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19/10/2016

« Les enfants de Loyada », MAJ (er) Jean-Luc Riva, éd Nimrod

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur et des éditions Nimrod. Droits réservés.

 

 

Ils ne savaient pas que c’était impossible ; alors ils l’ont fait.

Marc Twain

 

L'histoire militaire est faite de drames et de grandeur. Mais la mémoire est courte, voire sélective quand la politique s'en mêle. De ce fait, certaines actions, quand bien même menées héroïquement, restent dans les limbes, aussi cruel cela soit-il pour leurs "acteurs", les victimes, les combattants. Un exemple parmi d'autres : qui a entendu parler de Loyada ?
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Rappelons le contexte : Il y a quarante ans, alors que Djibouti, alias Territoire français des Afars et des Issas, est promis à l'indépendance, un commando du FLCS prend en otage trente-et-un enfants de militaires français dans un car scolaire, conduit par un appelé du contingent de 19 ans, Jean-Michel Dupont. Alertés, les Gendarmes du poste de Loyada bloquent le véhicule. D’un côté de la frontière, les troupes somaliennes se déploient. Du côté français, la 2e Cie du 2e REP et les AML de la 13e DBLE prennent position, rejoints par des tireurs d’élite du GIGN, nouvellement créé par Prouteau. Le chef de la gendarmerie locale, Jean-Noël Mermet, le Haut-commissaire adjoint, Jean Froment, le consul somalien (au jeu trouble), tentent de négocier avec les terroristes. Afin de calmer les enfants, une assistante sociale, Jehanne Bru, se porte volontaire pour rejoindre le car…


Il n’est pas simple d’aborder sous forme de recension un tel livre : il se lit d’une traite. On ne peut que féliciter Jean-Luc Riva, sur le fond - remettre à l’honneur cette opération quasi oubliée, pourtant fondatrice du GIGN et ajoutant à la gloire du REP ; et sur la forme : vous ne faites pas que lire, vous vivez l’instant dans toute sa dramaturgie.


Quatre hommes attendent et observent. L'un d'eux vient de s'avancer jusqu'à la lisière. Toute son attention se porte sur le ramassage scolaire qui s'effectue sous ses yeux. A ses pieds, dissimulés dans un sac de toile de jute, une arme, quelques chargeurs et des grenades. Son regard ne quitte pas le gros car vert, celui auprès duquel le chef de bord s'agite pour faire monter les enfants les plus jeunes. Ils sont encore quatre ou cinq à attendre de monter, c'est le moment ! Un signe et les quatre hommes sortent leurs armes des sacs et se mettent à courir vers le car de Jean-Michel Dupont.

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Jean-Michel se lève de son siège et regarde les enfants. Ils sont dans un nuage. Tous ces bambins ont l'impression d'être dans un western et aucun d'eux ne semble avoir pris conscience du danger qui les menace. Les larmes et les cris de tout à l'heure ont cessé. Pour passer le temps, ils mangent les quelques gâteaux et bonbons que leurs mères ont mis dans les cartables tout en regardant les hommes qui, à l'extérieur, leur font des signes d’encouragement. Comment ces enfants pourraient-ils se douter que c'est de leurs vies qu'il s'agit ?

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Le haut-commissaire adjoint Jean Froment en discussion avec le consul de Somalie, à proximité du car

La pagaille règne dans le bus. Jean-Michel Dupont a quitté son siège de chauffeur pour essayer de faire régner un peu d'ordre et calmer les gosses. Mais les enfants trépignent, s'agitent et demandent à descendre pour satisfaire leurs besoins naturels. Cela ne va pas pouvoir durer bien longtemps, pense Froment. Inquiet, il rejoint Mermet. Le gendarme l'interpelle : "Monsieur le haut-commissaire, il faut faire venir quelqu'un, une infirmière ou une maîtresse d'école, mais il faut calmer les enfants.
Jean Froment acquiesce d'un clignement de paupières sous son chapeau de paille. Son attention est surtout attirée par l'attitude du consul, qui a gagné le poste-frontière somalien à pied. Il le voit discuter avec les gardes somaliens en faisant de grands gestes. A quel jeu joue-t-il ?

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Ne montre pas ta peur se dit Jehanne Bru. En la voyant grimper dans le bus, le chauffeur Jean-Michel ressent un immense soulagement. Je ne suis plus seul ! Il a fait de son mieux pour distraire les enfants et les calmer lorsqu'ils s'agitaient, mais la crainte que l'un d'entre eux essaie de s'échapper ou craque nerveusement lui hante l'esprit en permanence. Les ravisseurs auraient-ils tiré ?

(…)

La petite Nadine Durand, qui souffre d'une rage de dents tenace, le rejoint pour se blottir sur ses genoux. Il lui fait prendre un peu d'aspirine afin de calmer sa douleur. Dès que celle-ci s'estompe, la petite fille adresse un beau sourire à Jean-Michel. D'ailleurs elle n'est pas la seule à venir parler avec lui. Peu à peu, il est devenu le héros des enfants, celui qui veille sur eux depuis le matin. Pourtant, certaines de leurs paroles naïves lui font froid dans le dos. "Dis; quand est-ce qu'ils vont te tuer, les méchants ? Eux, ils ne tuent pas les enfants ; mais toi, si, ils vont te tuer."

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Appuyé contre un palmier, Jean-Michel réfléchit une dernière fois à la trajectoire qu'il doit prendre, fait un pas puis fléchit sur ses jambes comme un sprinter au moment du départ. Il respire longuement et jette un ultime coup d’œil au bus. Il n'ira pas plus loin, son évasion s'arrête là. Il les a vus ! La silhouette de l'assistante sociale qui se penche sur les quelques têtes qui émergent à peine du bas des vitres du car, les mots terribles des gamins, leurs regards admiratifs aussi. "Tu es notre Superman !" lui ont-ils dit ce soir. Je dois pouvoir les aider, se dit-il en rejoignant finalement le car.

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Omar fait quelques pas en direction du car. Il regarde en direction du nord, là où les Français attendent, tapis dans la palmeraie. Il esquisse un sourire en pensant que jamais ils n'oseront attaquer. Ils ont bien trop peur qu'il n'arrive malheur à leurs chers petits ! Et puis il faut venir jusqu'ici dans le no man's land en traversant un glacis désertique de plus de 200 mètres. Ce serait un massacre.

(…)

Il fait maintenant 35°. Tout est moite et la sueur ruisselle sur leurs fronts ; les gouttes suivent un trajet vertical qui les amène sur les paupières qu'ils ont rivées à leur lunette. Dès que l'œil se décolle du caoutchouc, les petites gouttes de transpiration en profitent pour descendre encore. Alors, d'un revers de la main, les hommes les essuient jusqu'à la prochaine fois. Avec le soleil qui tape de plus en plus, le grossissement de la lunette allié à la chaleur provoque un effet de mirage qui fait danser le paysage devant leurs yeux. Et le sable ? Il s'infiltre au moindre mouvement ! Et il rentre partout, même dans les parties les plus intimes. Il leur faut une concentration à toute épreuve pour résister à la tentation de se gratter les burnes en permanence.

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Chacun des tireurs prononce mentalement le chiffre clé [pour coordonner le timing]. 333. Les réticules sont calés sur les têtes des ravisseurs. 333. La respiration est bloquée et l'index a rattrapé le jeu de détente. 333. L'index écrase sans à-coup la queue de détente. Une seule détonation, un léger nuage de sable qui s'élève et les six balles filent à 840 mètres/seconde vers leurs objectifs.

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C'est le signal de l'assaut. Les Légionnaires du 2e REP avec à leur tête le CNE Soubirou, le chef commande de l'avant, et les automitrailleuses AML de la 13e DBLE chargent. Deux cents mètres à parcourir sous le feu des soldats somaliens qui arrosent, tant les soldats français que le car.

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Ils y sont presque, les hommes du REP. Les bruits des balles et des moteurs d'AML ne parviennent pas à couvrir un son autrement plus dramatique qui enfle à mesure que les légionnaires avancent vers le car. Ce bruit, c'est celui des hurlements des enfants qui sont pétrifiés de peur. Jehanne Bru est au sol et le chauffeur Jean-Michel Dupont est recroquevillé sur sa banquette avec, autour d'eux, les gamins allongés qui se tiennent par les épaules comme pour se donner mutuellement du courage.

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A l'horreur va s'ajouter la cruauté. Idriss frappe [David] de toutes ses forces. Pas de la main, non ! Un grand coup de crosse circulaire, un coup monstrueux en plein visage. La puissance du coup est telle que la tête du petit David Brisson manque d'éclater. La joue de l'enfant est lacérée sur plusieurs centimètres tandis que la rétine de l'un de ses yeux se décolle sous le choc. Idriss n'en a cure. Il ramasse l'enfant pantelant et couvert de sang en l'attrapant par le col de sa chemise et le plaque devant lui, comme un bouclier. Vite ! se dit le caporal Larking, qui vient de monter dans le bus…


***


IMG_0013.jpgEn 1968, Jean-Luc devance l'appel pour rejoindre le 13e RDP le jour de ses 18 ans. Il suit une formation d'opérateur-radio puis est affecté en équipe de recherche. Il signe son engagement dans le régiment à l'issue de son service militaire. Sergent en 1970, il demeure en équipe de recherche jusqu'à son départ à l'état-major de Berlin en 1978. En 1981, il est affecté comme instructeur à l'ESM de Saint Cyr-Coëtquidan où il croise de futurs grands noms comme Denis Favier, futur patron du GIGN et DGGN, ou le futur Général Barrera avec lequel il rédige un document sur les Balkans (5 ans avant le début du conflit…). Après avoir réussi le concours des majors, il rejoint l’École Interarmées du Renseignement en qualité d'instructeur des futurs attachés de Défense affectés dans les pays de l'Est. Il effectuera jusqu'en 1994 de nombreuses missions à l'étranger dans le cadre de la mise à jour de la documentation relative à l'identification des matériels, en particulier en ex-Yougoslavie (92-93). Il quitte le ministère de la Défense en 1994 pour réintégrer la vie civile.

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Avec Jean-Luc Riva (au centre) et l’éditeur Nimrod (à gauche), au Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan 2016.
Vue la qualité de ce premier livre-témoignage, nous ne pouvons qu’inciter Jean-Luc à s’intéresser à d’autres opérations…
Et nous remercions à nouveau l’éditeur Nimrod pour son exemplaire collector, dédicacé par l’auteur et le CDT Prouteau.

Page FaceBook de l'auteur ici.


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« Les enfants de Loyada - La prise d'otages de Loyada et l'indépendance de Djibouti » par Jean-Luc Riva, préfaces du GAL André Soubirou et du CDT Christian Prouteau.


ISBN 978-2915243666 – Prix 21 € - Format 15x23, 288 pages, cahier-photo.

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Aux éditions Nimrod


Disponible ici
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Vidéo J.T. TF1 1976

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David Brisson


In memoriam


Nadine Durand, 8 ans, tuée par un terroriste,


Valérie Geissbuhler, 8 ans, décédée des suites de ses blessures,


Valérie, 8 ans, Marie-Laure, 8 ans, Josiane, 6 ans, Marie-Line, 7 ans, blessées par les terroristes et les soldats somaliens,


David Brisson, 5 ans, sauvagement frappé au visage par un terroriste et utilisé comme bouclier humain.


David, lui, ne s'en remettra jamais. Il ne bénéficiera d'aucun suivi psychologique - cela n'existait pratiquement pas à cette époque - et il devra vivre avec des blessures qui laisseront des traces indélébiles sur son visage comme dans son esprit. Sa mémoire gardera le souvenir du fracas de Loyada comme celui du bruit des vitres brisées par les balles, à tel point qu'un jour la projection d'un gravillon dans le pare-brise de la voiture le transportant provoquera en lui une crise de panique. Arrivé au bout du chemin, David choisira de quitter volontairement ce monde au mois de mai 2014.


Franck Rutkowski, 7 ans, pris en otage par le FLCS en Somalie,


A tous les enfants de Loyada.

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CNE Soubirou – LTN Prouteau


Hommage


Au LTN Doucet, blessé lors de l’assaut ; à ses camarades de la 2e Cie du 2e REP,


Aux tireurs d’élite du GIGN,


A tous ceux qui ont participé l’opération.

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Le chauffeur Jean-Michel Dupont, appelé du contingent, ayant la possibilité de s’échapper, est finalement retourné dans le car pour ne pas abandonner les enfants – Le gendarme Jean-Noël Mermet a tout tenté pour une issue pacifique.

Hommage à tous Ceux de Loyada


Et il y a les obscurs, ceux dont aucun livre ni journal n'a retenu les noms : Le Gendarme Jean-Noël Mermet, en poste à Loyada, le Haut-commissaire adjoint Jean Froment, Jean-Michel Dupont le chauffeur appelé et Jehanne Bru l'assistante sociale.
Peut-être parce que le héros doit toujours être un guerrier et que la guerre n'était pas leur métier. Mais sans eux, les guerriers n'auraient pas été les héros de Loyada. En gagnant du temps et en maîtrisant le comportement des enfants, ils ont permis à l'action de libération des otages de se dérouler dans les meilleures conditions. C'est grâce à eux que les gendarmes du GIGN et les légionnaires du REP ont pu réussir cette action désespérée.

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[Edit 1.11.2016] Sympathique petit mot de Jean-Noël Mermet, reçu après publication de cette chronique.

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Djibouti, Légionnaires de la 2e Cie du 2e REP, avec une mitrailleuse prise aux soldats somaliens

 

- Qu'est-ce que tu fais avec [les terroristes], Hassan ?
- Je me bats pour l'indépendance.
- En prenant des gosses en otages ? Cela va finir comment, Hassan ?
Un rire sardonique lui répond.
- Comment veux-tu que cela finisse ? La France cède toujours.

 

Discussion entre le gendarme Mermet et Hassan Elmi Gueldon, son ex-collègue passé à la rébellion