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01/05/2015

« En terrain miné », Roxanne Bouchard et CPL Patrick Kègle, R22eR, Canada, VLB éditeur

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation des auteurs. Droits réservés. Merci de nous consulter si vous souhaitez les réutiliser.

 

 

Et maintenant, arrivé à la dernière étape, il me vient un remord d’avoir osé rire de vos peines, 

comme si j’avais taillé un pipeau dans le bois de vos croix.

Roland Dorgelès, Les croix de bois. 

 

 

Chère Roxanne,

Voilà, j'ai terminé « En terrain miné ». 

Comme je ne sais pas par où commencer, je vais le faire par la fin ; tant pis pour le suspens : Le livre est à tomber par terre. Tout y est si intelligent, si drôle parfois, si déchirant (trop) souvent... Une réussite absolue.

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Oh certes tu peux me classer parmi les militaristes (enfin, je ne sais trop ce qui se cache derrière ce mot. Disons plutôt : "appartenant à la fraternité militaire" ?). Un livre reprenant les échanges entre une enseignante pacifiste (idéaliste ?) et un soldat perdu dans la misère afghane, je ne pouvais qu’être conquis (m’attendant à froncer les sourcils sur tes « positions », à l’occasion). Ouais. 

Ceci étant, je place « En terrain miné » parmi les témoignages qui m'ont transpercé le cœur. Sur le fond (p* j'ai chouiné !) mais aussi sur la forme : L'échange épistolaire est un style littéraire qui fonctionne parfois (« Inconnu à cette adresse » de Kathrine Kressmann Taylor, par exemple) mais plutôt casse-gueule. « En terrain miné » fonctionne à 200%. Entre ton côté un rien « bobo »  (je ne sais si cette expression est d’usage au Québec) (et je l’utilise en toute bienveillance) et celui du soldat-bon-gars-de-la-campagne de Patrick, la partie de ping-pong verbale est magnifique. Et puis tous ces silences imposés entre deux échanges, tous ces non-dits, tous ces évènements... 

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Photo CPL  Olivier « Wali » Lavigne-Ortiz, R22eR, auteur de « L’autre côté de la lentille ». 

Les seuls contacts que nous avons avec l’armée sont lointains, irréels : « les troupes » sont sur « le terrain »… C’est qui, ça ? Qu’est-ce-que ça veut dire ? Pour nous, l’armée est un concept abstrait, déshumanisé. 

~Roxanne

Dans la salle d’attente où les familles et les militaires étaient réunis avant le départ, on pouvait sentir l’angoisse et la tristesse, mais aussi la fierté et le goût du devoir. C’est difficile à expliquer. Comme un pompier qui rêve d’éteindre un feu (…) Dans cette salle, j’ai bien passé une heure avec mon fils Benjamin dans les bras. Si j’avais pu, je l’aurais mis dans mes bagages tellement c’était déchirant de devoir laisser ma famille seule durant plus de six mois. Ma fille Heidi était trop jeune pour comprendre, elle gambadait dans la salle.

~Patrick

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Photo CPL Olivier « Wali » Lavigne-Ortiz, R22eR

J’éprouve un certain malaise parce que vous m’envoyez des photos de vous en habit de combat, puis d’enfants aux sourires salis qui demandent des bonbons en échange des explosions qu’ils entendent… Je doute qu’on puisse sauver le monde, les enfants et leur sourire, avec une mitraillette sous le bras. Cela n’a pas de sens pour moi.

~R.

Grace au programme de reconstruction, une école de filles a été bâtie. Les villageois courageux ont choisi d’y envoyer leurs filles, même sous la menace de répression talibane. Les intégristes ont alors mis le feu au bâtiment. Ceci n’a pas découragé les familles qui ont restauré l’école et ont continué d’y envoyer leurs filles pour les instruire. Face à ce courage, cette détermination, les bourreaux y sont allés de manière plus dissuasive… Ils sont entrés un matin dans l’école et ont coupé la tête de l’enseignante pour ensuite la brandir face aux jeunes filles. Imagine le scenario chez nous ! Aurions-nous le courage d’envoyer nos enfants à l’école après une menace aussi sérieuse ? Les Afghans l’ont fait, parce qu’ils veulent que les choses changent. Alors, pour l’éducation dans ce pays, nous devons assurer la sécurité. Sinon, pour ces jeunes femmes, elle ne sera jamais possible.

~P.

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CPL Patrick Kègle, Afghanistan

Tu veux prendre les armes, lever une armée et sauver le monde ? Etre un héros ! … Mais, Monsieur Kègle, si nous devons laver toutes les crocheries de l’humanité, jusqu’où irons-nous ? (…) Là où la violence règne, seule la maîtrise de cette violence par une force plus grande encore peut arriver à contrôler le débordement, c’est ce que tu me dis.

Et ça me fait peur.

~R.

Je sécurisais seul un des côtés de l’école. Les jeunes filles d’environ seize ans étaient toutes aux fenêtres, curieuses de notre visite. Je sentais qu’il y avait un peu de jubilation dans l’air.  Je me suis assuré de n’être vu par personne et leur ai envoyé un salut de la main très banal… les sourires sont apparus par dizaines. Immédiatement, je leur ai envoyé un baiser de la main, juste pour voir… J’ai presque senti les murs de l’école bouger, tellement elles étaient euphoriques ! 

~P.

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Photo CPL Olivier Lavigne-Ortiz, R22eR

L’autre jour, en lisant cette lettre où tu parlais de l’attentat et de ton inquiétude, je me suis aperçue que mes propos antimilitaristes, je les énonçais avec dureté et que, finalement, j’avais l’air plus agressive avec mon crayon que toi, malgré tes fusils. Moi qui prêche l’ouverture d’esprit, le respect et la compréhension de l’autre, je n’ai pas été très aimable depuis le début de cette correspondance et je m’en excuse. La vérité, c’est que cet échange m’apprend, soldat, à entendre autrement le discours militaire des hommes qui vont en pays de détresse.

~R.

Cette mission m’endurcit, mais en même temps je deviens plus émotif. C’est bizarre.

~P.

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CPL Patrick Kègle, Afghanistan, 3.5.2004

Tu as choisi un destin étrange, ami militaire. Plus jamais tu ne pourras, après ce que tu as vu, être innocent du monde, faire comme si « ça » - la pauvreté, la misère, l’horreur - n’existait pas.

~R.

Tu sais, je demande à Dieu tous les jours de me ramener en un seul morceau… ou le moins amoché possible. Je veux revoir ma famille ! J’ai un bébé… cela me torture l’esprit, l’idée qu’il ne me connaisse pas.

~P.

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CPL Patrick Kègle, Afghanistan, 6.5.2004

Une détonation plus forte que le tonnerre s’est fait entendre. J’ai reçu comme un puissant coup de poing et la poussière a envahi l’habitacle. Nous étions secoués… Mais Dieu a été avec nous ! Personne n’a été blessé ; nous avons eu peur pour le conducteur qui a été mis K.O. quelques secondes, mais rien de grave. Nous sommes demeurés calmes, car souvent, après l’explosion, les insurgés attaquent en embuscade (…) J’ai le dos et le cou un peu endoloris, mais ça devrait passer (…) On réussit quand même à rire de cette situation.

~P.

Est-ce que j’ai lu que ton blindé a roulé sur une mine ? 

Je veux dire : tu as roulé sur une mine ?!

Et si j’ai bien lu, tes chums et toi riez de ça ?

Ma foi du bon Dieu ! Es-tu sûr que tu vas bien ? 

~R.

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Afghanistan, 3 juin 2014. Photo Patrick Kègle

Je ne peux pas le jurer, mais je suis presque certaine que tu es malheureux de quitter l’Afghanistan avant la fin de ta mission. De laisser tes chums là-bas. D’abandonner les Afghans à leur triste sort.

Mais là, il faut rentrer chez toi.

~Roxanne

***

… Roxanne, Patrick, merci du fond du cœur pour ce livre magnifique.

~Alain

PS. C’est drôle quand j’y repense, l'impression qui ressort du livre : vous êtes tous les deux si attendrissants. A la rigueur, toi, c'est normal, tu es une fille et les filles sont attendrissantes de fait (hum)  mais Patrick, le soldat, le costaud armé jusqu'aux dents, l'est tout autant.

PPS. Réflexion faite, si ce n’est un nourrisson, je ne vois pas ce qu'il y a de plus attendrissant qu'un soldat.

***

419710_10151210059272536_1496687793_n.jpgRoxanne Bouchard est écrivain et professeur de littérature au Québec. Outre « En terrain miné » coécrit avec Patrick Kègle, on lui doit « Whisky  et paraboles » (VLB éditeur), prix Robert-Cliche et Grand-prix de la Relève Littéraire, « La gifle » (éd. Coups de Tête), « Crématorium circus » (VLB) et, tout récemment, « Nous étions le sel de la mer » (VLB), finaliste en France des prix Henri-Quéffelec et  France-Québec 2015. Elle travaille actuellement à l'écriture de récits militaires (chouette !). Voir ici.

Patrick Kègle est caporal au célèbre Royal 22e Regiment, seule unité d’active québécoise de l’armée de terre canadienne. Déployé à deux reprises en Afghanistan, il est désormais Chevrier-Major à la Citadelle de Québec.

Site officiel de Roxanne ici ; page FaceBook du livre .

Roxanne et Patrick en « live »

ISBN : 978-2896493470 - Prix : 18,17€ (24,95 $CAD) - Format 20,10x12,40, 237 pages, cahier-photo couleur.

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Chez VLB Editeur 

Disponible ici.

***

Mili-Bibliothèque Royal 22e Régiment en Afghanistan

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Nous avons abordé « Mon Afghanistan » [Athéna Editions], autobiographie du LCL Steve Jourdain ici et « L’autre côté de la lentille » [éd. OLOrtiz], livre-photo du CPL Olivier « Wali » Lavigne-Ortiz . « Vandoo » [22 prononcé à l’anglaise] est un roman du Capitaine-Adjudant René Vallerand, inspiré de son expérience afghane. Aux éd. Adrénaline, disponible chez Renaud-Bray ici

***

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Hommage

Au soldat Sébastien Courcy, R22eR, chum de Patrick, mort le 16 juillet 2009 en Afghanistan,

Aux soldats canadiens morts en Afghanistan,

A tous les soldats morts pendant le conflit,

Aux blessés,

Aux femmes et maris, compagnes et compagnons, enfants, parents, familles et proches de tous les militaires déployés, ayant vécu dans l’angoisse pendant des mois,

A toutes celles et ceux qui cherchent à comprendre le sens de l’engagement de ces militaires.

A la mémoire des Afghans victimes de la barbarie talibane.

Je me souviens.

*

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Patrick Kègle, chevrier-major à la Citadelle de Québec, 10.12.2009

Ce que tu as fait pour sauver l’humanité n’est pas perdu, Pat. Ce que Sébastien a fait ne le sera jamais. Et c’est loin d’être un échec. Le sais-tu ?

Ta façon de sauver le monde, c’est de ne pas oublier Sébastien, de ne pas oublier les souffrances des Afghans, de ne pas oublier leur stress ni leur détresse.

Sois fier, Patrick. Toujours.

Retourne en paix vers ta famille.

Ecris-moi quand tu arriveras.

Ton amie, Roxanne.

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Commentaires

Merci à vous , pour rendre hommage a Sebastien Courcy.
Il était dans ma section au peloton de recce et il resteras inscrit dans mon coeur.
Joël.
Je vais lire se livre.

Écrit par : Joel langlois | 04/05/2015

Merci à toi Jöel et à tous tes camarades pour ce que vous avez fait en Afgha. On est fiers de vous comme de nos soldats français.

Écrit par : UPpL'E | 04/05/2015

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