Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/05/2015

« En terrain miné », Roxanne Bouchard et CPL Patrick Kègle, R22eR, Canada, VLB éditeur

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation des auteurs. Droits réservés. Merci de nous consulter si vous souhaitez les réutiliser.

 

 

Et maintenant, arrivé à la dernière étape, il me vient un remord d’avoir osé rire de vos peines, 

comme si j’avais taillé un pipeau dans le bois de vos croix.

Roland Dorgelès, Les croix de bois. 

 

 

Chère Roxanne,

Voilà, j'ai terminé « En terrain miné ». 

Comme je ne sais pas par où commencer, je vais le faire par la fin ; tant pis pour le suspens : Le livre est à tomber par terre. Tout y est si intelligent, si drôle parfois, si déchirant (trop) souvent... Une réussite absolue.

Kegle dédicace.jpg

Oh certes tu peux me classer parmi les militaristes (enfin, je ne sais trop ce qui se cache derrière ce mot. Disons plutôt : "appartenant à la fraternité militaire" ?). Un livre reprenant les échanges entre une enseignante pacifiste (idéaliste ?) et un soldat perdu dans la misère afghane, je ne pouvais qu’être conquis (m’attendant à froncer les sourcils sur tes « positions », à l’occasion). Ouais. 

Ceci étant, je place « En terrain miné » parmi les témoignages qui m'ont transpercé le cœur. Sur le fond (p* j'ai chouiné !) mais aussi sur la forme : L'échange épistolaire est un style littéraire qui fonctionne parfois (« Inconnu à cette adresse » de Kathrine Kressmann Taylor, par exemple) mais plutôt casse-gueule. « En terrain miné » fonctionne à 200%. Entre ton côté un rien « bobo »  (je ne sais si cette expression est d’usage au Québec) (et je l’utilise en toute bienveillance) et celui du soldat-bon-gars-de-la-campagne de Patrick, la partie de ping-pong verbale est magnifique. Et puis tous ces silences imposés entre deux échanges, tous ces non-dits, tous ces évènements... 

kegle1R.jpg

Photo CPL  Olivier « Wali » Lavigne-Ortiz, R22eR, auteur de « L’autre côté de la lentille ». 

Les seuls contacts que nous avons avec l’armée sont lointains, irréels : « les troupes » sont sur « le terrain »… C’est qui, ça ? Qu’est-ce-que ça veut dire ? Pour nous, l’armée est un concept abstrait, déshumanisé. 

~Roxanne

Dans la salle d’attente où les familles et les militaires étaient réunis avant le départ, on pouvait sentir l’angoisse et la tristesse, mais aussi la fierté et le goût du devoir. C’est difficile à expliquer. Comme un pompier qui rêve d’éteindre un feu (…) Dans cette salle, j’ai bien passé une heure avec mon fils Benjamin dans les bras. Si j’avais pu, je l’aurais mis dans mes bagages tellement c’était déchirant de devoir laisser ma famille seule durant plus de six mois. Ma fille Heidi était trop jeune pour comprendre, elle gambadait dans la salle.

~Patrick

image-p17.jpg

Photo CPL Olivier « Wali » Lavigne-Ortiz, R22eR

J’éprouve un certain malaise parce que vous m’envoyez des photos de vous en habit de combat, puis d’enfants aux sourires salis qui demandent des bonbons en échange des explosions qu’ils entendent… Je doute qu’on puisse sauver le monde, les enfants et leur sourire, avec une mitraillette sous le bras. Cela n’a pas de sens pour moi.

~R.

Grace au programme de reconstruction, une école de filles a été bâtie. Les villageois courageux ont choisi d’y envoyer leurs filles, même sous la menace de répression talibane. Les intégristes ont alors mis le feu au bâtiment. Ceci n’a pas découragé les familles qui ont restauré l’école et ont continué d’y envoyer leurs filles pour les instruire. Face à ce courage, cette détermination, les bourreaux y sont allés de manière plus dissuasive… Ils sont entrés un matin dans l’école et ont coupé la tête de l’enseignante pour ensuite la brandir face aux jeunes filles. Imagine le scenario chez nous ! Aurions-nous le courage d’envoyer nos enfants à l’école après une menace aussi sérieuse ? Les Afghans l’ont fait, parce qu’ils veulent que les choses changent. Alors, pour l’éducation dans ce pays, nous devons assurer la sécurité. Sinon, pour ces jeunes femmes, elle ne sera jamais possible.

~P.

10420069_10152819864049752_964005796387905881_n.jpg

CPL Patrick Kègle, Afghanistan

Tu veux prendre les armes, lever une armée et sauver le monde ? Etre un héros ! … Mais, Monsieur Kègle, si nous devons laver toutes les crocheries de l’humanité, jusqu’où irons-nous ? (…) Là où la violence règne, seule la maîtrise de cette violence par une force plus grande encore peut arriver à contrôler le débordement, c’est ce que tu me dis.

Et ça me fait peur.

~R.

Je sécurisais seul un des côtés de l’école. Les jeunes filles d’environ seize ans étaient toutes aux fenêtres, curieuses de notre visite. Je sentais qu’il y avait un peu de jubilation dans l’air.  Je me suis assuré de n’être vu par personne et leur ai envoyé un salut de la main très banal… les sourires sont apparus par dizaines. Immédiatement, je leur ai envoyé un baiser de la main, juste pour voir… J’ai presque senti les murs de l’école bouger, tellement elles étaient euphoriques ! 

~P.

kegle2R.jpg

Photo CPL Olivier Lavigne-Ortiz, R22eR

L’autre jour, en lisant cette lettre où tu parlais de l’attentat et de ton inquiétude, je me suis aperçue que mes propos antimilitaristes, je les énonçais avec dureté et que, finalement, j’avais l’air plus agressive avec mon crayon que toi, malgré tes fusils. Moi qui prêche l’ouverture d’esprit, le respect et la compréhension de l’autre, je n’ai pas été très aimable depuis le début de cette correspondance et je m’en excuse. La vérité, c’est que cet échange m’apprend, soldat, à entendre autrement le discours militaire des hommes qui vont en pays de détresse.

~R.

Cette mission m’endurcit, mais en même temps je deviens plus émotif. C’est bizarre.

~P.

R afghanistan 2004 01R.jpg

CPL Patrick Kègle, Afghanistan, 3.5.2004

Tu as choisi un destin étrange, ami militaire. Plus jamais tu ne pourras, après ce que tu as vu, être innocent du monde, faire comme si « ça » - la pauvreté, la misère, l’horreur - n’existait pas.

~R.

Tu sais, je demande à Dieu tous les jours de me ramener en un seul morceau… ou le moins amoché possible. Je veux revoir ma famille ! J’ai un bébé… cela me torture l’esprit, l’idée qu’il ne me connaisse pas.

~P.

R afghanistan 2004 02.jpg

CPL Patrick Kègle, Afghanistan, 6.5.2004

Une détonation plus forte que le tonnerre s’est fait entendre. J’ai reçu comme un puissant coup de poing et la poussière a envahi l’habitacle. Nous étions secoués… Mais Dieu a été avec nous ! Personne n’a été blessé ; nous avons eu peur pour le conducteur qui a été mis K.O. quelques secondes, mais rien de grave. Nous sommes demeurés calmes, car souvent, après l’explosion, les insurgés attaquent en embuscade (…) J’ai le dos et le cou un peu endoloris, mais ça devrait passer (…) On réussit quand même à rire de cette situation.

~P.

Est-ce que j’ai lu que ton blindé a roulé sur une mine ? 

Je veux dire : tu as roulé sur une mine ?!

Et si j’ai bien lu, tes chums et toi riez de ça ?

Ma foi du bon Dieu ! Es-tu sûr que tu vas bien ? 

~R.

R afghanistan 2004 046.jpg

Afghanistan, 3 juin 2014. Photo Patrick Kègle

Je ne peux pas le jurer, mais je suis presque certaine que tu es malheureux de quitter l’Afghanistan avant la fin de ta mission. De laisser tes chums là-bas. D’abandonner les Afghans à leur triste sort.

Mais là, il faut rentrer chez toi.

~Roxanne

***

… Roxanne, Patrick, merci du fond du cœur pour ce livre magnifique.

~Alain

PS. C’est drôle quand j’y repense, l'impression qui ressort du livre : vous êtes tous les deux si attendrissants. A la rigueur, toi, c'est normal, tu es une fille et les filles sont attendrissantes de fait (hum)  mais Patrick, le soldat, le costaud armé jusqu'aux dents, l'est tout autant.

PPS. Réflexion faite, si ce n’est un nourrisson, je ne vois pas ce qu'il y a de plus attendrissant qu'un soldat.

***

419710_10151210059272536_1496687793_n.jpgRoxanne Bouchard est écrivain et professeur de littérature au Québec. Outre « En terrain miné » coécrit avec Patrick Kègle, on lui doit « Whisky  et paraboles » (VLB éditeur), prix Robert-Cliche et Grand-prix de la Relève Littéraire, « La gifle » (éd. Coups de Tête), « Crématorium circus » (VLB) et, tout récemment, « Nous étions le sel de la mer » (VLB), finaliste en France des prix Henri-Quéffelec et  France-Québec 2015. Elle travaille actuellement à l'écriture de récits militaires (chouette !). Voir ici.

Patrick Kègle est caporal au célèbre Royal 22e Regiment, seule unité d’active québécoise de l’armée de terre canadienne. Déployé à deux reprises en Afghanistan, il est désormais Chevrier-Major à la Citadelle de Québec.

Site officiel de Roxanne ici ; page FaceBook du livre .

Roxanne et Patrick en « live »

ISBN : 978-2896493470 - Prix : 18,17€ (24,95 $CAD) - Format 20,10x12,40, 237 pages, cahier-photo couleur.

vlb.JPG

Chez VLB Editeur 

Disponible ici.

***

Mili-Bibliothèque Royal 22e Régiment en Afghanistan

Bibli.jpg

Nous avons abordé « Mon Afghanistan » [Athéna Editions], autobiographie du LCL Steve Jourdain ici et « L’autre côté de la lentille » [éd. OLOrtiz], livre-photo du CPL Olivier « Wali » Lavigne-Ortiz . « Vandoo » [22 prononcé à l’anglaise] est un roman du Capitaine-Adjudant René Vallerand, inspiré de son expérience afghane. Aux éd. Adrénaline, disponible chez Renaud-Bray ici

***

090716courcy-s_p1.jpg

Hommage

Au soldat Sébastien Courcy, R22eR, chum de Patrick, mort le 16 juillet 2009 en Afghanistan,

Aux soldats canadiens morts en Afghanistan,

A tous les soldats morts pendant le conflit,

Aux blessés,

Aux femmes et maris, compagnes et compagnons, enfants, parents, familles et proches de tous les militaires déployés, ayant vécu dans l’angoisse pendant des mois,

A toutes celles et ceux qui cherchent à comprendre le sens de l’engagement de ces militaires.

A la mémoire des Afghans victimes de la barbarie talibane.

Je me souviens.

*

575699_488835391130537_1666255100_n.jpg

Patrick Kègle, chevrier-major à la Citadelle de Québec, 10.12.2009

Ce que tu as fait pour sauver l’humanité n’est pas perdu, Pat. Ce que Sébastien a fait ne le sera jamais. Et c’est loin d’être un échec. Le sais-tu ?

Ta façon de sauver le monde, c’est de ne pas oublier Sébastien, de ne pas oublier les souffrances des Afghans, de ne pas oublier leur stress ni leur détresse.

Sois fier, Patrick. Toujours.

Retourne en paix vers ta famille.

Ecris-moi quand tu arriveras.

Ton amie, Roxanne.

R Rox au chalet.jpg

 

 

 

 

 

 

01/12/2014

« L’autre côté de la lentille », CPL Olivier « Wali » Lavigne-Ortiz, R22eR, Canada, éd. OLOrtiz

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés. Merci de nous consulter si vous souhaitez les réutiliser.

 

 

« Tu peux tuer toutes les hirondelles,

tu n'empêcheras pas le printemps de revenir. »

Proverbe afghan

 

Après-midi du 14 juillet, sur l’esplanade des Invalides, après l’émotion de la rencontre tant attendue avec le LCL Steve Jourdain, au gré de la discussion : « Tu connais le livre de Wali ? – Nan – C’est un ancien tireur d’élite. Vétéran d’Afgha. Photographe. Tu devrais le contacter… »

ortiz dedicace.jpg

Nos fidèles lecteurs savent déjà toute l’affection que nous portons à Steve Jourdain. La magie de cette relation fraternelle, établie par-dessus l’Atlantique, en quelques jours et par de simples échanges de messages, allait-elle se répéter avec son jeune compatriote Wali ? Le lien indéfinissable qui unit la communauté militaire et tous ceux qui revendiquent en faire partie, quand bien même civils, n’est-il qu’une vue de l’esprit ? Non. Cette fraternité est un fait : L’accueil du tireur d'élite est plus que chaleureux. Quelques échanges de mails comme avec Steve et déjà le sentiment de s’adresser à un ami. Magique.

Et puis nous recevons le livre. On le feuillette. On le lit. Et là encore, de la magie…

Je vous amène vers ces endroits où les lentilles que l’on voit sont celles attachées sur une arme. Plus qu’une mission de combat, bienvenue dans ce tour guidé et protégé derrière une infaillible vitrine de papier. Bienvenue dans cette patrouille alternant entre l’hiver et l’été ; près de ce que certains appellent l’enfer, mais surtout près de la beauté. Bienvenue dans une des contrées les plus dangereuses du monde. Voilà non pas les images d’une belle guerre, mais les belles images d’une guerre.

DSC04675.jpg

La guerre, quoique parfois nécessaire, est toujours un échec de l’humanité. Les plus grandes victoires militaires sont aussi les plus grandes défaites humaines. La guerre est comme une partie de poker, à l’exception qu’ici, même le gagnant y perd quelque chose. A la guerre, impossible de se refaire. On ne reprend pas ce que l’on a perdu. Les mères ne reverront plus leur fils. Les sœurs n’embrasseront plus leur frère. Les familles des gagnants, comme celles des perdants, vivront à jamais avec le douloureux souvenir du grand départ vers le royaume des morts.

image-p4.jpg

D’un côté il y a les bombes et les embuscades. Il y a le fanatisme. Il y a l’ennemi. De l’autre, il y a les enfants qui jouent et des bergers qui conduisent leurs bêtes aux pâturages. La beauté se trouve même dans les pays en guerre. 

image-p11.jpg

Entre l’objectif de mon arme et celui de mon appareil photo, il y a le soldat et le photographe. Il y a le guerrier et il y a l’artiste. Je portais mon arme comme un homme ; je jouais avec mon appareil photo comme un enfant.

image-p8.jpg

En une seule patrouille, on peut traverser tous les états d’esprit. On voit un enfant se lever dans les vagues d’une mer de blé et, quelques instants plus tard, un homme travailler à l’ombre d’un arbre penché. On passe du sifflement des balles au chant des oiseaux dans les champs. Du cadavre d’un combattant au regard candide d’un parent. Des larmes d’un soldat au charme d’une rivière sous un pont de terre. Du camouflage couleur désert aux vignobles tapissés de raisins verts. Du sang au rouge du soleil levant. Du désespoir à l’espoir. 

image-p13.jpg

Un photographe est tel un magicien. D’un simple clic, il peut faire disparaître la laideur et arrêter le temps. Il peut isoler la beauté d’une toute petite fleur et l’enlever des ardeurs d’un désert. Il peut faire oublier une bataille aux générations à venir. Il peut rendre muet le calvaire des coups de feu et des explosions...

DSC01251.jpg

… il peut capturer une âme prisonnière de la guerre et la placer dans un livre telle une œuvre sacrée dans la galerie d’un magnifique musée. Il peut rassembler des morceaux de l’enfer et les assembler en une mosaïque digne du paradis. Il peut recruter l’image de plusieurs orphelins isolés et lever une armée à la conquête des cœurs du monde entier.

image-p17.jpg

J’ai aimé ce pays, sa culture, ses gens. J’ai choisi de m’attarder à sa beauté. Malgré la guerre. Malgré mon métier de soldat. Car cette belle contrée est bien plus que des véhicules blindés et des soldats casqués.

 

***

moi1.jpgOlivier Lavigne-Ortiz nait en 1981 à Montréal. Tireur d’élite du Royal 22e Régiment, seule unité d’active québécoise de l’armée de terre canadienne, il est déployé en 2009 en Afghanistan. Il y retourne l’année suivante pour former la police afghane. Son surnom de « Wali » lui est donné par les Afghans qui peinent à prononcer son prénom. Soldat mais aussi artiste éclectique, Olivier est auteur (on lui doit le conte philosophique « Le voyageur sans nom »), compositeur de musique classique, réalisateur et évidemment photographe, pour le compte du R22eR et à titre privé.

Son site WEB ici

 

Mon premier déploiement s’est effectué en tant que tireur d’élite au sein du Royal 22e Régiment. C’était en 2009. J’y suis retourné en 2010 avec une équipe de conseillers avisés pour former la police afghane. En tout, j’y ai passé 16 mois. Sans hésiter, j’y serais resté pour le double du temps.

Wali 

Souvent, nous avons refermé les livres sur l’Afgha – soyons honnêtes – profondément émus, à commencer par celui de Steve, « Mon Afghanistan ». Avec « De l’autre côté de la lentille », nous l’avons fait avec le sourire, avec un sentiment d’espérance. Et ce n’est finalement pas si contradictoire, car le livre de Wali fait écho à celui de Steve : au-delà du fracas des armes, gardons en mémoire que tous nos soldats (français, canadiens, la nationalité compte-elle ?) se sont investis, ont soufferts, ont été blessés, ont perdu parfois la vie, pour une seule chose : pour que l’Afghanistan ressemble, enfin et exclusivement, à l’image qui prime dans « De l’autre côté de la lentille » : le sourire des enfants.

 LAVIGNE-ORTIZ.jpg

ISBN : 978-2981232434 – Prix 24€ – format 21,6x21,6 - 170 pages.

logo.jpg

Site WEB ici.  

Le livre se trouve facilement en France, Belgique, Suisse, Luxembourg, par exemple via Amazon.fr 

 

JOURDAIN.jpg

Pour mémoire, nous avons abordé « Mon Afghanistan », récit autobiographique du 2nd auteur du R22eR, notre camarade le LCL Steve Jourdain, ici

royal-22e-rc3a9giment4.jpg

Hommage

A nos frères d’armes canadiens ;

158 ont perdu la vie en Afghanistan.

Aux blessés.

A tous ceux qui ont œuvré et œuvrent toujours pour la paix en Afghanistan.

Je me souviens.

DSCN1262.jpg 

Wali en Afgha.

Au fil des mois, le corps et l’âme du soldat finissent par être marqués. Je m’en suis sorti avec quelques rares égratignures. La guerre ne m’avait pas tant changé. Elle avait simplement confirmé ce que j’avais toujours été au fond de moi : un soldat. Quand les personnes me demandent comment a été mon expérience en Afghanistan, je vois dans leur expression qu’ils s’attendent à une réponse triste et négative. Ils sont surpris et sourient quand je leur réponds que l’Afghanistan a été la plus belle expérience de ma vie.

Wali

 

 

 

 

 

21/01/2014

« Mon Afghanistan », LCL Steve Jourdain, R22eR, Québec, Armée Canadienne. Athena Editions

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur et d'Athéna Editions. Tous droits réservés.

 

 

 

Ils ne vieilliront pas comme nous qui leur avons survécu,

Ils ne connaîtront jamais l’outrage ni le poids des années,

Quand viendra l’heure du crépuscule et celle de l’aurore,

Nous nous souviendrons d’eux.

 

Laurence Binyon , poète britannique

« Pour ceux morts au champ d’honneur »

 

 

 

Lorsque nous avons débuté ce blog, nous n’avions aucune autre ambition que d’apporter notre soutien aux soldats-auteurs et, à travers eux, à l’ensemble de nos troupes. Peu importait le taux d’audience que nous aurions. Nous considérions comme un devoir de lutter avec les seules armes en notre possession, des mots,  contre une certaine indifférence de nos compatriotes envers les militaires et leurs sacrifices. Nous voulions par-dessus tout lutter contre l’oubli. L’oubli de ces hommes et femmes qui donnent tant pour nous tous, voire qui donnent tout. Nous voulions dire haut et fort : « Nous, nous n’oublions pas ! Nous, nous nous souvenons ! »

X Jourdain.jpg 

A cette époque, nous ne connaissions pas - ou alors était-ce inconscient - cette belle devise du Québec : « Je me souviens ». Nous ne savions pas qu’elle avait été reprise par le Royal 22e Régiment, seul régiment francophone d’active de l’Armée canadienne. Nous n’avions jamais entendu parler du Lieutenant-Colonel Steve Jourdain, pourtant frère d’armes, vétéran d’Afghanistan. Nous ne pouvions imaginer qu’un jour, il entrerait dans nos vies par la grande porte de la communion d’esprit et validerait notre démarche en nous disant : « Quelle belle façon d’aider à pouvoir dire « Je me souviens » »

Mais pour se souvenir, encore faut-il savoir et comprendre. Les Français ont eu cette chance grâce aux Barthe, Douady, Erbland, Redin, Le Nen, Scheffler, Kalka et tous les autres « Afghaners ». Voici venu le tour des Québécois.  Et ils ne pouvaient espérer meilleur porte-parole que Steve  et son récit, « Mon Afghanistan ».

lrg_nouvelle_616.jpg

« Lorsque je repense à mon monde resté à l’arrière, c’est un peu irréel. J’ai l’impression que nous sommes à des années lumières. Je me demande si je serai capable d’expliquer comment ça se passe ici. Je me demande si je pourrai vraiment expliquer ce qu’est Mon Afghanistan. »

Steve,  tu as fait mieux que d’expliquer « Mon Afghanistan ». Tu nous l’as fait vivre.

 

01B.JPG 

Steve et ses hommes, entraînement pré-déploiement au Texas.

Je pense aux opérations de combat qui nous attendent. Comment cela va-t-il se passer ? Comment les boys vont-ils se comporter, lors du premier contact, lors du premier coup dur, lorsque nous perdrons un frère d’armes ? Comment est-ce que je vais réagir ? Vais-je trouver les mots ? Vais-je trouver la force nécessaire pour les motiver à continuer ?

 

X 39.jpg

Policiers afghans collaborant avec le R22eR

J’apprends que l’équipe de policiers afghans avec qui nous avons fait notre première opération, il y a quelques jours seulement, a heurté un IED. L’explosion a été dévastatrice. Le Ford Ranger dans lequel prenaient place les policiers a été complètement pulvérisé. Deux policiers sont morts instantanément. Un officier canadien, le Capitaine Dave Lacombe, se trouvait à proximité de l’incident, à peine à 20 mètres de l’explosion. Il a été chanceux. Très chanceux. La jambe pulvérisée d’une des victimes est venue le frapper en pleine poitrine.

 

X 102.JPG

Le soir venu, je reste de longues minutes à regarder la voie lactée, claire comme je ne l’ai jamais vue nulle part ailleurs. Je prends quelques moments de réflexion dans l’obscurité de la base de patrouille et j’en appelle à la bonne étoile de Sperwan. A partir de demain, elle sera grandement mise à contribution.

  

X 45.jpg

Explosion d’un IED lors d’un convoi du R22eR

« 9 ici 2-9, IED strike. Attendez. Terminé ». Le même sentiment de colère m’envahit chaque fois que j’entends ce message, plein de conséquence. Cela ne fait même pas une heure que nous sommes partis. C’est encore une remorque de l’équipe d’ingénieurs [sapeurs] responsable de nettoyer la route qui a explosé.

[quelques minutes plus tard]

On venait à peine de repartir lorsqu’un autre appel « IED strike ! » retentit. C’est un « Câlisse de tabarnak ! » qui sort de ma bouche. Un VBL est touché, heureusement sans conséquence.

[quelques minutes plus tard]

J’espérais bien que l’IED que nous avons frappé soit le dernier. Je suis ramené à la réalité par une forte explosion complètement à l’avant du convoi, à près de 5km de ma position. C’est le tout premier véhicule, un char d’assaut équipé de rouleau de déminage qui vient d’être frappé.

 

X 88.jpg

Steve en patrouille

Les insurgés continuent d’engager furieusement le peloton de Vincent, déterminés à atteindre un soldat.   Ils réussissent… en partie. Alors qu’il changeait de position, le Caporal Boisvert est frappé au dos, directement sur sa plaque de protection de sa veste balistique. Projeté au sol, il se relève sans trop savoir ce qui vient de se passer.

 

X 143A.jpg

+ Major [CDT] Yannick Pépin 5e RGC, 6.9.2009. Steve, premier porteur droit.

Ils sont tous présents, assis dans le salon commun à discuter, à tenter de trouver un sens à ce qui vient de se passer, au cours de cette journée qui marquera ceux qui étaient là, qui ont tout vu. On se serre les uns les autres ; on se réconforte entre frères d’armes. C’est tout ce que l’on peut faire.

 

X 73.jpg

Soldat Jonathan Couturier, R22eR, + 17.9.2009

J’avais appris à connaître Jonathan autour de la table de poker et un peu plus au cours de la dernière semaine. Nous avions parlé de probabilités. Je lui expliquais qu’avec une paire d’as, la meilleure  main au poker, un joueur à 83% de chances de gagner. Mais parfois, un joueur peut perdre avec cette meilleure main.

Même si l’opération avait été bien planifiée, même si nous avons pris toutes les précautions, le résultat final restait. Nous avons perdu l’un des nôtres.

Nous avons trop souvent perdu avec la meilleure main.

 

X 78.jpg

Soleil couchant sur la base de Sperwan Ghar. Une page se tourne

Le peloton d’Alex monte dans l’hélicoptère, suivi des membres du PC. Je ferme la marche avec Hugo et l’Adjudant-Maître, une dernière fois. Le gros chinook s’élève dans un nuage de poussière et coupe abruptement vers le sud, puis vers l’est en direction de KAF. Par la rampe arrière de l’appareil, je vois le soleil qui descend à l’horizon. La fin du jour ajoute à la symbolique du moment. La base de patrouille de Sperwan Ghar, la citadelle des Cobra au cours des sept derniers mois, disparaît au loin et s’efface elle aussi. C’est bien fini. Une page de « Mon Afghanistan » se tourne.

***

Une page se tourne et une seulement. Mon Afghanistan : des pages et des pages à tourner, pour l’éternité.

Vous l’avez compris, Steve et ses hommes ont vécu des moments très durs. Bien sûr, les blessures de nos valeureux soldats québécois, des familles de la Belle-Province qui ont perdu un proche, vont se refermer, petit à petit. Nous l’espérons pour chacun d’entre eux. Resteront  les cicatrices, qu’ils devront désormais contempler avec la fierté du devoir accompli. Mais pour cela, ils ont besoin de notre aide, la même que celle que apportons déjà à nos propres soldats. C’est un devoir qui nous incombe ; pas seulement un devoir de Canadien. Ce sont nos cousins, nos frères d’armes, nos frères tout court. Et cette aide, elle n’est pas bien difficile à apporter : il vous suffit de leur dire « merci » et « je me souviens ».

Nous savons que nous pouvons compter sur vous.

 

***

1186736_10151647039976634_985190839_n.jpgSteve Jourdain est né à Shawinigan en Mauricie. Il est diplômé du Collège Militaire Royal du Canada. En 1996, il rejoint le Royal 22e Regiment de Valcartier, seul régiment d’active francophone de l’armée de terre canadienne. En 2009, alors Major [CDT], il est déployé en Afghanistan dans la région de Kandahar. Il commande la compagnie C « Cobra » du Groupement Tactique (GT) R22 eR,  basée à Sperwan Ghar, camp bâti par les Soviétiques autour d’une impressionnante « bute » de terre artificielle. Pendant cette campagne de 7 mois, menée avec bravoure, 12 des frères d’armes de Steve mourront au combat.

 

Steve est désormais Lieutenant-Colonel, commandant le 3e Bataillon Royal 22e Regiment. Grand sportif, il s'est bien remis d'un grave accident de parachutisme survenu 6 semaines avant sa prise de commandement. Il est marié à Claudine, à laquelle nous pensons avec affection - elle aussi est partie prenante de « Mon Afghanistan » - et fier papa de Karyanne et Jacob.

 

 

9502_538.jpg

 « Je me souviens »

 

Devise du Québec

Devise du Royal 22e Régiment

 

Je me souviens être tombé par hasard sur « Mon Afghanistan », une bonne bouille souriante sur la couverture, un treillis… canadien.

 

Je me souviens de ma recherche sur le Net : livre épuisé… livre épuisé… livre épuisé…

Je me souviens d’un appel de l’étranger, d’avoir décroché mon téléphone pour entendre la voix au joli accent d’une libraire québécoise : « J’ai le livre entre les mains. Je vous l’envoie et tiens à vous remercier de votre intérêt pour nos soldats »,

Je me souviens d’avoir cherché les coordonnées de Steve, et bingo, FaceBook, même bonne bouille sous un béret.

Je me souviens de l’envoi d’un message, sans grand espoir de réponse d’un Lieutenant-Colonel de l’armée canadienne.

Je me souviens d’un message sur FaceBook… de Steve Jourdain.

Je me souviens de la lecture du livre, comme toujours dans le train Versailles-Paris et me dire toutes les 10 pages : mais qu’est-ce que c’est bien !

Je me souviens aussi de m’être dit souvent, bien trop souvent : « Oh non ! » Et d’interrompre la lecture, sous le coup de l’émotion.

Je me souviens de tous nos échanges, de sa rencontre avec Yves Debay en Afgha, du bonheur de recevoir ses photos inédites, avec ses « chums » aux beaux sourires.

Je me souviens du sentiment qu’il a, que les sacrifices des soldats ne sont pas reconnus à leur juste valeur par ses compatriotes, qu’il n’attend rien d’autre de leur part qu’un peu plus de reconnaissance, qu’un simple merci.

Je me souviens lui avoir dit que c’était la même chose, ici.

 

Je me souviens de Chuck,

Je me souviens de Yannick,

Je me souviens de Jonathan,

Je me souviens de tous les autres.

 

Je me souviens.

 

 

***

0 1360709-gf.jpg 

Prix : $24,95 Canada / 28€ France – ISBN : 978-2-924142-05-9 – Format 14x20, 287 pages – Cahier-photo couleur.

373524_299563033388296_1029370290_n.jpg

Chez Athéna Editions

Page FaceBook ici

Le livre est désormais disponible en France !

Pour vous le procurer, nous vous invitons à contacter la « Librairie du Québec » à Paris ici. Ils font du "bon boulot" pour la diffusion de la littérature québécoise en France.

Vous trouverez également "Mon Afghanistan" sur Amazon.fr, Amazon.ca, FNAC.com, etc. Vous pouvez aussi le commander par l'intermédiaire de votre libraire préféré. 

 

20.JPG

Drapeau du R22eR en Afghanistan

Le Royal 22e Regiment fête son centenaire. Page FaceBook ici.

***

 

Hommage 1.JPG

Hommage

Aux soldats du GT R22eR, morts en Afghanistan pendant la campagne de Steve,  avril-septembre 2009 

Caporal-Chef Charles-Philippe « Chuck » Michaud, 2eB R22 eR,

Soldat Jonathan Couturier, 2eB R22 eR,

Soldat Sébastien Courcy, 2eB R22 eR,

Soldat Patrick Lormand, 2eB R22 eR,

Caporal Martin Joanette, 3eB R22 eR,

Soldat Alexandre Péloquin, 3eB R22 eR,

Major [CDT] Yannick Pépin, 5e RGC,

Caporal Martin Dubé, 5e RGC,

Caporal Jean-François Drouin, 5e RGC,

Caporal Christian Bobitt, 5e RGC,

Ingénieur [Sapeur] Matthieu Allard, 5e RGC,

Cavalière Karine Blais, 12e RBC,

Hommage 2.JPG 

Aux autres soldats canadiens morts pendant cette période 

Caporal-Chef Patrice Audet, 430e ETH,

Corporal [CAL] Nicholas Bulger, 3BPPCLI,

Major [CDT] Michelle Mendes, D.I.

 

A tous les soldats du Royal 22e Regiment morts en Afghanistan,

A tous les soldats canadiens, québécois et anglophones, morts en Afghanistan,

Aux blessés.

 

X R22R.jpg

C’est avec respect et affection que le Chasseur et la Russe-blanc vous saluent, vous tous, cousins-soldats québécois. Soyez remerciés pour votre action en Afghanistan.

Nous reprenons à notre compte les paroles du Major-Général Alain Forand, en septembre 2009, à Sperwan Ghar :

 

Vous êtes ce que le pays a de meilleur à offrir. Vous êtes les meilleurs ambassadeurs du Canada.

Soyez fiers de ce que vous êtes. 

 

 

 

 

 

Récit autobiographique de soldat, journal de marche, Afghanistan, Royal 22e Regiment, Québec, Canada