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01/02/2017

« De sueur et de sable », COL Raphaël Bernard, EM 1re DIV, éd. Le Polémarque

Extraits publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Photos et vidéos © Colonel Bernard. Droits réservés.

 

 

« Qu’importe si le chemin est long, du moment qu’au bout il y a un puits »

Proverbe touareg

 

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Il fût un temps où nous devions attendre des années avant de lire un témoignage sur une opération. Cette frustration est désormais caduque, la parole de nos militaires s’étant libérée ; leur volonté de témoigner certainement encouragée par l’Institution. Voici donc,  après les beaux récits sur Serval, un premier témoignage sur Barkhane et la MINUSMA.

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Journal de marche du Colonel Raphaël Bernard, artilleur promu chef de méharée-mécanique, « De sueur et de sable » nous fait vivre son épopée de 1200 km, ouverture de route dans le Nord-Mali, par un convoi composé de Tchadiens, Népalais et Ivoiriens. Nouveau « Salaire de la peur » (Ah ce p* de camion-citerne antédiluvien ! Ah ces p* de wadi !), mission digne de nos grands anciens de la Saharienne, le récit est aussi bien mené que l'aventure l’aura été en elle-même. Excitation, engagement, risques, galère, fatigue, doutes, rigolades... mais aussi l’occasion d’une belle introspection ; le désert, il est vrai, s’y prête.

Plongez à votre tour dans ce beau récit écrit avec le cœur, tout en sueur, sable... et fraternité.

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Le jour point. La lune est basse, presque occultée (...). Seul un petit croissant demeure encore et il est magnifique de finesse. Comme chaque matin, l’artiste revoit sa toile. Les touches de couleurs se succèdent et les pastels virevoltent dans le ciel. Le soleil viendra mettre de l’ordre dans tout ça avec un bleu superbe comme chaque jour ici. Les véhiculent fument, les hommes s’agitent, chargent les paquetages, « déshaubanent » les antennes, vérifient les véhicules et l’état des pneumatiques. J’aime cette ambiance.

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Le sapeur népalais me convie à venir goûter le dîner de ses hommes. Je suis touché et ravi ; j’accepte de bon cœur (…) Au menu il y a du riz, quelle surprise ! Une assiette m’est tendue une sauce aux légumes est versée. Me croirez-vous si je vous dis que la sauce ferait décoller la rouille sur une épave millénaire : ça AR-RACHE !!!

- Sir, it’s not too spicy, Sir?

- You’re kidding! I’m really a fan of Asiatic food!

Ma bouche est un volcan, mes lèvres pèsent trois tonnes et il me semble qu’elles enflent démesurément. Je vais cracher le feu, c’est sûr. Ca ne peut finir que comme ça. Pour autant, comme le dit Thérèse dans le Père Noël est une ordure : « Je mange car c’est offert de bon cœur ».

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Le véhicule stoppe à deux cents mètres de notre position. Il s’arrête et éteint ses feux. Je regarde le commandant Abakar. Nos yeux disent la même chose : bizarre. Je demande à Tornade d’envoyer un élément pour contrôler le véhicule en positionnant un second élément en appui direct prêt à ouvrir le feu. J’ignore la nature exacte de ces « voyageurs » (…) J’entends la tourelle du blindé deux cents mètres à l’ouest pivoter avec un bruit de crémaillère. Tout le monde observe et retient son souffle. Je saisis mon Famas qui me suit partout. Je le colle sur la poitrine. Les officiers tchadiens saisissent leurs Kalachnikov…

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Nous avons eu un fou rire lors du petit-déjeuner. Derrière nous, un jeune soldat faisait sa prière du matin. Les autres Tchadiens l’ont interpellé en arabe dans des éclats de voix et de rire. Je n’ai pas immédiatement saisi la raison de cette hilarité générale mais Abakar vint à mon secours. Le jeune Abdallah faisait fort convenablement sa prière, malheureusement pas dans la bonne direction. Au Mali la Mecque est plein est, justement où le soleil se lève. Et justement, il était là, l’astre repère. Bien que ne comprenant pas l’arabe, j’ai saisi l’infortune cocasse du jeune Abdallah, jeune croyant très mal réveillé, montrant ses fesses à la Mecque en se prosternant face à l’Ouest.

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Arrive le tour de la citerne de tous nos maux. Comme les autres véhicules, elle s’élance à tombeau ouvert, passe à un mètre de nous dans un bruit de mécanique et de ferraille, attaque le sable, vire légèrement. Nous suivons le monstre des yeux. Le nuage noir qui le suit laisse présager de sa colère et de sa hargne de vaincre. Pourtant, sa vitesse décroit doucement. Le monstre est bel et bien sorti de la piste principale et il baisse rapidement le nez avant de s’immobiliser. Son conducteur tente de repartir mais son action ne fait qu’ensabler un peu plus la citerne. Je vois les visages autour de moi se fermer. Je relance l’action par un « Allez, on s’y met tous et on l’arrache cette putain de citerne ! ». Et je saisis une pelle.

Je dîne sans appétit. Je repense à cette foutue après-midi où nous avons parcouru vingt-trois kilomètres en sept heures. Quel enfer, que de tension, de stress rentré et de prise sur soi pour se montrer confiant et « pushy » devant des hommes persuadés que je sais où je vais. Je suis exténué et j’ai besoin de faire une toilette comme pour chasser la chkoumoun qui nous colle aux pneus.

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Je suis furieux. Je dis [au chauffeur] qu’il est un amateur, que j’en ai marre de lui et de toutes les emmerdes qu’il nous apporte et que, arrivé à Anéfis, je le laisserai sur place (…) Le ton sur lequel je dis ces mots en haussant la voix fait taire les Tchadiens. Le chauffeur, au lieu d’accuser le coup et de plaider coupable (…) me regarde et me dit : « J’en ai marre, marre, marre et j’en ai marre de vous et de toi ! ». L’homme pointe son index de manière circulaire vers les Tchadiens puis finalement vers moi en le maintenant, bras tendu. Un Tchadien à ma droite relève brutalement le canon de sa Kalachnikov…

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Nous ne sommes plus très loin. Je me suis un peu isolé avec, à la main, un manche cassé de pelle. Mon esprit s’évade un peu, le présent se débloque et je pense à l’après.

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13000314_590126381145007_8615185324440209308_n.jpgSaint-Cyrien de la promotion « Chef de Bataillon de Cointet », Raphaël Bernard rejoint l’Artillerie. Déployé en Côte d’Ivoire, Sahara Occidental, Liban, Ex-Yougoslavie et Kosovo, passé par l’Ecole de guerre et titulaire d’un MBA d’HEC, il est chef de corps du 1er RA de 2013 à 2015. Fin 2014, en poste à Kidal Nord-Mali, il s’élance dans une mission d’ouverture de route de mille deux cents kilomètres, seul Occidental à la tête d’un convoi MINUSMA de cent quarante-deux Tchadiens, Ivoiriens et Népalais, expérience dont il tire le récit « De sueur et de sable ». Il est désormais chef du bureau Opérations de la 1ère Division.

Avant de partir au Mali, quelqu’un m’a demandé ce dont j’étais le plus fier. Je ne m’étais jamais posé cette question. Mon parcours professionnel ? Mon parcours académique ? Mon parcours sportif et associatif ? Mes OPEX ? J’ai réfléchi à ce que je ne pourrais jamais remplacer, à ce que je n’accepterais jamais de perdre, à ce qui me constitue les plus intimement. J’ai répondu sans hésiter : mes trois fils.

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Page FaceBook de l'auteur ici.

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Avec le COL Bernard, Salon de l’Écrivain Soldat, Nice 2016.

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« De sueur et de sable », Colonel Raphaël Bernard,

ISBN 978-1092525077 – Prix 15€ – Format 21x14, 255 pages.

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Aux éditions Le Polémarque

Disponible ici.

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Hommage

à tous les soldats qui ont défait les djihadistes au Nord-Mali et œuvrent aujourd’hui pour la stabilisation du Sahel.

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J’aime comprendre ce que chaque homme a en lui et ce qui le fait avancer : le pognon, l’aventure, l’idéal, l’égo, la vocation, la volonté de démontrer à son père ou ses proches qu’il est quelqu’un, qu’il est capable, qu’il est un homme… Suis-je anthropophile ou sociologue ? Je crois que c’est surtout ma façon, d’une part de respecter et de considérer mes garçons et d’autre part un biais pour les motiver et répondre à leurs attentes (…) Je suis convaincu que chaque soldat a des qualités en lui, même s’il est sans diplôme, même s’il a fui une école où il a additionné les échecs. Il s’agit, pour nous, de le remettre dans la spirale de la réussite, de valoriser ce qu’il sait faire et ce qu’il réussit en apprenant différemment que sur une chaise scolaire. L’Institution militaire est, pour la grande majorité des dix mille jeunes qui chaque année la rejoignent, une école de la seconde chance, une vraie école de la vie.

COL Raphaël Bernard