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23/06/2016

« Envoyez les hélicos ! », COL Pierre Verborg, 4e, 5e RHC. Editions du Rocher

Droits réservés. Photos EMA/ECPAD issues du livre.

 

 « Ne blâme pas Dieu d’avoir créé le tigre, remercie-le de ne pas lui avoir donné d’ailes ».

Proverbe indien, rapporté par le CDT Brice Erbland in « Dans les griffes du Tigre »

 

Tigre, Puma, Cougar… vous n’avez certainement pas envie d’en croiser un au coin de la rue. Alors, imaginez lorsqu’en sus, les bébêtes sont maniées par un ours… Même la délicate Gazelle se fait tueuse…

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Avec « Envoyez les hélicos ! », les fauves de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre sont lâchés. Ce livre est bien à l’image de son auteur, le Colonel Pierre Verborg, ALATman surnommé « Grizzli » : percutant ! Abordant en détail sa campagne Libyenne, rappelant ses jeunes années à Berlin où il « vit » la chute du mur, ses missions en ex-Yougoslavie (dont l'évacuation de l'ambassade de France en Albanie, récit inédit), en Côte d'Ivoire et au Mali, il prend aussi le temps de poser son hélico et d'évoquer son ressenti, le rapport aux hommes, le rôle de chef...

Un livre « toutes griffes dehors » absolument passionnant, qui fait honneur à l'ALAT, arme majeur dont nous connaissons tous, désormais, le caractère ultra-stratégique.

Le lecteur est invité dans l’intimité des équipages et des salles de briefing ; il y entendra parler de « meute en chasse » ou découvrira subrepticement le « pseudo » de l’auteur : grizzli ! Mais le lecteur ne devra pas s’arrêter à ce bestiaire, car derrière l’ours, dont il a la rugosité, se cachent d’autres animaux : le rusé renard et le mâle alpha, paternel chef de meute. Surtout, il rencontrera un homme, un officier que je connais bien et dont j’apprécie les belles qualités.

Général d’armée (2S) Bertrand Ract-Madoux, CEMAT 2011-2014

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- Je viens d’être appelé, il y a une grosse manœuvre à Mailly (camp d’entraînement en Champagne). On part avec quelques hélicoptères pour deux ou trois semaines.

Un peu étonnée de ce départ soudain, ma femme scrute ma tenue de combat Félin et ne manque pas de noter mes bottes couleur désert… Puis elle me fusille en quelques mots :

- C’est nouveau du sable africain à Mailly ?

Mai 2011, Pau. Départ « secret » pour l’opération Harmattan.

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Briefing pré-opération. A droite Pierre Verborg

Les combats qui nous attendent seront de haute intensité. J’ai besoin d’un groupe qui saura regarder la nuit sans pâlir et la terre sans rougir, manœuvrant avec une détermination de fer. J’ai besoin d’un groupe imprégné des enjeux de la mission avec un sens inné de la mesure et du dosage, capable de développer des facultés d’adaptation permanentes et une cohésion puissante et communicative. Il va falloir diffuser de l’énergie pour ne rien céder.

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Dans nos cockpits, la tension et la concentration sont palpables. La chaleur libyenne est moite et lourde, collant à même la peau tout notre barda sous une transpiration permanente. J’aperçois sur les côtés de mon appareil l’ombre des hélicoptères séparés de quelques centaines de mètres. Ombres furtives qui glissent sur l’eau, invisibles pour un œil de néophyte. Tant mieux, la nuit doit nous appartenir.

Juin 2011, au large de la Libye.

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A l’intérieur du Puma règne un calme absolu. Court moment de répit que je mets à profit pour chercher notre adversaire. Avant le choc, il est bon de s’imprégner de l’ambiance, de la moiteur de la nuit, sentir le terrain, la mer et le vent, presque devenir l’ennemi qui est respecté (…) Ou te terres-tu ? Nous vois-tu ? Que nous prépares-tu ?

Tout se déroulait trop bien. A peine ai-je sorti la tête que le son d’une voix particulièrement tendue rompt le silence radio :

- Grizzli, ici Texas. Interception radio ennemie, ils viennent de nous voir passer. Ils ont le visuel sur trois petits hélicoptères et un gros. Ils donnent les ordres de tir. Ça tire dans 30 secondes !

Côte libyenne.

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Libye, départ du missile anti-aérien visant les hélicoptères français

Le temps suspend son vol : j’aperçois haut dans le ciel un missile sol-air qui laisse un panache de fumée fin : sa tête chercheuse n’a pas accroché le Tigre et il cherche une autre proie. La courbe descend vers notre Puma : il a trouvé sa cible (…) Tout va trop vite et tout va trop lentement. « M… » ai-je à peine le temps de penser.

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Libye, le champ de bataille

Nos tirs de missiles, de roquettes et de canons déchirent soudainement le ciel. Les flashs des départs de missiles et les coups au but illuminent la nuit par éclairs successifs.

(…)

Au retour, on me racontera que sur le BPC [bâtiment porte-hélicoptères] toutes les personnes restées sur le pont ont assisté hypnotisées à ce spectacle sans nom.

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Si l’on veut vaincre, il faut un engagement total, mettre les mains dans la glaise et pas à moitié. Au combat, le manque d’engagement ne paye jamais, il tue.

***

verborg.JPGLe Colonel Pierre Verborg, Dolo, Ecole de Guerre, au passé de cavalier (11e RCh), est officier supérieur de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre, totalisant plus de 3300 heures de vol. Il notamment œuvré aux seins des 4e et 5e RHC, participant à de nombreuses OPEX en Ex-Yougoslavie, Côte d’Ivoire... En 2011, il est à la tête du Groupement Aéromobile de l’opération Harmattan sur la Libye, menant la charge des Tigre, Cougar et Gazelle à partir du BPC Tonnerre. En 2013, il est adjoint du Colonel Frédéric Gout commandant le GAM lors de l’opération Serval au Mali. Il est désormais chef de corps du 3e RHC d’Etain. [photo : Pierre Verborg sur le BPC Tonnerre pendant Harmattan]

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Avec le Colonel Verborg.

Si l’homme porte bien son surnom de grizzli et est un rien impressionnant, c’est dans un contexte guerrier ; en dehors de celui-ci, en l’occurrence au Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan en juillet 2015, il nous a reçus avec la bienveillance d’un gentil nounours :)

A noter derrière nous, des auteurs dont les livres ont été abordés sur le blog : le padre Jean-Yves Ducourneau, le CNE (r) Raphaël Krafft et le LCL Hubert le Roux.

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ISBN 978-2268075181 – Prix 18,90€ - 228 pages - Format 22x14,5 – Cahier-photo couleur

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Aux Editions du Rocher, disponible ici

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Hommage

Au LTN Mathieu Gaudin, 3e RHC, mort pour la France en Afghanistan,

Au LTN Damien Boiteux, 4e RHFS, mort pour la France au Mali,

A tous les ALATmen morts pour la France, morts en service commandé.

Aux blessés.

On a deux familles dans la vie : celle avec laquelle on naît, et celle avec laquelle on risque de mourir.

COL Pierre Verborg

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Combattre, perdre et se relever, vaincre aussi parfois, confère une force intérieure qui aide à s’affranchir de la comédie humaine du quotidien et donne un peu de profondeur et de piment à nos actes. Cette force ne nous exempte de rien, voire nous oblige, mais ne laisse aucune place pour le mensonge, le diktat des apparences et l’illusion des acquis.

COL Pierre Verborg

 

 

 

 

09/07/2015

« Paroles de soldats », LCL Hubert le Roux & Antoine Sabbagh, éd. Tallandier

Extraits publiés avec l’aimable autorisation des auteurs. Droits réservés.  

 

« La parole qui, trop souvent, n’est qu’un mot pour l’homme de haute politique, devient un fait terrible pour l’homme d’armes. 

Ce que l’un dit légèrement et avec perfidie, l’autre l’écrit sur la poussière avec son sang. »

Alfred de Vigny

 

L’indifférence conduit à l’oubli. Tout homme ayant le sentiment de subir cet état de fait le vit comme une souffrance et nous le disons avec tristesse, mais c’est ce qu’éprouvent nombre de nos soldats : l’indifférence de leurs compatriotes. C’est d’autant plus cruel que la nation leur demande tant de sacrifices : éloignement de leur famille pendant des mois, enfants qui naissent et grandissent au loin, confrontation à des situations dramatiques voire traumatisantes, risque d’être blessé, tué… 

Certains diront : « Ils ont choisi ». Certes. Mais en quoi ce choix autoriserait les Français à rester indifférent à leur sort, alors que ce sont ces mêmes Français qui les envoient au combat ?

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Alors, pour lutter contre l’indifférence, rien ne vaut la parole : raconter, décrire, expliquer, se livrer. Heureusement, la « Grande Muette » relève du mythe. Les soldats parlent, écrivent. Mais publier un livre n’est pas donné à tout un chacun. Partant de ce principe, le LCL Hubert le Roux et Antoine Sabbagh ont décidé de se positionner non en auteurs, mais en porte-paroles : Ils ont ainsi sillonné la France, collectionnant des interviews de combattants des différents théâtres d’opérations, du Liban à la RCA. Ils les ont ensuite retranscrits, in extenso. Ainsi est né « Paroles de soldats ». Un livre de fait et de par son style « brut de fonderie », ce qui le rend d’autant plus percutant…

« Paradoxalement, la guerre n’a jamais été aussi présente dans les imaginaires. Romans, séries, films, bandes dessinées, la guerre est partout. Sur fond de rap et de guerre urbaine pour Call of Duty (…) la guerre est bien là, mais vécue comme une épopée révolue ou une fiction et la fascination qu’elle suscite est inversement proportionnelle à l’oubli dans lequel sont tombés les soldats. »

Continuer à parler, soldats de France. Nous sommes plus nombreux que vous ne le croyez à vous écouter, à ne pas être indifférents, à ne pas vous oublier. Et quand bien même nous ne serions qu’une poignée aujourd’hui, ne présageons pas de l’avenir : il suffit d’une petite chaussette rouge sang, oubliée au milieu d’un linge immaculé, pour étendre après lessive de beaux draps roses…

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Mes camarades savaient que j’étais en dessous, mais je ne répondais pas. J’étais mort. En fait, j’étais toujours en vie, mais entre la vie et la mort. La souffrance est tellement forte. Des bouffées de chaleur m’envahissaient. J’étais complètement perdu. Et puis, à un moment, j’ai oublié la souffrance. J’ai pensé à ma famille. Je me suis senti bien. Et là, j’ai vu de la lumière. Les sauveteurs avaient encerclé le trou. Une main s’est tendue vers moi.

CPL Daniel, 1983, attentat du Drakkar, Beyrouth, Liban.

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Toutes les positions irakiennes sont embossées. Ils sont dans leurs trous. Il n’y a que nous qui bougeons. Quand on a face à nous des engins embossés, on demande un tir d’artillerie. Boum ! Boum ! Boum ! On observe le tir. Ça commence à bouger. Ca riposte un peu. L’ALAT arrive. Boum ! Boum ! Boum ! Ça balance les missiles et après nous on tire. Je me souviens plus de mon indicatif. Les rouges, machin, feu ! On tire ! Et puis, pouf, drapeau blanc.

Patrice, chef de peloton de chars, 1990, opération Daguet, Guerre de Golfe, Irak.

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J’avais déjà vu des morts. Nos morts. Nos beaux morts dans les cercueils. Refaits, pour être présentés à la famille. Mais comme ça, non… En plus de ça, de voir le traitement des cadavres, jetés, ramassés, jetés… C’est de la viande. C’est quelque chose de dégoutant dont il faut se débarrasser rapidement. Les Rwandais, je sais pas si ça leur faisait rien, mais vu de l’extérieur, aucune émotion. Ils regardaient, mais rien. Moi je prenais beaucoup de recul par rapport à tout ça : une protection, ouais. L’impression de vivre à côté de moi. D’avoir le moi physique présent et d’en être spectateur. 

ADJ Jean-Louis, 1994, opération Turquoise, Rwanda.

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A mesure que le temps passait, on avait l’impression que, depuis le début, on nous avait raconté n’importe quoi. On était parti défendre les Bosniaques opprimés par les méchants Serbes ! Et quand vous arrivez au premier check point serbe et qu’ils vous disent « Soldats français gut ! Mitterrand pfff ! » en tournant le pouce vers le bas, vous voyez bien que c’est pas ce qu’on nous avait dit. Les Bosniaques, eux, ils nous ont « rafalés » d’emblée.

Jean, électromécanicien, 1994, Sarajevo, Bosnie.

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D’ap. photo Thomas Goisque

Pour moi, les Talibans ne combattent pas pour des motifs religieux, mais pour leurs intérêts personnels (…) Ils avaient une vision de l’Islam un peu sauvage, un peu barbare (…) L’Islam, je le vois comme ça, ne peut pas imposer à quelqu’un de faire ses prières, de faire le Ramadan, de ne pas manger de porc, si ça ne vient pas de son cœur. Faut que ça vienne de la personne. On peut expliquer que c’est bien de faire comme ça, mais l’imposer, voire tuer pour que les gens basculent dans la religion musulmane : non. Le Djihad, on me l’a jamais enseigné comme ça. Le Djihad, c’est l’époque du Prophète, quand on attaquait les intérêts de l’Islam sur le sol de La Mecque. Après, moi j’ai un autre Djihad, que mon père m’a appris : c’est l’éducation des enfants pour qu’ils fassent quelque-chose de leur vie.

Dahhaoui, sous-officier musulman, 2011, Tagab, Afghanistan.

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D’ap. photo Alexandre Paringaux

Ce n’est ni la première ni la dernière fois que je tire. La première fois, mon cœur s’est emballé. Le stress, l’adrénaline, ont mis du temps à redescendre. Après, je n’ai plus jamais eu de stress. Quand je tire des bombes, il y a potentiellement des gens, que je vois ou que je ne vois pas. C’est peut-être un peu froid, mais ça ne me fait rien. Je ne suis pas un combattant, je ne combats pas avec mon FAMAS. Je suis loin. 

Benjamin, pilote, 2011, opération Harmattan, Libye.

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ADJ  Harold Vormezeele, 2e REP, mort pour la France au Mali 

La mort de Vormezeele ? Putain, oui, on l’a sue tout de suite (…) Ça fait mal au cœur. Moi, côté renseignement, je me dis : « Est-ce que j’ai bien géré la situation  pour le préparer, pour qu’il ait tout pour se sauver ? » Vormezeele, il avait trente-deux, trente-trois ans. On se connaissait bien, depuis huit ans, on avait fait des missions ensemble. C’est moi qui suis rentré à la morgue, à l’hôpital, pour le couvrir et le ramener. C’était costaud de le voir comme ça en sachant comment il était avant, avec l’envie de combat, de chercher l’aventure et tout ça. Putain, la vie elle est rien !

ADC Cristian, 2013, opération Serval, Mali.

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On était une trentaine, même pas une section. Les mecs commençaient à nous contourner derrière avec des machettes. Ils avaient les yeux bleus, un cercle bleu autour des pupilles. Ils devaient prendre je ne sais quelle drogue. Ils étaient complètement shootés, complètement alcoolisés. Avec eux, il y avait plein d’enfant. Ils les mettaient devant eux en sachant que nous, les soldats français, on n’allait pas tirer (…) A ce moment, j’ai vu se planter devant moi un gamin de cinq ou six ans avec un bébé dans les bras. Un bébé de deux mois, pas plus. Au début, j’ai cru que le bébé suffoquait, qu’il nous l’amenait pour qu’on le soigne. Avant même qu’on puisse faire quoi que ce soit, le gamin a pris le nouveau-né à bout de bras et l’a jeté au sol. La tête s’est fracassée sur le bitume.

SGT Benoît, opération Sangaris, Bangui, RCA.

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La reprise du travail a été compliquée. Je dormais, je faisais pas trop de cauchemars, mais ce qui avait le plus changé chez moi, c’est que j’étais peut-être devenue un peu moins sensible face à certaines pathologies. Ça s’est beaucoup vu lorsque j’ai fait mes premières gardes aux Urgences. Les patients me disaient qu’ils avaient mal, ils souffraient réellement, mais pour moi, ils avaient leurs deux bras, leurs deux jambes, ils me parlaient, tout allait bien… Je voulais pas entendre ces souffrances-là et c’est pour ça que j’ai été voir un psy. Depuis, clairement, ça va mieux, mais c’est vrai que je suis peut-être devenue plus insensible à ce niveau-là.

Julie, infirmière,  de retour de mission à l’hôpital international militaire de Kaboul, 2010, Afghanistan

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D’ap. photo Philippe de Poulpiquet

J’ai déplié la banquette devant la télé. On y a dormi juste avant son départ et il y a encore son odeur sur l’oreiller. Le matin, je ne lave pas les draps. J’ai le sentiment de dormir un peu plus avec lui. Je mets le traversin vertical dans le lit, comme ça, les premières nuits, j’ai la sensation de renvoi de chaleur, de ne pas être toute seule. C’est curieux ce qu’on fait des fois ! (…) Donc je dors dans la salle télé, je regarde des trucs en attendant le coup de fil. Je l’attendais vers 10h, il est 10h30. Et là, mon portable sonne. C’est Violaine, mon amie médecin. (…) « Tu tombes bien, j’entends du bruit en bas de chez moi » « T’inquiète pas, c’est nous ». (…) Je descends, j’allume la lumière, j’ouvre la porte, je vois Violaine. A côté d’elle, il y a son mari en grand uniforme. Il y a aussi la femme du chef de corps et le chef de corps, lui aussi en uniforme (…) et là, j’ai un flash.

Alice, veuve de guerre.

***

IMG_0056BIS.jpgLe Lieutenant-Colonel Hubert le Roux est officier supérieur d’active. Il a été chargé du recrutement des sous-officiers et hommes du rang de l’Armée de Terre. On lui doit, outre « Paroles de soldats », une biographie de Lartéguy, publiée chez Tallandier.

Antoine Sabbagh est historien et éditeur, ancien professeur de la Sorbonne et de l’Université de Columbia dans le cadre de son programme parisien. 

Photo : rencontre avec le LCL le Roux au Salon du Livre de Paris 2015.

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ISBN : 979-1021004849 - prix 20,90 € - format 21,5 x 14,5 - 464 pages.

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Aux éditions Tallandier. Disponible ici

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Hommage

Aux soldats.

Les hommes de guerre sont de l’espèce qui se rase pour mourir. Ils croient à la rédemption de l’homme par la vertu de l’exercice et du pas cadencé. Ils cultivent la force physique et la belle gueule, s’offrant le luxe des réveils précoces dans les matins glacés et des marches harassantes pour la joie de s’éprouver.

Ce sont les derniers poètes de la gratuité absolue.

Jean Lartéguy

*

Hommage

Aux conjoints, familles, proches des soldats.

C’est pour la Femme de militaire qui se lève tous les jours à 6h pour préparer les vêtements et le petit déjeuner pour ses enfants dont elle est seule à s’occuper. C’est pour la Femme de Militaire enceinte qui se demande si son homme sera rentré à temps pour voir venir au monde son enfant. C’est pour la Femme de Militaire qui habite une nouvelle ville et qui fait face à un nouveau départ sans avoir eu le temps de se faire des amis. C’est pour la Femme de Militaire qui annule ses projets du samedi soir pour rester près du téléphone, même si elle sait que la conversation sera pleine de grésillements et toujours trop courte. C’est pour la Femme de Militaire qui pleure en s’endormant dans un lit trop froid. C’est pour la Femme de Militaire qui se laisse aller à la détresse en se demandant si elle pourra revoir son homme vivant. C’est pour la Femme de Militaire qui a l’impression de mourir à l’intérieur chaque fois qu’il dit qu’il doit s’en aller, mais qui sourit malgré tout. C’est pour la Femme de Militaire qui fait la queue à la Poste avec un colis dans les bras en se demandant si les gâteaux seront toujours moelleux en arrivant. C’est pour la Femme de Militaire qui dine seule en s’inquiétant parce que cela fait plusieurs jours qu’elle n’a pas de nouvelles de « là-bas ». C’est pour la Femme de Militaire qui a des papillons dans le ventre en voyant son homme descendre du bus au retour d’OPEX. C’est pour nous toutes, pour les Femmes de Militaires tristes, les Femmes de Militaires seules, les Femmes de militaires fortes, un toast à nous, parce qu’un chèque de paie ne console pas, un oreiller à serrer dans ses bras n'est pas suffisant, une webcam n'a rien à voir avec la réalité, expliquer à un enfant qui pleure que papa ne reviendra pas avant 4 longs mois est ou sera notre lot à toutes, et que les femmes de civils n'ont pas idée de ce que c'est de sentir tous les jours que quelque chose vous manque. Nos soldats sont courageux, mais nous le sommes aussi. 

A.M, femme de militaire.

***

*

J’ai tout dit [à ma femme]. Pas sur le moment, parce que je ne voulais pas qu’elle s’inquiète mais, une fois rentré, je lui ai raconté. A mes parents aussi. 

Je pense qu’il faut que les gens sachent ce qu’on fait. 

Autrement, ils vivent un peu dans les nuages…

LTN Vianney, 126e RI, in « Paroles de soldats".

 

 

 

 

 

 

01/03/2015

« Dans les Griffes du Tigre », CNE Brice Erbland, 1er RHC, Ed. Les Belles Lettres

v2. Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de leurs auteurs. Droits réservés. Merci de nous consulter si vous souhaitez les réutiliser.

 

 

Le soldat n'est pas un homme de violence. 

Il porte les armes et risque sa vie pour des fautes qui ne sont pas les siennes.

Antoine de Saint-Exupéry

 

Février 2013. Ce blog n’existe pas. Le RER m’emmène au Bourget où se déroule le salon de la formation aéronautique. Je ne m’y rends pas pour une reconversion professionnelle, ni même pour le beau musée de l’air qui l’accueille. Je vais à la rencontre du CNE Brice Erbland. Il y dédicace « Dans les griffes du Tigre » que je viens de terminer. C’est une première : je n’ai jamais rencontré de soldat-auteur. Je n’ai fait que les lire…

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Peut-être que la discussion qui s’en est suivie (après avoir repoussé l’équipe de France 2 au grand complet pour arriver à l’atteindre) ; peut-être que la photo prise à ses côtés (- C’est la première fois que je fais un truc pareil :) - Moi aussi :)) ou encore les mots qu’il m’a dit les yeux dans les yeux, remerciements sincères pour mon intérêt envers les soldats, ont-ils été à l’origine de la création de ce blog. C’est même certain, car il y eut comme une étincelle dans ma tête : ces garçons et ces filles sont formidables, ce qu’ils écrivent est formidable, mais on en parle si peu. Comme c’est dommage…

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Quelques semaines plus tard, Une Plume pour l’Epée naissait. Brice est donc, d’une certaine manière, notre parrain.

Mais parlons de « Dans les Griffes du Tigre ». Ce récit est l’un des rares témoignages sur l’action des aviateurs « légers » de l’Armée de Terre et sur l’opération Harmattan en Libye. A ce titre, il est incontournable pour tous les fans d’histoire et d’autobiographies mili. Mais ce n’est pas ce qui le classe parmi les beaux-grands témoignages militaires. Brice place en effet son discours dans le registre de l’intimité de l’âme. Il n’aborde pas seulement la vie opérationnelle d’un pilote d'hélicoptère, préparation de mission/mission/debriefing, mais également, et surtout, dans le ressenti du combattant : Tirer. Tirer, oui mais. Ne pas tirer. Tirer malgré tout. Tirer et tuer. Tuer, et après ?...

Un livre profond. Le guerrier se met à nu. 

Morceaux choisis :

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Photo José Nicolas auteur de « Task Force La Fayette ». 

Installée dans le poste de commandement du groupement tactique auquel appartient la compagnie en difficulté, ma patrouille suit le déroulement du combat à la radio et observe minutieusement la carte où sont reportées les positions des nôtres. Cela fait plusieurs dizaines de minutes que nous bouillons intérieurement en ne nous posant qu’une seule question : mais qu’attendent-ils pour nous envoyer là-bas ?

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Photo Thomas Goisque, coauteur de « Haute-Tension »  et « D’ombre et de poussière » 

Je suis encore à deux ou trois minutes de vol de la zone de combat. Je sais qu’il va falloir faire vite, car chaque seconde qui passe risque de voir un soldat français être blessé ou tué. Mais il est hors de question de faire quoi que ce soit tant que je ne suis pas sûr de voir toutes les positions occupées par la compagnie. Dans le cas contraire il y aurait toujours un risque de tirer sur une position amie. Le tir fratricide, encore plus que le dommage collatéral, est ma hantise.

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Afghanistan. Le Tigre de Brice Erbland [attesté par Brice lui-même d’après le code porté par l’hélico], photo Alphonse-Bernard Seny, auteur de « Le temps de l’action » 

Les rafales courtes se succèdent ; j’ai vaguement conscience dans ma vision périphérique des gerbes d’étincelles qui déchirent la nuit à l’avant de mon canon. Je ne vois plus que mon écran, je ne vois plus que le cercle en son centre qui entoure deux paires de jambes et qui soudain ne laisse place qu’à un épais voile de poussière. La scène n’est plus visible et nous avons le temps d’effectuer deux tours supplémentaires avant que le nuage se dissipe. Ma caméra est toujours pointée sur l’objectif, mais les deux paires de jambes n’apparaissent plus à l’écran.

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« Tigre Saint-Michel/ailes d'ange », photo Guilhem, Kaboul 2009.

Je ne regrette absolument rien, car ce soldat aurait pu abattre l’autre Tigre. En quelque sorte, c’était lui ou mes deux camarades. Je n’ai même pas eu à choisir tant la décision était évidente. Dans la pénombre de ma bannette, pourtant, je ressens un certain malaise. Ma victime a beau ne pas être la première, loin de là, elle n’en reste pas moins un être humain. Cette réaction m’apaise, d’une certaine façon, car elle prouve que je reste malgré tout humain, baigné dans la considération et la sacralisation toute occidentale et chrétienne de la vie. Ma spiritualité a d’ailleurs grandement évolué depuis mon passage en Afghanistan. Le contact avec la mort a réveillé en moi un besoin que je croyais absent de mon cœur et de mon esprit. Alors, écoutant mon malaise, je prie pour ce soldat que j’ai tué.

Au large de la Libye

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Capitaine Brice Erbland

La mort est ainsi une comparse imposée lors de ces opérations. Dieu merci, je n’ai jamais eu à affronter la perte d’un camarade ou d’un subordonné, et je prie pour ne jamais avoir à y faire face. De nombreux soldats français y ont malheureusement été confrontés. Sur le terrain, ils doivent côtoyer la mort tous les jours et sont obligés de la provoquer de temps en temps. Mais malgré une préparation psychologique, malgré la conscience que le métier des armes peut impliquer de tels actes, ces derniers représentent de véritables chocs pour ceux qui les vivent. Chacun doit alors gérer ses émotions à sa façon. Certains semblent imperturbables, mais je reste persuadé qu’ils bouillonnent intérieurement, d’autres ont besoin de partager leurs sentiments. 

Dans le monde qui a perdu le contact avec la tragédie de la guerre, aucun non-combattant ne peut imaginer la transformation radicale qui s’opère chez nos soldats après avoir vécu de tels moments.

 

***

photo-escadrille-erbland.jpgSaint-Cyrien, le Capitaine Brice Erbland sert au 1er Régiment d’Hélicoptères de Combat de Phalsbourg. Pilote de Gazelle et de Tigre, il participe aux opérations en Afghanistan et Libye. En juillet 2012, pour ses actions au combat, il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur. 

Actuellement détaché au Ministère de la Défense, Brice est marié et père de 4 enfants. 

Nous avons la chance de bien connaître Brice. Nous avons également entendu des mots élogieux sur son compte, de la part de deux amis dont l’un a été son « boss » et l’autre est un padre célèbre ; mais nous ne rapporterons pas ces propos, pour ne pas blesser la modestie du capitaine… Vous pouvez cependant vous faire une idée du « bonhomme » en regardant cette vidéo, reportage de France 2 qui a reçu le prix Schœndœrffer 2014 [hé oui, c’est bien votre serviteur que vous apercevrez fugacement - mais je ne sais pas pourquoi on m'a "collé" en couverture !].

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Sur fond bleu cobalt ALAT, nos multiples rencontres avec Brice Erbland, désormais un familier de nos photos de groupies : Salon de la Formation Aéronautique 2013 au Bourget, 20h de France 2, Salon du Livre 2013 à Paris, Festival International du Livre Militaire 2013 à Coët’, Salon des Ecrivains-Combattants 2014 à Saint-Mandé…

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ISBN-13: 978-2251310046 – Prix 15,90€ – format 12,5x19, 108 pages, cahier-photo couleur

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Aux éditions Les Belles Lettres

Disponible ici

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« Dans les griffes du Tigre » a été distingué en 2013 par le prix spécial de la Saint-Cyrienne, le prix « L’Epée et la Plume » et la mention spéciale du prix Erwan Bergot. Photo ci-dessus : Brice est aux côtés du GAL Patrick Champenois, auteur de « La chamelière de Bouyade », prix de la Saint-Cyrienne 2013 et du SGT Christophe Tran Van Can, 21e RIMa, auteur de « Journal d’un soldat français en Afghanistan », coécrit avec Nicolas Mingasson, prix de la Saint-Cyrienne 2012.

 ***

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Hommage

Au LTN Matthieu Gaudin, 3e RHC, mort pour la France en Afghanistan,

Au LTN Damien Boiteux, 4e RHFS, mort pour la France au Mali,

A tous ceux morts pour la France, 

Aux morts en service commandé, avec une pensée pour ceux qui ont péri avec leurs camarades Dragons-Paras lors du crash de leur Cougar en 2009, au large du Gabon,

Aux blessés.

Avec le salut fraternel du Chasseur et le la Russe-blanc aux protégés de Sainte-Clothilde.

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Photo de Thomas Goisque

Combien d’hommes peuvent se targuer d’écrire l’Histoire, sinon d’en être acteur ?

Qui aujourd’hui vit intensément, non pas au travers d’un écran, mais ressentant les choses réellement ?

Qui est prêt à accepter la peur, le contact de la mort, le sacrifice de sa famille, pour la maigre gloire personnelle qu’est la fierté de servir son pays ?

 CNE Brice Erbland