28/03/2015
« Pour l’honneur… avec les Harkis », GAL François Meyer, 23e RS, Commando 133 « Griffon ». Ed. CLD
Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés. Merci de nous consulter si vous souhaitez en réutiliser.
+ A la mémoire de mon oncle Pierre Dusausoy, 2e Régiment de Spahis Algériens, combattant de 1939-1940 +
« Si les musulmans d’Algérie et les Français veulent écouter ma voix, ils s’uniront pour ne former qu’un seul peuple ;
et ce peuple sera le plus grand et le plus puissant de la Terre »
Emir Abd el-Kader
C’est étrange. Nous n’avons pas de liens spécifiques avec l’Algérie ; nous ne sommes ni d’origine pied-noir, ni algérienne ; nous sommes nés après 1962 ; nous n’avons pas perdu de papa ou de tonton pendant le conflit. De ce fait, nous devrions garder une certaine distance vis à vis de ce conflit. De l’intérêt, certes, mais historique. Et pourtant nous nous sentons viscéralement impliqués. Il y a donc quelque chose de « spécial » avec l’Algérie, quelque chose de « plus », quelque chose de « pas guéri ».
Alors oui, dans ce contexte, passer plusieurs heures à discuter avec le GAL Meyer, Spahi, bledard, défenseur de « ses » Harkis, refusant d’embarquer sans eux, alors qu’en 62 il n’est que lieutenant, un gamin, cela compte pour nous. Oh bien sûr, pour les plus jeunes de nos lecteurs, le nom de « Meyer », n’évoque rien. On ne vous en veut pas. Après tout, vous n’êtes pas responsables de vos programmes d’Histoire… Quant aux 80 000 Harkis massacrés après les "accords de paix" et dont vous n'avez pas non plus entendu parler, vous en voudront-ils, eux ? Inch Allah.
LTN François Meyer
En novembre 1958, lorsque je traverse la Méditerranée, l’Algérie est sous le feu des combats depuis déjà quatre ans. J’arrive de Saumur et je débarque sur une terre française. Elle est appelée à le rester puisque le Général de Gaulle est récemment venu le dire : « L’Algérie est organiquement française aujourd’hui et pour toujours ».
Au centre le LTN François Meyer, porte-étendard du 23e RS
Au temps des Léopards, les militaires de la Métropole nous moquent un peu. Hormis pour défiler, nous ne servons pas à grand-chose… Les jours de prises d’armes à Saïda, il est vrai, le régiment se présente dans sa tenue de tradition, chèches, burnous et sabres, et nous donnons l’image d’un monde d’avant-hier. Mais en opération, les pelotons ont une toute autre allure. Discrets et silencieux, nous nous affranchissons des pistes. « Ils passent partout et vont plus vite que nous ! » a-t-on lu dans un rapport interne de l’ALN [Armée de Libération Nationale algérienne]... »
LTN François Meyer
En fin de journée, je donne fréquemment rendez-vous à Hamza, le chef des Harkis. C’est l’heure à laquelle Janet, mon sous-officier adjoint, place les sentinelles à leur poste. Nos chevaux sont abreuvés et nourris. Nous nous tenons en haut du ksar [fortin], au-dessus des rumeurs du peloton. Immobiles, nous observons au loin les premiers feux du campement et, beaucoup plus loin, ceux des bergers. C’est le moment où le vent du soir se lève et fait tourbillonner le sable. A cette heure, je me sens loin de la guerre et d’Alger.
Février 1959, Saïda. Le 23e Spahis est passé en revue par le COL Bigeard – Collection particulière
[Au mess des officiers du 23e RS] « Ici comme ailleurs nous partirons… La France quittera l’Algérie ». Veut-il nous sonder ? En tous cas, la réflexion produit un effet profond. D’ordinaire, le soir au cours du dîner, nous parlons des affaires du jour (…) nous commentons peu les perspectives politiques. Et quand nous sortons de table, c’est pour passer au salon pour une partie de bridge (…) « La France quittera l’Algérie ! Scandaleux ! » Le Commandant Guyot quitte le salon avec indignation. Beaucoup d’indignation ! (…) Cette soirée ne ressemble plus aux normes. Resté seul avec nous, le Capitaine Gély nous fait servir un nouveau verre et nous garde longtemps. Il sait de quoi il parle. Il a servi au Tonkin dans les années 50 à la tête d’une section de Légionnaires...
Commando « Griffon ». Au premier plan le LTN François Meyer ; 4ème au centre, le SLT Gilles d'Agescy.
Les Harkis sont lucides. Ils savent que le FLN est en train de gagner des points sur le plan politique et que les négociations engagées n’annoncent rien de bon pour eux. Mais beaucoup continuent d’espérer que l’Armée ne quittera pas l’Algérie sans qu’une paix certaine soit assurée pour tous. Ils pensent même que l’Armée aidera à la reprise d’une vie normale. Et croire cela ne relève ni de la naïveté, ni de l’imagination (…) Le Général de Gaulle lui-même, avec son immense prestige, n’a-t-il pas solennellement déclaré : « Je considère l’armée française, avec sa loyauté, son honnêteté, sa discipline, comme la garantie que la parole de la France sera tenue ».
Harkis et Moghaznis de Bou Alam, assassinés le 23 avril 1962
Le 17, le maire de Bou Alam, Hadj Kaddour, six anciens Moghaznis et tous les Harkis de sa tribu sont emmenés et exécutés au lieu-dit Aïn Korima. Le 23, c’est au tour de neuf anciens supplétifs. Enlevés sous leurs tentes, ils sont sauvagement assassinés par le FLN dans le djebel Alouat. Les deux Spahis qui n’étaient pas rentrés le 12 avril étaient eux attachés, nus, promis au supplice. Mais ils arrivent à tromper la vigilance de leur gardien et à s’enfuir, profitant de la nuit. Ils gagnent ensuite un poste militaire et donnent l’alerte. Ils nous racontent que devant ses bourreaux, avant d’être exécuté, un Harki, Abid Mohamed, leur a lancé : « Il est plus facile de nous tuer aujourd’hui, maintenant que nous n’avons plus d’armes ! » Furieux, le chef FLN sort son poignard et lui coupe les lèvres avant de la mettre à mort. Le 26, six autres supplétifs sont enlevés et mitraillés près du village de Sidi Slimane.
LTN François Meyer, commando 133 Griffon
Bien qu’officiellement dissout, le Commando est envoyé à la recherche des « criminels ». Nous arrivons bien trop tard pour attraper qui que ce soit (…) Au retour, alors que nous survolons les djebels en hélicoptère, à quelques kilomètres au nord de Bou Alam nous apercevons au sol un groupe d’hommes qui nous font des signes. Nous nous posons. Ce sont les Harkis du poste d’Agneb. Ce poste est tenu depuis 1960 par une Harka importante dont la fidélité et le courage au combat sont connus de toute la région. Aujourd’hui menacés, ils demandent à partir pour la France. A mon grand regret, je ne peux les prendre à bord, nos hélicoptères sont déjà chargés au maximum. Mais je leur promets d’alerter le commandement dès mon arrivée. Lentement, ces hommes s’éloignent de nous en silence. Forte image d’un abandon qui ne peut s’oublier.
Le Djebel Dira. Collection particulière.
[Les soldats algériens de l’ALN] tournent autour de nous. Un officier vient protester sur place dès notre arrivée et réclamer la livraison des Harkis. Il est clairement éconduit. Trois jours plus tard, nous voyons enfin le « Djebel Dira » accoster. C’est bientôt l’animation de l’embarquement. Les Spahis ne sont pas peu fiers de cacher au milieu de notre groupe quelques Pieds-Noirs éperdus et menacés, qui n’ont pas pu avoir de place sur le bateau. Ils m’ont demandé mon accord.
Maintenant, c’est notre tour. Nous avançons sur la passerelle d’embarquement (…) Une section de Légionnaires arrive en chantant, impeccable, au pas.
Nous laissons derrière nous la pure lumière d’un 13 juillet à Oran. La chaleur et la brume légère vont arriver bientôt. Les eaux sales du port lèchent maintenant les flancs du bateau. Il s’écarte du quai, la terre d’Algérie s’éloigne lentement. Chez nous, c’est le silence.
***
Le Général François Meyer naît dans une honorable famille versaillaise. Saint-Cyrien, il rejoint la Cavalerie. Affecté au 23e Régiment de Spahis, il combat en Algérie de 1958 à 1962, à cheval, puis à la tête du 133e Commando de chasse harki « Griffon ». Très tôt conscient d’une indépendance inéluctable, il engage sa parole, accompagné par le SLT Gilles d’Agescy, son subordonné : ils ne quitteront pas l’Algérie sans leurs hommes. Mission accomplie, envers et contre toutes les « directives gouvernementales » mais grâce, il faut le souligner, aux Marins, en particulier les Commandos, qui facilitent l’embarquement à Oran. Parole tenue. Honneur sauf. Retrouvant Saumur, François Meyer n’aura de cesse de soutenir ses soldats musulmans et leurs familles, sauvés du massacre : aide à l’installation en Lozère avec le soutien de la famille de Lescure et du préfet, création d’une association, recherche d’emploi, lobby auprès des pouvoirs publics… Parallèlement, François Meyer poursuivra sa carrière militaire, commandant d'un régiment blindé au camp de Canjuers, dirigeant les travaux de la commission Armée-Jeunesse au cabinet du Ministre de la Défense dans les années 90.
François Meyer, alors Colonel, entouré d’anciens Harkis sur le plateau de la Roure, en Lozère, en 1991.
Article sur le Général Meyer, sur le site de l’association « A.J.I.R pour les Harkis » ici.
Avec le Général François Meyer, chez lui à Versailles
Pour une fois, nous ne citerons pas les médailles de l’auteur, aussi méritées soient-elles. En effet, un « titre », que les Harkis et leurs descendants lui ont attribué, et que nous reprenons à notre compte, éclipse les breloques : celui de « Juste parmi les justes ».
A Bou Alam, lorsque nous apprenons par la radio que 90% des Français approuvent la politique algérienne du Général de Gaulle et les accords d’Evian lors du référendum organisé en métropole seulement, le sentiment d’abandon est général.
Beaucoup (de Harkis) se retirent discrètement et rejoignent leur village d’origine (…). Malgré tout, d’autres demeurent près du poste. Certains continuent de croire en la promesse que nous leur avons faite, Gilles d’Agescy et moi-même : « Nous resterons avec vous jusqu’au dénouement », c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il leur soit effectivement proposé protection et avenir. Cette parole, nous sommes déterminés à la tenir. Et en raison de la manière dont le FLN se comporte avec eux, il s’agit de garantir la possibilité d’un transfert en France.
Je me battrai pour cela.
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ISBN : 978-2854434606 - Prix ~21€ - Format 22,5x14, 215 pages – Cahier-photo N&B
Aux éditions CLD
Le livre, écrit en collaboration avec Benoît de Sagazan et paru en 2005, est épuisé. A dénicher sur le marché de l’occasion, par exemple sur Amazon.
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Hommage
Aux Harkis et Moghaznis morts pour la France,
Aux Spahis morts pour la France,
A tous les morts pour la France dans les départements français d’Afrique du Nord,
A tous les civils assassinés.
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« Tous ceux qui, après le 1er avril, porteront encore l’uniforme des colonialistes ou logeront près des postes militaires signeront d’eux-mêmes leur arrêt de mort ».
Message du FLN, Wilaya 5, adressé au maire de Bou Adam le 19 mars 1962.
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« Toutes les dispositions ont été prises pour qu’il n’y ait pas de représailles »
Discours de Georges Pompidou, Premier-Ministre, à l’Assemblée Nationale le 27 avril 1962.
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L’historien Jean-Charles Mauffret estime à 80 000 le nombre des Harkis et Moghaznis massacrés après l’indépendance.
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Groupe Facebook "25 septembre Journée nationale des Harkis" ici.
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En direction de la ville, l’entrée de la citadelle n’est pas entourée de murs, mais seulement de grilles. Faisant face à la foule hurlante [qui fête l’indépendance], j’observe un vieux Harki, seul. C’est le vieux Dine Ben Larbi, un ancien Spahi de l’Armée d’Afrique. Il a perdu femme et enfants pendant la guerre. On lui confie encore quelques tâches ménagères.
Je m’avance derrière lui pour l’inviter à se mettre à l’abri. Il se retourne. Je vois son visage baigné de larmes. Il me dit : « Ne me regarde pas mon Lieutenant, ne regarde pas un homme qui pleure. Mais moi tu vois, tout seul, je crie encore : Vive la France ! ».
Il se retourne et, s’avançant vers la foule hurlante, crie :
« Vive la France ! Vive la France ! Vive la France ! ».
François Meyer, 7 juillet 1962, Géryville
12:56 Publié dans Algérie, Cavaliers, Harkis, Mili-Livre | Lien permanent | Commentaires (8)
Commentaires
"Nous n’avons pas de liens spécifiques avec l’Algérie ; nous ne sommes ni d’origine pied-noir, ni algérienne ; nous sommes nés après 1962 ; nous n’avons pas perdu de papa ou de tonton pendant le conflit." dites vous. Mais l'Algérie fait partie de notre histoire, viscéralement, qu'on le veuille ou non de chaque côté de la Méditerranée. Et pour longtemps. C'est une cicatrice qui est loin d'être guérie, l'Algérie, hélas. Né avant 62,j'ai de souvenirs d'enfant assez précis des dernières années. pas beaux. L'honneur de ne pas avoir abandonné "ses" harkis est immense, et assez rare pour être signalé. Merci d'avoir signalé cet ouvrage.
Écrit par : Infos des Milis | 28/03/2015
Merci ! L'honneur pour certains, dont le Général Meyer n'est pas un vain mot.
Écrit par : UPpL'E | 28/03/2015
Cher camarade
Bravo pour le service rendu aux harkis et moghaznis , je fais partie de l'association des affaire algériennes avec Abolivier et je te félicite pour tous ces témoignages
Amitié
Commissaire général (2S) paul gantois
Écrit par : gantois | 26/06/2016
Merci pour votre commentaire. Nous l'avons fait suivre à notre ami Meyer.
Écrit par : UPpL'E | 27/06/2016
Bonjour,
Je cherche des informations sur mon grand-père, spahis en Algérie et marié à une pied noir d'Algérie, qui a sans doute connu le GAL Mayer, car il me semble qu'il a fait partie de ceux qui ont rapatrié des Harkis en Lozère.
Serait-il possible de contater le GAL Meyer à ce sujet ? Son nom : François d'Eimar de Jabrun. Merci beaucoup !
Écrit par : de Jabrun | 09/01/2020
Bonjour. Je vous envoie un message.
Écrit par : UPpL'E | 10/01/2020
grand merci pour votre engagement. suis reconnaissante pour votre oeuvre et action remarquable. je n'oublie pas les moments ou j'ai travaillé avec vous à Lille au cabinet du gouverneur militaire et surtout à la commission armées jeunesse à Paris de 1988 à 1992. que de rencontres intéressantes... j'aimerai si possible un contact.
Écrit par : joelle deconinck (ex vallin) | 30/12/2018
Merci pour votre commentaire. Nous vous adressons par mail les coordonnées du GAL Meyer.
Écrit par : UPpL'E | 30/12/2018
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