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09/03/2016

« Dieu désarmé », Padre Richard Kalka, aumônier militaire, autoédité

V2. Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés. 

 

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Le centurion qui se trouvait devant lui, voyant  qu’il avait ainsi expiré, dit :

Vraiment, cet homme est bien le fils de Dieu.

Luc [15.39]

 

 

Il nous a fait sourire, le padre : « J'espère que vous ferez preuve de bienveillance en lisant mon livre... »

Comment ? Faire preuve de bienveillance, mon père ?

Richard Kalka, aumônier-para, Tchad, Rwanda, Irak, Centrafrique, Bosnie, Kosovo, Gabon, Afghanistan... Epervier ! Daguet !  Amaryllis ! Turquoise ! FORPRONU ! Barracuda ! (on passe les décorations).

Et vous nous demandez de faire preuve de bienveillance, padre ?

Vous avez vraiment le sens de l'humour !

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Ah, « Dieu désarmé » ! Derrière l’intelligence du titre, quelle belle remontée du Mekong…

Prenons cette image, le Mékong : La vie se compare-t-elle à un fleuve, coulant parfois gentiment, entre des berges champêtres, affrontant soudain des rapides, voire des Niagara ?

C’est, il nous semble, une mauvaise parabole : le flux n’a pas de mémoire.

Nous ne voyons pas la vie comme un fleuve, nous la voyons comme la Terre, au sens géologique du terme.

Faites une coupe : les states se superposent ; des couches de bonheur, de détresse, de métro-boulot-dodo, de désespérance, de joie immense, de drame… Une épaisseur recouvre la précédente, certaines se mêlent du fait des mouvements des plaques tectoniques  et des tremblements de Terre. Mais cela  reste  des strates, et notre vie les conserve toutes, en mémoire, dans nos cœurs, dans nos âmes.

Avec ce livre, le Padre, mec costaud, a pris sa pelle et a fait une belle tranchée dans sa Terre, exposant les strates de sa vie.

- Strates d’humour -

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Tchad, 1992

Tchad

Alors qu’un dîner de fête est organisé, alerte à l’aviation libyenne : "Tout le monde aux abris ! Padre, cette fois, c’est du vrai ! Venez avec moi !". (…) J’obtempère, sans oublier toutefois d’emporter les deux bouteilles de rouge abandonnées sur la table de la popote…

Tchad

Un Capitaine de l’armée tchadienne m’apporte tout fier une grande tasse de café au lait. Le café est très chaud. Avec précaution, j’en avale une première gorgée. Le goût de ce breuvage est absolument infect ! Je me fais violence pour en venir à bout… [Plus tard j’apprends que]  ce n’était pas du lait de vache, mais de chamelle. Et dans le désert, pour que ce lait ne tourne pas, les femmes l’arrosent avec leur urine…

Bosnie, lors d’une rencontre dans un « bouge » avec des partisans Bosno-Serbes

Le café nous a été servi, suivi d’un verre à moutarde plein à ras bord de Slivovica [eau de vie de prune]. Bien entendu, nous avons été tenus de le vider à la santé de nos hôtes. Le second verre, nous l’avons vidé aussi promptement à notre santé à tous. Une fois rassurés sur notre santé réciproque, nous avons pu entrer dans le vif du sujet.

Cambodge

Vol épique dans un hélicoptère MI-17 loué par l’ONU, piloté par un ex-soviétique, ivre-mort. Vol si tactique que le pilote se « prend un arbre » : Le côté gauche du cockpit est enfoncé, le pare-brise complètement éclaté, des branches d’arbre plantées dans la cabine de pilotage. (…) Le commandant de bord, un peu confus : « Y’a un oiseau qui nous a cogné ».

- Strates d’effroi. L’Apocalypse -

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Rwanda

Un groupe de dix soldats belges de la mission MINUAR est pris à partie par une bande Hutus, militaires et miliciens. Le chef de section, Thierry Lottin, un jeune lieutenant, est perplexe. Il se fait intimer l’ordre de déposer les armes (…) Son supérieur hiérarchique lui conseille d’abord de palabrer, puis, éventuellement, d’obtempérer. Une fois les armes en possession des miliciens Hutus, les Belges reçoivent l’ordre de s’allonger par terre. Avec des machettes bien aiguisées, les Hutus coupent un tendon d’Achille à chaque soldat, leur crèvent les yeux et leur sectionnent le nez. (…) Le lendemain matin, les soldats français trouveront, en bout de piste de l’aéroport les dix corps.

Rwanda

Goma. L’épidémie de choléra fait rage (…) 700 morts recensés le 21 juillet, 1700 le 22, 2000 le 23, 2200 le 24…

Rwanda

J’ai vu des gens, sans force, totalement résignés à leur sort, s’allonger sur les tas de cadavre pour mourir.

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Rwanda                       

Des mètres cubes de cadavres. La putréfaction et la masse. La masse et la putréfaction. Une montagne gigantesque de corps liquéfiés. L’Apocalypse.

- Strates d’Espérance -

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Rwanda, 1994

Cambodge

Le père Kalka se prend d’affection pour un jeune garçon, Bun Sreng. Il lui donne des cours de français. Le jeune garçon lui fait un jour une demande qui déconcerte le padre : Il lui demande de l’adopter, que ses parents sont d’accord, qu’ils sont pauvres, qu’il veut faire des études en France pour les soutenir financièrement. Evidemment, le père Kalka ne peut accéder à cette demande, somme toute dérangeante. Je ne développerai pas cette histoire, mais seulement sa conclusion : De retour en France, vers la fin de juillet, j’apprends ma nouvelle affectation : 3ème RPIMa à Carcassonne. Au mois d’août, je monte à Paris, et plus précisément à Roissy. Avec Anne et Bruno, nous accueillons Bun Sreng.

Rwanda, République Centrafricaine

Avec le soutien du Sergent-Chef Razny, le Première-Classe Dupont,  deux Caporaux-Chef du 6ème REG, Daniel Dietrich et Pierre Erbesol, le père prend en charge le dispensaire Saint-François-d’Assise, que les sœurs ont dû quitter. Véritable hôpital de campagne, le padre y procède à son second accouchement. L’expérience s'était déjà produite en République Centrafricaine, avec la naissance sur le bord de la route d’une petite Barracuda, prénommée ainsi par la mère en hommage à l’opération française… 

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Centrafrique, 1989

Ces strates d’Espérance sont le cœur même de la vie, de l’âme de Kalka. Son soutien aux soldats, par son écoute, sa présence seule (y compris dans des endroits situés stratégiquement en face des camps, où des filles... et tout ça.) (besoin d’un dessin ?).

Et la vie de terrain qu’il partage avec eux :

Le Terrain est ma paroisse de prédilection, mon lieu de prière, mon témoignage d’Evangile, mon mode de fonctionnement, ma manière de vivre, ma façon d’être…

Un aumônier se doit d’être un éclaireur dans l’opacité des évènements, un pasteur d’Espérance.

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Remise de la Croix de Guerre par le GAL Salvan, Bordeaux, 1991

Tant que naîtront et vivront des hommes tels que Richard Kalka, nous avons toutes les raisons d’espérer en l’Humanité.

***

Le père Richard Kalka est né en Pologne, sous le  joug communiste. Dans « Dieu Désarmé »,  cette partie de sa vie, toute son enfance, toute son adolescence à L’Est, est occultée, car ce n’est pas l’objet de son récit, dédié à son service d’aumônier.

Alors, si vous le permettez, le vieux Chasseur voudrait vous parler de sa rencontre avec l’Est.

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Le dit Chasseur, tout jeunot, en 1988 sur Alexanderplatz, Berlin Est, au côté de l'inévitable Trabant

L’Est.

La jeune génération ne peut réellement prendre conscience de ce que représentait, pour nous Occidentaux, l’Est ; ce « bloc de l’Est », caché derrière son « Rideau de Fer ».

Bien entendu, je ne suis pas à même d’évoquer la vie d’un petit polonais. Je voudrais simplement  raconter une histoire. C’est, d’un point de vue épaisseur, une infime strate de ma vie, mais si importante ; toujours si présente.

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Voici :

Fin 1987, mon Bataillon est désigné pour prendre  le relais d’un régiment basé à Berlin (Les accords d’après-guerre imposent un nombre fixe de soldats, américains, anglais, français. De ce fait, un régiment quittant Berlin-Ouest, même pour 2 mois de manœuvres, doit être remplacé).

Je sautille de joie ! Berlin !

Le premier soir de sortie, plutôt que de me précipiter dans un bar (cela viendra), je me lance dans une grande marche qui m’amène, vers 1 heure, 2 heures du matin, aux abords de la Porte de Brandebourg.

Le Mur passe devant ce fameux monument, situé à l’Est, et le Reichstag à l’Ouest, de mon « côté ».

Je m’engage entre le Reichstag et le Mur.

Je tombe sur des croix.

Des croix toutes simples, en tôle, peintes en blanc.

Sur chaque croix est inscrit un nom et une date. En lieu et place du nom, souvent, « Unbekannt », inconnu.

Une  croix pour chaque homme ou femme, abattu par la garde soviétique, alors qu’il tente de rejoindre l’Ouest.

Je regarde la dernière croix : « Lutz Schmidt, 12 février 1987 ».

Nous sommes en février 1988.

Une année auparavant, un jeune-homme de mon âge est mort, abattu, car il tentait de  traverser une ligne sur la Terre, tracée artificiellement par les hommes.

Derrière les croix se trouve un mirador avec un soldat russe. Je le regarde. Je ne vois qu’une silhouette, qu’une ombre, mais je sens, je sais, que lui aussi me regarde.

Je regarde à nouveau la croix de Lutz. Je prie pour lui et pour ses proches.

Je regarde à nouveau le soldat russe, je lui fais « coucou » de la main, et je prends le chemin du retour ; Quartier Napoléon, à Tegel.

Le 5 février 1989, un an après mon recueillement devant la croix de Lutz, Chris Gueffroy est abattu, en tentant de traverser le Mur.

Le 9 novembre 1989, c’est le Mur qui est abattu.

Je n’ai pas vu si le soldat Russe avait répondu à mon coucou. J’aime à le croire.Est.jpg

Lutz Schmidt         Chris Gueffroy

Voici, padre, ma première vision de l’Est où vous êtes né, ma vision de jeune Chasseur. Il n’y a pas de morale. C’est ma strate. C’est tout.

Et maintenant, cher lecteur, nous attendons votre question : « Mais, où est la strate Divine, dans la vie du padre ? »

Oh… Mais celle-ci n’existe pas…

Elle est saupoudrée partout. Des cristaux de quartz, qui étincellent…

 ***

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Né en Pologne, naturalisé français, le padre Richard Kalka est aumônier militaire depuis 1985. Déployé dans le cadre des principales OPEX des 35 dernières années, il a servi notamment au sein des 1er RPIMa, 2e REI, 3e RPIMa, 2e RIMa, 1er REC, 1er Spahis, 11e RAMa, 6e RPIMa, 8e RPIMa, 1er RHC, 3e RHC, 5e RHC, 4e RD, 6eRCS, 6èe BIMa, 17e RGP. Il est actuellement aumônier du 1er RCP à Pamiers et de la 11e Brigade Parachutiste à Toulouse.

 

 

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ISBN 978-2-9554952-0-9 – Prix 20€ port France inclus  - Format 21 x 15 - 220 pages, cahier-photo couleur

Une première édition, désormais épuisée, est parue aux éditions LBM.

Une seconde, notablement enrichie, est disponible en autoédition. Vous pouvez vous la procurer pour 20€, frais de port (France) inclus en contactant le padre :

Père Richard Kalka

Caillau - 09700 Saverdun

richard.kalka[at]orange.fr

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Avec notre très cher ami le padre Kalka

***

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Baptême d’un soldat, Arabie Saoudite,1991

« Je ne me suis jamais inquiété pour leur Foi. Au contraire, j’ai toujours eu la certitude qu’ils étaient croyants. A leur façon, certes, mais croyants. Bien entendu, peu de militaires pratiquent (…), peu importe : leur Foi est inscrite sur leurs visages, elle est manifeste dans ce qu’ils font, ils la respirent par tous les pores de leur peau.

Leur Foi est Amour et Charité. »

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Caporal Alexandre Van Dooren, mort pour la France au Mali, et sa fille Alison

« Ils ne sont pas morts pour des idées. Oh, non. Même pas pour celles qui sont (…) dans les beaux discours des grands de ce monde. Non, ils sont morts pour leurs amis, leurs parents, leurs camarades. Pour toi, Lydie. Pour  ceux qui, à côté d’eux, portaient le même sac et le même gilet pare-balles, qui suaient de la même façon, qui transpiraient les mêmes grosses gouttes de joie ou de colère, qui se dépassaient comme eux-mêmes se dépassaient, chaque jour un peu plus, quel que soit leur grade.

Ils sont morts pour ceux qui se demandaient, tout comme eux, ce qu’ils foutaient ici, dans ces belles montagnes et ces magnifiques vallées, qui puent la mort (…) derrière le sourire de certains qui affichent la politesse du félon.

Bien sûr, on prononcera leur éloge, on leur clamera des sermons et des panégyriques. On s’efforcera de noyer leur mort et la souffrance de leurs proches dans de belles paroles.

Mais eux, héros, la face à même le sol, ou dans le grand bleu du Ciel, ils prieront, toute une éternité, de cette prière sublime parce que céleste, quelles que soient leurs croyances et quelles que soient leurs convictions.

Pour toi, Christelle. Pour Odile qui attendra dorénavant tous les jours. Pour Anaïs, parce qu’elle aime de toute son âme. Pour Sandra et ses deux petits. Pour Aurélia. Pour Sandrine, son enfant et pour celui qui va naître bientôt. Pour Clémence. Pour Sandra et ses trois enfants. Pour Vinicia et son enfant. Pour Alice et ses cinq enfants. Pour tant d’autres, épouses, compagnes, mamans, papas… »

... et ils prieront pour nous, car nous sommes leurs frères et sœurs de cœur.

Ils prieront pour nous tous !

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Dernier saut militaire du padre, 2012

« La Conquête des cœurs est ouverte ! »

Padre Richard Kalka

 

 

 

 

09/07/2015

« Paroles de soldats », LCL Hubert le Roux & Antoine Sabbagh, éd. Tallandier

Extraits publiés avec l’aimable autorisation des auteurs. Droits réservés.  

 

« La parole qui, trop souvent, n’est qu’un mot pour l’homme de haute politique, devient un fait terrible pour l’homme d’armes. 

Ce que l’un dit légèrement et avec perfidie, l’autre l’écrit sur la poussière avec son sang. »

Alfred de Vigny

 

L’indifférence conduit à l’oubli. Tout homme ayant le sentiment de subir cet état de fait le vit comme une souffrance et nous le disons avec tristesse, mais c’est ce qu’éprouvent nombre de nos soldats : l’indifférence de leurs compatriotes. C’est d’autant plus cruel que la nation leur demande tant de sacrifices : éloignement de leur famille pendant des mois, enfants qui naissent et grandissent au loin, confrontation à des situations dramatiques voire traumatisantes, risque d’être blessé, tué… 

Certains diront : « Ils ont choisi ». Certes. Mais en quoi ce choix autoriserait les Français à rester indifférent à leur sort, alors que ce sont ces mêmes Français qui les envoient au combat ?

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Alors, pour lutter contre l’indifférence, rien ne vaut la parole : raconter, décrire, expliquer, se livrer. Heureusement, la « Grande Muette » relève du mythe. Les soldats parlent, écrivent. Mais publier un livre n’est pas donné à tout un chacun. Partant de ce principe, le LCL Hubert le Roux et Antoine Sabbagh ont décidé de se positionner non en auteurs, mais en porte-paroles : Ils ont ainsi sillonné la France, collectionnant des interviews de combattants des différents théâtres d’opérations, du Liban à la RCA. Ils les ont ensuite retranscrits, in extenso. Ainsi est né « Paroles de soldats ». Un livre de fait et de par son style « brut de fonderie », ce qui le rend d’autant plus percutant…

« Paradoxalement, la guerre n’a jamais été aussi présente dans les imaginaires. Romans, séries, films, bandes dessinées, la guerre est partout. Sur fond de rap et de guerre urbaine pour Call of Duty (…) la guerre est bien là, mais vécue comme une épopée révolue ou une fiction et la fascination qu’elle suscite est inversement proportionnelle à l’oubli dans lequel sont tombés les soldats. »

Continuer à parler, soldats de France. Nous sommes plus nombreux que vous ne le croyez à vous écouter, à ne pas être indifférents, à ne pas vous oublier. Et quand bien même nous ne serions qu’une poignée aujourd’hui, ne présageons pas de l’avenir : il suffit d’une petite chaussette rouge sang, oubliée au milieu d’un linge immaculé, pour étendre après lessive de beaux draps roses…

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Mes camarades savaient que j’étais en dessous, mais je ne répondais pas. J’étais mort. En fait, j’étais toujours en vie, mais entre la vie et la mort. La souffrance est tellement forte. Des bouffées de chaleur m’envahissaient. J’étais complètement perdu. Et puis, à un moment, j’ai oublié la souffrance. J’ai pensé à ma famille. Je me suis senti bien. Et là, j’ai vu de la lumière. Les sauveteurs avaient encerclé le trou. Une main s’est tendue vers moi.

CPL Daniel, 1983, attentat du Drakkar, Beyrouth, Liban.

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Toutes les positions irakiennes sont embossées. Ils sont dans leurs trous. Il n’y a que nous qui bougeons. Quand on a face à nous des engins embossés, on demande un tir d’artillerie. Boum ! Boum ! Boum ! On observe le tir. Ça commence à bouger. Ca riposte un peu. L’ALAT arrive. Boum ! Boum ! Boum ! Ça balance les missiles et après nous on tire. Je me souviens plus de mon indicatif. Les rouges, machin, feu ! On tire ! Et puis, pouf, drapeau blanc.

Patrice, chef de peloton de chars, 1990, opération Daguet, Guerre de Golfe, Irak.

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J’avais déjà vu des morts. Nos morts. Nos beaux morts dans les cercueils. Refaits, pour être présentés à la famille. Mais comme ça, non… En plus de ça, de voir le traitement des cadavres, jetés, ramassés, jetés… C’est de la viande. C’est quelque chose de dégoutant dont il faut se débarrasser rapidement. Les Rwandais, je sais pas si ça leur faisait rien, mais vu de l’extérieur, aucune émotion. Ils regardaient, mais rien. Moi je prenais beaucoup de recul par rapport à tout ça : une protection, ouais. L’impression de vivre à côté de moi. D’avoir le moi physique présent et d’en être spectateur. 

ADJ Jean-Louis, 1994, opération Turquoise, Rwanda.

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A mesure que le temps passait, on avait l’impression que, depuis le début, on nous avait raconté n’importe quoi. On était parti défendre les Bosniaques opprimés par les méchants Serbes ! Et quand vous arrivez au premier check point serbe et qu’ils vous disent « Soldats français gut ! Mitterrand pfff ! » en tournant le pouce vers le bas, vous voyez bien que c’est pas ce qu’on nous avait dit. Les Bosniaques, eux, ils nous ont « rafalés » d’emblée.

Jean, électromécanicien, 1994, Sarajevo, Bosnie.

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D’ap. photo Thomas Goisque

Pour moi, les Talibans ne combattent pas pour des motifs religieux, mais pour leurs intérêts personnels (…) Ils avaient une vision de l’Islam un peu sauvage, un peu barbare (…) L’Islam, je le vois comme ça, ne peut pas imposer à quelqu’un de faire ses prières, de faire le Ramadan, de ne pas manger de porc, si ça ne vient pas de son cœur. Faut que ça vienne de la personne. On peut expliquer que c’est bien de faire comme ça, mais l’imposer, voire tuer pour que les gens basculent dans la religion musulmane : non. Le Djihad, on me l’a jamais enseigné comme ça. Le Djihad, c’est l’époque du Prophète, quand on attaquait les intérêts de l’Islam sur le sol de La Mecque. Après, moi j’ai un autre Djihad, que mon père m’a appris : c’est l’éducation des enfants pour qu’ils fassent quelque-chose de leur vie.

Dahhaoui, sous-officier musulman, 2011, Tagab, Afghanistan.

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D’ap. photo Alexandre Paringaux

Ce n’est ni la première ni la dernière fois que je tire. La première fois, mon cœur s’est emballé. Le stress, l’adrénaline, ont mis du temps à redescendre. Après, je n’ai plus jamais eu de stress. Quand je tire des bombes, il y a potentiellement des gens, que je vois ou que je ne vois pas. C’est peut-être un peu froid, mais ça ne me fait rien. Je ne suis pas un combattant, je ne combats pas avec mon FAMAS. Je suis loin. 

Benjamin, pilote, 2011, opération Harmattan, Libye.

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ADJ  Harold Vormezeele, 2e REP, mort pour la France au Mali 

La mort de Vormezeele ? Putain, oui, on l’a sue tout de suite (…) Ça fait mal au cœur. Moi, côté renseignement, je me dis : « Est-ce que j’ai bien géré la situation  pour le préparer, pour qu’il ait tout pour se sauver ? » Vormezeele, il avait trente-deux, trente-trois ans. On se connaissait bien, depuis huit ans, on avait fait des missions ensemble. C’est moi qui suis rentré à la morgue, à l’hôpital, pour le couvrir et le ramener. C’était costaud de le voir comme ça en sachant comment il était avant, avec l’envie de combat, de chercher l’aventure et tout ça. Putain, la vie elle est rien !

ADC Cristian, 2013, opération Serval, Mali.

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On était une trentaine, même pas une section. Les mecs commençaient à nous contourner derrière avec des machettes. Ils avaient les yeux bleus, un cercle bleu autour des pupilles. Ils devaient prendre je ne sais quelle drogue. Ils étaient complètement shootés, complètement alcoolisés. Avec eux, il y avait plein d’enfant. Ils les mettaient devant eux en sachant que nous, les soldats français, on n’allait pas tirer (…) A ce moment, j’ai vu se planter devant moi un gamin de cinq ou six ans avec un bébé dans les bras. Un bébé de deux mois, pas plus. Au début, j’ai cru que le bébé suffoquait, qu’il nous l’amenait pour qu’on le soigne. Avant même qu’on puisse faire quoi que ce soit, le gamin a pris le nouveau-né à bout de bras et l’a jeté au sol. La tête s’est fracassée sur le bitume.

SGT Benoît, opération Sangaris, Bangui, RCA.

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La reprise du travail a été compliquée. Je dormais, je faisais pas trop de cauchemars, mais ce qui avait le plus changé chez moi, c’est que j’étais peut-être devenue un peu moins sensible face à certaines pathologies. Ça s’est beaucoup vu lorsque j’ai fait mes premières gardes aux Urgences. Les patients me disaient qu’ils avaient mal, ils souffraient réellement, mais pour moi, ils avaient leurs deux bras, leurs deux jambes, ils me parlaient, tout allait bien… Je voulais pas entendre ces souffrances-là et c’est pour ça que j’ai été voir un psy. Depuis, clairement, ça va mieux, mais c’est vrai que je suis peut-être devenue plus insensible à ce niveau-là.

Julie, infirmière,  de retour de mission à l’hôpital international militaire de Kaboul, 2010, Afghanistan

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D’ap. photo Philippe de Poulpiquet

J’ai déplié la banquette devant la télé. On y a dormi juste avant son départ et il y a encore son odeur sur l’oreiller. Le matin, je ne lave pas les draps. J’ai le sentiment de dormir un peu plus avec lui. Je mets le traversin vertical dans le lit, comme ça, les premières nuits, j’ai la sensation de renvoi de chaleur, de ne pas être toute seule. C’est curieux ce qu’on fait des fois ! (…) Donc je dors dans la salle télé, je regarde des trucs en attendant le coup de fil. Je l’attendais vers 10h, il est 10h30. Et là, mon portable sonne. C’est Violaine, mon amie médecin. (…) « Tu tombes bien, j’entends du bruit en bas de chez moi » « T’inquiète pas, c’est nous ». (…) Je descends, j’allume la lumière, j’ouvre la porte, je vois Violaine. A côté d’elle, il y a son mari en grand uniforme. Il y a aussi la femme du chef de corps et le chef de corps, lui aussi en uniforme (…) et là, j’ai un flash.

Alice, veuve de guerre.

***

IMG_0056BIS.jpgLe Lieutenant-Colonel Hubert le Roux est officier supérieur d’active. Il a été chargé du recrutement des sous-officiers et hommes du rang de l’Armée de Terre. On lui doit, outre « Paroles de soldats », une biographie de Lartéguy, publiée chez Tallandier.

Antoine Sabbagh est historien et éditeur, ancien professeur de la Sorbonne et de l’Université de Columbia dans le cadre de son programme parisien. 

Photo : rencontre avec le LCL le Roux au Salon du Livre de Paris 2015.

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ISBN : 979-1021004849 - prix 20,90 € - format 21,5 x 14,5 - 464 pages.

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Aux éditions Tallandier. Disponible ici

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Hommage

Aux soldats.

Les hommes de guerre sont de l’espèce qui se rase pour mourir. Ils croient à la rédemption de l’homme par la vertu de l’exercice et du pas cadencé. Ils cultivent la force physique et la belle gueule, s’offrant le luxe des réveils précoces dans les matins glacés et des marches harassantes pour la joie de s’éprouver.

Ce sont les derniers poètes de la gratuité absolue.

Jean Lartéguy

*

Hommage

Aux conjoints, familles, proches des soldats.

C’est pour la Femme de militaire qui se lève tous les jours à 6h pour préparer les vêtements et le petit déjeuner pour ses enfants dont elle est seule à s’occuper. C’est pour la Femme de Militaire enceinte qui se demande si son homme sera rentré à temps pour voir venir au monde son enfant. C’est pour la Femme de Militaire qui habite une nouvelle ville et qui fait face à un nouveau départ sans avoir eu le temps de se faire des amis. C’est pour la Femme de Militaire qui annule ses projets du samedi soir pour rester près du téléphone, même si elle sait que la conversation sera pleine de grésillements et toujours trop courte. C’est pour la Femme de Militaire qui pleure en s’endormant dans un lit trop froid. C’est pour la Femme de Militaire qui se laisse aller à la détresse en se demandant si elle pourra revoir son homme vivant. C’est pour la Femme de Militaire qui a l’impression de mourir à l’intérieur chaque fois qu’il dit qu’il doit s’en aller, mais qui sourit malgré tout. C’est pour la Femme de Militaire qui fait la queue à la Poste avec un colis dans les bras en se demandant si les gâteaux seront toujours moelleux en arrivant. C’est pour la Femme de Militaire qui dine seule en s’inquiétant parce que cela fait plusieurs jours qu’elle n’a pas de nouvelles de « là-bas ». C’est pour la Femme de Militaire qui a des papillons dans le ventre en voyant son homme descendre du bus au retour d’OPEX. C’est pour nous toutes, pour les Femmes de Militaires tristes, les Femmes de Militaires seules, les Femmes de militaires fortes, un toast à nous, parce qu’un chèque de paie ne console pas, un oreiller à serrer dans ses bras n'est pas suffisant, une webcam n'a rien à voir avec la réalité, expliquer à un enfant qui pleure que papa ne reviendra pas avant 4 longs mois est ou sera notre lot à toutes, et que les femmes de civils n'ont pas idée de ce que c'est de sentir tous les jours que quelque chose vous manque. Nos soldats sont courageux, mais nous le sommes aussi. 

A.M, femme de militaire.

***

*

J’ai tout dit [à ma femme]. Pas sur le moment, parce que je ne voulais pas qu’elle s’inquiète mais, une fois rentré, je lui ai raconté. A mes parents aussi. 

Je pense qu’il faut que les gens sachent ce qu’on fait. 

Autrement, ils vivent un peu dans les nuages…

LTN Vianney, 126e RI, in « Paroles de soldats".