’avons vidé aussi promptement à notre santé à tous. Une fois rassurés sur notre santé réciproque, nous avons pu entrer dans le vif du sujet.

Cambodge

Vol épique dans un hélicoptère MI-17 loué par l’ONU, piloté par un ex-soviétique, ivre-mort. Vol si tactique que le pilote se « prend un arbre » : Le côté gauche du cockpit est enfoncé, le pare-brise complètement éclaté, des branches d’arbre plantées dans la cabine de pilotage. (…) Le commandant de bord, un peu confus : « Y’a un oiseau qui nous a cogné ».

- Strates d’effroi. L’Apocalypse -

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Rwanda

Un groupe de dix soldats belges de la mission MINUAR est pris à partie par une bande Hutus, militaires et miliciens. Le chef de section, Thierry Lottin, un jeune lieutenant, est perplexe. Il se fait intimer l’ordre de déposer les armes (…) Son supérieur hiérarchique lui conseille d’abord de palabrer, puis, éventuellement, d’obtempérer. Une fois les armes en possession des miliciens Hutus, les Belges reçoivent l’ordre de s’allonger par terre. Avec des machettes bien aiguisées, les Hutus coupent un tendon d’Achille à chaque soldat, leur crèvent les yeux et leur sectionnent le nez. (…) Le lendemain matin, les soldats français trouveront, en bout de piste de l’aéroport les dix corps.

Rwanda

Goma. L’épidémie de choléra fait rage (…) 700 morts recensés le 21 juillet, 1700 le 22, 2000 le 23, 2200 le 24…

Rwanda

J’ai vu des gens, sans force, totalement résignés à leur sort, s’allonger sur les tas de cadavre pour mourir.

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Rwanda                       

Des mètres cubes de cadavres. La putréfaction et la masse. La masse et la putréfaction. Une montagne gigantesque de corps liquéfiés. L’Apocalypse.

- Strates d’Espérance -

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Rwanda, 1994

Cambodge

Le père Kalka se prend d’affection pour un jeune garçon, Bun Sreng. Il lui donne des cours de français. Le jeune garçon lui fait un jour une demande qui déconcerte le padre : Il lui demande de l’adopter, que ses parents sont d’accord, qu’ils sont pauvres, qu’il veut faire des études en France pour les soutenir financièrement. Evidemment, le père Kalka ne peut accéder à cette demande, somme toute dérangeante. Je ne développerai pas cette histoire, mais seulement sa conclusion : De retour en France, vers la fin de juillet, j’apprends ma nouvelle affectation : 3ème RPIMa à Carcassonne. Au mois d’août, je monte à Paris, et plus précisément à Roissy. Avec Anne et Bruno, nous accueillons Bun Sreng.

Rwanda, République Centrafricaine

Avec le soutien du Sergent-Chef Razny, le Première-Classe Dupont,  deux Caporaux-Chef du 6ème REG, Daniel Dietrich et Pierre Erbesol, le père prend en charge le dispensaire Saint-François-d’Assise, que les sœurs ont dû quitter. Véritable hôpital de campagne, le padre y procède à son second accouchement. L’expérience s'était déjà produite en République Centrafricaine, avec la naissance sur le bord de la route d’une petite Barracuda, prénommée ainsi par la mère en hommage à l’opération française… 

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Centrafrique, 1989

Ces strates d’Espérance sont le cœur même de la vie, de l’âme de Kalka. Son soutien aux soldats, par son écoute, sa présence seule (y compris dans des endroits situés stratégiquement en face des camps, où des filles... et tout ça.) (besoin d’un dessin ?).

Et la vie de terrain qu’il partage avec eux :

Le Terrain est ma paroisse de prédilection, mon lieu de prière, mon témoignage d’Evangile, mon mode de fonctionnement, ma manière de vivre, ma façon d’être…

Un aumônier se doit d’être un éclaireur dans l’opacité des évènements, un pasteur d’Espérance.

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Remise de la Croix de Guerre par le GAL Salvan, Bordeaux, 1991

Tant que naîtront et vivront des hommes tels que Richard Kalka, nous avons toutes les raisons d’espérer en l’Humanité.

***

Le père Richard Kalka est né en Pologne, sous le  joug communiste. Dans « Dieu Désarmé »,  cette partie de sa vie, toute son enfance, toute son adolescence à L’Est, est occultée, car ce n’est pas l’objet de son récit, dédié à son service d’aumônier.

Alors, si vous le permettez, le vieux Chasseur voudrait vous parler de sa rencontre avec l’Est.

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Le dit Chasseur, tout jeunot, en 1988 sur Alexanderplatz, Berlin Est, au côté de l'inévitable Trabant

L’Est.

La jeune génération ne peut réellement prendre conscience de ce que représentait, pour nous Occidentaux, l’Est ; ce « bloc de l’Est », caché derrière son « Rideau de Fer ».

Bien entendu, je ne suis pas à même d’évoquer la vie d’un petit polonais. Je voudrais simplement  raconter une histoire. C’est, d’un point de vue épaisseur, une infime strate de ma vie, mais si importante ; toujours si présente.

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Voici :

Fin 1987, mon Bataillon est désigné pour prendre  le relais d’un régiment basé à Berlin (Les accords d’après-guerre imposent un nombre fixe de soldats, américains, anglais, français. De ce fait, un régiment quittant Berlin-Ouest, même pour 2 mois de manœuvres, doit être remplacé).

Je sautille de joie ! Berlin !

Le premier soir de sortie, plutôt que de me précipiter dans un bar (cela viendra), je me lance dans une grande marche qui m’amène, vers 1 heure, 2 heures du matin, aux abords de la Porte de Brandebourg.

Le Mur passe devant ce fameux monument, situé à l’Est, et le Reichstag à l’Ouest, de mon « côté ».

Je m’engage entre le Reichstag et le Mur.

Je tombe sur des croix.

Des croix toutes simples, en tôle, peintes en blanc.

Sur chaque croix est inscrit un nom et une date. En lieu et place du nom, souvent, « Unbekannt », inconnu.

Une  croix pour chaque homme ou femme, abattu par la garde soviétique, alors qu’il tente de rejoindre l’Ouest.

Je regarde la dernière croix : « Lutz Schmidt, 12 février 1987 ».

Nous sommes en février 1988.

Une année auparavant, un jeune-homme de mon âge est mort, abattu, car il tentait de  traverser une ligne sur la Terre, tracée artificiellement par les hommes.

Derrière les croix se trouve un mirador avec un soldat russe. Je le regarde. Je ne vois qu’une silhouette, qu’une ombre, mais je sens, je sais, que lui aussi me regarde.

Je regarde à nouveau la croix de Lutz. Je prie pour lui et pour ses proches.

Je regarde à nouveau le soldat russe, je lui fais « coucou » de la main, et je prends le chemin du retour ; Quartier Napoléon, à Tegel.

Le 5 février 1989, un an après mon recueillement devant la croix de Lutz, Chris Gueffroy est abattu, en tentant de traverser le Mur.

Le 9 novembre 1989, c’est le Mur qui est abattu.

Je n’ai pas vu si le soldat Russe avait répondu à mon coucou. J’aime à le croire.Est.jpg

Lutz Schmidt         Chris Gueffroy

Voici, padre, ma première vision de l’Est où vous êtes né, ma vision de jeune Chasseur. Il n’y a pas de morale. C’est ma strate. C’est tout.

Et maintenant, cher lecteur, nous attendons votre question : « Mais, où est la strate Divine, dans la vie du padre ? »

Oh… Mais celle-ci n’existe pas…

Elle est saupoudrée partout. Des cristaux de quartz, qui étincellent…

 ***

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Né en Pologne, naturalisé français, le padre Richard Kalka est aumônier militaire depuis 1985. Déployé dans le cadre des principales OPEX des 35 dernières années, il a servi notamment au sein des 1er RPIMa, 2e REI, 3e RPIMa, 2e RIMa, 1er REC, 1er Spahis, 11e RAMa, 6e RPIMa, 8e RPIMa, 1er RHC, 3e RHC, 5e RHC, 4e RD, 6eRCS, 6èe BIMa, 17e RGP. Il est actuellement aumônier du 1er RCP à Pamiers et de la 11e Brigade Parachutiste à Toulouse.

 

 

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ISBN 978-2-9554952-0-9 – Prix 20€ port France inclus  - Format 21 x 15 - 220 pages, cahier-photo couleur

Une première édition, désormais épuisée, est parue aux éditions LBM.

Une seconde, notablement enrichie, est disponible en autoédition. Vous pouvez vous la procurer pour 20€, frais de port (France) inclus en contactant le padre :

Père Richard Kalka

Caillau - 09700 Saverdun

richard.kalka[at]orange.fr

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Avec notre très cher ami le padre Kalka

***

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Baptême d’un soldat, Arabie Saoudite,1991

« Je ne me suis jamais inquiété pour leur Foi. Au contraire, j’ai toujours eu la certitude qu’ils étaient croyants. A leur façon, certes, mais croyants. Bien entendu, peu de militaires pratiquent (…), peu importe : leur Foi est inscrite sur leurs visages, elle est manifeste dans ce qu’ils font, ils la respirent par tous les pores de leur peau.

Leur Foi est Amour et Charité. »

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Caporal Alexandre Van Dooren, mort pour la France au Mali, et sa fille Alison

« Ils ne sont pas morts pour des idées. Oh, non. Même pas pour celles qui sont (…) dans les beaux discours des grands de ce monde. Non, ils sont morts pour leurs amis, leurs parents, leurs camarades. Pour toi, Lydie. Pour  ceux qui, à côté d’eux, portaient le même sac et le même gilet pare-balles, qui suaient de la même façon, qui transpiraient les mêmes grosses gouttes de joie ou de colère, qui se dépassaient comme eux-mêmes se dépassaient, chaque jour un peu plus, quel que soit leur grade.

Ils sont morts pour ceux qui se demandaient, tout comme eux, ce qu’ils foutaient ici, dans ces belles montagnes et ces magnifiques vallées, qui puent la mort (…) derrière le sourire de certains qui affichent la politesse du félon.

Bien sûr, on prononcera leur éloge, on leur clamera des sermons et des panégyriques. On s’efforcera de noyer leur mort et la souffrance de leurs proches dans de belles paroles.

Mais eux, héros, la face à même le sol, ou dans le grand bleu du Ciel, ils prieront, toute une éternité, de cette prière sublime parce que céleste, quelles que soient leurs croyances et quelles que soient leurs convictions.

Pour toi, Christelle. Pour Odile qui attendra dorénavant tous les jours. Pour Anaïs, parce qu’elle aime de toute son âme. Pour Sandra et ses deux petits. Pour Aurélia. Pour Sandrine, son enfant et pour celui qui va naître bientôt. Pour Clémence. Pour Sandra et ses trois enfants. Pour Vinicia et son enfant. Pour Alice et ses cinq enfants. Pour tant d’autres, épouses, compagnes, mamans, papas… »

... et ils prieront pour nous, car nous sommes leurs frères et sœurs de cœur.

Ils prieront pour nous tous !

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Dernier saut militaire du padre, 2012

« La Conquête des cœurs est ouverte ! »

Padre Richard Kalka

 

 

 

 

10/12/2015

Commandos-Paras en Indochine, Fusiliers-Marins en Algérie et Gendarmes en Afghanistan

Extrait publiés avec l’aimable autorisation des auteurs. Droits réservés.

 

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« L'épreuve du guerrier », CDT (h) Jean Arrighi, Commando-Para, régiment de Corée et Légionnaire. Indo Editions

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Commando-Parachutiste du 8e GCP 1953. Photo issue du Net.

Lorsque les deux têtes roulèrent dans le trou, on eût dit que les voix infernales, subitement assourdies, se taisaient et s’éloignaient ; ce fut comme si la nuit, brusquement, envahissait le monde, comme si la civilisation d’un seul coup s’en retirait et comme si, enfin, une ombre gigantesque, poussée par la mort, descendait dans la fosse pour y fermer les yeux de ces martyrs…

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« L'épreuve du guerrier » par le CDT (h) Jean Arrighi. Un grand ancien ; que l'on en juge : Guerre d'Indochine au sein des Commandos-Parachutistes, Commandos Nord-Vietnam et Régiment de Corée, prisonnier du Vietminh après les combats de la RC19 entraînant l'anéantissement du GM100, Guerre d'Algérie après avoir intégré la Légion...

Le livre est une suite de récits, instants vécus par l'auteur ou rapportés (par exemple un très intéressant rappel des combats contre les Japonais en 1945, histoire aussi tragique que méconnue). Il s'agit aussi d'un plaidoyer pour les soldats impliqués dans ces guerres de « décolonisation ». C’est admirablement écrit, avec de belles envolées lyriques rappelant un certain Hélie de Saint-Marc…

Chez Indo Editions, disponible ici. 

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Avec le Commandant Jean Arrighi, Salon des Ecrivains-Combattants 2014

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 Le GM100 anéanti sur la RC19. Photo issue du Net.

Et alors, perdu dans ma contemplation, parmi ces cadavres et tous ces feuillets épars au vent, mouillés des larmes des familles, des femmes et des fiancées, il me semblait entendre, venant à moi de fort loin, de très très loin, vieille Europe et Afrique confondues, un agglomérat de gémissements de douleur, des cris de désespoir, que ces deuils soudain trop nombreux me renvoyaient en échos prodigieux, plaintifs, insoutenables. Tous ces faire-part de détresse, repoussés et jetés alors sur la route, enlevés comme par un vent de colère, trainant au hasard sous mes pieds plus heureux, j’évitai de les piétiner, comme j’évitai les corps de ce charnier maudit.

***

 

« Aurore aux portes de l'enfer », Lucien-Henri Galéa, DBFM. Editions Lavauzelle

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Halftrack en Algérie. Photo issue du Net.

« - Eh !!! Attention !!! »

Suivi de sa queue de flamme, un obus de bazooka arrive droit sur l’engin. Lulu donne un grand coup de botte sur la tête du chauffeur qui hurle et, fort heureusement, accélère. L’obus frôle l’arrière. Le jet de flamme brûle les yeux d’Arthur qui reste pétrifié, avant d’exploser dans le no man’s land. HT2 n’a pas attendu tout ça pour cracher des tous ses tubes de mitrailleuses en direction du départ de feu.

Les engins se découpent en ombre chinoise, sur le ciel à présent bien éclairé par cette pute de Lune. Un deuxième obus file vers HT2, heurte un poteau du réseau, explose dans un bruit fracassant en projetant des débris dans tous les azimuts. (…) A ce moment, des cris s’élèvent du no man’s land. Accompagnés par un tir de mitrailleuses lourdes, une vingtaine de Fels montent à l’attaque.

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« Aurore aux portes de l'enfer » par Lucien-Henri Galéa, Fusilier-Marin. Un récit romancé, retraçant l'épopée d'une bande de camarades, engagés volontaires en 1960, de leur formation à Siroco (école des FM à Alger) aux patrouilles et combats le long de la frontière marocaine, à bord de leurs Half-Tracks. Un bon récit, bien mené, qui se lit d'une traite, rendu très vivant par les nombreux dialogues écris "comme on cause" et qui aborde un secteur méconnu du théâtre d'opération algérien. Un bel hommage aussi aux Fusiliers-Marins, dont les témoignages sont (encore trop) rares.

Aux éditions Lavauzelle. Disponible ici.

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Lucien-Henri Galéa,18 ans, Bab el Assa 1961. Collection de l’auteur.

Neuf mois ! Il faut neuf mois pour faire un petit homme. Ici, en neuf mois, il ne reste qu’un seul survivant des Dalton. Ce survivant, ce n’est pas un petit homme ; c’est un autre homme, un mutant, qui a compris que la guerre n’est pas un jeu et que la gueuse à la faux frappe sans discernement, les copains comme les ennemis. Que Dieu maudisse ces politiques qui, le cul bien à l’abri, envoient leur jeunesse se faire trouer pour des chimères, et une fois que leur jeu pervers leur a pété à la gueule, les renvoie sans un mot de remerciement à la niche. Lui est riche. Riche des souvenirs que lui ont laissés ses copains. Ils seront à ses côtés tout au long de sa vie.

***

 

« POMLT, Gendarmes en Afghanistan », COL Stéphane Bras, EGM 11/3, 13/3. Editions Anovi

Photos inédites issues de la collection du Colonel Bras. Droits réservés. Merci de ne pas les diffuser sans son aval (nous consulter).

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Ces hommes [de la Police afghane] font d’abord preuve d’un courage exemplaire. Habitués aux situations les plus difficiles après trente années de guerre, ils ne nous ont jamais opposé le moindre refus pour partir en opérations. C’était d’ailleurs parfois à nous de les freiner, tant leur courage pouvait tourner à l’inconscience et à la catastrophe programmée.

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Je ne dépeins pas non plus une image idyllique de l’ANP [Afghan National Police]. Durant les sept mois du mandat, il nous a régulièrement fallu rappeler à l’ordre, avec tact et diplomatie, nos partenaires afghans. Ainsi les policiers, et leurs chefs en tête, sont incapables de planifier la moindre opération. Tout se prépare dans l’improvisation la plus totale.

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Un béret bleu-roi en Afgha, cela vous dit quelque-chose ? Non, ce n'est pas l'ALAT et son cobalt... c'est celui des Gendarmes ! Très peu le savent, on en conviendra. [Pour les fans d'uniformologie : béret de la FGE, Force de Gendarmerie Européenne].

Et qui sait que, pendant la campagne, de 100 à 200 gendarmes étaient déployés pour former la police du pays ? Pas grand monde non plus, on en conviendra aussi. Et c'est injuste.

Saluons donc l'initiative de cette publication du (très sympathique !) COL Stéphane Bras, qui, en 2010, dirige des gendarmes mobiles de l'EGM 11/3 de Rennes et 13/3 de Pontivy en Kapisa et Surobi, dans le cadre des POMLT (Police Operational Mentor and Liaison Team / Équipe de Liaison et de Tutorat Opérationnel de la Police). Il aborde tous les moments de l'OPEX : mise en condition en France, stratégie pour l'essentiel à inventer, relève des hommes du 17/1 de Satory et 23/9 de Chauny, missions avec les policiers afghans, éternelle dualité "confiance/méfiance" (infiltration talibane/tir "Green on Blue"), adaptation obligatoire au contexte "culturel" (horaires fantaisistes, corruption "raisonnable"), rapports avec les Terriens de la Brigade Lafayette ; ses impressions sur tout cela...

Indispensable pour compléter sa bibliothèque sur les Afghaners ; les Gendarmes en étaient ! Il ne faut pas l'oublier et nous saluons leur action.

Aux éditions Anovi, disponible ici.

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Avec le COL Stéphane Bras au Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr, 2015

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Nous nous sommes régulièrement posé la question de la corruption et de la confiance que nous pouvions accorder aux policiers. J’ai fini par penser que la corruption était un facteur culturel en Afghanistan et qu’il s’avérait utopique de vouloir la faire disparaitre totalement. Lorsque les gendarmes de Tora ont entrepris la mise en œuvre de postes de contrôle sur la Highway 7 par les policiers qu’ils « mentoraient », ces derniers ont accueilli très favorablement cette idée, expliquant qu’ils pourraient ainsi récupérer de l’argent et des denrées auprès des conducteurs arrêtés ! Dans ces conditions, et même si cela peut paraître choquant hors du contexte local, nous avons opté pour un respect strict de nos valeurs lorsque nous accompagnions les policiers (…) tout en étant ni dupes, ni naïfs sur les pratiques lorsqu’ils évoluaient seuls. Au final, je dirais que « nos » policiers étaient « raisonnablement » corrompus…

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Au centre, le Colonel Stéphane Bras

Progressivement, les Afghans nous gratifieront d’accolades et de poignées de mains interminables pour nous témoigner leur sincérité. Ils nous appliqueront en fait leurs us et coutumes et je verrai dans ces effusions et autres démonstrations chaleureuses une forme de respect réciproque (…) Je m’amuserai de cette façon si particulière de saluer en me gardant bien de prévenir mes supérieurs de la forme d’accueil qui leur sera réservée. Car quoi de plus surprenant pour un général ou un colonel de gendarmerie qui rencontre pour la première fois un officier de l’ANP que de se voir embrasser par un grand gaillard barbu !

***

 

01/11/2015

Monsieur Tchad, Chasseur ardennais en Bosnie, Chasseur alpin Afghaner-romancier et Chasseur à pied artiste et poète

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Suite de l’exploration de notre milibibli, dont vous retrouverez la première partie ici et la seconde . Cette fois, nous sommes éclairés par le chef de l’opération « Tacaud » sur l’imbroglio tchadien dans les années 80 ; nous accompagnons un frère d’armes belge, Chasseur Ardennais, en Bosnie ; nous revivons l’Afghanistan en mode romanesque grâce à un Chasseur alpin ; et nous  laissons la place à l’art et la poésie militaire (mais oui !) grâce à un Chasseur à pied.

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« Face à Kadhafi  - Opération Tacaud », GAL Pierre de Tonquédec, Para-Colo

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Le président Goukouni et le GAL Pierre de Tonquédec. Photo DR issue du livre.

En arrivant au pouvoir, chacun des présidents que le Tchad a connu depuis son indépendance est parfaitement conscient de l’absolue nécessité de réunir « tous les fils du Tchad » et de s’affranchir des redoutables clivages ethniques. Pourtant, très rapidement, chacun se met à redouter la « machination », le complot fomenté par des ethnies autres que la sienne et s’entoure, pour se protéger, de sa famille (…) Cette aveuglante méfiance, cette hantise du complot déforment les jugements et finissent par perdre les tenants du pouvoir (…) Dans un tel contexte les oppositions prospèrent, déstabilisant le pays et contraignant Paris à des interventions successives (…) Mais la France elle-même a sa part de responsabilité.

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« Face à Kadhafi  - Opération Tacaud » par le Général Pierre de Tonquédec, « Monsieur Tchad ». Le Général, issu des Troupes de Marine, y a en effet servi à trois reprises : commandant à Abéché puis chef de l’Etat-Major franco-tchadien à Fort-Lamy en 1970-72 ; Commandant de l’opération Tacaud en 1979-80 ; Enfin en 1987, inspecteur d’Epervier.  Un livre pour tout comprendre de l’imbroglio tchadien dans les années 70-80. Le temps a passé, le pays s’est largement pacifié et notre ancienne colonie figure désormais comme notre premier allié militaire africain. Souvenons-nous des 36 Tchadiens morts au Mali en combattant à nos côtés. Souvenons-nous aussi des 158 soldats français morts au Tchad entre 1968 et 2014. Hommage à eux et aux blessés.

Aux éditions Belin [Soteca]. Disponible ici

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Avec le GAL Pierre de Tonquédec au Salon des Ecrivains-Combattants 2014

***

« Commandant de Compagnie - Lettres de Bosnie », COL Bruno Smets, Chasseur Ardennais, Belgique 

 

Janvier 1994

FIG 7.JPGJe voudrais comprendre ! Quel est le cadre général de ma future mission ? Quels sont les acteurs en Bosnie ? Que devons-nous y faire ? Quelles sont les raisons de notre présence dans cette contrée ? Quelles sont les lignes de front entre les belligérants ? Où la guerre s’arrête-elle ? La zone de Vitez est-elle sûre ? Quelles sont les règles d’engagement particulières à l’opération ? (…) Comme unité subordonnée [à un bataillon anglais] dois-je suivre et appliquer la législation britannique ou belge ? Je ne sais rien de tout cela et je ne serais pas surpris que personne en Belgique ne puisse me donner une réponse claire et précise à toutes ces questions. Nous sommes lancés à l’aventure, advienne que pourra ! 

Photo : Briefing à Santici, lors de l’arrivée du premier « lift ». A droite Bruno Smets

*

Avril 1994

FIG 4.1.JPGStari-Vitez [est] un quartier chaud de Vitez où une minorité de Bosniaques reste encerclée par des Croates. Ils y vivent retranchés et barricadés dans l’angoisse permanente d’être attaqués par des milices croates extrémistes. Il s’agit donc d’un nid de résistance bosniaque (musulman) au sein même de la poche croate de Vitez qui est elle-même encerclée par d’autres Bosniaques, eux-mêmes entourés de Serbes et de Croates. Simple la situation en Bosnie, non ? 

Photo : Ruines de la mosquée d’Ahmicci.

*

Juin 1994

FIG 13.JPGJ’ai assisté, comme toutes les semaines maintenant, à la réunion hebdomadaire entre les commandants des brigades croate et bosniaque. A les voir assis ensemble autour d’une table, en train de boire du cognac à dix heures du mat’, j’ai parfois du mal à croire que début janvier – il y a à peine six mois – ils se tiraient dessus comme des lapins.

Photo : Rencontre entre les autorités militaires croates et bosniaques à Suha Voda. A droite Bruno Smets

*

Septembre 1994

FIG 28.1.pngDe retour au pays, je m’enquiers de ce qui a été écrit sur notre odyssée bosniaque. Je feuillette les revues militaires et articles de presse ; je ne trouve quasi aucune trace de notre passage en Bosnie. Il est bien connu que les trains qui arrivent à l’heure ne font jamais les gros titres de l’actualité.

Photo : La compagnie « BELBOS » derrière son capitaine Bruno Smets, 3.8.1994 Marche-en-Famenne

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Place aux frères d’armes belges ! « Commandant de Compagnie - Lettres de Bosnie » relate, au travers des lettres envoyées à sa femme, le déploiement en Bosnie du Colonel Bruno Smets, alors capitaine, commandant d’une compagnie de Chasseurs Ardennais. Formant le détachement « BELBOS » (pour Belgique-Bosnie), unité sous commandement britannique, Bruno et ses hommes font tampon entre Bosno-Croates et Bosno-Musulmans. Un bon récit, intime, mettant en exergue les difficultés rencontrées par les casques bleus, quelle que soit leur nationalité, en ex-Yougoslavie.

Le livre est disponible sur le site de Bruno ici (attention, plus beaucoup d’exemplaires en stock…). 

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Avec le Colonel Bruno Smets, qui représentait la Belgique au Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan en juillet dernier.

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« Le vent d’Alasay », Michel Sègre, Chasseur alpin

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Photo Thomas Goisque

Nous ne possédons rien, Tofan, que notre cœur et les actes que nous accomplissons. Les massacres perpétrés contre mon peuple m’ont appris que les hommes doivent d’abord être jugés sur ce qu’ils font, plutôt que sur l’appartenance à une famille, un clan ou une tribu. Se battre pour préserver la paix et la liberté est une cause noble ; se battre pour asservir les autres à ses propres lois ou parce qu’ils pensent et vivent différemment est un mal impardonnable. Peut-être ta lâcheté au combat est-elle d’abord le fruit de ton orgueil ? Le seul djihad qui vaille, mon ami, est celui que l’on mène contre soi-même pour être un homme droit, juste et bon.

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Derrière le pseudo de  Michel Sègre se cache un militaire qui connait bien l'Afghanistan pour y avoir mené ses hommes à la victoire [nous vous laissons deviner de qui il s’agit]. L'auteur saisit l'occasion du roman, non pour prendre des libertés avec la réalité, mais pour présenter des points de vue variés : histoires croisées entre Chasseurs alpins en Kapisa, talibans et familles en France. Très bien mené, suspens à la clé. Intéressant de le  lire en parallèle à « Task Force Tiger » du COL Nicolas Le Nen...

Disponible chez l'éditeur Artege ici

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Avec le « mystérieux » J Michel Sègre , au Salon des Ecrivains-Combattants 2013

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« Soldat protecteur de notre liberté », Jean-Louis Martinez, Chasseur à pied

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Dessin Jean-Louis Martinez

J’ai froid.

En voyant mes frères morts, je me mets à penser :

« Je dirai à leurs proches qu’ils sont morts en héros ».

Mais que dis-je ? Comment les prévenir,

Si mon corps est sans vie, allongé sur cette piste.

Mon Dieu, ouvrez cette porte de l’Au-Delà,

Que je rejoigne mes frères, morts au combat.

« L’embuscade », hommage à « Ceux d’Uzbin »

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« Soldat protecteur de notre liberté » par Jean-Louis Martinez, autoédité. Un petit recueil qui mêle dessins et textes/poèmes en prose. Vraiment joli, vraiment réussi (et émouvant) (et de beaux coups de gueules aussi). Et puis, un beau livre d’un frère Chasseur à pied (Jean-Louis s’est engagé en 1975 au 2e GC), cela fait plaisir…

La première édition a vite été épuisée mais, heureusement, une seconde impression a été lancée et le livre est à nouveau disponible sur le site de Jean-Louis ici. Et, autre bonne nouvelle, un tome 2 est en préparation !

***

A suivre…

 

 

 

 

 

09/07/2015

« Paroles de soldats », LCL Hubert le Roux & Antoine Sabbagh, éd. Tallandier

Extraits publiés avec l’aimable autorisation des auteurs. Droits réservés.  

 

« La parole qui, trop souvent, n’est qu’un mot pour l’homme de haute politique, devient un fait terrible pour l’homme d’armes. 

Ce que l’un dit légèrement et avec perfidie, l’autre l’écrit sur la poussière avec son sang. »

Alfred de Vigny

 

L’indifférence conduit à l’oubli. Tout homme ayant le sentiment de subir cet état de fait le vit comme une souffrance et nous le disons avec tristesse, mais c’est ce qu’éprouvent nombre de nos soldats : l’indifférence de leurs compatriotes. C’est d’autant plus cruel que la nation leur demande tant de sacrifices : éloignement de leur famille pendant des mois, enfants qui naissent et grandissent au loin, confrontation à des situations dramatiques voire traumatisantes, risque d’être blessé, tué… 

Certains diront : « Ils ont choisi ». Certes. Mais en quoi ce choix autoriserait les Français à rester indifférent à leur sort, alors que ce sont ces mêmes Français qui les envoient au combat ?

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Alors, pour lutter contre l’indifférence, rien ne vaut la parole : raconter, décrire, expliquer, se livrer. Heureusement, la « Grande Muette » relève du mythe. Les soldats parlent, écrivent. Mais publier un livre n’est pas donné à tout un chacun. Partant de ce principe, le LCL Hubert le Roux et Antoine Sabbagh ont décidé de se positionner non en auteurs, mais en porte-paroles : Ils ont ainsi sillonné la France, collectionnant des interviews de combattants des différents théâtres d’opérations, du Liban à la RCA. Ils les ont ensuite retranscrits, in extenso. Ainsi est né « Paroles de soldats ». Un livre de fait et de par son style « brut de fonderie », ce qui le rend d’autant plus percutant…

« Paradoxalement, la guerre n’a jamais été aussi présente dans les imaginaires. Romans, séries, films, bandes dessinées, la guerre est partout. Sur fond de rap et de guerre urbaine pour Call of Duty (…) la guerre est bien là, mais vécue comme une épopée révolue ou une fiction et la fascination qu’elle suscite est inversement proportionnelle à l’oubli dans lequel sont tombés les soldats. »

Continuer à parler, soldats de France. Nous sommes plus nombreux que vous ne le croyez à vous écouter, à ne pas être indifférents, à ne pas vous oublier. Et quand bien même nous ne serions qu’une poignée aujourd’hui, ne présageons pas de l’avenir : il suffit d’une petite chaussette rouge sang, oubliée au milieu d’un linge immaculé, pour étendre après lessive de beaux draps roses…

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Mes camarades savaient que j’étais en dessous, mais je ne répondais pas. J’étais mort. En fait, j’étais toujours en vie, mais entre la vie et la mort. La souffrance est tellement forte. Des bouffées de chaleur m’envahissaient. J’étais complètement perdu. Et puis, à un moment, j’ai oublié la souffrance. J’ai pensé à ma famille. Je me suis senti bien. Et là, j’ai vu de la lumière. Les sauveteurs avaient encerclé le trou. Une main s’est tendue vers moi.

CPL Daniel, 1983, attentat du Drakkar, Beyrouth, Liban.

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Toutes les positions irakiennes sont embossées. Ils sont dans leurs trous. Il n’y a que nous qui bougeons. Quand on a face à nous des engins embossés, on demande un tir d’artillerie. Boum ! Boum ! Boum ! On observe le tir. Ça commence à bouger. Ca riposte un peu. L’ALAT arrive. Boum ! Boum ! Boum ! Ça balance les missiles et après nous on tire. Je me souviens plus de mon indicatif. Les rouges, machin, feu ! On tire ! Et puis, pouf, drapeau blanc.

Patrice, chef de peloton de chars, 1990, opération Daguet, Guerre de Golfe, Irak.

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J’avais déjà vu des morts. Nos morts. Nos beaux morts dans les cercueils. Refaits, pour être présentés à la famille. Mais comme ça, non… En plus de ça, de voir le traitement des cadavres, jetés, ramassés, jetés… C’est de la viande. C’est quelque chose de dégoutant dont il faut se débarrasser rapidement. Les Rwandais, je sais pas si ça leur faisait rien, mais vu de l’extérieur, aucune émotion. Ils regardaient, mais rien. Moi je prenais beaucoup de recul par rapport à tout ça : une protection, ouais. L’impression de vivre à côté de moi. D’avoir le moi physique présent et d’en être spectateur. 

ADJ Jean-Louis, 1994, opération Turquoise, Rwanda.

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A mesure que le temps passait, on avait l’impression que, depuis le début, on nous avait raconté n’importe quoi. On était parti défendre les Bosniaques opprimés par les méchants Serbes ! Et quand vous arrivez au premier check point serbe et qu’ils vous disent « Soldats français gut ! Mitterrand pfff ! » en tournant le pouce vers le bas, vous voyez bien que c’est pas ce qu’on nous avait dit. Les Bosniaques, eux, ils nous ont « rafalés » d’emblée.

Jean, électromécanicien, 1994, Sarajevo, Bosnie.

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D’ap. photo Thomas Goisque

Pour moi, les Talibans ne combattent pas pour des motifs religieux, mais pour leurs intérêts personnels (…) Ils avaient une vision de l’Islam un peu sauvage, un peu barbare (…) L’Islam, je le vois comme ça, ne peut pas imposer à quelqu’un de faire ses prières, de faire le Ramadan, de ne pas manger de porc, si ça ne vient pas de son cœur. Faut que ça vienne de la personne. On peut expliquer que c’est bien de faire comme ça, mais l’imposer, voire tuer pour que les gens basculent dans la religion musulmane : non. Le Djihad, on me l’a jamais enseigné comme ça. Le Djihad, c’est l’époque du Prophète, quand on attaquait les intérêts de l’Islam sur le sol de La Mecque. Après, moi j’ai un autre Djihad, que mon père m’a appris : c’est l’éducation des enfants pour qu’ils fassent quelque-chose de leur vie.

Dahhaoui, sous-officier musulman, 2011, Tagab, Afghanistan.

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D’ap. photo Alexandre Paringaux

Ce n’est ni la première ni la dernière fois que je tire. La première fois, mon cœur s’est emballé. Le stress, l’adrénaline, ont mis du temps à redescendre. Après, je n’ai plus jamais eu de stress. Quand je tire des bombes, il y a potentiellement des gens, que je vois ou que je ne vois pas. C’est peut-être un peu froid, mais ça ne me fait rien. Je ne suis pas un combattant, je ne combats pas avec mon FAMAS. Je suis loin. 

Benjamin, pilote, 2011, opération Harmattan, Libye.

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ADJ  Harold Vormezeele, 2e REP, mort pour la France au Mali 

La mort de Vormezeele ? Putain, oui, on l’a sue tout de suite (…) Ça fait mal au cœur. Moi, côté renseignement, je me dis : « Est-ce que j’ai bien géré la situation  pour le préparer, pour qu’il ait tout pour se sauver ? » Vormezeele, il avait trente-deux, trente-trois ans. On se connaissait bien, depuis huit ans, on avait fait des missions ensemble. C’est moi qui suis rentré à la morgue, à l’hôpital, pour le couvrir et le ramener. C’était costaud de le voir comme ça en sachant comment il était avant, avec l’envie de combat, de chercher l’aventure et tout ça. Putain, la vie elle est rien !

ADC Cristian, 2013, opération Serval, Mali.

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On était une trentaine, même pas une section. Les mecs commençaient à nous contourner derrière avec des machettes. Ils avaient les yeux bleus, un cercle bleu autour des pupilles. Ils devaient prendre je ne sais quelle drogue. Ils étaient complètement shootés, complètement alcoolisés. Avec eux, il y avait plein d’enfant. Ils les mettaient devant eux en sachant que nous, les soldats français, on n’allait pas tirer (…) A ce moment, j’ai vu se planter devant moi un gamin de cinq ou six ans avec un bébé dans les bras. Un bébé de deux mois, pas plus. Au début, j’ai cru que le bébé suffoquait, qu’il nous l’amenait pour qu’on le soigne. Avant même qu’on puisse faire quoi que ce soit, le gamin a pris le nouveau-né à bout de bras et l’a jeté au sol. La tête s’est fracassée sur le bitume.

SGT Benoît, opération Sangaris, Bangui, RCA.

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La reprise du travail a été compliquée. Je dormais, je faisais pas trop de cauchemars, mais ce qui avait le plus changé chez moi, c’est que j’étais peut-être devenue un peu moins sensible face à certaines pathologies. Ça s’est beaucoup vu lorsque j’ai fait mes premières gardes aux Urgences. Les patients me disaient qu’ils avaient mal, ils souffraient réellement, mais pour moi, ils avaient leurs deux bras, leurs deux jambes, ils me parlaient, tout allait bien… Je voulais pas entendre ces souffrances-là et c’est pour ça que j’ai été voir un psy. Depuis, clairement, ça va mieux, mais c’est vrai que je suis peut-être devenue plus insensible à ce niveau-là.

Julie, infirmière,  de retour de mission à l’hôpital international militaire de Kaboul, 2010, Afghanistan

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D’ap. photo Philippe de Poulpiquet

J’ai déplié la banquette devant la télé. On y a dormi juste avant son départ et il y a encore son odeur sur l’oreiller. Le matin, je ne lave pas les draps. J’ai le sentiment de dormir un peu plus avec lui. Je mets le traversin vertical dans le lit, comme ça, les premières nuits, j’ai la sensation de renvoi de chaleur, de ne pas être toute seule. C’est curieux ce qu’on fait des fois ! (…) Donc je dors dans la salle télé, je regarde des trucs en attendant le coup de fil. Je l’attendais vers 10h, il est 10h30. Et là, mon portable sonne. C’est Violaine, mon amie médecin. (…) « Tu tombes bien, j’entends du bruit en bas de chez moi » « T’inquiète pas, c’est nous ». (…) Je descends, j’allume la lumière, j’ouvre la porte, je vois Violaine. A côté d’elle, il y a son mari en grand uniforme. Il y a aussi la femme du chef de corps et le chef de corps, lui aussi en uniforme (…) et là, j’ai un flash.

Alice, veuve de guerre.

***

IMG_0056BIS.jpgLe Lieutenant-Colonel Hubert le Roux est officier supérieur d’active. Il a été chargé du recrutement des sous-officiers et hommes du rang de l’Armée de Terre. On lui doit, outre « Paroles de soldats », une biographie de Lartéguy, publiée chez Tallandier.

Antoine Sabbagh est historien et éditeur, ancien professeur de la Sorbonne et de l’Université de Columbia dans le cadre de son programme parisien. 

Photo : rencontre avec le LCL le Roux au Salon du Livre de Paris 2015.

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ISBN : 979-1021004849 - prix 20,90 € - format 21,5 x 14,5 - 464 pages.

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Aux éditions Tallandier. Disponible ici

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Hommage

Aux soldats.

Les hommes de guerre sont de l’espèce qui se rase pour mourir. Ils croient à la rédemption de l’homme par la vertu de l’exercice et du pas cadencé. Ils cultivent la force physique et la belle gueule, s’offrant le luxe des réveils précoces dans les matins glacés et des marches harassantes pour la joie de s’éprouver.

Ce sont les derniers poètes de la gratuité absolue.

Jean Lartéguy

*

Hommage

Aux conjoints, familles, proches des soldats.

C’est pour la Femme de militaire qui se lève tous les jours à 6h pour préparer les vêtements et le petit déjeuner pour ses enfants dont elle est seule à s’occuper. C’est pour la Femme de Militaire enceinte qui se demande si son homme sera rentré à temps pour voir venir au monde son enfant. C’est pour la Femme de Militaire qui habite une nouvelle ville et qui fait face à un nouveau départ sans avoir eu le temps de se faire des amis. C’est pour la Femme de Militaire qui annule ses projets du samedi soir pour rester près du téléphone, même si elle sait que la conversation sera pleine de grésillements et toujours trop courte. C’est pour la Femme de Militaire qui pleure en s’endormant dans un lit trop froid. C’est pour la Femme de Militaire qui se laisse aller à la détresse en se demandant si elle pourra revoir son homme vivant. C’est pour la Femme de Militaire qui a l’impression de mourir à l’intérieur chaque fois qu’il dit qu’il doit s’en aller, mais qui sourit malgré tout. C’est pour la Femme de Militaire qui fait la queue à la Poste avec un colis dans les bras en se demandant si les gâteaux seront toujours moelleux en arrivant. C’est pour la Femme de Militaire qui dine seule en s’inquiétant parce que cela fait plusieurs jours qu’elle n’a pas de nouvelles de « là-bas ». C’est pour la Femme de Militaire qui a des papillons dans le ventre en voyant son homme descendre du bus au retour d’OPEX. C’est pour nous toutes, pour les Femmes de Militaires tristes, les Femmes de Militaires seules, les Femmes de militaires fortes, un toast à nous, parce qu’un chèque de paie ne console pas, un oreiller à serrer dans ses bras n'est pas suffisant, une webcam n'a rien à voir avec la réalité, expliquer à un enfant qui pleure que papa ne reviendra pas avant 4 longs mois est ou sera notre lot à toutes, et que les femmes de civils n'ont pas idée de ce que c'est de sentir tous les jours que quelque chose vous manque. Nos soldats sont courageux, mais nous le sommes aussi. 

A.M, femme de militaire.

***

*

J’ai tout dit [à ma femme]. Pas sur le moment, parce que je ne voulais pas qu’elle s’inquiète mais, une fois rentré, je lui ai raconté. A mes parents aussi. 

Je pense qu’il faut que les gens sachent ce qu’on fait. 

Autrement, ils vivent un peu dans les nuages…

LTN Vianney, 126e RI, in « Paroles de soldats".

 

 

 

 

 

 

29/05/2015

« Task Force 32 – SAS en Afghanistan », ADJ Calvin Gautier, 1er RPIMa, autoédité.

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés. Merci de nous consulter si vous souhaitez en réutiliser.

 

 

Ces hommes en ont assez vu pour développer une lucidité intérieure légèrement désabusée et sarcastique, mais ils corrigent toujours la tristesse de l’âme par une féroce rage de vivre, une joie carnassière de l’instant et vouent à l’action un culte digne de l’antique.

Sylvain Tesson

 

Ah les Forces Spéciales françaises ! Tout le monde les « connait », tout le monde en parle : de sacrés mecs, hyper pro, le top, l’élite... L’aura est légitime. Mais au fond, qu’est-ce que l’on « sait » d’eux ? Mmmm ?

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Hé bien, pas grand-chose… jusque-là... Car grâce à « Task Force 32 » de Calvin Gautier, 1er RPIMa, vous êtes invités à plonger dans la vie d’un « Stick Action Spéciale », au combat, en Afghanistan. De l’inédit ! 

Alors, évidemment, notre opérateur a reçu l’aval de ses camarades et a édulcoré son propos (sécurité oblige). Reste que l’entrainement (intensif !), la vie dans la base et ses galères (p* la Logistique !), les ordres (mais c’est n’importe quoi !), le combat (oui, ça « défouraille »), les blessés (car le Taliban n’est pas un bras cassé)… Vous retrouverez tout cela dans le livre. Mais aussi la magnifique fraternité qui règne  entre ces garçons (on ne va pas faire sourire en parlant d’amour… J) ;  Et puis de l’humour, car on rigole beaucoup  en lisant Calvin (le bar des SAS est équipé d’une « pole bar »… mais pas beaucoup de filles ; alors, qui danse ?). 

Des hommes, quoi  (fiers de se montrer des dessins d’enfants reçus de France pour les fêtes…).  

Oui, les opérateurs des FS sont des hommes comme les autres. 

En mieux.

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Briefing groupe avant le départ

Que veut exactement le haut commandement ? Juste rendre compte aux politiciens de nos ballades dans les vallées, sans faire de vagues, sans causer de pertes chez les salopards contre lesquels nous nous battons depuis dix ans ? Pour nous, c’est inacceptable, nous avons perdu des camarades dans ce conflit, alors il faut finir le boulot proprement et ne pas quitter l’Afghanistan comme des voleurs. Nous sommes là et nous comptons bien faire notre travail. 

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Jalhorel, en position

Nous devons rester vigilants, parce que des infidèles, même inutiles sur une montagne perdue, ça reste une cible de choix. Avec Laurent, nous remarquons les petites habitudes des gars du groupe et les observons avec fierté. Glissés entre les rochers et dans les creux naturels du sol, malgré la fatigue et le froid, les gars sourient et sont prêts à réagir à un éventuel contact. C’est vraiment quelque chose d’exceptionnel d’être à la tête d’une telle meute.

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Poste de combat et look snowboardeur

Un chien errant monte sur la position. Il a l’air plutôt content de se trouver de nouveau copains. Il se trouve même un superbe jouet en déterrant une de nos charges explosives. Le malheureux se promène avec un pétard de 250g dans la gueule, poursuivi par Laurent qui a bondi pour récupérer la charge. (…) «  Putain les enculés, ils ont même dressé des chiens en suicide bomber » ! 

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Opération Snake 22. Entrée du poste de Kalei-Pakistani dans lequel Jéjé, Virgil et Nigger sont blessés

Lorsque nous arrivons auprès de Jéjé, nous réalisons la gravité de la situation. Il gémit de douleur car il a des éclats de fragmentation métallique dans le visage, l’abdomen et les jambes. Sa jambe gauche est brisée au niveau du fémur et d’énormes lambeaux de chair pendent. Constant vérifie et resserre le garrot. J’essuie le sang sur le bas ventre pour mieux voir les plaies et Jéjé me demande de vérifier sa bite et ses couilles. Je lui conseille de ne pas regarder ses blessures et effectue ma vérification. Tout est là et en assez bon état (…) Constant empile les compresses sur la plaie pour arrêter les saignements et protéger la blessure. Pendant ce temps j’essaie de mesurer le pouls mais il est trop faible pour être perceptible. Jéjé a perdu une grosse quantité de sang et il est blanc comme un cul. Je le saisis en le rassurant, nos mains sont soudées par le sang coagulé. Il ne cesse de dire « Calvin, j’ai mal… ils m’ont eu ces enculés ! » « T’en fait pas Jéjé, c’est pas grave. On va te sortir de là vite fait ». Constant me demande «  Tu as le pouls ? ». Comme Jéjé me regarde, je réponds « Oui, c’est nickel. » Constant comprend en voyant ma tronche que je mens.

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Jalorhel, Bravo team en action

Le groupe gicle aussitôt pour se poster et se préparer au combat (…) A 800 mètres de notre position, six insurgés se préparent à nous engager. Je fais ouvrir le feu juste au moment où ils placent une [mitrailleuse] PKM face à nous. Les Minimis et Damien engagent l’ennemi avant qu’il ne puisse s’installer. Les insurgés courent dans tous les sens. Chris effectue des tirs de saturation dès qu’une silhouette apparait au loin (…) « RPG ! » Les insurgés tirent deux roquettes en tir courbe pour essayer de compenser la distance mais elles tombent trop court. La PKM entre à présent dans la danse en tire de petites rafales précises. Les impacts de balles claquent autour de nos positions en faisant des bruits secs et des morceaux de rochers volent en éclats. Je télémètre la distance exacte de l’emplacement de la PKM avant de l’annoncer à Damien qui effectue les corrections nécessaires. Il ouvre le feu en coup par coup rapide et quelques secondes plus tard la PKM cesse son tir.

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Tentative de Snowboarding. Pas assez de pente…

Il a neigé à nouveau (…) Avec Laurent, nous faisons une petite balade dans la base pour nous décontracter et bavarder un peu au calme. Nous réalisons quelques photographies de paysage (…) Comme nous sommes plus près de la fin de nos carrières que du début, nous ressentons le besoin d’accumuler les souvenirs (…) J’imagine facilement dans 30 ans des conversations du style : « Tu vois, avant d’être un vieux con, papy était super cool, avec ses potes ils ont fait la guerre et c’était une sacrée bande de salopards ! »

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La popote SAS de la TF32 à Tagab

Le détachement qui nous relève arrive par convoi routier. Nous les guidons jusqu’à leurs chambres puis à une soirée karaoké organisée au foyer de la base. Lilian est le poulain du groupe, tous les espoirs des SAS reposent sur lui car les autres gars du groupe chantent comme des nazes. Je dépose les fameux tickets pour la sélection des chansons et choisis judicieusement deux titres : « Comme un ouragan » de Stéphanie et « Lolita » d’Alizée…

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Photo souvenir de l’opération Buffalo 60

Les gars se rapprochent et le SAS se réunit une dernière fois pour se dire au revoir avant les permissions. Juste à côté de Virgil, je m’aperçois que Laurent a un air bizarre, le regard fixé dans le vide et les yeux humides. Cela me parait étrange. Dans les semaines qui ont suivi, j’ai réalisé que moi aussi je n’étais pas dans mon état normal. Il a fallu que je m’habitue aussi à avoir les yeux humides et à me reprendre lorsque mon regard se perdait dans le vide.

 

***

Calvin.jpgDe par son appartenance aux Forces Spéciales, nous resterons discrets sur l’ADJ Calvin Gautier. Il suffit de savoir qu’il a parcouru le globe pendant vingt ans au service de la France, dont plusieurs déploiements en Afghanistan avec ses camarades du 1er RPIMa.

Il s’est forgé sa propre personnalité au cours des stages, des entraînements et des missions. Il a hérité des qualités des gens qu’il a côtoyés, qu’ils soient instructeurs ou camarades. Ils l’ont guidé sur ce chemin. Nous ne pouvons même pas imaginer les expériences qu’ils ont vécues ensemble. Je suis admirative envers chacun d’entre eux pour toutes les souffrances qu’ils ont endurées et qu’ils ont surmontées pour devenir ce qu’ils sont à présent.

Marina, compagne de Calvin.

Nos opérateurs SAS ne sont pas que des « bêtes de guerre », ils sont pétris d’humanité et elle affleure au détour du récit. Il y a ces petits gestes à l’égard des Afghans victimes du conflit ; cette complicité fraternelle entre membres du 1er RPIMa qui se retrouvent en famille ; cette connivence avec les « cousins » du 13e RDP, teintée d’estime et de respect mutuel ; ces rencontres impromptues et inoubliables avec des soldats français ou alliés, dont on partage le même sort au hasard du destin. Et puis il y a ces moments intemporels où, dans la tourmente, se forgent des amitiés éternelles, plus fortes que les liens du sang.

Souhaitons que notre patrie ait toujours des enfants animés de cet esprit d’audace et de victoire.

GAL Jacques Rosier, alias Romuald

 

Site de Calvin Gautier ici. Page FaceBook .

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ISBN : 978-86-917707-0-9 – Prix 25€ - format 23x16, 280 pages, 64 photos couleurs,  couverture rigide

Dans « Task Force 32 », Calvin Gautier ne parle pas de lui, mais du groupe, ce qui fait du livre un bel hommage à tous les opérateurs du 1er RPIMa et plus généralement aux FS. Il a été édité directement par l’auteur. Un autre challenge (et pas des moindres croyez-nous) relevé avec succès. Il est exclusivement disponible via le site de Calvin et l’association d’entraide Forces Spéciales « Fraternité et Esprit SAS ». Toutes les infos pour se le procurer sont  ici.

N’hésitez pas à contacter Calvin. Il est très pris mais sais se rendre disponible et accueil sympathique garanti !

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Hommage

Aux membres des Forces Spéciales morts pour la France en Afghanistan,

CPL Murat Yagci

CCH Cédric Crupel

ADJ Joël Gazeau

CCH David Poulain

BCH Gabriel Poirier

ADJ Yann Hertach

PM Loïc Le Page

PM Frédéric Paré

SM Jonathan Lefort

SM Benjamin Bourdet

CCH Sébastien Planelles

A tous les membres des Forces Spéciales morts pour la France, morts en service commandé,

Aux blessés.

 

Je ferai face à tout et je vaincrai.

Rien ne m’arrêtera, sauf la mort.

Et même si cela arrive, ce ne sera que temporaire,

Parce que ma mémoire motivera mes frères à triompher.

Code d’honneur de l’opérateur des Forces Spéciales.

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Un coup trop long et un coup trop court, le prochain est pour nous (…) J’étais touché (…) Je ressentais une douleur intense et je me suis injecté une dosette de morphine (…) J’ai examiné mon entrejambe parce  que je craignais d’en perdre une (…) La douleur au ventre est rapidement devenue atroce (…)

J’entendais le Tigre faire les passages et tirer autour de notre position. Là, j’ai vu Constant, l’infirmier du stick, passer pour aller voir Jéjé, car il était vraiment dans un sale état. Quand j’ai vu Calvin, l’adjoint du SAS, avec son équipe, je me suis dit que j’étais sauvé. J’en avais les larmes aux yeux rien que de les voir. Je savais qu’ils allaient se battre pour nous et nous sortir de cette merde (…) Je les voyais se déployer avec rage pour nous sauver. Je regardais ces visages tendus. Les gars n’avaient qu’un seul objectif, nous sortir de là. 

Curieusement, j’étais serein. Calvin et son équipe étaient là. Plus rien ne pouvait m’arriver.

Virgil, gravement blessé lors de l’opération « Snake 22 », 29 novembre 2011.

 

 

 

 

 

 

 

 

01/05/2015

« En terrain miné », Roxanne Bouchard et CPL Patrick Kègle, R22eR, Canada, VLB éditeur

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation des auteurs. Droits réservés. Merci de nous consulter si vous souhaitez les réutiliser.

 

 

Et maintenant, arrivé à la dernière étape, il me vient un remord d’avoir osé rire de vos peines, 

comme si j’avais taillé un pipeau dans le bois de vos croix.

Roland Dorgelès, Les croix de bois. 

 

 

Chère Roxanne,

Voilà, j'ai terminé « En terrain miné ». 

Comme je ne sais pas par où commencer, je vais le faire par la fin ; tant pis pour le suspens : Le livre est à tomber par terre. Tout y est si intelligent, si drôle parfois, si déchirant (trop) souvent... Une réussite absolue.

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Oh certes tu peux me classer parmi les militaristes (enfin, je ne sais trop ce qui se cache derrière ce mot. Disons plutôt : "appartenant à la fraternité militaire" ?). Un livre reprenant les échanges entre une enseignante pacifiste (idéaliste ?) et un soldat perdu dans la misère afghane, je ne pouvais qu’être conquis (m’attendant à froncer les sourcils sur tes « positions », à l’occasion). Ouais. 

Ceci étant, je place « En terrain miné » parmi les témoignages qui m'ont transpercé le cœur. Sur le fond (p* j'ai chouiné !) mais aussi sur la forme : L'échange épistolaire est un style littéraire qui fonctionne parfois (« Inconnu à cette adresse » de Kathrine Kressmann Taylor, par exemple) mais plutôt casse-gueule. « En terrain miné » fonctionne à 200%. Entre ton côté un rien « bobo »  (je ne sais si cette expression est d’usage au Québec) (et je l’utilise en toute bienveillance) et celui du soldat-bon-gars-de-la-campagne de Patrick, la partie de ping-pong verbale est magnifique. Et puis tous ces silences imposés entre deux échanges, tous ces non-dits, tous ces évènements... 

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Photo CPL  Olivier « Wali » Lavigne-Ortiz, R22eR, auteur de « L’autre côté de la lentille ». 

Les seuls contacts que nous avons avec l’armée sont lointains, irréels : « les troupes » sont sur « le terrain »… C’est qui, ça ? Qu’est-ce-que ça veut dire ? Pour nous, l’armée est un concept abstrait, déshumanisé. 

~Roxanne

Dans la salle d’attente où les familles et les militaires étaient réunis avant le départ, on pouvait sentir l’angoisse et la tristesse, mais aussi la fierté et le goût du devoir. C’est difficile à expliquer. Comme un pompier qui rêve d’éteindre un feu (…) Dans cette salle, j’ai bien passé une heure avec mon fils Benjamin dans les bras. Si j’avais pu, je l’aurais mis dans mes bagages tellement c’était déchirant de devoir laisser ma famille seule durant plus de six mois. Ma fille Heidi était trop jeune pour comprendre, elle gambadait dans la salle.

~Patrick

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Photo CPL Olivier « Wali » Lavigne-Ortiz, R22eR

J’éprouve un certain malaise parce que vous m’envoyez des photos de vous en habit de combat, puis d’enfants aux sourires salis qui demandent des bonbons en échange des explosions qu’ils entendent… Je doute qu’on puisse sauver le monde, les enfants et leur sourire, avec une mitraillette sous le bras. Cela n’a pas de sens pour moi.

~R.

Grace au programme de reconstruction, une école de filles a été bâtie. Les villageois courageux ont choisi d’y envoyer leurs filles, même sous la menace de répression talibane. Les intégristes ont alors mis le feu au bâtiment. Ceci n’a pas découragé les familles qui ont restauré l’école et ont continué d’y envoyer leurs filles pour les instruire. Face à ce courage, cette détermination, les bourreaux y sont allés de manière plus dissuasive… Ils sont entrés un matin dans l’école et ont coupé la tête de l’enseignante pour ensuite la brandir face aux jeunes filles. Imagine le scenario chez nous ! Aurions-nous le courage d’envoyer nos enfants à l’école après une menace aussi sérieuse ? Les Afghans l’ont fait, parce qu’ils veulent que les choses changent. Alors, pour l’éducation dans ce pays, nous devons assurer la sécurité. Sinon, pour ces jeunes femmes, elle ne sera jamais possible.

~P.

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CPL Patrick Kègle, Afghanistan

Tu veux prendre les armes, lever une armée et sauver le monde ? Etre un héros ! … Mais, Monsieur Kègle, si nous devons laver toutes les crocheries de l’humanité, jusqu’où irons-nous ? (…) Là où la violence règne, seule la maîtrise de cette violence par une force plus grande encore peut arriver à contrôler le débordement, c’est ce que tu me dis.

Et ça me fait peur.

~R.

Je sécurisais seul un des côtés de l’école. Les jeunes filles d’environ seize ans étaient toutes aux fenêtres, curieuses de notre visite. Je sentais qu’il y avait un peu de jubilation dans l’air.  Je me suis assuré de n’être vu par personne et leur ai envoyé un salut de la main très banal… les sourires sont apparus par dizaines. Immédiatement, je leur ai envoyé un baiser de la main, juste pour voir… J’ai presque senti les murs de l’école bouger, tellement elles étaient euphoriques ! 

~P.

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Photo CPL Olivier Lavigne-Ortiz, R22eR

L’autre jour, en lisant cette lettre où tu parlais de l’attentat et de ton inquiétude, je me suis aperçue que mes propos antimilitaristes, je les énonçais avec dureté et que, finalement, j’avais l’air plus agressive avec mon crayon que toi, malgré tes fusils. Moi qui prêche l’ouverture d’esprit, le respect et la compréhension de l’autre, je n’ai pas été très aimable depuis le début de cette correspondance et je m’en excuse. La vérité, c’est que cet échange m’apprend, soldat, à entendre autrement le discours militaire des hommes qui vont en pays de détresse.

~R.

Cette mission m’endurcit, mais en même temps je deviens plus émotif. C’est bizarre.

~P.

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CPL Patrick Kègle, Afghanistan, 3.5.2004

Tu as choisi un destin étrange, ami militaire. Plus jamais tu ne pourras, après ce que tu as vu, être innocent du monde, faire comme si « ça » - la pauvreté, la misère, l’horreur - n’existait pas.

~R.

Tu sais, je demande à Dieu tous les jours de me ramener en un seul morceau… ou le moins amoché possible. Je veux revoir ma famille ! J’ai un bébé… cela me torture l’esprit, l’idée qu’il ne me connaisse pas.

~P.

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CPL Patrick Kègle, Afghanistan, 6.5.2004

Une détonation plus forte que le tonnerre s’est fait entendre. J’ai reçu comme un puissant coup de poing et la poussière a envahi l’habitacle. Nous étions secoués… Mais Dieu a été avec nous ! Personne n’a été blessé ; nous avons eu peur pour le conducteur qui a été mis K.O. quelques secondes, mais rien de grave. Nous sommes demeurés calmes, car souvent, après l’explosion, les insurgés attaquent en embuscade (…) J’ai le dos et le cou un peu endoloris, mais ça devrait passer (…) On réussit quand même à rire de cette situation.

~P.

Est-ce que j’ai lu que ton blindé a roulé sur une mine ? 

Je veux dire : tu as roulé sur une mine ?!

Et si j’ai bien lu, tes chums et toi riez de ça ?

Ma foi du bon Dieu ! Es-tu sûr que tu vas bien ? 

~R.

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Afghanistan, 3 juin 2014. Photo Patrick Kègle

Je ne peux pas le jurer, mais je suis presque certaine que tu es malheureux de quitter l’Afghanistan avant la fin de ta mission. De laisser tes chums là-bas. D’abandonner les Afghans à leur triste sort.

Mais là, il faut rentrer chez toi.

~Roxanne

***

… Roxanne, Patrick, merci du fond du cœur pour ce livre magnifique.

~Alain

PS. C’est drôle quand j’y repense, l'impression qui ressort du livre : vous êtes tous les deux si attendrissants. A la rigueur, toi, c'est normal, tu es une fille et les filles sont attendrissantes de fait (hum)  mais Patrick, le soldat, le costaud armé jusqu'aux dents, l'est tout autant.

PPS. Réflexion faite, si ce n’est un nourrisson, je ne vois pas ce qu'il y a de plus attendrissant qu'un soldat.

***

419710_10151210059272536_1496687793_n.jpgRoxanne Bouchard est écrivain et professeur de littérature au Québec. Outre « En terrain miné » coécrit avec Patrick Kègle, on lui doit « Whisky  et paraboles » (VLB éditeur), prix Robert-Cliche et Grand-prix de la Relève Littéraire, « La gifle » (éd. Coups de Tête), « Crématorium circus » (VLB) et, tout récemment, « Nous étions le sel de la mer » (VLB), finaliste en France des prix Henri-Quéffelec et  France-Québec 2015. Elle travaille actuellement à l'écriture de récits militaires (chouette !). Voir ici.

Patrick Kègle est caporal au célèbre Royal 22e Regiment, seule unité d’active québécoise de l’armée de terre canadienne. Déployé à deux reprises en Afghanistan, il est désormais Chevrier-Major à la Citadelle de Québec.

Site officiel de Roxanne ici ; page FaceBook du livre .

Roxanne et Patrick en « live »

ISBN : 978-2896493470 - Prix : 18,17€ (24,95 $CAD) - Format 20,10x12,40, 237 pages, cahier-photo couleur.

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Chez VLB Editeur 

Disponible ici.

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Mili-Bibliothèque Royal 22e Régiment en Afghanistan

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Nous avons abordé « Mon Afghanistan » [Athéna Editions], autobiographie du LCL Steve Jourdain ici et « L’autre côté de la lentille » [éd. OLOrtiz], livre-photo du CPL Olivier « Wali » Lavigne-Ortiz . « Vandoo » [22 prononcé à l’anglaise] est un roman du Capitaine-Adjudant René Vallerand, inspiré de son expérience afghane. Aux éd. Adrénaline, disponible chez Renaud-Bray ici

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Hommage

Au soldat Sébastien Courcy, R22eR, chum de Patrick, mort le 16 juillet 2009 en Afghanistan,

Aux soldats canadiens morts en Afghanistan,

A tous les soldats morts pendant le conflit,

Aux blessés,

Aux femmes et maris, compagnes et compagnons, enfants, parents, familles et proches de tous les militaires déployés, ayant vécu dans l’angoisse pendant des mois,

A toutes celles et ceux qui cherchent à comprendre le sens de l’engagement de ces militaires.

A la mémoire des Afghans victimes de la barbarie talibane.

Je me souviens.

*

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Patrick Kègle, chevrier-major à la Citadelle de Québec, 10.12.2009

Ce que tu as fait pour sauver l’humanité n’est pas perdu, Pat. Ce que Sébastien a fait ne le sera jamais. Et c’est loin d’être un échec. Le sais-tu ?

Ta façon de sauver le monde, c’est de ne pas oublier Sébastien, de ne pas oublier les souffrances des Afghans, de ne pas oublier leur stress ni leur détresse.

Sois fier, Patrick. Toujours.

Retourne en paix vers ta famille.

Ecris-moi quand tu arriveras.

Ton amie, Roxanne.

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01/03/2015

« Dans les Griffes du Tigre », CNE Brice Erbland, 1er RHC, Ed. Les Belles Lettres

v2. Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de leurs auteurs. Droits réservés. Merci de nous consulter si vous souhaitez les réutiliser.

 

 

Le soldat n'est pas un homme de violence. 

Il porte les armes et risque sa vie pour des fautes qui ne sont pas les siennes.

Antoine de Saint-Exupéry

 

Février 2013. Ce blog n’existe pas. Le RER m’emmène au Bourget où se déroule le salon de la formation aéronautique. Je ne m’y rends pas pour une reconversion professionnelle, ni même pour le beau musée de l’air qui l’accueille. Je vais à la rencontre du CNE Brice Erbland. Il y dédicace « Dans les griffes du Tigre » que je viens de terminer. C’est une première : je n’ai jamais rencontré de soldat-auteur. Je n’ai fait que les lire…

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Peut-être que la discussion qui s’en est suivie (après avoir repoussé l’équipe de France 2 au grand complet pour arriver à l’atteindre) ; peut-être que la photo prise à ses côtés (- C’est la première fois que je fais un truc pareil :) - Moi aussi :)) ou encore les mots qu’il m’a dit les yeux dans les yeux, remerciements sincères pour mon intérêt envers les soldats, ont-ils été à l’origine de la création de ce blog. C’est même certain, car il y eut comme une étincelle dans ma tête : ces garçons et ces filles sont formidables, ce qu’ils écrivent est formidable, mais on en parle si peu. Comme c’est dommage…

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Quelques semaines plus tard, Une Plume pour l’Epée naissait. Brice est donc, d’une certaine manière, notre parrain.

Mais parlons de « Dans les Griffes du Tigre ». Ce récit est l’un des rares témoignages sur l’action des aviateurs « légers » de l’Armée de Terre et sur l’opération Harmattan en Libye. A ce titre, il est incontournable pour tous les fans d’histoire et d’autobiographies mili. Mais ce n’est pas ce qui le classe parmi les beaux-grands témoignages militaires. Brice place en effet son discours dans le registre de l’intimité de l’âme. Il n’aborde pas seulement la vie opérationnelle d’un pilote d'hélicoptère, préparation de mission/mission/debriefing, mais également, et surtout, dans le ressenti du combattant : Tirer. Tirer, oui mais. Ne pas tirer. Tirer malgré tout. Tirer et tuer. Tuer, et après ?...

Un livre profond. Le guerrier se met à nu. 

Morceaux choisis :

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Photo José Nicolas auteur de « Task Force La Fayette ». 

Installée dans le poste de commandement du groupement tactique auquel appartient la compagnie en difficulté, ma patrouille suit le déroulement du combat à la radio et observe minutieusement la carte où sont reportées les positions des nôtres. Cela fait plusieurs dizaines de minutes que nous bouillons intérieurement en ne nous posant qu’une seule question : mais qu’attendent-ils pour nous envoyer là-bas ?

Afghanistan

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Photo Thomas Goisque, coauteur de « Haute-Tension »  et « D’ombre et de poussière » 

Je suis encore à deux ou trois minutes de vol de la zone de combat. Je sais qu’il va falloir faire vite, car chaque seconde qui passe risque de voir un soldat français être blessé ou tué. Mais il est hors de question de faire quoi que ce soit tant que je ne suis pas sûr de voir toutes les positions occupées par la compagnie. Dans le cas contraire il y aurait toujours un risque de tirer sur une position amie. Le tir fratricide, encore plus que le dommage collatéral, est ma hantise.

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Afghanistan. Le Tigre de Brice Erbland [attesté par Brice lui-même d’après le code porté par l’hélico], photo Alphonse-Bernard Seny, auteur de « Le temps de l’action » 

Les rafales courtes se succèdent ; j’ai vaguement conscience dans ma vision périphérique des gerbes d’étincelles qui déchirent la nuit à l’avant de mon canon. Je ne vois plus que mon écran, je ne vois plus que le cercle en son centre qui entoure deux paires de jambes et qui soudain ne laisse place qu’à un épais voile de poussière. La scène n’est plus visible et nous avons le temps d’effectuer deux tours supplémentaires avant que le nuage se dissipe. Ma caméra est toujours pointée sur l’objectif, mais les deux paires de jambes n’apparaissent plus à l’écran.

Afghanistan

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« Tigre Saint-Michel/ailes d'ange », photo Guilhem, Kaboul 2009.

Je ne regrette absolument rien, car ce soldat aurait pu abattre l’autre Tigre. En quelque sorte, c’était lui ou mes deux camarades. Je n’ai même pas eu à choisir tant la décision était évidente. Dans la pénombre de ma bannette, pourtant, je ressens un certain malaise. Ma victime a beau ne pas être la première, loin de là, elle n’en reste pas moins un être humain. Cette réaction m’apaise, d’une certaine façon, car elle prouve que je reste malgré tout humain, baigné dans la considération et la sacralisation toute occidentale et chrétienne de la vie. Ma spiritualité a d’ailleurs grandement évolué depuis mon passage en Afghanistan. Le contact avec la mort a réveillé en moi un besoin que je croyais absent de mon cœur et de mon esprit. Alors, écoutant mon malaise, je prie pour ce soldat que j’ai tué.

Au large de la Libye

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Capitaine Brice Erbland

La mort est ainsi une comparse imposée lors de ces opérations. Dieu merci, je n’ai jamais eu à affronter la perte d’un camarade ou d’un subordonné, et je prie pour ne jamais avoir à y faire face. De nombreux soldats français y ont malheureusement été confrontés. Sur le terrain, ils doivent côtoyer la mort tous les jours et sont obligés de la provoquer de temps en temps. Mais malgré une préparation psychologique, malgré la conscience que le métier des armes peut impliquer de tels actes, ces derniers représentent de véritables chocs pour ceux qui les vivent. Chacun doit alors gérer ses émotions à sa façon. Certains semblent imperturbables, mais je reste persuadé qu’ils bouillonnent intérieurement, d’autres ont besoin de partager leurs sentiments. 

Dans le monde qui a perdu le contact avec la tragédie de la guerre, aucun non-combattant ne peut imaginer la transformation radicale qui s’opère chez nos soldats après avoir vécu de tels moments.

 

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photo-escadrille-erbland.jpgSaint-Cyrien, le Capitaine Brice Erbland sert au 1er Régiment d’Hélicoptères de Combat de Phalsbourg. Pilote de Gazelle et de Tigre, il participe aux opérations en Afghanistan et Libye. En juillet 2012, pour ses actions au combat, il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur. 

Actuellement détaché au Ministère de la Défense, Brice est marié et père de 4 enfants. 

Nous avons la chance de bien connaître Brice. Nous avons également entendu des mots élogieux sur son compte, de la part de deux amis dont l’un a été son « boss » et l’autre est un padre célèbre ; mais nous ne rapporterons pas ces propos, pour ne pas blesser la modestie du capitaine… Vous pouvez cependant vous faire une idée du « bonhomme » en regardant cette vidéo, reportage de France 2 qui a reçu le prix Schœndœrffer 2014 [hé oui, c’est bien votre serviteur que vous apercevrez fugacement - mais je ne sais pas pourquoi on m'a "collé" en couverture !].

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Sur fond bleu cobalt ALAT, nos multiples rencontres avec Brice Erbland, désormais un familier de nos photos de groupies : Salon de la Formation Aéronautique 2013 au Bourget, 20h de France 2, Salon du Livre 2013 à Paris, Festival International du Livre Militaire 2013 à Coët’, Salon des Ecrivains-Combattants 2014 à Saint-Mandé…

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ISBN-13: 978-2251310046 – Prix 15,90€ – format 12,5x19, 108 pages, cahier-photo couleur

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Aux éditions Les Belles Lettres

Disponible ici

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« Dans les griffes du Tigre » a été distingué en 2013 par le prix spécial de la Saint-Cyrienne, le prix « L’Epée et la Plume » et la mention spéciale du prix Erwan Bergot. Photo ci-dessus : Brice est aux côtés du GAL Patrick Champenois, auteur de « La chamelière de Bouyade », prix de la Saint-Cyrienne 2013 et du SGT Christophe Tran Van Can, 21e RIMa, auteur de « Journal d’un soldat français en Afghanistan », coécrit avec Nicolas Mingasson, prix de la Saint-Cyrienne 2012.

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Hommage

Au LTN Matthieu Gaudin, 3e RHC, mort pour la France en Afghanistan,

Au LTN Damien Boiteux, 4e RHFS, mort pour la France au Mali,

A tous ceux morts pour la France, 

Aux morts en service commandé, avec une pensée pour ceux qui ont péri avec leurs camarades Dragons-Paras lors du crash de leur Cougar en 2009, au large du Gabon,

Aux blessés.

Avec le salut fraternel du Chasseur et le la Russe-blanc aux protégés de Sainte-Clothilde.

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Photo de Thomas Goisque

Combien d’hommes peuvent se targuer d’écrire l’Histoire, sinon d’en être acteur ?

Qui aujourd’hui vit intensément, non pas au travers d’un écran, mais ressentant les choses réellement ?

Qui est prêt à accepter la peur, le contact de la mort, le sacrifice de sa famille, pour la maigre gloire personnelle qu’est la fierté de servir son pays ?

 CNE Brice Erbland