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15/07/2017

« Ceux de 40 »

« Routes de sable et de nuages », GAL (2s) Claude Le Borgne, éd. Albin Michel

« La gloire de nos pères », CNE (er) Didier Hertoux, autoédité

« Les canons étaient sous le bureau », Pierre Andolenko, éd. Librinova

« 2 710 jours », Sapeur Lucien Violleau, éd. Les Archives dormantes

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation des auteurs – Droits réservés.

 

A la mémoire de mes grand-pères Roger Broquet et Maurice Camut, 69e BC, et de mon oncle Pierre Dusausoy, 2e RSA, combattants de 40.

 

 

Combien d’hommes admirables, et qui avaient de très beaux génies, sont morts

sans qu’on en ait parlé ?

La Bruyère

 

Ils étaient de la bonne bourgeoisie provinciale, nés pour porter gants blancs et Casoar, ou maçons aux mains calleuses. Ils étaient descendants de boyards, à leur aise au Ritz, ou petits paysans vendéens guinchant aux bals musettes …

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Tout les éloignait, si ce n’est cet orage grondant à l’Est, discours éructant, bannières claquant au vent. Alors, les uns comme les autres ont pris les armes et ont combattu. Nous connaissons l’issue : la guerre fut drôle, puis éclair.

Certes personne n’a oublié la défaite de 40. Par contre, les hommes qui ont mené le combat, on en parle bien peu. On les a presque moqués ! Qui d’ailleurs connait le nombre de soldats français tués en mai-juin 40 ? 60 000 en 5 semaines ! Et 120 000 blessés. C’est beaucoup pour une armée qui, d’après nos « facétieux » amis anglo-saxons, aurait immédiatement agité le drapeau blanc…

Pour l’illustrer, voici quatre beaux récits qui ont le mérite, outre de réparer une injustice criante, d’aborder des parcours variés : 2ndes classes ou officiers, fantassins, sapeurs, cavaliers, légionnaires ou marsouins ; certains, après la bataille, se remettant de leurs blessures ou survivant tant bien que mal dans les stalags, d’autres participant à la glorieuse victoire finale ou à la défense de l’Empire. Après-guerre, ils retrouveront leurs chantiers de maçonnerie, leurs champs de blé, ou mèneront d’autres combats, dans les rizières et le bled. Ainsi va la vie.

Ils garderont cependant tous ce point commun : l’honneur d’avoir défendu la patrie. Combien peuvent s'en honorer ?

Hommage à « Ceux de 40 ».

« Routes de sable et de nuages », GAL (2s) Claude Le Borgne, marsouin, méhariste, para-colo.

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Tirailleurs sénégalais, 1940. Photo ECPAD

C’est au mois de juin [40] que nous montâmes en ligne, si l’on peut ainsi dire d’un front qui, rompu, n’existait plus et que le haut commandement s’efforçait de rétablir de cours d’eau en cours d’eau. Le nôtre fut la Dordogne (…) Ma section fut chargée de défendre un pont au droit d’un charmant village. N’ayant de voisin visible ni d’un côté, ni de l’autre, ma responsabilité me parut immense. J’étais décidé à l’assumer.

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Tirailleur sénégalais, 1940. Photo ECPAD

Le pont était de petite taille mais suspendu et je n’avais les moyens ni de le défendre ni de le faire sauter. J’entrepris de déposer les poutres du tablier, travail qui n’excédait pas la force de mes trente Africains. Quand il comprit ce que j’avais décidé de faire, la maire du village tenta de s’interposer. Il fit valoir au gamin que j’étais que la guerre était perdue et que sauver l’honneur ne valait la destruction de son village, promise par la stupide résistance que je préparais.

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Claude Le Borgne en Mauritanie, après la Bataille de France

J’étais jeune il est vrai [18 ans]. Face au maire et sans la moindre hésitation, je sortis de son étui mon pistolet et, l’en menaçant, lui déclarais que la mission que j’avais reçue serait accomplie, quoi qu’il en coûte à son charmant village. Telle fut, dans cette malheureuse campagne, la seule occasion que j’eux de mettre l’arme au poing.

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Plutôt qu'une autobiographie classique, « Route de sable et de nuages » s'apparente à un recueil de pensées, nées de la longue, brillante et quelque peu atypique carrière du général marsouin Claude Le Borgne : Saint-Cyrien au cursus écourté par la Blitzkrieg, sous-lieutenant tout minot (18 ans), il est lâché avec une poignée de tirailleurs sénégalais "à vue de nez" dans la débâcle de 40. Reprenant son cursus d’officier en Afrique du Nord, la reconquête métropolitaine se passera de lui : il est méhariste dans les sables de Mauritanie, au contact, avec ses goumiers et tirailleurs, des tribus-seigneurs maures. Abandonnant ses "chameaux" pour les ailes de Saint-Michel, il fait la campagne d'Indochine comme para. C'est ensuite l'Algérie, qui le laisse meurtri. Il poursuit cependant sa carrière, à Madagascar, puis dans l'Europe nucléarisée de la Guerre-Froide.

Du haut de ses 94 vaillants printemps, beaucoup d'humour, de recul et de sens de l'analyse. Un livre profond, qui s'avère le témoignage remarquable -distillant un rien de nostalgie- d'un militaire trait d’union entre France d'hier et d'aujourd'hui.

Claude est le frère du GAL Guy Le Borgne, autre figure de l'Armée française. 

Aux éditions Albin Michel.

Disponible chez votre libraire préféré(e), éventuellement sur commande, ou sur les sites du Net.

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Avec le GAL Claude Le Borgne, grand monsieur, au Salon des Ecrivains-Combattants 2016

Il est bien connu que le vieillard, sentant sa mort prochaine, voit le monde courir à sa perte du même pas que lui. Nul n’ajoute foi à ses jérémiades. Il en va toujours ainsi.

Pourtant, le tocsin que branle le vieux pourrait bien être, pour la première et dernière fois, le bon.

Essayons, fût-ce sans espoir, de le faire entendre…

***

« La gloire de nos pères », CNE (er) Didier Hertoux

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René Brondeau, 1er RCA, au Maroc avant-guerre

11 mai - On pouvait lire maintenant, sur chaque visage, la même anxiété. Les Allemands n’étaient pas loin. Plus bas, des maisons écroulées fumaient depuis des heures. Dès que la nuit tombait, la même peur, la même angoisse, étreignait les sentinelles.

12 mai - Les canons des panzers tiraient sur leurs défenses ébranlant la terre qui se soulevait dans un vacarme d’apocalypse. Après des heures de combat les hommes avaient senti l’épuisement les gagner, mais ils résistèrent courageusement. René vit tomber deux camarades. L’un d’eux gémissait. L’autre semblait avoir été tué. Ils parvinrent à repousser l’ennemi mais au prix de dizaines de tués. Le régiment avait perdu surtout des appelés, des pères de famille. René en fut très ému. Il s’était immédiatement identifié à ces soldats tués, car il était père lui aussi, et depuis si peu !

13 mai - Les panzers apparurent. C’était une gigantesque armada bruyante et enfumée, qui fonçait droit vers le régiment…

Didier Hertoux d’ap. René Brondeau, sur la ligne de front Trilemont-Huy

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A gauche René Hertoux, cuisinier et trompette du 91e RI, 1938

Sommes-nous toujours à la même heure ? Que faut-il que je fasse pour que les heures se remettent en marche ? J’ai comme un souvenir ou une sensation, ou une vision qui m’effleure et qui monte et se diffuse comme de la vapeur autour de mon corps. Dans le ciel il y a des nuages d’eau et de chaleur. Et dans cette buée, je vois la tristesse des soldats se mélanger. On ne peut plus rien distinguer mais la tristesse fait une passerelle entre les soldats. Mais ces soldats ne bougent pas. Ils attendent tout le temps. Et puis, à un moment, ils disparaissent tous. Je ne les vois plus. Je suis triste de ne plus les voir, mais je ne sais pas pourquoi. Et je sens qu’eux aussi, ça les rend triste. Je suis au pays de nulle part, au pays du temps qui se perd. Que se passe-t-il ? J’ai envie de m’enfuir de moi et de me faufiler dans un univers heureux, comme dans un rêve. Ça y est ! J’y suis ! (…) Je reconnais la ferme. Mais je n’entends rien. C’est bizarre. Il y a quelque chose qui n’est pas normal.

René Hertoux à l’hôpital, après ses trois graves blessures reçues au combat.

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Didier Hertoux, ancien officier para des Forces Spéciales, aurait pu aborder sa propre carrière (on le souhaite, cela dit en passant…), et pourtant il a choisi de retracer les parcours de son père René Hertoux, 91e RI, 124e RI, et de son beau-père René Brondeau, 1er RCA, 11e RDP, 1er GFM, pendant la campagne de France, la défaite, l'internement dans les Stalags.

Ces deux René, humbles bonnes gens, se sont comportés avec un immense courage : le premier est grièvement blessé au combat, plusieurs camarades tués à ses côtés ; le second lutte avec le 11e Régiment de Dragons Portés, laminé par la déferlante des panzers et des Stukas, puis avec le 1er Groupe Franc du CNE de Neuchèze auprès des cadets de Saumur. Fait prisonnier, il s’évade de son stalag ; repris, il est envoyé à Rawa-Ruska et n’est libéré qu’en 45.

Jamais sans doute les deux René n’auraient imaginé faire l’objet d’un livre. Et pourtant il existe bel et bien, ce livre (et est de plus fort joliment écrit.). Une belle œuvre de mémoire.

Disponible auprès de l'auteur (18,50€ port compris - bénéfices au profit de l'association des blessés de l'Armée de Terre). didier.hertoux @ gmail.com. Bon de commande ici.

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1985, René Hertoux reçoit la médaille militaire. Trop ému, son discours est lu par son fils Didier

Un soldat sort sa blague à tabac. D’un index dur il bourre sa pipe. Un autre, entre ses doigts courts et noueux, roule habilement une cigarette. Sous la peau cornée de leur pouce, la molette râpeuse d’un briquet fait jaillir la flamme. Ils ont des mains d’ouvrier, des mains de paysan ; un type d’homme commun tiré à des milliers d’exemplaires à travers l’Europe. Un type d’homme identique à ceux d’en face.

René Hertoux, mai 40

***

« Les canons étaient sous le bureau », Pierre Andolenko, fils du GAL Serge Andolenko, légionnaire

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Dimitri Amilakvari, Serge Andolenko et sa mère

C’est là qu’est grièvement blessé mon ami de toujours, le prince Obolenski, engagé lieutenant du 12e Régiment Etranger, deux balles de mitrailleuse dans le poumon, pour avoir ramené sur son dos son capitaine blessé entre les lignes.

C’est là qu’est exécuté d’une balle dans la nuque mon camarade de promotion Alain Speckel, avec sept autres officiers et deux de ses hommes, pour avoir tenté de protéger ses tirailleurs sénégalais du massacre par les allemands.

C’est là, à Stonne, bataille oubliée alors que l’une des plus dures de la seconde guerre mondiale, selon les Allemands eux-mêmes, que les 42 000 Français du 21e Corps d’Armée tiennent tête aux 90 000 Allemands des VIe et XVe Korps. Du 15 au 17 mai, le village est pris et repris 17 fois.

C’est juste à côté, à La Horgne, que la 3e Brigade de Spahis marocains et algériens, à cheval, affronte une brigade de la 1ère Panzer Division.

C’est là que se distingue le Général Juin lors de la défense de Lille, retardant les Allemands vers Dunkerque, permettant aux Anglais de s’éclipser.

C’est là que le Général de Lattre de Tassigny, commandant la 14e DIM, se bat pied à pied du début à la fin de la campagne jusque dans la région de Périgueux, resté invaincu.

C’est là que la ligne Maginot, prise à revers, se bat pour certains ouvrages jusqu’après l’armistice.

C’est là que l’Armée des Alpes réduit à néant l’attaque italienne et bloque les Allemands devant Grenoble.

C’est là que l’Armée de l’Air abat près de 1 000 avions allemands qui feront défaut pour la Bataille d’Angleterre

C’est là que meurent près de 100 000 Français, en cinq semaines.

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Voici une bien jolie biographie : celle du Général Serge Andolenko, par son fils Pierre. Personnage haut en couleur, Russe-blanc réfugié en France, Saint-Cyrien, le général a servi aux 1er, 3e, 4e, 5e et 6e RE, et comme homme du Renseignement, 2ème bureau de la 3e DIA. Pacification du Maroc, du Levant, Syrie face aux Australiens et Français Libres (dont son camarade le Légionnaire-prince Amilakvari, dans le camp gaulliste – chapitre certes dramatique de l’histoire française, mais qui nous vaut de savoureuses anecdotes, Amilakvari et Andolenko réussissant à se contacter au téléphone, d’un côté du front à l’autre, grâce à un légionnaire [« - Comment as-tu fait ? - Je m’ai démerdé »] et s’arrangeant pour que leurs hommes ne se retrouvent pas face à face et obligés au combat !). Revenu dans le giron allié, c’est la glorieuse campagne d'Italie et la reconquête de la France. Chef de corps du 5e Etranger pendant la guerre d'Algérie, il vit la guerre-froide comme attaché militaire à Vienne.

On peut s'étonner que son nom ne résonne pas avec plus d'éclat, si ce n'est à la Légion. Mais il est vrai qu'une certaine omerta a perduré pour les officiers restés fidèles au gouvernement de Vichy. Triste ; le devoir de mémoire ne peut être sélectif.

Ajoutons que le texte de Pierre est très complet, tout en se lisant comme un roman d’aventure (c’est un compliment).

La première édition du livre est épuisée, mais une seconde est en projet avec un nouvel éditeur. Nous contacter pour mise en relation avec l'auteur.

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Avec Pierre Andolenko, 2016

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Entre deux attaques, passé en deuxième ligne, je déjeune avec trois de mes lieutenants. Nous sommes sur une crête, pour rester attentif à tout mouvement possible. Au milieu du casse-croûte, l’artillerie commence à tirer et nous voyons, à intervalles réguliers, des paquets d’obus remonter vers nous. La dernière volée tombe à moins de cent mètres. Et là, quelques secondes qui durent des siècles, et dans la tête : « Lequel d’entre nous va se coucher le premier ? Pas moi en tous cas, j’aurais trop l’air d’un con ! ». Et nous nous regardons tous dans les yeux. Et nous nous disons tous, les uns aux autres « Je suis mort de trouille, mais je ne me coucherai pas ! ». Et la volée suivante tombe sur la crête, derrière nous. Stupide, bêtise, mais qu’est-ce qu’on est bien vivant après ça !

***

« 2 710 jours », Sapeur Lucien Violleau, 8e RG, 1ère CMT, 38e RG

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Sapeur Lucien Violleau

Janvier 1937 – Dimanche soir, bal de la Saint-Vincent à la salle des fêtes. Pas de permission de spectacle car « garde d’écurie », mais cela ne m’a pas empêché d’y aller et de me coucher à deux heures du matin. Une visite du lieutenant-colonel vétérinaire est annoncée pour la semaine suivante. Pansage et fayotage. Dimanche soir, permission de spectacle : bal à Saint-Martin, retour à trois heures du matin. Aventure survenue à Théveneau sur le bord d’un mur avec une pétasse de Montoire : fou rire tout le lundi.

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Sapeur Lucien Violleau

Mai 1940 – Un violent bombardement m’a fait passer des minutes terribles ; les premiers obus allemands sont tombés à cinq cent mètres de nous (…) J’ai juste le temps de traverser la route pour rejoindre le central [de communication], un premier obus est tombé à cinquante mètres, puis se rapprochant, une douzaine, dans un rayon de 20 mètres. Un autre est tombé au centre du village, enflammant une maison. Enfin, le plus terrible est tombé dans un angle de grange, à l’endroit même où s’était réfugié le sergent-chef Duny. L’obus lui coupe un bras, près de l’épaule, et le pauvre chef expire quelques minutes après. Une drôle de panique s’ensuit (…) Toutes les lignes téléphoniques sont coupées.

Tout laissait prévoir ce bombardement… Le quartier général entier de la division et beaucoup d’officiers s’étaient installés, avec toute les lignes téléphoniques, très en vue du terrain occupé par les Boches. En un mot, tous les soldats croient, soit à une trahison, soit à un haut-commandement incapable. Le moral est à zéro.

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Chambrée de Stalag

Décembre 1944 – Un certain soir de décembre 1940, je débarquais sur la terre ennemie. Quatre années de captivité dans le pays chleu. Combien d’heures de découragement, de désespoir, tristes, inhumaines ? Malmené, travail par tous les temps, à contrecœur, contre mon intérêt. Combien d’injustice, de privations, matérielles et morales, de réflexions moqueuses et insolentes endurées ? Combien d’heures de bonheur, de joies perdues et qui ne se rattrapent jamais ? Combien de larmes, de soupir au pays ? Quel poids de haine un cœur de prisonnier peut-il accumuler, pendant quatre longues années, contre ses inhumains geôliers ?

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Lucien Violleau prisonnier en Allemagne

Mars 45 - A six heures du soir passe à toute allure une chenillette allemande descendant du front. Peu après, c’est des chars des autos, à toute allure également. Puis arrive une grande nouvelle, apportée par un soldat allemand à pied, sale, dans un état poussiéreux incroyable, boitant, avec un soulier sans talon. Et voici la nouvelle, bonne, à tel point bonne qu’on a tous douté, même devant la réalité de la fuite éperdue. Et cette nouvelle, dont on aurait tous chanté et dansé de joie, la voici : les Américains sont à six kilomètres ! Ce soldat allemand nous dit : « Maintenant la guerre est finie, enfin, c’est temps ».

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« 2710 jours » est le journal intime d'un jeune agriculteur vendéen, conscrit de 1937, emporté dans la tourmente de 40 et qui passe 5 ans en captivité en Allemagne. De l’insouciance, voire l’ennui, du service militaire, ponctué heureusement par les bals musettes, au travail forcé, le froid, la faim, les brimades des Stalags, en passant par la drôle de Drôle de Guerre et l’ouragan de la Blitzkrieg. Le texte, écrit à l’origine sur des cahiers d’écolier, outre l’évident intérêt historique, rend le personnage extrêmement attachant. Une petite merveille de livre. Tout ce qu’on aime.

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Le petit-fils de Lucien, Damien Pouvreau (à l’origine de la publication du livre, qu’il nous a gentiment dédicacé, et qui a fourni les photos inédites qui illustrent cet article) s'est inspiré du journal de son grand-père pour composer l'album "2710 jours de ma jeunesse" et créer un spectacle musical, actuellement à l'affiche du Grenier à sel d'Avignon, tous les jours à 20h et jusqu'au 27 juillet, dans le cadre du festival d'Avignon (sélection pays de la Loire). Voir ici. Le devoir de mémoire prend de bien heureuses formes.

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Page FaceBook de Damien Pouvreau ici. Vidéo

« 2710 jours » est publié par Les Archives Dormantes, très sympathique maison.  Disponible ici.

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Lucien Violleau

Avril 1941 – Les civils allemands ont une foi sans limites dans la victoire finale, une admiration sans borne pour Hitler, qu’ils portent aux nues par leurs paroles et leurs gestes. Ils ont remplacé les formules de politesse "bonjour", "bonsoir", "au revoir", "salut" par le "Heil Hitler" qu’ils prononcent tout naturellement, à chaque instant avec grand respect. C’est le cri à la mode. Les hommes, en se saluant ainsi, lèvent la main "à la Hitler". La folie.

***

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Hommage

Aux combattants de 39-40

60 000 soldats français morts au combat,

7 500 Belges, 6 000 Polonais, 3 500 Britanniques, 3 000 Néerlandais, 1 300 Norvégiens,

150 000 blessés.

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2CL René Hertoux, 124e RI, vétéran de 39-40, blessé de guerre, médaille militaire, croix de guerre, citation à l’ordre de l’Armée, 3 citations à l’ordre du régiment.

La voie de l’honneur est un chemin étroit et peu fréquenté. Les plus anonymes y sont capables de coups d’éclats, et le banal peut se teinter de sublime. L’historien a fait son œuvre et pour décrire la débâcle de 1940 et l’effondrement de la France, il a analysé, recoupé, enquêté. Avec le recul, le sens de l’histoire peut se redessiner. Les héros discrets peuvent enfin y trouver leur place, car leur courage solitaire et obstiné force l’admiration.

« La gloire de nos pères », CNE (er) Didier Hertoux

 

 

 

 

19/10/2016

« Les enfants de Loyada », MAJ (er) Jean-Luc Riva, éd Nimrod

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur et des éditions Nimrod. Droits réservés.

 

 

Ils ne savaient pas que c’était impossible ; alors ils l’ont fait.

Marc Twain

 

L'histoire militaire est faite de drames et de grandeur. Mais la mémoire est courte, voire sélective quand la politique s'en mêle. De ce fait, certaines actions, quand bien même menées héroïquement, restent dans les limbes, aussi cruel cela soit-il pour leurs "acteurs", les victimes, les combattants. Un exemple parmi d'autres : qui a entendu parler de Loyada ?
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Rappelons le contexte : Il y a quarante ans, alors que Djibouti, alias Territoire français des Afars et des Issas, est promis à l'indépendance, un commando du FLCS prend en otage trente-et-un enfants de militaires français dans un car scolaire, conduit par un appelé du contingent de 19 ans, Jean-Michel Dupont. Alertés, les Gendarmes du poste de Loyada bloquent le véhicule. D’un côté de la frontière, les troupes somaliennes se déploient. Du côté français, la 2e Cie du 2e REP et les AML de la 13e DBLE prennent position, rejoints par des tireurs d’élite du GIGN, nouvellement créé par Prouteau. Le chef de la gendarmerie locale, Jean-Noël Mermet, le Haut-commissaire adjoint, Jean Froment, le consul somalien (au jeu trouble), tentent de négocier avec les terroristes. Afin de calmer les enfants, une assistante sociale, Jehanne Bru, se porte volontaire pour rejoindre le car…


Il n’est pas simple d’aborder sous forme de recension un tel livre : il se lit d’une traite. On ne peut que féliciter Jean-Luc Riva, sur le fond - remettre à l’honneur cette opération quasi oubliée, pourtant fondatrice du GIGN et ajoutant à la gloire du REP ; et sur la forme : vous ne faites pas que lire, vous vivez l’instant dans toute sa dramaturgie.


Quatre hommes attendent et observent. L'un d'eux vient de s'avancer jusqu'à la lisière. Toute son attention se porte sur le ramassage scolaire qui s'effectue sous ses yeux. A ses pieds, dissimulés dans un sac de toile de jute, une arme, quelques chargeurs et des grenades. Son regard ne quitte pas le gros car vert, celui auprès duquel le chef de bord s'agite pour faire monter les enfants les plus jeunes. Ils sont encore quatre ou cinq à attendre de monter, c'est le moment ! Un signe et les quatre hommes sortent leurs armes des sacs et se mettent à courir vers le car de Jean-Michel Dupont.

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Jean-Michel se lève de son siège et regarde les enfants. Ils sont dans un nuage. Tous ces bambins ont l'impression d'être dans un western et aucun d'eux ne semble avoir pris conscience du danger qui les menace. Les larmes et les cris de tout à l'heure ont cessé. Pour passer le temps, ils mangent les quelques gâteaux et bonbons que leurs mères ont mis dans les cartables tout en regardant les hommes qui, à l'extérieur, leur font des signes d’encouragement. Comment ces enfants pourraient-ils se douter que c'est de leurs vies qu'il s'agit ?

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Le haut-commissaire adjoint Jean Froment en discussion avec le consul de Somalie, à proximité du car

La pagaille règne dans le bus. Jean-Michel Dupont a quitté son siège de chauffeur pour essayer de faire régner un peu d'ordre et calmer les gosses. Mais les enfants trépignent, s'agitent et demandent à descendre pour satisfaire leurs besoins naturels. Cela ne va pas pouvoir durer bien longtemps, pense Froment. Inquiet, il rejoint Mermet. Le gendarme l'interpelle : "Monsieur le haut-commissaire, il faut faire venir quelqu'un, une infirmière ou une maîtresse d'école, mais il faut calmer les enfants.
Jean Froment acquiesce d'un clignement de paupières sous son chapeau de paille. Son attention est surtout attirée par l'attitude du consul, qui a gagné le poste-frontière somalien à pied. Il le voit discuter avec les gardes somaliens en faisant de grands gestes. A quel jeu joue-t-il ?

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Ne montre pas ta peur se dit Jehanne Bru. En la voyant grimper dans le bus, le chauffeur Jean-Michel ressent un immense soulagement. Je ne suis plus seul ! Il a fait de son mieux pour distraire les enfants et les calmer lorsqu'ils s'agitaient, mais la crainte que l'un d'entre eux essaie de s'échapper ou craque nerveusement lui hante l'esprit en permanence. Les ravisseurs auraient-ils tiré ?

(…)

La petite Nadine Durand, qui souffre d'une rage de dents tenace, le rejoint pour se blottir sur ses genoux. Il lui fait prendre un peu d'aspirine afin de calmer sa douleur. Dès que celle-ci s'estompe, la petite fille adresse un beau sourire à Jean-Michel. D'ailleurs elle n'est pas la seule à venir parler avec lui. Peu à peu, il est devenu le héros des enfants, celui qui veille sur eux depuis le matin. Pourtant, certaines de leurs paroles naïves lui font froid dans le dos. "Dis; quand est-ce qu'ils vont te tuer, les méchants ? Eux, ils ne tuent pas les enfants ; mais toi, si, ils vont te tuer."

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Appuyé contre un palmier, Jean-Michel réfléchit une dernière fois à la trajectoire qu'il doit prendre, fait un pas puis fléchit sur ses jambes comme un sprinter au moment du départ. Il respire longuement et jette un ultime coup d’œil au bus. Il n'ira pas plus loin, son évasion s'arrête là. Il les a vus ! La silhouette de l'assistante sociale qui se penche sur les quelques têtes qui émergent à peine du bas des vitres du car, les mots terribles des gamins, leurs regards admiratifs aussi. "Tu es notre Superman !" lui ont-ils dit ce soir. Je dois pouvoir les aider, se dit-il en rejoignant finalement le car.

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Omar fait quelques pas en direction du car. Il regarde en direction du nord, là où les Français attendent, tapis dans la palmeraie. Il esquisse un sourire en pensant que jamais ils n'oseront attaquer. Ils ont bien trop peur qu'il n'arrive malheur à leurs chers petits ! Et puis il faut venir jusqu'ici dans le no man's land en traversant un glacis désertique de plus de 200 mètres. Ce serait un massacre.

(…)

Il fait maintenant 35°. Tout est moite et la sueur ruisselle sur leurs fronts ; les gouttes suivent un trajet vertical qui les amène sur les paupières qu'ils ont rivées à leur lunette. Dès que l'œil se décolle du caoutchouc, les petites gouttes de transpiration en profitent pour descendre encore. Alors, d'un revers de la main, les hommes les essuient jusqu'à la prochaine fois. Avec le soleil qui tape de plus en plus, le grossissement de la lunette allié à la chaleur provoque un effet de mirage qui fait danser le paysage devant leurs yeux. Et le sable ? Il s'infiltre au moindre mouvement ! Et il rentre partout, même dans les parties les plus intimes. Il leur faut une concentration à toute épreuve pour résister à la tentation de se gratter les burnes en permanence.

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Chacun des tireurs prononce mentalement le chiffre clé [pour coordonner le timing]. 333. Les réticules sont calés sur les têtes des ravisseurs. 333. La respiration est bloquée et l'index a rattrapé le jeu de détente. 333. L'index écrase sans à-coup la queue de détente. Une seule détonation, un léger nuage de sable qui s'élève et les six balles filent à 840 mètres/seconde vers leurs objectifs.

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C'est le signal de l'assaut. Les Légionnaires du 2e REP avec à leur tête le CNE Soubirou, le chef commande de l'avant, et les automitrailleuses AML de la 13e DBLE chargent. Deux cents mètres à parcourir sous le feu des soldats somaliens qui arrosent, tant les soldats français que le car.

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Ils y sont presque, les hommes du REP. Les bruits des balles et des moteurs d'AML ne parviennent pas à couvrir un son autrement plus dramatique qui enfle à mesure que les légionnaires avancent vers le car. Ce bruit, c'est celui des hurlements des enfants qui sont pétrifiés de peur. Jehanne Bru est au sol et le chauffeur Jean-Michel Dupont est recroquevillé sur sa banquette avec, autour d'eux, les gamins allongés qui se tiennent par les épaules comme pour se donner mutuellement du courage.

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A l'horreur va s'ajouter la cruauté. Idriss frappe [David] de toutes ses forces. Pas de la main, non ! Un grand coup de crosse circulaire, un coup monstrueux en plein visage. La puissance du coup est telle que la tête du petit David Brisson manque d'éclater. La joue de l'enfant est lacérée sur plusieurs centimètres tandis que la rétine de l'un de ses yeux se décolle sous le choc. Idriss n'en a cure. Il ramasse l'enfant pantelant et couvert de sang en l'attrapant par le col de sa chemise et le plaque devant lui, comme un bouclier. Vite ! se dit le caporal Larking, qui vient de monter dans le bus…


***


IMG_0013.jpgEn 1968, Jean-Luc devance l'appel pour rejoindre le 13e RDP le jour de ses 18 ans. Il suit une formation d'opérateur-radio puis est affecté en équipe de recherche. Il signe son engagement dans le régiment à l'issue de son service militaire. Sergent en 1970, il demeure en équipe de recherche jusqu'à son départ à l'état-major de Berlin en 1978. En 1981, il est affecté comme instructeur à l'ESM de Saint Cyr-Coëtquidan où il croise de futurs grands noms comme Denis Favier, futur patron du GIGN et DGGN, ou le futur Général Barrera avec lequel il rédige un document sur les Balkans (5 ans avant le début du conflit…). Après avoir réussi le concours des majors, il rejoint l’École Interarmées du Renseignement en qualité d'instructeur des futurs attachés de Défense affectés dans les pays de l'Est. Il effectuera jusqu'en 1994 de nombreuses missions à l'étranger dans le cadre de la mise à jour de la documentation relative à l'identification des matériels, en particulier en ex-Yougoslavie (92-93). Il quitte le ministère de la Défense en 1994 pour réintégrer la vie civile.

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Avec Jean-Luc Riva (au centre) et l’éditeur Nimrod (à gauche), au Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan 2016.
Vue la qualité de ce premier livre-témoignage, nous ne pouvons qu’inciter Jean-Luc à s’intéresser à d’autres opérations…
Et nous remercions à nouveau l’éditeur Nimrod pour son exemplaire collector, dédicacé par l’auteur et le CDT Prouteau.

Page FaceBook de l'auteur ici.


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« Les enfants de Loyada - La prise d'otages de Loyada et l'indépendance de Djibouti » par Jean-Luc Riva, préfaces du GAL André Soubirou et du CDT Christian Prouteau.


ISBN 978-2915243666 – Prix 21 € - Format 15x23, 288 pages, cahier-photo.

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Aux éditions Nimrod


Disponible ici
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Vidéo J.T. TF1 1976

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David Brisson


In memoriam


Nadine Durand, 8 ans, tuée par un terroriste,


Valérie Geissbuhler, 8 ans, décédée des suites de ses blessures,


Valérie, 8 ans, Marie-Laure, 8 ans, Josiane, 6 ans, Marie-Line, 7 ans, blessées par les terroristes et les soldats somaliens,


David Brisson, 5 ans, sauvagement frappé au visage par un terroriste et utilisé comme bouclier humain.


David, lui, ne s'en remettra jamais. Il ne bénéficiera d'aucun suivi psychologique - cela n'existait pratiquement pas à cette époque - et il devra vivre avec des blessures qui laisseront des traces indélébiles sur son visage comme dans son esprit. Sa mémoire gardera le souvenir du fracas de Loyada comme celui du bruit des vitres brisées par les balles, à tel point qu'un jour la projection d'un gravillon dans le pare-brise de la voiture le transportant provoquera en lui une crise de panique. Arrivé au bout du chemin, David choisira de quitter volontairement ce monde au mois de mai 2014.


Franck Rutkowski, 7 ans, pris en otage par le FLCS en Somalie,


A tous les enfants de Loyada.

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CNE Soubirou – LTN Prouteau


Hommage


Au LTN Doucet, blessé lors de l’assaut ; à ses camarades de la 2e Cie du 2e REP,


Aux tireurs d’élite du GIGN,


A tous ceux qui ont participé l’opération.

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Le chauffeur Jean-Michel Dupont, appelé du contingent, ayant la possibilité de s’échapper, est finalement retourné dans le car pour ne pas abandonner les enfants – Le gendarme Jean-Noël Mermet a tout tenté pour une issue pacifique.

Hommage à tous Ceux de Loyada


Et il y a les obscurs, ceux dont aucun livre ni journal n'a retenu les noms : Le Gendarme Jean-Noël Mermet, en poste à Loyada, le Haut-commissaire adjoint Jean Froment, Jean-Michel Dupont le chauffeur appelé et Jehanne Bru l'assistante sociale.
Peut-être parce que le héros doit toujours être un guerrier et que la guerre n'était pas leur métier. Mais sans eux, les guerriers n'auraient pas été les héros de Loyada. En gagnant du temps et en maîtrisant le comportement des enfants, ils ont permis à l'action de libération des otages de se dérouler dans les meilleures conditions. C'est grâce à eux que les gendarmes du GIGN et les légionnaires du REP ont pu réussir cette action désespérée.

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[Edit 1.11.2016] Sympathique petit mot de Jean-Noël Mermet, reçu après publication de cette chronique.

***

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Djibouti, Légionnaires de la 2e Cie du 2e REP, avec une mitrailleuse prise aux soldats somaliens

 

- Qu'est-ce que tu fais avec [les terroristes], Hassan ?
- Je me bats pour l'indépendance.
- En prenant des gosses en otages ? Cela va finir comment, Hassan ?
Un rire sardonique lui répond.
- Comment veux-tu que cela finisse ? La France cède toujours.

 

Discussion entre le gendarme Mermet et Hassan Elmi Gueldon, son ex-collègue passé à la rébellion

 

 

 

 

24/05/2016

« La tombe d’Hanoï », Henri Ansroul, 1er BCCP ; « 5e Promo au rapport », Christian Hager, EETAT, ENSOA ; « Des mots, pour des maux », Jean-Louis Martinez, soldat, poète et artiste.

Extraits publiés avec l’aimable autorisation des auteurs. Droits réservés.

 

Tous les soldats n’ont pas l’aura d’un Marcel Bigeard ; tous les soldats n’ont pas la plume d’un Hélie de Saint-Marc…

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C’est un fait. Mais en quoi cela rendrait leurs témoignages moins intéressants ? Peut-on imaginer un récit de vétéran d’Indo « de trop » ? Un texte rapportant la vie dans l’Ecole des Techniciens de l’Armée Terre à la fin des années 60, n’est-ce pas totalement inédit ? Un militaire ne pourrait-il être, également, artiste et poète ?

C’est l’objectif que nous nous fixons avec ces « milibiblis » : sortir de l’ombre des livres écrits sans la moindre prétention mais avec le cœur, souvent autoédités, donc pouvant souffrir d’un manque de « visibilité ».

Ces ouvrages, éminemment personnels, auraient pu rester dans l’imaginaire de leurs auteurs, être confinés au cercle familial, voire sous la forme d’un manuscrit s’empoussiérant dans un tiroir ; cela aurait été fort dommage : le devoir de mémoire ne s’arrête pas à lire et honorer les hommes  que l’Histoire a eu la bienveillance de conserver dans ses tablettes.

« Tout homme est une exception ».

Hélie de Saint-Marc

 *

 « La tombe d’Hanoï », Henri Ansroul, 1er BCCP, éd. Les Archives Dormantes

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Henri Ansroul en Indochine, photo famille Ansroul

La première chose que vous faites en arrivant dans une ville, après si longtemps, c’est d’aller voir les filles. Les Indochinoises nous semblaient si belles, quel dépaysement ! Pousse-pousse, chaleur, bruits, klaxon, cette foule qui bouge sans cesse ; on avait envie de se mettre dans le bain tout de suite, sans penser à ce que nous étions venus faire ici.

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A chaque fois que je bougeais, je me faisais allumer. Je commençais à me faire du mouron. Puis le sergent nous fît des signes devant : dans les arbres. Et de son arme, il envoya une rafale dans le milieu de ces arbres. Je tirai aussi, deux ou trois autres en ont fait autant. Surprise, étonnement, nous avons vu un paquet de branches tomber. Ces salauds camouflés avec des bouts de branches, nous tiraient dessus. On en a vu descendre trois ou quatre (…) Quelques instants plus tard, j’ai reçu une pierre avec un mot : « on décroche » (…) Les copains qui sont partis avant moi se mettaient en position pour couvrir les autres qui n’avaient pas encore reçu l’ordre. Puis ça y est, c’est mon tour. Les fesses serrées, le trou du cul à zéro, j’attendais le signal.

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Beaucoup ont dû croiser Henri Ansroul, humble garagiste breton, sans se douter de son passé de combattant d'Indochine, valeureux commando-para du 1er BCCP. Il a désormais rejoint ses camarades de la tombe d’Hanoï. Le manuscrit qu’il avait pris soin d’écrire aurait pu rester « dans la famille » ; cela aurait été regrettable : sans esbroufe, Henri a un certain talent pour rendre le fracas des combats dans la moiteur indochinoise. Saluons donc l’initiative de ses enfants et petits-enfants qui, avec le soutien de la nouvelle maison d’édition Les Archives dormantes, complète d’une jolie manière la milibibli « Ceux d’Indo ». Disponible chez votre libraire, éventuellement sur commande, ou sur les sites du Net. Par exemple ici. 

Site des éditions Les Archives Dormantes ici.  

Page FaceBook .  

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Hanoï, tombe d’André, camarade d’Henri. Photo famille Ansroul

J’ai trouvé une place pour mettre mon hamac. J’étais tellement faible que je restais des heures dedans, bercé par le roulis. Je me disais que maintenant c’était vrai : je rentrais, le bateau ne ferait pas demi-tour. J’avais encore peur, quand même.

***

« 5e Promo au rapport », Christian Hager, EETAT, ENSOA, TheBookEdition

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Christian Hager à Issoire.

- Vous n’allez quand même pas prétendre que c’est propre !

- Si, mon Lieutenant.

- Puisque c’est si propre, si je vous donne l’ordre de boire dans les urinoirs. En êtes-vous capable ?

- Non, mon Lieutenant.

- Et pour cause, ils sont dégueulasses !

J’aurais donné cher pour savoir ce qui n’allait pas. J’avais beau scruter les urinoirs à la loupe, je ne voyais rien d’anormal.

- Etes-vous certain d’avoir une bonne vue ? repris le Lieutenant. (…/…)

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Cette autobiographie évoque un contexte atypique : celui  de l'Ecole d'Enseignement Technique de l'Armée de Terre, EATAT/EETAT/ENTSOA d'Issoire, AEETAT de Tulle, mais aussi ENSOA de Saint-Maixent, à la fin des années 60. De l’inédit donc. De plus, Christian, dans un style d’une réjouissante simplicité, rend bien l'ambiance de l'époque à travers les yeux d'un jeune-homme : la découverte de la vie militaire, les profs, les camarades, les trains de nuit, les sorties, les nuits blanches place Clichy, les filles... Le résultat est très sympathique et rappellera bien des souvenirs aux aînés, techniciens passés par l'école, mais plus généralement EVAT et appelés.

Et par tous les Saints ? Vive les techniciens !

Disponible auprès de l'auteur ici. 

Page FaceBook de l’auteur .

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Ecole des Techniciens de l’Armée de Terre

(…/…) Le Lieutenant n’avait pas l’air d’apprécier nos réponses. Il gardait son calme, mais on le sentait prêt à sortir l’artillerie lourde. Il nous montra un léger dépôt de calcaire sur le pourtour d’un trou d’évacuation. C’était l’objet du délit qui nous valut deux tours de consigne et la présentation de la corvée de lavabos et d’urinoirs en tenue de sortie, chemise blanche, cravate noire et gants blancs, chaque matin à 7h35, pendant deux semaines.

***

« Des mots, pour des maux », Jean-Louis Martinez, autoédité

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J’étais, je suis, et je resterai

ce soldat qui saluait lorsque les couleurs étaient hissées.

J’étais, je suis et je resterai

ce soldat qui frissonnait lorsque la Marseillaise était chantée.

J’étais, je suis et je resterai

ce soldat qui se redressait lorsque le respect lui était donné. 

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Autoportrait

Oui je le resterai, je soutiens et soutiendrai

mes camarades si malmenés.

Je le resterai, afin qu’ils restent ancrés dans le cœur des Français.

Je le resterai, pour que leurs proches soient à tout moment protégés.

Pour les protéger d’un monde individualiste exacerbé.

Qui ne se réveille que quand la mort

Vient à sa porte

Le déranger.

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Les dessins et les textes de notre ami Jean-Louis Martinez sont désormais bien connus de la fraternité militaire, étant largement diffusés sur le Net ; mais les avoir sous forme d’un livre, c’est mieux ! "Des mots, pour des maux" est le deuxième opus, dessins-poèmes-textes-coups-de-gueule, tout aussi réussi que le premier, "Soldat protecteur de notre liberté" (abordé dans une milibibli ici). C'est humble, cela parle au cœur, c’est attachant. On aime vraiment beaucoup, tant l’œuvre que l’homme.

Disponible sur le site de Jean-Louis ici. Attention, très peu d’exemplaires encore en stock !

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02/05/2016

« Opération Turquoise », GAL Jean-Claude Lafourcade, éd. Perrin

Extraits publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Photos issues de la collection de l’association « France-Turquoise ». Droits réservés.

 

 

La seule chose qui permet au mal de triompher

est l’inaction des hommes de bien.

Edmund Burke

 

Le fils d’une de mes amies, rentrant de son célèbre lycée du VII arrondissement de Paris, lui dit : « Comment peux-tu encore fréquenter le général Lafourcade ??? C’est un génocidaire !!! ».

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Cette phrase, issue du livre, est un crève-cœur. Crève-cœur pour le Général, vous le comprendrez aisément en lisant le texte qui suit. Crève-cœur pour nous aussi, de par l’affection que nous portons à « Ceux de Turquoise ».

N’en voulons pas trop, cependant, à ce jeune-homme qui a subi le lavage de cerveau de la propagande, d’où qu’elle vienne. Espérons simplement que, depuis lors, il a lu le livre du Général Lafourcade, ceux du padre Kalka, du Colonel Hogard ou du Caporal-Chef Geoffroy, tous vétérans de Turquoise.

En une heure, l’amiral Lanxade [CEMA] m’a fait voir l’extrême difficulté de la mission qui nous attend. Des rapports empoisonnés avec le FPR [Front Patriotique Rwandais, tutsi], les « retrouvailles » avec nos anciens alliés [Hutus] qui, pour certains, ont les mains pleines de sang, la forte pression médiatique, l’isolement sur la scène internationale, les soupçons, un drame humanitaire… Intérieurement, je m’inquiète, non pas pour moi et mes hommes, mais pour la réussite de la mission. Il faudra aller vite si nous voulons réussir à sauver encore des survivants. J’ai conscience que nous arrivons bien tard, beaucoup de mal est fait, mais chaque vie compte.

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Depuis qu’on a vu sur toutes les télévisions du monde les cadavres des soldats américains traînés dans les rues de Mogadiscio, les Etats-Unis sont dans une logique « zéro mort ». N’ont-ils pas, en outre, formé eux-mêmes le général Kagamé [leader Tutsi] dans leur académie militaire de Fort Leavenworth ? Et l’attentat contre l’avion du président [Hutu] Habyarimana n’offre-t-il pas une opportunité pour leur allié anglophone de prendre le pouvoir ? Les Anglais considèrent que le Rwanda n’est pas dans leur zone d’intervention. Les Belges, dont dix casques bleus ont été assassinés le lendemain de l’attentat contre Habyarimana sont traumatisés. Ainsi la France, qui est le premier pays à avoir officiellement utilisé par la voix de son ministres des affaires étrangères le mot de génocide le 1er mai, semble la seule nation occidentale prête à intervenir pour que celui-ci cesse.

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Notre hélicoptère Puma file à 240 kilomètres/heure au-dessus du lac Kivu. J’y plonge mon regard et sous les reflets turquoise, les profondeurs sombres me renvoient à mes pensées. Nous sommes en pleine action et nous connaissons son sens. Mais ce que nous découvrons jour après jour ici, nous entraîne dans des abysses jusqu’alors inconnues…

(…)

Les miroitements mirifiques du lac que nous avons survolé d’un bond d’aéronef suffiraient à illuminer notre journée, mais des rivières de sang l’assombrissent bientôt. C’était trop beau. En route, un spectacle macabre se dévoile. L’envers du décor. Nous faisons une halte pour nous enfoncer à pied dans un bois. Là, maintenant, l’odeur si particulière des cadavres nous saisit et nous repousse quelques pas en arrière. Contrastes : splendeur du Rwanda, fureur de la bête humaine. Est-ce possible ? Nous avions vu, tous, à la télévision, les images des massacres. Mais nous ne savions pas, nous n’imaginions pas. Devant nous, des corps éparpillés dans la forêt, au milieu des bosquets, laissés là depuis plusieurs semaines. C’est insoutenable. Ces Tutsis ont été frappés au visage, mutilés, découpés, écrasés. La vie s’arrête là sous nos yeux. La nausée…

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Je repense alors aux colonnes de civils qui nous saluaient à l’instant, au passage de notre véhicule. C’étaient des Hutu, et tous, innocents ou non, craignent que des Tutsis du FPR [Front Patriotique Rwandais] la vengeance et les massacres de représailles. Les tueurs sont parmi eux… Ils fuient par dizaines de milliers vers le Zaïre. Ils ont tout perdu, tout abandonné sauf quelques marmites, des bidons, des morceaux de tôle. Nous regagnons la route et les croisons à nouveau. L’air hagard, désespérés, ils marchent. Certains ont égorgé leur meilleur ami. D’autres ne sont que les victimes d’une guerre larvée qui dure depuis 1990. Elle, avec son fichu rose sur la tête, n’a-t-elle pas dénoncé ses voisins ? Et lui, a-t-il « coupé », comme on dit ? Ils nous regardent. Ils lancent un amahoro, « paix ». Que dois-je faire ? Ils ne sont évidemment pas tous coupables, mais qui est qui ?

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Compte tenu des effectifs dont je dispose sur le terrain, il sera difficile de contrôler l’ensemble de la zone FAR [Hutu], car les réfugiés se cachent et les milices commettent leurs actes la nuit. Cela devrait donc prendre un certain temps avec le risque que les exactions se poursuivent. A des journalistes qui m’interrogent, je dis en substance : « Pourquoi n’avançons-nous pas assez vite ? Parce que nous sommes seuls. Seule la France a eu le courage d’intervenir et nos moyens sont limités. Où sont les Anglais et les Américains qui nous ont mis des bâtons dans les roues avant l’intervention ?

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L’avancée des troupes de Kagamé vers nos positions a eu les conséquences que nous craignons. L’exode massif est en marche (…) les acteurs du génocide savent qu’ils ne sont pas les bienvenus dans notre zone et que la justice a commencé son travail. Ils se dirigent donc vers Goma. Mêlés à des centaines de réfugiés, comment les identifier et les appréhender ? Paul Kagamé a provoqué le contraire de ce qu’il déclarait vouloir faire et il ne pourra s’emparer des massacreurs, désormais à l’abri au Zaïre.

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Les rues de Goma sont bondées d’une foule errante. Ils déambulent sans but, avec leurs ballots sur la tête, leurs vêtements sales, leurs chaussures abîmées par les kilomètres. Acceptent-ils cette situation ? Leur résignation m’étonne. Tout autour de la ville, sur des terrains où rien ne pousse, ils s’installent, entassés. La terre est noire, la poussière de lave et la pierre ponce ne draine pas les excréments. La puanteur des immondices se répand. Au milieu des détritus, ils ont faim, soif. La menace de l’épidémie plane sur eux. Le choléra fait ses premières victimes.

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La mort fauche par milliers les hommes les femmes, les enfants. Ils tombent sans se plaindre. Le courant de la fatalité les emporte sans qu’ils réagissent.

Après la découverte du génocide d’avril, mai et juin, nous avons atteint de nouveaux sommets dramatiques. Nous sommes tous bouleversés par ce que nous vivons. Il faut voir ces jeunes militaires français, de 18 à 25 ans, aidés par des Zaïrois que nous avons payés, décharger de nos camions des centaines de corps et les jeter dans d’immenses tranchées. Choqués, ils charrient les masses inertes comme des sacs de sable. Je leur en ai donné l’ordre. Ils obéissent dans la générosité et l’abnégation. Je pense à eux, à leur vie à jamais changée. Je pense à leurs familles, mais aussi à celles de toutes les victimes. Tout se fait dans un bruit assourdissant de pelleteuses qui agrandissent toujours plus ces tombes géantes et recouvrent ensuite sans plus de cérémonie les milliers de défunts. Je n’oublierai jamais le visage du caporal conducteur de bulldozer.

***

En août 1994, trois mois après leur déploiement et conformément au mandat de l’ONU, les soldats de Turquoise quittent le Rwanda. Tous reviendront profondément meurtris, combien d’entre eux, comme le CCH Xavier Geoffroy, victime du syndrome de stress post-traumatique. On ne sort pas indemne de « l’apocalypse sur Terre », dixit le padre Kalka.

Dans un premier temps, la communauté internationale applaudit. Certes les hommes de Turquoise n’ont pu empêcher les massacres, perpétrés à plus de 90% avant leur déploiement ; certes des assassinats et exactions ont continué ; la France était seule, ses moyens limités… (2500 hommes…) reste que que des dizaines de milliers de Tutsis ont été sauvés, le travail des ONG facilité, au moins dans la zone contrôlée, un semblant de paix installé, permettant la reconstruction du pays.

Mais tout cela n’est rien pour des  journalistes avides de buzz, une presse anglo-saxonne qui relaie le discours officiel anti-français, un gouvernement Kagamé, désormais 100% tutsi, qui allume des feux francophobes un peu partout, profitant de l’écran de fumée pour liquider à qui mieux mieux les opposants, quand ce n’est pas massacrer les réfugiés hutus au Zaïre. Pour eux, les soldats français présents au Rwanda sont des génocidaires.

Et depuis 20 ans - à nouveau début 2016 - ces soldats sont convoqués devant la justice pour répondre de leur « crime ».

Tristement, et dans une indifférence nationale quasi générale, la chasse aux boucs émissaires se poursuit.

***

220x220-ct.jpgNé en 1943, Jean-Claude Lafourcade intègre Saint-Cyr, promotion « Serment de 14 ». Il fait sa carrière dans les Troupes de Marine, 21e RIMA, 3e RPIMa. En 1974 il est aide de camp du GAL Bigeard au Secrétariat d’état à la Défense, puis  chef de corps du 8e RPIMa. En 1994, alors Général de Brigade, adjoint à la 11e Division parachutiste, il est désigné pour prendre le commandement de l’opération Turquoise au Rwanda, sous mandat de l’ONU. Général de corps d’armée, commandeur de la Légion d’Honneur, il est placé en 2ème section en 2003. Face aux multiples attaques et procès, il fonde l’association France-Turquoise en 2006, destinée à défendre l'honneur de l'armée française au Rwanda. Le GAL Lafourcade est marié et père de deux enfants.

Site de l'association France-Turquoise ici.

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ISBN 978-2262031282 – Format 21,1 x 14,2 216 pages.

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Aux éditions Perrin

Le livre est malheureusement épuisé ; à dénicher sur la marché de l’occasion, par exemple ici.

Pour d’autres livres de « Ceux de Turquoise », voir ici.

***

Interview du Général Jean-Claude Lafourcade

7.4.2014

***

En novembre 2015, 21 ans après les faits, des associations, autoproclamées défenderesses des droits de l’homme, ont renouvelé leur plainte pour complicité de génocide contre des officiers de Turquoise, pour ne pas avoir sauvé plusieurs centaines de Tutsis à Bisesero.

Le Général Lafourcade a été convoqué une nouvelle fois par la Justice en janvier dernier.

*
En 1996, le gouvernement rwandais, désormais exclusivement tutsi, décide de démanteler les camps de réfugiés hutus au Zaïre. Il attaque les campements. L’opération fait de 40 000 à 200 000  morts selon les sources.  Nous n’avons pas connaissance de procédures judiciaires sur ces faits, par les associations susnommées, à l’encontre des soldats de Kagamé.

D’ap. "Perdus dans la forêt", traduction française par Wolfgang Blam - Taz (Allemagne) 28.8.2010.

*

Dans cette réalité rwandaise, comme c’est souvent le cas en Afrique, mais aussi ailleurs - on l’a vu en ex-Yougoslavie - il n’y a pas de place pour le manichéisme, pour une vision angélique des uns et diaboliques des autres. Comme l’écrit Jean d’Ormesson dans un article paru dans le Figaro, le 21 juillet 1994. : « S’il faut tirer une leçon du Rwanda, c’est que les hommes sont tous coupables et qu’ils sont tous innocents. Il n’y a pas de bons et de mauvais. Il n’y a que l’engrenage de la haine et de la violence. »

COL Jacques Hogard, commandant la ZHS au Rwanda pendant l’opération Turquoise.

 

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Au Cercle national des Armées, fiers de nous afficher au côté du Général Lafourcade.

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Hommage à Ceux de Turquoise.

« J’ai fait tout ce qu’un soldat a l’habitude de faire.

Pour le reste, j’ai fait ce que j’ai pu. »

Etienne de Vignoles, dit La Hire, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc.

*

A la mémoire de toutes les victimes de la guerre civile au Rwanda.

« Si vous cherchez un coupable, commencez par vous demander à qui a profité le crime. »

Bon sens populaire.

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Etre accusé de génocide, c’est être accusé du pire des crimes (…) Ce n’est pas seulement une insulte faite à mon honneur de citoyen. C’est une blessure au plus profond de mon être. Le Rwanda, en 1994, je peux dire : j’y étais. Le génocide, je l’ai touché. Je l’ai côtoyé. Ce que j’ai vu a définitivement changé ma vie. Je sais exactement de quoi je parle. Pas d’un concept, pas d’un crime imaginaire déclaré odieux dans un salon mondain. J’ai en tête les images très précises de ce dont on voudrait m’accuser. Je pense être un homme équilibré ; malgré tout, je sais avoir été définitivement marqué par cette expérience. Aujourd’hui, c’est là, au fond de moi, que l’on vient me meurtrir.

Et je ne suis pas seul. Je pense à tous les soldats de Turquoise. Nous avons agi dans un environnement d’une complexité rare, sans cesse confronté à l’horreur.

Les soldats qui ont servi au Rwanda en 1994 ne méritent pas une telle infamie.

Général Jean-Claude Lafourcade

 

 

 

 

09/03/2016

« Dieu désarmé », Padre Richard Kalka, aumônier militaire, autoédité

V2. Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés. 

 

+ + +

Le centurion qui se trouvait devant lui, voyant  qu’il avait ainsi expiré, dit :

Vraiment, cet homme est bien le fils de Dieu.

Luc [15.39]

 

 

Il nous a fait sourire, le padre : « J'espère que vous ferez preuve de bienveillance en lisant mon livre... »

Comment ? Faire preuve de bienveillance, mon père ?

Richard Kalka, aumônier-para, Tchad, Rwanda, Irak, Centrafrique, Bosnie, Kosovo, Gabon, Afghanistan... Epervier ! Daguet !  Amaryllis ! Turquoise ! FORPRONU ! Barracuda ! (on passe les décorations).

Et vous nous demandez de faire preuve de bienveillance, padre ?

Vous avez vraiment le sens de l'humour !

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Ah, « Dieu désarmé » ! Derrière l’intelligence du titre, quelle belle remontée du Mekong…

Prenons cette image, le Mékong : La vie se compare-t-elle à un fleuve, coulant parfois gentiment, entre des berges champêtres, affrontant soudain des rapides, voire des Niagara ?

C’est, il nous semble, une mauvaise parabole : le flux n’a pas de mémoire.

Nous ne voyons pas la vie comme un fleuve, nous la voyons comme la Terre, au sens géologique du terme.

Faites une coupe : les states se superposent ; des couches de bonheur, de détresse, de métro-boulot-dodo, de désespérance, de joie immense, de drame… Une épaisseur recouvre la précédente, certaines se mêlent du fait des mouvements des plaques tectoniques  et des tremblements de Terre. Mais cela  reste  des strates, et notre vie les conserve toutes, en mémoire, dans nos cœurs, dans nos âmes.

Avec ce livre, le Padre, mec costaud, a pris sa pelle et a fait une belle tranchée dans sa Terre, exposant les strates de sa vie.

- Strates d’humour -

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Tchad, 1992

Tchad

Alors qu’un dîner de fête est organisé, alerte à l’aviation libyenne : "Tout le monde aux abris ! Padre, cette fois, c’est du vrai ! Venez avec moi !". (…) J’obtempère, sans oublier toutefois d’emporter les deux bouteilles de rouge abandonnées sur la table de la popote…

Tchad

Un Capitaine de l’armée tchadienne m’apporte tout fier une grande tasse de café au lait. Le café est très chaud. Avec précaution, j’en avale une première gorgée. Le goût de ce breuvage est absolument infect ! Je me fais violence pour en venir à bout… [Plus tard j’apprends que]  ce n’était pas du lait de vache, mais de chamelle. Et dans le désert, pour que ce lait ne tourne pas, les femmes l’arrosent avec leur urine…

Bosnie, lors d’une rencontre dans un « bouge » avec des partisans Bosno-Serbes

Le café nous a été servi, suivi d’un verre à moutarde plein à ras bord de Slivovica [eau de vie de prune]. Bien entendu, nous avons été tenus de le vider à la santé de nos hôtes. Le second verre, nous l’avons vidé aussi promptement à notre santé à tous. Une fois rassurés sur notre santé réciproque, nous avons pu entrer dans le vif du sujet.

Cambodge

Vol épique dans un hélicoptère MI-17 loué par l’ONU, piloté par un ex-soviétique, ivre-mort. Vol si tactique que le pilote se « prend un arbre » : Le côté gauche du cockpit est enfoncé, le pare-brise complètement éclaté, des branches d’arbre plantées dans la cabine de pilotage. (…) Le commandant de bord, un peu confus : « Y’a un oiseau qui nous a cogné ».

- Strates d’effroi. L’Apocalypse -

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Rwanda

Un groupe de dix soldats belges de la mission MINUAR est pris à partie par une bande Hutus, militaires et miliciens. Le chef de section, Thierry Lottin, un jeune lieutenant, est perplexe. Il se fait intimer l’ordre de déposer les armes (…) Son supérieur hiérarchique lui conseille d’abord de palabrer, puis, éventuellement, d’obtempérer. Une fois les armes en possession des miliciens Hutus, les Belges reçoivent l’ordre de s’allonger par terre. Avec des machettes bien aiguisées, les Hutus coupent un tendon d’Achille à chaque soldat, leur crèvent les yeux et leur sectionnent le nez. (…) Le lendemain matin, les soldats français trouveront, en bout de piste de l’aéroport les dix corps.

Rwanda

Goma. L’épidémie de choléra fait rage (…) 700 morts recensés le 21 juillet, 1700 le 22, 2000 le 23, 2200 le 24…

Rwanda

J’ai vu des gens, sans force, totalement résignés à leur sort, s’allonger sur les tas de cadavre pour mourir.

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Rwanda                       

Des mètres cubes de cadavres. La putréfaction et la masse. La masse et la putréfaction. Une montagne gigantesque de corps liquéfiés. L’Apocalypse.

- Strates d’Espérance -

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Rwanda, 1994

Cambodge

Le père Kalka se prend d’affection pour un jeune garçon, Bun Sreng. Il lui donne des cours de français. Le jeune garçon lui fait un jour une demande qui déconcerte le padre : Il lui demande de l’adopter, que ses parents sont d’accord, qu’ils sont pauvres, qu’il veut faire des études en France pour les soutenir financièrement. Evidemment, le père Kalka ne peut accéder à cette demande, somme toute dérangeante. Je ne développerai pas cette histoire, mais seulement sa conclusion : De retour en France, vers la fin de juillet, j’apprends ma nouvelle affectation : 3ème RPIMa à Carcassonne. Au mois d’août, je monte à Paris, et plus précisément à Roissy. Avec Anne et Bruno, nous accueillons Bun Sreng.

Rwanda, République Centrafricaine

Avec le soutien du Sergent-Chef Razny, le Première-Classe Dupont,  deux Caporaux-Chef du 6ème REG, Daniel Dietrich et Pierre Erbesol, le père prend en charge le dispensaire Saint-François-d’Assise, que les sœurs ont dû quitter. Véritable hôpital de campagne, le padre y procède à son second accouchement. L’expérience s'était déjà produite en République Centrafricaine, avec la naissance sur le bord de la route d’une petite Barracuda, prénommée ainsi par la mère en hommage à l’opération française… 

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Centrafrique, 1989

Ces strates d’Espérance sont le cœur même de la vie, de l’âme de Kalka. Son soutien aux soldats, par son écoute, sa présence seule (y compris dans des endroits situés stratégiquement en face des camps, où des filles... et tout ça.) (besoin d’un dessin ?).

Et la vie de terrain qu’il partage avec eux :

Le Terrain est ma paroisse de prédilection, mon lieu de prière, mon témoignage d’Evangile, mon mode de fonctionnement, ma manière de vivre, ma façon d’être…

Un aumônier se doit d’être un éclaireur dans l’opacité des évènements, un pasteur d’Espérance.

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Remise de la Croix de Guerre par le GAL Salvan, Bordeaux, 1991

Tant que naîtront et vivront des hommes tels que Richard Kalka, nous avons toutes les raisons d’espérer en l’Humanité.

***

Le père Richard Kalka est né en Pologne, sous le  joug communiste. Dans « Dieu Désarmé »,  cette partie de sa vie, toute son enfance, toute son adolescence à L’Est, est occultée, car ce n’est pas l’objet de son récit, dédié à son service d’aumônier.

Alors, si vous le permettez, le vieux Chasseur voudrait vous parler de sa rencontre avec l’Est.

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Le dit Chasseur, tout jeunot, en 1988 sur Alexanderplatz, Berlin Est, au côté de l'inévitable Trabant

L’Est.

La jeune génération ne peut réellement prendre conscience de ce que représentait, pour nous Occidentaux, l’Est ; ce « bloc de l’Est », caché derrière son « Rideau de Fer ».

Bien entendu, je ne suis pas à même d’évoquer la vie d’un petit polonais. Je voudrais simplement  raconter une histoire. C’est, d’un point de vue épaisseur, une infime strate de ma vie, mais si importante ; toujours si présente.

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Voici :

Fin 1987, mon Bataillon est désigné pour prendre  le relais d’un régiment basé à Berlin (Les accords d’après-guerre imposent un nombre fixe de soldats, américains, anglais, français. De ce fait, un régiment quittant Berlin-Ouest, même pour 2 mois de manœuvres, doit être remplacé).

Je sautille de joie ! Berlin !

Le premier soir de sortie, plutôt que de me précipiter dans un bar (cela viendra), je me lance dans une grande marche qui m’amène, vers 1 heure, 2 heures du matin, aux abords de la Porte de Brandebourg.

Le Mur passe devant ce fameux monument, situé à l’Est, et le Reichstag à l’Ouest, de mon « côté ».

Je m’engage entre le Reichstag et le Mur.

Je tombe sur des croix.

Des croix toutes simples, en tôle, peintes en blanc.

Sur chaque croix est inscrit un nom et une date. En lieu et place du nom, souvent, « Unbekannt », inconnu.

Une  croix pour chaque homme ou femme, abattu par la garde soviétique, alors qu’il tente de rejoindre l’Ouest.

Je regarde la dernière croix : « Lutz Schmidt, 12 février 1987 ».

Nous sommes en février 1988.

Une année auparavant, un jeune-homme de mon âge est mort, abattu, car il tentait de  traverser une ligne sur la Terre, tracée artificiellement par les hommes.

Derrière les croix se trouve un mirador avec un soldat russe. Je le regarde. Je ne vois qu’une silhouette, qu’une ombre, mais je sens, je sais, que lui aussi me regarde.

Je regarde à nouveau la croix de Lutz. Je prie pour lui et pour ses proches.

Je regarde à nouveau le soldat russe, je lui fais « coucou » de la main, et je prends le chemin du retour ; Quartier Napoléon, à Tegel.

Le 5 février 1989, un an après mon recueillement devant la croix de Lutz, Chris Gueffroy est abattu, en tentant de traverser le Mur.

Le 9 novembre 1989, c’est le Mur qui est abattu.

Je n’ai pas vu si le soldat Russe avait répondu à mon coucou. J’aime à le croire.Est.jpg

Lutz Schmidt         Chris Gueffroy

Voici, padre, ma première vision de l’Est où vous êtes né, ma vision de jeune Chasseur. Il n’y a pas de morale. C’est ma strate. C’est tout.

Et maintenant, cher lecteur, nous attendons votre question : « Mais, où est la strate Divine, dans la vie du padre ? »

Oh… Mais celle-ci n’existe pas…

Elle est saupoudrée partout. Des cristaux de quartz, qui étincellent…

 ***

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Né en Pologne, naturalisé français, le padre Richard Kalka est aumônier militaire depuis 1985. Déployé dans le cadre des principales OPEX des 35 dernières années, il a servi notamment au sein des 1er RPIMa, 2e REI, 3e RPIMa, 2e RIMa, 1er REC, 1er Spahis, 11e RAMa, 6e RPIMa, 8e RPIMa, 1er RHC, 3e RHC, 5e RHC, 4e RD, 6eRCS, 6èe BIMa, 17e RGP. Il est actuellement aumônier du 1er RCP à Pamiers et de la 11e Brigade Parachutiste à Toulouse.

 

 

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ISBN 978-2-9554952-0-9 – Prix 20€ port France inclus  - Format 21 x 15 - 220 pages, cahier-photo couleur

Une première édition, désormais épuisée, est parue aux éditions LBM.

Une seconde, notablement enrichie, est disponible en autoédition. Vous pouvez vous la procurer pour 20€, frais de port (France) inclus en contactant le padre :

Père Richard Kalka

Caillau - 09700 Saverdun

richard.kalka[at]orange.fr

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Avec notre très cher ami le padre Kalka

***

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Baptême d’un soldat, Arabie Saoudite,1991

« Je ne me suis jamais inquiété pour leur Foi. Au contraire, j’ai toujours eu la certitude qu’ils étaient croyants. A leur façon, certes, mais croyants. Bien entendu, peu de militaires pratiquent (…), peu importe : leur Foi est inscrite sur leurs visages, elle est manifeste dans ce qu’ils font, ils la respirent par tous les pores de leur peau.

Leur Foi est Amour et Charité. »

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Caporal Alexandre Van Dooren, mort pour la France au Mali, et sa fille Alison

« Ils ne sont pas morts pour des idées. Oh, non. Même pas pour celles qui sont (…) dans les beaux discours des grands de ce monde. Non, ils sont morts pour leurs amis, leurs parents, leurs camarades. Pour toi, Lydie. Pour  ceux qui, à côté d’eux, portaient le même sac et le même gilet pare-balles, qui suaient de la même façon, qui transpiraient les mêmes grosses gouttes de joie ou de colère, qui se dépassaient comme eux-mêmes se dépassaient, chaque jour un peu plus, quel que soit leur grade.

Ils sont morts pour ceux qui se demandaient, tout comme eux, ce qu’ils foutaient ici, dans ces belles montagnes et ces magnifiques vallées, qui puent la mort (…) derrière le sourire de certains qui affichent la politesse du félon.

Bien sûr, on prononcera leur éloge, on leur clamera des sermons et des panégyriques. On s’efforcera de noyer leur mort et la souffrance de leurs proches dans de belles paroles.

Mais eux, héros, la face à même le sol, ou dans le grand bleu du Ciel, ils prieront, toute une éternité, de cette prière sublime parce que céleste, quelles que soient leurs croyances et quelles que soient leurs convictions.

Pour toi, Christelle. Pour Odile qui attendra dorénavant tous les jours. Pour Anaïs, parce qu’elle aime de toute son âme. Pour Sandra et ses deux petits. Pour Aurélia. Pour Sandrine, son enfant et pour celui qui va naître bientôt. Pour Clémence. Pour Sandra et ses trois enfants. Pour Vinicia et son enfant. Pour Alice et ses cinq enfants. Pour tant d’autres, épouses, compagnes, mamans, papas… »

... et ils prieront pour nous, car nous sommes leurs frères et sœurs de cœur.

Ils prieront pour nous tous !

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Dernier saut militaire du padre, 2012

« La Conquête des cœurs est ouverte ! »

Padre Richard Kalka

 

 

 

 

10/12/2015

Commandos-Paras en Indochine, Fusiliers-Marins en Algérie et Gendarmes en Afghanistan

Extrait publiés avec l’aimable autorisation des auteurs. Droits réservés.

 

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« L'épreuve du guerrier », CDT (h) Jean Arrighi, Commando-Para, régiment de Corée et Légionnaire. Indo Editions

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Commando-Parachutiste du 8e GCP 1953. Photo issue du Net.

Lorsque les deux têtes roulèrent dans le trou, on eût dit que les voix infernales, subitement assourdies, se taisaient et s’éloignaient ; ce fut comme si la nuit, brusquement, envahissait le monde, comme si la civilisation d’un seul coup s’en retirait et comme si, enfin, une ombre gigantesque, poussée par la mort, descendait dans la fosse pour y fermer les yeux de ces martyrs…

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« L'épreuve du guerrier » par le CDT (h) Jean Arrighi. Un grand ancien ; que l'on en juge : Guerre d'Indochine au sein des Commandos-Parachutistes, Commandos Nord-Vietnam et Régiment de Corée, prisonnier du Vietminh après les combats de la RC19 entraînant l'anéantissement du GM100, Guerre d'Algérie après avoir intégré la Légion...

Le livre est une suite de récits, instants vécus par l'auteur ou rapportés (par exemple un très intéressant rappel des combats contre les Japonais en 1945, histoire aussi tragique que méconnue). Il s'agit aussi d'un plaidoyer pour les soldats impliqués dans ces guerres de « décolonisation ». C’est admirablement écrit, avec de belles envolées lyriques rappelant un certain Hélie de Saint-Marc…

Chez Indo Editions, disponible ici. 

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Avec le Commandant Jean Arrighi, Salon des Ecrivains-Combattants 2014

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 Le GM100 anéanti sur la RC19. Photo issue du Net.

Et alors, perdu dans ma contemplation, parmi ces cadavres et tous ces feuillets épars au vent, mouillés des larmes des familles, des femmes et des fiancées, il me semblait entendre, venant à moi de fort loin, de très très loin, vieille Europe et Afrique confondues, un agglomérat de gémissements de douleur, des cris de désespoir, que ces deuils soudain trop nombreux me renvoyaient en échos prodigieux, plaintifs, insoutenables. Tous ces faire-part de détresse, repoussés et jetés alors sur la route, enlevés comme par un vent de colère, trainant au hasard sous mes pieds plus heureux, j’évitai de les piétiner, comme j’évitai les corps de ce charnier maudit.

***

 

« Aurore aux portes de l'enfer », Lucien-Henri Galéa, DBFM. Editions Lavauzelle

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Halftrack en Algérie. Photo issue du Net.

« - Eh !!! Attention !!! »

Suivi de sa queue de flamme, un obus de bazooka arrive droit sur l’engin. Lulu donne un grand coup de botte sur la tête du chauffeur qui hurle et, fort heureusement, accélère. L’obus frôle l’arrière. Le jet de flamme brûle les yeux d’Arthur qui reste pétrifié, avant d’exploser dans le no man’s land. HT2 n’a pas attendu tout ça pour cracher des tous ses tubes de mitrailleuses en direction du départ de feu.

Les engins se découpent en ombre chinoise, sur le ciel à présent bien éclairé par cette pute de Lune. Un deuxième obus file vers HT2, heurte un poteau du réseau, explose dans un bruit fracassant en projetant des débris dans tous les azimuts. (…) A ce moment, des cris s’élèvent du no man’s land. Accompagnés par un tir de mitrailleuses lourdes, une vingtaine de Fels montent à l’attaque.

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« Aurore aux portes de l'enfer » par Lucien-Henri Galéa, Fusilier-Marin. Un récit romancé, retraçant l'épopée d'une bande de camarades, engagés volontaires en 1960, de leur formation à Siroco (école des FM à Alger) aux patrouilles et combats le long de la frontière marocaine, à bord de leurs Half-Tracks. Un bon récit, bien mené, qui se lit d'une traite, rendu très vivant par les nombreux dialogues écris "comme on cause" et qui aborde un secteur méconnu du théâtre d'opération algérien. Un bel hommage aussi aux Fusiliers-Marins, dont les témoignages sont (encore trop) rares.

Aux éditions Lavauzelle. Disponible ici.

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Lucien-Henri Galéa,18 ans, Bab el Assa 1961. Collection de l’auteur.

Neuf mois ! Il faut neuf mois pour faire un petit homme. Ici, en neuf mois, il ne reste qu’un seul survivant des Dalton. Ce survivant, ce n’est pas un petit homme ; c’est un autre homme, un mutant, qui a compris que la guerre n’est pas un jeu et que la gueuse à la faux frappe sans discernement, les copains comme les ennemis. Que Dieu maudisse ces politiques qui, le cul bien à l’abri, envoient leur jeunesse se faire trouer pour des chimères, et une fois que leur jeu pervers leur a pété à la gueule, les renvoie sans un mot de remerciement à la niche. Lui est riche. Riche des souvenirs que lui ont laissés ses copains. Ils seront à ses côtés tout au long de sa vie.

***

 

« POMLT, Gendarmes en Afghanistan », COL Stéphane Bras, EGM 11/3, 13/3. Editions Anovi

Photos inédites issues de la collection du Colonel Bras. Droits réservés. Merci de ne pas les diffuser sans son aval (nous consulter).

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Ces hommes [de la Police afghane] font d’abord preuve d’un courage exemplaire. Habitués aux situations les plus difficiles après trente années de guerre, ils ne nous ont jamais opposé le moindre refus pour partir en opérations. C’était d’ailleurs parfois à nous de les freiner, tant leur courage pouvait tourner à l’inconscience et à la catastrophe programmée.

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Je ne dépeins pas non plus une image idyllique de l’ANP [Afghan National Police]. Durant les sept mois du mandat, il nous a régulièrement fallu rappeler à l’ordre, avec tact et diplomatie, nos partenaires afghans. Ainsi les policiers, et leurs chefs en tête, sont incapables de planifier la moindre opération. Tout se prépare dans l’improvisation la plus totale.

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Un béret bleu-roi en Afgha, cela vous dit quelque-chose ? Non, ce n'est pas l'ALAT et son cobalt... c'est celui des Gendarmes ! Très peu le savent, on en conviendra. [Pour les fans d'uniformologie : béret de la FGE, Force de Gendarmerie Européenne].

Et qui sait que, pendant la campagne, de 100 à 200 gendarmes étaient déployés pour former la police du pays ? Pas grand monde non plus, on en conviendra aussi. Et c'est injuste.

Saluons donc l'initiative de cette publication du (très sympathique !) COL Stéphane Bras, qui, en 2010, dirige des gendarmes mobiles de l'EGM 11/3 de Rennes et 13/3 de Pontivy en Kapisa et Surobi, dans le cadre des POMLT (Police Operational Mentor and Liaison Team / Équipe de Liaison et de Tutorat Opérationnel de la Police). Il aborde tous les moments de l'OPEX : mise en condition en France, stratégie pour l'essentiel à inventer, relève des hommes du 17/1 de Satory et 23/9 de Chauny, missions avec les policiers afghans, éternelle dualité "confiance/méfiance" (infiltration talibane/tir "Green on Blue"), adaptation obligatoire au contexte "culturel" (horaires fantaisistes, corruption "raisonnable"), rapports avec les Terriens de la Brigade Lafayette ; ses impressions sur tout cela...

Indispensable pour compléter sa bibliothèque sur les Afghaners ; les Gendarmes en étaient ! Il ne faut pas l'oublier et nous saluons leur action.

Aux éditions Anovi, disponible ici.

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Avec le COL Stéphane Bras au Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr, 2015

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Nous nous sommes régulièrement posé la question de la corruption et de la confiance que nous pouvions accorder aux policiers. J’ai fini par penser que la corruption était un facteur culturel en Afghanistan et qu’il s’avérait utopique de vouloir la faire disparaitre totalement. Lorsque les gendarmes de Tora ont entrepris la mise en œuvre de postes de contrôle sur la Highway 7 par les policiers qu’ils « mentoraient », ces derniers ont accueilli très favorablement cette idée, expliquant qu’ils pourraient ainsi récupérer de l’argent et des denrées auprès des conducteurs arrêtés ! Dans ces conditions, et même si cela peut paraître choquant hors du contexte local, nous avons opté pour un respect strict de nos valeurs lorsque nous accompagnions les policiers (…) tout en étant ni dupes, ni naïfs sur les pratiques lorsqu’ils évoluaient seuls. Au final, je dirais que « nos » policiers étaient « raisonnablement » corrompus…

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Au centre, le Colonel Stéphane Bras

Progressivement, les Afghans nous gratifieront d’accolades et de poignées de mains interminables pour nous témoigner leur sincérité. Ils nous appliqueront en fait leurs us et coutumes et je verrai dans ces effusions et autres démonstrations chaleureuses une forme de respect réciproque (…) Je m’amuserai de cette façon si particulière de saluer en me gardant bien de prévenir mes supérieurs de la forme d’accueil qui leur sera réservée. Car quoi de plus surprenant pour un général ou un colonel de gendarmerie qui rencontre pour la première fois un officier de l’ANP que de se voir embrasser par un grand gaillard barbu !

***

 

08/10/2015

« Les Chemins de Diên Biên Phu », Franck Mirmont, Heinrich Bauer, 2e BEP, Jean Carpentier, 28F, Jean Guêtre, CNV 45, Pierre Latanne, 5e BPVN, Bernard Ledogar, 6e BPC, Jean-Louis Rondy, 1er BEP. Ed. Nimrod.

Extraits et photos (*) publiés avec l’aimable autorisation des auteurs et des éditions Nimrod. Droits réservés. Merci de nous consulter si vous souhaitez en réutiliser.

 

Ce sera une guerre entre un tigre et un éléphant. Si jamais le tigre s'arrête, l'éléphant le transpercera de ses puissantes défenses. Seulement le tigre ne s'arrêtera pas. Il se tapit dans la jungle pendant le jour pour ne sortir que la nuit. Il s'élancera sur l'éléphant et lui arrachera le dos par grands lambeaux puis il disparaîtra à nouveau dans la jungle obscure. Et lentement l'éléphant mourra d'épuisement et d'hémorragie. Voilà ce que sera la guerre d'Indochine.

Ho Chi Min

 

Les grandes batailles - en premier lieu les grandes défaites - finissent toujours par s’inscrire dans l’imaginaire collectif parées d’une aura opéra-tragique-aux-accents-wagneriens. Diên Biên Phu ne fait pas exception à la règle : L’Indochine et son mal jaune ; des paras pain-pour-les-canards ;  un ange prénommé Geneviève ; des collines-holocaustes portant des noms de fiancées, « Anne-Marie », « Eliane », « Huguette » ; des prisonniers « walking dead »… 

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Nous inscrivant dans cette dynamique, nous aurions pu aborder le livre de Franck Mirmont et de ses six co-auteurs vétérans d’Indo en mode « romantique » : parachutage charge-chevaleresque à l‘Azincourt, corps à corps à-coup-de-pelle-bêche à l’Alésia, dernier carré on-vous-em* à la Waterloo, crépuscule d’un Empire à la Sedan. Cela aurait certainement « fonctionné » car tout cela est compris dans cette bataille. Cependant, nous l’aurions vécu comme une forme de malhonnêteté : c’est que, voyez-vous, « Ceux de Diên Biên Phu » - en tous cas les rares survivants des combats et des camps - sont là. Nous avons eu l’honneur de croiser leurs regards. Nous avons écouté leurs silences. Nous  avons lu « Les Chemins de Diên Biên Phu ». Alors, nous renvoyons tout romantisme aux calendes thermopyliennes pour prendre à notre compte leur part d’effroi, ce qu’eux-mêmes vivent toujours, au jour le jour, 60 ans après ;  de prendre notre part de « cela ».

Avant de prendre contact avec chacun de ces « anciens », je ne savais rien de leur vie ni de leurs opérations. Je n’avais pas cherché à rencontrer des héros, des guerriers ou des soldats d’exception. Je voulais juste parler de « gens ordinaires » que le destin avait projetés au cœur de la guerre d’Indochine. J’ai découvert combien la route qu’ils avaient parcourue avait été longue. A plusieurs reprises, ces « gens ordinaires » avaient été confrontés à des événements ou à des drames extraordinaires. A ce que le légionnaire hongrois résumait d’un simple mot : « cela » ; un mot qui lui faisait baisser la tête et noyait ses yeux tant il refermait à lui seul de souvenirs et de violence.

Franck Mirmont

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PC du COL Gaucher, 13e DBLE. © Nimrod/Rondy

Le Général Cogny réclame le silence.

« Vous allez être parachutés au-dessus de cette zone reproduite ici en miniature et qui se situe à 300 kilomètres à l’ouest d’Hanoï. Il s’agit de réoccuper cette région au cœur du pays thaï, vide de toute présence française, et d’y créer une base aéroterrestre, un bon point d’amarrage à partir duquel l’Armée pourra rayonner et contrôler, sinon empêcher, les déplacements du Viêt-Minh (…) Imprégnez-vous de la géographie du lieu, de sa topographie, des emplacements et des points caractéristiques qui vous aideront à vous repérer en arrivant au sol.

Un dernier mot. Cette zone a pour nom Diên Biên Phu. »

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Lessive dans la rivière Nam Youm. © Nimrod/Rondy

La troupe prend ses habitudes. Très tôt le matin, après la petite sortie équestre à travers le cantonnement du Lieutenant Decours, excellent cavalier, qui a récupéré un petit cheval thaï, c’est le départ vers le « chantier » [construction du camp retranché]. A midi, pause casse-croûte avec le monotone ordinaire de Fleury Michon, jusqu’au jour où, lassé de manger l’éternel bœuf-carottes ou mouton-haricots des boîtes de rations, le caporal-chef F. fait la surprise de ravitailler la section en viande fraîche et de servir de bons biftecks grillés appréciés par tous, même par le Lieutenant Decours. Et ce dernier, d’une naïveté désarmante, se désolera de ne plus  trouver son cheval, qu’il ne reverra jamais – et pour cause.

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Le médecin Lieutenant Rondy sur l’épaisse couche de remblais constituant le toit de son infirmerie-blockhaus, construite solidement à son initiative, suscitant quelques moqueries (A quoi bon ?). Une des rares  constructions du camp à avoir résisté au bombardement viêt-minh. © Nimrod/Rondy

Ignorants du danger qui couve, les officiels viennent se faire prendre en photo à Diên Biên Phu avant de s’émerveiller devant les camps de tente, les alvéoles à découvert de l’artillerie lourde, la piste d’atterrissage et ses avions parfaitement alignés ou encore les quelques abris creusés qui résistent parfaitement aux infiltrations de pluie, mais dont la structure ne saurait arrêter un obus.

(…)

Au cours de cette même période, les tirailleurs annamites reçoivent un nombre incroyable de télégrammes les rappelant dans leurs foyers, pour des raisons de santé. Un père est malade, une mère est souffrante, une grand-mère  est en train d’accoucher, une tante est mourante… Parallèlement, les paysans thaïs de la vallée commencent à prendre le large. Au fil des jours, des villages entiers se vident et finissent par être complètement désertés.

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Un C119 de transport détruit lors des premiers bombardements. © Nimrod/Rondy

17h10, l’artillerie viêt délivre toute sa puissance de feu. Une véritable grêle d’obus s’abat sur le camp avec précision et de manière ininterrompue. Lorsque les premières salves tonnent, les légionnaires du 1er BEP sont tout d’abord persuadés qu’il s’agit de l’artillerie du point d’appui Isabelle qui a ouvert le feu au sud, tant cette densité de feu leur semble impossible du côté viêt-minh. Mais il faut rapidement se rendre à l’évidence puisque ces tirs pulvérisent leurs propres positions. Les obus tombent par paquets de quatre ou de huit pour une efficacité maximale, à raison d’une dizaine d’obus à la minute pendant plusieurs heures. Plusieurs avions qui n’ont pas le temps de décoller sont foudroyés dans leurs fragiles alvéoles. Un dépôt d’essence s’embrase. L’intensité du feu continue d’augmenter dans un crescendo incroyable jusqu’à ce que la nuit tombe en se teintant de lueurs rouges.

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Tandis que le C119 brûle en arrière-plan, les véhicules et les infirmiers ramassent les blessés. © Nimrod/Rondy

Jean-Louis Rondy voit apparaître les premiers « fantômes » de Diên Biên Phu. Ces hommes au visage hagard et au treillis déchiré ou ensanglanté sont les rares légionnaires du 3e bataillon de la 13e DBLE à avoir échappé à la chute de leur point d’appui Béatrice, submergé vers 2 heures du matin à l’issue de combats au corps à corps venus solder cinq assauts successifs. Moins d’une vingtaine d’hommes, sur plus de 400, ont survécu aux vagues de bodoïs [fantassins viêt-minh] qui sont venues s’échouer contre leurs barbelés.

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[Le Légionnaire Matzke] a reçu une balle en plein visage qui lui a arraché la moitié de la mâchoire et les caillots de sang qui se forment dans sa gorge risquent désormais de l’étouffer. Le médecin lieutenant Rondy réagit tout de suite. Il sort un fil et une aiguille de sa trousse de secours, perce la langue du blessé et relie celle-ci au treillis de l’homme en tirant sur le fil afin que la langue pende en dehors de la gorge sans entraîner d’étouffement. Le lieutenant Desmaizières, qui assiste à la scène, interroge Rondy sur les soins qu’il vient de prodiguer.

« Il ne fallait surtout pas qu’il avale sa langue ».

[trois jours plus tard]

Alors que Desmaizières se redresse, un obus éclate devant lui. Il s’effondre, porte machinalement la main à son menton et constate que celui-ci a disparu. Sa bouche n’est plus qu’un immense trou, la peau de ses joues déchiquetées pend dans le vide. Il repense alors au geste qu’a fait le médecin lieutenant Rondy quelques jours plus tôt et il tire sur sa langue pour ne pas s’étouffer avec le sang ou les éclats de dents qui inondent sa gorge. Il rejoint un des chars d’appui tout en trouvant la force d’aider un légionnaire à l’épaule fracassées à avancer. 

[il sera évacué dans un des derniers avions sanitaires à quitter le camp].

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La saison des pluies arrive, transformant les positions et leurs maigres abris en véritables bourbiers. Tout commence à manquer. Les hommes sont en guenilles, d’autres ont vieilli d’un seul coup et d’autres encore ne sont plus capables de résister à la fatigue. Les têtes sont vides, les corps sont épuisés. Un jour, Bernard Ledogar découvre une boîte de ration qu’il dévore aussitôt, tant sa faim est grande. Son repas achevé, il s’endort dans son trou avant d’être bientôt réveillé par une sensation étrange. La boue dans laquelle il est couché semble prendre vie. Des frissons lui parcourent le corps, comme autant de caresses légères et glacées. Il s’agit d’une myriade d’asticots qui viennent d’être libérés par l’explosion du ventre gonflé d’un cadavre, emprisonné dans une gangue de boue, sur lequel il s’était endormi sans s’en rendre compte.

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Charge de « bodoïs », image de propagande.

Les explosions des obus laissent la place à quelques coups de sifflet ou sonneries de trompe. C’est le signal adressé aux bodoïs pour qu’ils montent à l’assaut (…) Il faut les laisser venir jusqu’à mi-pente de la colline, attendre l’ordre d’ouverture du feu, garder les poings serrés contre la crosse du fusil-mitrailleur ou le doigt contre la détente tout en espérant que les barbelés fourniront les quelques précieuses secondes nécessaires pour ralentir cette marée humaine et provoquer des ravages dans ses rangs. 

(…)

A peine les chargeurs sont-ils vidés qu’ils sont aussitôt remplacés pour que les armes puissent rependre leur assourdissant staccato. Les canons des armes chauffent rapidement, à tel point que cette chaleur se propage jusqu’aux chargeurs qui en viennent à bruler les mains des soldats lorsqu’il leur faut les remplacer. Bernard Ledogar tire, tire et tire encore. Il a l’impression que son FM va lui exploser à la figure tant le canon rougeoie dans l’obscurité. Il voudrait bien pisser dessus pour le refroidir, mais il n’en a pas le temps (…) Il a beau tirer, rien ne paraît ralentir l’avancée de l’ennemi. Bientôt, il est à court de munition (…) Bernard Ledogar empoigne sa pelle-bêche.

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Photo ECPAD/Daniel Camus via éd. Nimrod

Un silence de mort règne dans l’abri, avec pour seuls sons insoutenables le grincement lancinant des dents de scie sur la jambe. Subitement, le médecin lieutenant Madelaine ralentit le rythme de son mouvement.

« Heinrich, tu continues ».

Le sergent Bauer s’interroge quelques instants mais, sans poser de question, il prend le relais du médecin en même temps qu’un infirmier le remplace pour continuer à immobiliser le blessé. Tandis que le sergent poursuit l’opération restée en plan, le médecin lieutenant Madelaine va s’adosser contre une paroi de l’abri. Il exhale un long soupir, sort un paquet de cigarettes de sa poche et en allume une. Il tire une première taffe, ferme les yeux en recrachant lentement la fumée, puis renouvelle son geste machinalement.

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Le 7 mai, après les grondements de l’artillerie ennemie qui n’ont cessé de se faire entendre dans toute la plaine, un grand silence vient recouvrir le camp comme un linceul.

***

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Prisonniers de Diên Biên Phu

Bernard Ledogar s’inquiète de sa blessure au bras. Il n’avait jamais osé soulever le chiffon faisant office de bandage jusque-là, mais la plaie lui occasionne désormais des démangeaisons insupportables et il se résout à défaire le pansement pour voir ce qu’il y a dessous. L’odeur de putréfaction qui émane de la plaie lui fait craindre le pire. Alors qu’il déroule la bande de tissu, un flot d’asticots s’échappe de sa blessure pour tomber par terre. 

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Jean Carpentier prisonnier au camp 42 (photo issue d’un film de propagande viêt-minh)

Les trois viêts semblent hésiter un moment sur la manière d’utiliser cet appareil, puis ils se décident. Le nouveau venu s’empare des câbles électriques s’achevant par une pince crocodile et vient fixer celle-ci sur l’un des testicules de Jean Carpentier. Il n’y a cependant pas de ressort sur cette pince et l’homme décide d’en refermer les mâchoires de manière artisanale. Il l’enroule dans un fil électrique qu’il passe ensuite autour d’une tige de fer, puis fait tourner cette tige sur elle-même afin de resserrer la pression sur les mâchoires. La douleur se fait de plus en plus grande, emprisonnant le testicule, l’écrasant, puis finissant par le broyer subitement, à la manière d’une coquille d’œuf.

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Pour s’assurer qu’un malade est bien mort, il suffit de constater l’immobilité du corps lorsque les mouches viennent pondre dans les plaies, la bouche ou les narines du cadavre. Chaque fois que cela est possible, et tant que l’odeur de putréfaction ne vient pas chasser celles des diarrhées ou de vomissures, les infirmiers gardent les cadavres deux ou trois jours de manière à disposer de quelques rations de riz supplémentaires qui leur auraient été servies de leur vivant. Ces morts ne sont enterrés que lorsque l’odeur devient vraiment trop insupportable. 

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Jean Carpentier se sent totalement vidé, dépourvu de toute force physique et morale. Il ne voit plus désormais aucune lueur d’espoir, rien qu’un horizon noir peuplé de fantômes décharnés et dévorés par la vermine. Il éprouve une envie irrésistible de se laisser couler, de disparaitre pour ne plus sentir ses boyaux se tordre sous l’effet de la faim, ne plus affronter l’innommable, ne plus espérer en vain, simplement fermer les yeux et oublier.

 

***

Franck Mirmont est le pseudonyme d’une personne bien connue dans le monde de la littérature militaire. Il ne souhaite pas se mettre sur le devant de la scène, nous respecterons ce vœu. 

AB4_1_DBP.jpgHeinrich Bauer est né en 1930 à Kassel en Allemagne. Elevé dans une « Napola » (les Nationalpolitischen Erziehungsanstalten, internats de l'enseignement secondaire destinés à former l'élite de l’Allemagne nazi), errant de ferme en ferme à la fin de la guerre, il intègre comme nombre de ses compatriotes la Légion. Sergent infirmier, parachuté sur Diên Biên Phu avec le 2e BEP, prisonnier, il survit aux camps. Il quitte la Légion en 1955. 

AB3_DBP4.jpgJean Carpentier naît en 1931 dans la région d’Amiens. Engagé dans la Marine en 1948, il est formé à l’école des apprentis mécaniciens (« Les Arpettes »). Mécanicien volant de la flottille 28F sur Privateer, son avion est abattu lors d'une nouvelle mission sur Diên Biên Phu. Fait prisonnier, il est torturé dans les camps et en conserve de graves séquelles. Il quitte le service actif en 1965, se reconstruisant psychologiquement grâce au soutien de sa chère Josette.

 

AB3_DBP1.jpgJean Guêtre est né en 1920 à Amiens. Engagé dès 1939 au 2e RCA, il débarque à Toulon avec la 1er RCuir. Après la reconquête de la France, il est blessé en Autriche. ADC en Indochine il combat dans le delta tonkinois avec le Commando Nord-Vietnam 45 puis 32 « Senée », tentant de desserrer l’étau sur Diên Biên Phu. Jean Guêtre est malheureusement décédé avant le projet de livre, mais avait pris soin d’écrire ses souvenirs et les transmettre à ses enfants. 

 

AB3_DBP2.jpgPierre Latanne naît en 1929 à Lourdes. EOR, il rejoint successivement les 18e RIPC et 3e BPC. Sous-Lieutenant du 5e BPVN, il est parachuté à deux reprises sur Diên Biên Phu, la seconde fois en plein combat. Gravement blessé, il survit aux camps et poursuit sa carrière dans l’Armée, en particulier au SDECE (Contre-Espionnage) qu’il quitte en 1990 avec le grade de Général. 

 

 

 

AB3_DBP3.jpgBernard Ledogar est né en 1933 en Alsace. Engagé en 1953 au 6e BPC, il est parachuté sur Diên Biên Phu. Force de la nature, combattant valeureux maniant la pelle comme arme de corps à corps, blessé plusieurs fois, il est fait prisonnier et survit aux camps. Il quitte l’armée après la guerre d’Algérie.

 

 

 

AB3_DBP51.jpgJean-Louis Rondy naît en 1926 à Paris. Il fait le coup de feu en 1944 contre l’occupant et s’engage dans la foulée au Régiment de Marche du Tchad avec lequel il fait la campagne d’Allemagne. Intégrant Santé Navale, il est le médecin du 1er BEP à DBP. Survivant des camps – il pèse 43kg à sa libération - il poursuit sa carrière dans l’Armée, notamment en Afrique. 

 

 

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Conférence (passionnante !) au Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan – De gauche à droite le COL Rondy, le SGT Bauer, l’éditeur Nimrod. © UPpL'E

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ISBN 978-2915243628 – Prix 23€ – Format 23x15, 576 pages, cahier-photo

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Aux éditions Nimrod, disponible ici

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Le livre est utilement complété par un essai du même auteur : « La Guerre d’Indochine vue par la CIA ». 

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Avec le COL Rondy et le SGT Bauer au Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan 2015. © UPpL'E

Nous tenons à remercier l’auteur qui nous a mis dans la confidence de son projet dès sa genèse (l’œuvre de sa vie, dixit J), nous donnant l’impression de faire partie de l’aventure (nous avons même tenté d’aider à fouiner dans les archives russes sur DBP (Natachenka a ses entrées J)). Nous n’oublierons pas nos déambulations dans Coët’ aux côtés des beaux Légionnaires Jean-Louis Rondy et Heinrich Bauer, se tenant bien droits, recevant, sourire espiègle et regard pétillant, les hommages des Cadets. Nous nous souviendrons de cette longue et touchante conversation avec Jean Carpentier et sa chère Josette. Nos pensées vont vers Pierre Latanne, dont le témoignage est déchirant ; et vers Jean Guêtre, qui veille désormais sur nous et doit être fier de ses descendants qui ont œuvré pour le devoir de mémoire en partageant ses écrits. Et nous allons conserver précieusement notre livre collector car dédicacé par les cinq co-auteurs survivants (superbe cadeau-surprise des éditions Nimrod qui savent à quel point leur attention nous a touchés) avec une mention spéciale pour Bernard Ledogar, dont l’écriture n’a jamais été le fort, mais a tenu à nous manifester son amitié – certainement l’une des plus belles dédicaces de notre milibibli. 

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Avec le COL Rondy et le SGT Bauer lors de la remise du prix des Cadets 2015, Saint-Cyr Coëtquidan. © UPpL'E

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Hommage

Aux morts pour la France à Diên Biên Phu et partout ailleurs en Indochine,

Aux victimes de la barbarie viêt-minh dans les camps [taux de mortalité des prisonniers : 70%]

Aux blessés physiques et psychiques,

A tous les combattants de l’Union Française.

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Le 4 octobre 2013, le général viêt-minh Võ Nguyên Giáp, vainqueur de Dien Bien Phu, disparaissait. Le ministre français des affaires étrangères lui a rendu un vibrant hommage :

J’ai appris avec émotion le décès du Général Giap. Ce fut un grand patriote vietnamien, aimé et respecté par tout son peuple pour le rôle éminent et fondateur qu’il a joué pour l’indépendance de son pays.

Il était profondément attaché à la culture française et parlait d’ailleurs parfaitement notre langue. Le Général Giap fut un grand patriote et un grand soldat. Alors que la France et le Vietnam sont devenus désormais des partenaires stratégiques, je salue aujourd’hui la mémoire d’un homme exceptionnel et présente mes profondes condoléances à sa famille et au peuple vietnamien. 

Nous nous réjouissons, nous aussi, de la réconciliation franco-vietnamienne.

Cependant, il nous semble que le ministre aurait dû modérer son éloge funèbre d'un « mais cela ».

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Survivant de Dachau ? Non. Survivant des camps viêt-minh.

Il n’y a qu’une seule chose qui permette à Jean-Louis Rondy de rester en vie. Un sentiment de haine absolu envers ces fanatiques qui, au nom de leur lutte pour l’indépendance et la liberté, cherchent précisément à éradiquer toute indépendance d’esprit et liberté de penser. Il lui arrive parfois de songer au camp de Dachau qu’il avait approché fin avril 1945. Une autre guerre, un autre monde, une autre horreur absolue. Mais au moins, les gardes des camps de concentration n’essayaient pas de convaincre leurs prisonniers de crier « Heil Hitler ! » tandis qu’ils les précipitaient vers la mort.

Franck Mirmont, Les Chemins de Diên Biên Phu.

 

 

 

 

 

 

 

© Blog Milittéraire - Une Plume pour L'Epée. (*) Certaines photos sont issues du Net, sans que nous ayons été en mesure de retrouver les ayant-droits.

 

21/06/2015

Commando de chasse harki, Appelé en Algérie, Ministre-combattant, Léopard de Bigeard, Pilote de Jaguar de Daguet et SBS britannique

Le temps nous manque, mille fois hélas, pour aborder sous forme de recension tous les récits lus et appréciés. En guise de rattrapage, nous lançons une nouvelle rubrique, abordant de manière plus « synthétique » des livres à même de compléter votre milibibliothèque en fonction de vos centres d’intérêt. Cette fois-ci : la Guerre d’Algérie, avec un Zouave, un Fantassin (et ministre), un Chasseur d’Afrique et un Léopard de Bigeard ; la Guerre du Golfe, opération Daguet vécue par un pilote de Jaguar, et enfin les Forces Spéciales britanniques au travers de l’autobiographie d’un SBS.

Nous poursuivrons cette série au fil de l’eau  et rien ne dit que certains de ces livres ne seront pas traités plus en profondeur dans le futur. 

*

« Harkis, mes frères », SCH Jean Hinnerblès, 2e BZ, 94e RI

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Algérie, Jean Hinnerblès alias « Gerfaut », 24 avril 1961

Tendant l’oreille, il perçut  comme un frôlement de chaussure sur le sol, aussitôt suivi par le bruit d’un caillou qui roule, ce qui confirma la présence du Fell sur la piste ; puis une ombre apparut sur le sentier, puis une autre, puis trois… Ils étaient là, à deux mètres du canon de sa carabine. Gerfaut attendit, le cœur battant, prêt à lui exploser la poitrine. Alors que le premier allait sortir de son champ de vision, reprenant son self-control, il pointa l’arme sur la cible mobile, en hurlant très fort : feu !

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« Harkis, mes frères », par le SCH Jean Hinnerblès, 2e BZ, 94e RI. Sept ans de combat en Algérie, à la tête d'un commando de chasse harki. Un récit écrit à la troisième personne, ce qui lui donne un petit côté roman de guerre.

Paru en 2010 chez Amalthée. ISBN 978-2310005050. Livre épuisé, mais nous pouvons mettre en relation avec l’auteur.

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« Il était une fois l’Algérie d’un appelé », Georges Pagé, 9e RCA

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Alger, 26 mars 1962

Ce samedi, je décide d’aller me recueillir rue d’Isly. Le drame a eu lieu il y a à peine cinq jours. Tout semble dévasté, gravats sur les trottoirs, impacts sur les murs et sur la chaussée. Des gens viennent des autres quartiers. On commente l’absence de tous ceux qui sont morts. Comme je suis habillé en militaire, certaines personnes me regardent de façon haineuse.  Je comprends et ne m’attarde pas dans cette sinistre rue où tant de braves gens ont perdu la vie. L’armée a tiré sur des Français. C’est affreux.

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« Il était une fois l’Algérie d’un appelé – 1960-1962 », par Georges Pagé. Historique des dernières années de l'Algérie française, alors que l'auteur, appelé, est rattaché à l'état-major/9e Régiment de Chasseurs d'Afrique : communauté pied-noir du secteur d'Inkermann où Georges est basé, la rue d'Isly où il se trouve après la fusillade du 26 mars, le commando Georges, les SAS, ses rencontres a posteriori avec plusieurs acteurs des évènements (du GAL Massu à Pierre Messmer en passant par Michèle Hervé, grièvement blessée lors de l'attentat de l'Otomatic...), etc.

Paru en 2002 chez PG Editions. ISBN-13: 978-295182190. Il est possible de contacter l’auteur via son site ici

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« Un seul cœur, un seul drapeau », CDT Hamlaoui Mekachera, 6e RTA, 60e RI

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Algérie, 9e Cie du 60e RI, ligne Morice. Au centre, Hamlaoui Mekachera.

Mon intégration au sein du régiment de l’ex-Royal Marine [60e RI] a soulevé une certaine animosité. Je le ressentais quotidiennement, étant considéré comme le « bouc émissaire » de la perte de l’Algérie. Cela occultait le fait que c’était bien moi le plus grand perdant de cette tragédie algérienne. 

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« Un seul cœur, un seul drapeau », par le CDT Hamlaoui Mekachera. Orphelin de son père officier du 3e RTA, Mekachera intègre l'école des enfants de troupe de Miliana. Sous-officier sorti de Cherchell, il fait la campagne d'Indochine comme radio puis démineur du 6e RTA puis l'Algérie au sein du 60e RI. En 62, il rejoint la France et poursuit sa carrière d'officier dans plusieurs régiments d'infanterie. Quittant l'armée comme CDT, il est directeur de centre hospitalier, s'investit dans la vie associative, notamment auprès des musulmans rapatriés. Nommé délégué ministériel à l'intégration, membre du conseil économique et social, il termine sa carrière d'homme d'état comme ministre délégué aux anciens combattants. La partie "militaire" ne représente qu'un tiers du livre, essentiellement consacrée la période « enfant de troupe et école ». La seconde, «civile », est axée devoir de mémoire.

Paru en 2013 chez L’Harmattan. ISBN 978-2343017013. Disponible ici

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« Trois ans chez Bigeard », 1CL Albert Bernard, 3e RPC

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Schneidenbach mortellement blessé le 21.11.1957 lors de l’opération « Timimoun ». Photo SCH Marc Flament.

[Schneidenbach] atterrit juste derrière le lieutenant Douceur et moi, en plein cœur du groupe rebelle. A peine libéré de son parachute, il part la mitraillette au poing avec d’autres camarades et ils arrosent la crête des dunes qui nous environnent pour dégager la zone de saut. Douceur se souvient avec émotion de cette dernière image qu’il garde de Schneidenbach progressant dans le désert. A la fin de la journée [nous retrouvons] le jeune homme en pleine agonie après avoir reçu une balle tirée à bout portant dans le front : sans doute s’est-il fait surprendre par un de ces redoutables tireurs isolés, enterrés dans le sable. L’infirmier Jacques Robert lui couvre le front d’un bandeau de compresses pour réduire l’hémorragie.

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« Trois ans chez Bigeard », récit du 1CL Albert Bernard, 3e RPC. Il n'y a pas plus légitime que le léopard Albert [en photo de couverture avec le CNE Florès] pour évoquer cette ambiance particulière qui régnait au sein du 3e RPC en 56/58 : Radio de la 4e Cie, il est sous les ordres des fameux CNE Florès ou LTN Douceur et en contact constant avec « Bruno », qui le surnomme "Beauté" du fait de sa voix joliment radiophonique... 

Le bled, la bataille d’Alger, le « Je vous ai compris », le putsch ... tout cela vu de l'intérieur, suivi d’un document inédit de Bigeard, avec ordres du régiment, ordres du jour et notes de présentation de 1955 à 1957.

Paru en 2012 aux éditions LBM. ISBN 978-2915347913. L’éditeur a malheureusement disparu mais nous pouvons mettre en relation avec l’auteur.

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« Jaguar sur Al Jaber », CNE Alain Mahagne, EC 2/11 « Vosges »

Clip : Jaguar pendant la guerre du Golfe.

Ma verrière était perforée de part et d’autre et au milieu… il y avait mon casque. Dès lors, je réalisais que j’étais blessé. Aucune peur ne m’envahit, je restai lucide et maître de mes moyens. J’annonçais calmement mes problèmes à la radio :

« - Charly. Je suis touché. J’ai un trou dans la tête et je pisse le sang. – Tu confirmes Charly ?! »

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« Jaguar sur Al Jaber », par le CNE Alain Mahagne, EC 2/11 « Vosges ». Un des (trop) rares témoignages sur la 1ère guerre du Golfe et l'opération Daguet, et non des moindres, puisqu'Alain a participé au raid des 12 Jaguars, le jour J, sur la base aérienne koweïtie d'Al Jaber, fortement défendue par la DCA irakienne. Pour preuve, une balle a traversé son cockpit, le blessant à la tête...

Paru en 1993 (SHAA), réédité en 2011 aux éditions A4PM. ISBN 978-2-9536496-3-5. Pour se le procurer, contacter l’auteur ici

N’oublions pas les 12 Français morts lors des opérations Daguet, Libage, MONUIK. Hommage à eux, aux blessés et à tous Ceux du Golfe.

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« En première ligne », Duncan Falconer, SBS, 14 INT

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Soldats de l’IRA [Armée Républicaine Irlandaise]

J’entendis un bruit, tout près ; un pied qui écrasait une brindille. Tous les sens en alerte, le front plissé à force de me creuser la cervelle, je retins ma respiration, mon cœur s’arrêta de battre. On aurait dit que tout se passait au ralenti. Le bruit reprit quelques secondes plus tard. Cette fois, j’en étais sûr, c’était un bruit de pas, suivi bientôt par un second. Mon cœur battait à tout rompre, j’avais une chape de plomb sur la poitrine. Quelqu’un s’approchait lentement le long de la haie. Je gardais la bouche entrouverte, réaction instinctive qui améliore la finesse de l’ouïe. Je pris plusieurs respirations profondes, l’adrénaline affluait dans mes veines. Je fis pivoter très lentement mon arme pour pointer le canon sur le bout de la haie, à quelques mètres devant moi. Encore un pas. J’effleurais doucement la détente.

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« En première ligne » de Duncan Falconer, plus jeune recrue de l’histoire du Special Boat Service. Une plongée [jeu-de-mot] passionnante dans l’univers du SBS et du « Det »/14 INT, piliers, avec le SAS, des Forces Spéciales de Sa Très Gracieuse Majesté. La sélection et l’entraînement,  la lutte contre l'IRA, l’abordage des cargos et plateformes pétrolières… mais aussi, et peut-être surtout, une belle histoire d’homme(s). On peut remercier Nimrod de rendre accessible aux non anglophones des témoignages de cette qualité. A lire en parallèle à « Parcours Commando » de Marius.

ISBN 978-2915243093. Disponible chez Nimrod ici

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A suivre…

 

 

 

 

 

 

 

29/05/2015

« Task Force 32 – SAS en Afghanistan », ADJ Calvin Gautier, 1er RPIMa, autoédité.

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés. Merci de nous consulter si vous souhaitez en réutiliser.

 

 

Ces hommes en ont assez vu pour développer une lucidité intérieure légèrement désabusée et sarcastique, mais ils corrigent toujours la tristesse de l’âme par une féroce rage de vivre, une joie carnassière de l’instant et vouent à l’action un culte digne de l’antique.

Sylvain Tesson

 

Ah les Forces Spéciales françaises ! Tout le monde les « connait », tout le monde en parle : de sacrés mecs, hyper pro, le top, l’élite... L’aura est légitime. Mais au fond, qu’est-ce que l’on « sait » d’eux ? Mmmm ?

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Hé bien, pas grand-chose… jusque-là... Car grâce à « Task Force 32 » de Calvin Gautier, 1er RPIMa, vous êtes invités à plonger dans la vie d’un « Stick Action Spéciale », au combat, en Afghanistan. De l’inédit ! 

Alors, évidemment, notre opérateur a reçu l’aval de ses camarades et a édulcoré son propos (sécurité oblige). Reste que l’entrainement (intensif !), la vie dans la base et ses galères (p* la Logistique !), les ordres (mais c’est n’importe quoi !), le combat (oui, ça « défouraille »), les blessés (car le Taliban n’est pas un bras cassé)… Vous retrouverez tout cela dans le livre. Mais aussi la magnifique fraternité qui règne  entre ces garçons (on ne va pas faire sourire en parlant d’amour… J) ;  Et puis de l’humour, car on rigole beaucoup  en lisant Calvin (le bar des SAS est équipé d’une « pole bar »… mais pas beaucoup de filles ; alors, qui danse ?). 

Des hommes, quoi  (fiers de se montrer des dessins d’enfants reçus de France pour les fêtes…).  

Oui, les opérateurs des FS sont des hommes comme les autres. 

En mieux.

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Briefing groupe avant le départ

Que veut exactement le haut commandement ? Juste rendre compte aux politiciens de nos ballades dans les vallées, sans faire de vagues, sans causer de pertes chez les salopards contre lesquels nous nous battons depuis dix ans ? Pour nous, c’est inacceptable, nous avons perdu des camarades dans ce conflit, alors il faut finir le boulot proprement et ne pas quitter l’Afghanistan comme des voleurs. Nous sommes là et nous comptons bien faire notre travail. 

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Jalhorel, en position

Nous devons rester vigilants, parce que des infidèles, même inutiles sur une montagne perdue, ça reste une cible de choix. Avec Laurent, nous remarquons les petites habitudes des gars du groupe et les observons avec fierté. Glissés entre les rochers et dans les creux naturels du sol, malgré la fatigue et le froid, les gars sourient et sont prêts à réagir à un éventuel contact. C’est vraiment quelque chose d’exceptionnel d’être à la tête d’une telle meute.

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Poste de combat et look snowboardeur

Un chien errant monte sur la position. Il a l’air plutôt content de se trouver de nouveau copains. Il se trouve même un superbe jouet en déterrant une de nos charges explosives. Le malheureux se promène avec un pétard de 250g dans la gueule, poursuivi par Laurent qui a bondi pour récupérer la charge. (…) «  Putain les enculés, ils ont même dressé des chiens en suicide bomber » ! 

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Opération Snake 22. Entrée du poste de Kalei-Pakistani dans lequel Jéjé, Virgil et Nigger sont blessés

Lorsque nous arrivons auprès de Jéjé, nous réalisons la gravité de la situation. Il gémit de douleur car il a des éclats de fragmentation métallique dans le visage, l’abdomen et les jambes. Sa jambe gauche est brisée au niveau du fémur et d’énormes lambeaux de chair pendent. Constant vérifie et resserre le garrot. J’essuie le sang sur le bas ventre pour mieux voir les plaies et Jéjé me demande de vérifier sa bite et ses couilles. Je lui conseille de ne pas regarder ses blessures et effectue ma vérification. Tout est là et en assez bon état (…) Constant empile les compresses sur la plaie pour arrêter les saignements et protéger la blessure. Pendant ce temps j’essaie de mesurer le pouls mais il est trop faible pour être perceptible. Jéjé a perdu une grosse quantité de sang et il est blanc comme un cul. Je le saisis en le rassurant, nos mains sont soudées par le sang coagulé. Il ne cesse de dire « Calvin, j’ai mal… ils m’ont eu ces enculés ! » « T’en fait pas Jéjé, c’est pas grave. On va te sortir de là vite fait ». Constant me demande «  Tu as le pouls ? ». Comme Jéjé me regarde, je réponds « Oui, c’est nickel. » Constant comprend en voyant ma tronche que je mens.

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Jalorhel, Bravo team en action

Le groupe gicle aussitôt pour se poster et se préparer au combat (…) A 800 mètres de notre position, six insurgés se préparent à nous engager. Je fais ouvrir le feu juste au moment où ils placent une [mitrailleuse] PKM face à nous. Les Minimis et Damien engagent l’ennemi avant qu’il ne puisse s’installer. Les insurgés courent dans tous les sens. Chris effectue des tirs de saturation dès qu’une silhouette apparait au loin (…) « RPG ! » Les insurgés tirent deux roquettes en tir courbe pour essayer de compenser la distance mais elles tombent trop court. La PKM entre à présent dans la danse en tire de petites rafales précises. Les impacts de balles claquent autour de nos positions en faisant des bruits secs et des morceaux de rochers volent en éclats. Je télémètre la distance exacte de l’emplacement de la PKM avant de l’annoncer à Damien qui effectue les corrections nécessaires. Il ouvre le feu en coup par coup rapide et quelques secondes plus tard la PKM cesse son tir.

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Tentative de Snowboarding. Pas assez de pente…

Il a neigé à nouveau (…) Avec Laurent, nous faisons une petite balade dans la base pour nous décontracter et bavarder un peu au calme. Nous réalisons quelques photographies de paysage (…) Comme nous sommes plus près de la fin de nos carrières que du début, nous ressentons le besoin d’accumuler les souvenirs (…) J’imagine facilement dans 30 ans des conversations du style : « Tu vois, avant d’être un vieux con, papy était super cool, avec ses potes ils ont fait la guerre et c’était une sacrée bande de salopards ! »

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La popote SAS de la TF32 à Tagab

Le détachement qui nous relève arrive par convoi routier. Nous les guidons jusqu’à leurs chambres puis à une soirée karaoké organisée au foyer de la base. Lilian est le poulain du groupe, tous les espoirs des SAS reposent sur lui car les autres gars du groupe chantent comme des nazes. Je dépose les fameux tickets pour la sélection des chansons et choisis judicieusement deux titres : « Comme un ouragan » de Stéphanie et « Lolita » d’Alizée…

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Photo souvenir de l’opération Buffalo 60

Les gars se rapprochent et le SAS se réunit une dernière fois pour se dire au revoir avant les permissions. Juste à côté de Virgil, je m’aperçois que Laurent a un air bizarre, le regard fixé dans le vide et les yeux humides. Cela me parait étrange. Dans les semaines qui ont suivi, j’ai réalisé que moi aussi je n’étais pas dans mon état normal. Il a fallu que je m’habitue aussi à avoir les yeux humides et à me reprendre lorsque mon regard se perdait dans le vide.

 

***

Calvin.jpgDe par son appartenance aux Forces Spéciales, nous resterons discrets sur l’ADJ Calvin Gautier. Il suffit de savoir qu’il a parcouru le globe pendant vingt ans au service de la France, dont plusieurs déploiements en Afghanistan avec ses camarades du 1er RPIMa.

Il s’est forgé sa propre personnalité au cours des stages, des entraînements et des missions. Il a hérité des qualités des gens qu’il a côtoyés, qu’ils soient instructeurs ou camarades. Ils l’ont guidé sur ce chemin. Nous ne pouvons même pas imaginer les expériences qu’ils ont vécues ensemble. Je suis admirative envers chacun d’entre eux pour toutes les souffrances qu’ils ont endurées et qu’ils ont surmontées pour devenir ce qu’ils sont à présent.

Marina, compagne de Calvin.

Nos opérateurs SAS ne sont pas que des « bêtes de guerre », ils sont pétris d’humanité et elle affleure au détour du récit. Il y a ces petits gestes à l’égard des Afghans victimes du conflit ; cette complicité fraternelle entre membres du 1er RPIMa qui se retrouvent en famille ; cette connivence avec les « cousins » du 13e RDP, teintée d’estime et de respect mutuel ; ces rencontres impromptues et inoubliables avec des soldats français ou alliés, dont on partage le même sort au hasard du destin. Et puis il y a ces moments intemporels où, dans la tourmente, se forgent des amitiés éternelles, plus fortes que les liens du sang.

Souhaitons que notre patrie ait toujours des enfants animés de cet esprit d’audace et de victoire.

GAL Jacques Rosier, alias Romuald

 

Site de Calvin Gautier ici. Page FaceBook .

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ISBN : 978-86-917707-0-9 – Prix 25€ - format 23x16, 280 pages, 64 photos couleurs,  couverture rigide

Dans « Task Force 32 », Calvin Gautier ne parle pas de lui, mais du groupe, ce qui fait du livre un bel hommage à tous les opérateurs du 1er RPIMa et plus généralement aux FS. Il a été édité directement par l’auteur. Un autre challenge (et pas des moindres croyez-nous) relevé avec succès. Il est exclusivement disponible via le site de Calvin et l’association d’entraide Forces Spéciales « Fraternité et Esprit SAS ». Toutes les infos pour se le procurer sont  ici.

N’hésitez pas à contacter Calvin. Il est très pris mais sais se rendre disponible et accueil sympathique garanti !

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Hommage

Aux membres des Forces Spéciales morts pour la France en Afghanistan,

CPL Murat Yagci

CCH Cédric Crupel

ADJ Joël Gazeau

CCH David Poulain

BCH Gabriel Poirier

ADJ Yann Hertach

PM Loïc Le Page

PM Frédéric Paré

SM Jonathan Lefort

SM Benjamin Bourdet

CCH Sébastien Planelles

A tous les membres des Forces Spéciales morts pour la France, morts en service commandé,

Aux blessés.

 

Je ferai face à tout et je vaincrai.

Rien ne m’arrêtera, sauf la mort.

Et même si cela arrive, ce ne sera que temporaire,

Parce que ma mémoire motivera mes frères à triompher.

Code d’honneur de l’opérateur des Forces Spéciales.

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Un coup trop long et un coup trop court, le prochain est pour nous (…) J’étais touché (…) Je ressentais une douleur intense et je me suis injecté une dosette de morphine (…) J’ai examiné mon entrejambe parce  que je craignais d’en perdre une (…) La douleur au ventre est rapidement devenue atroce (…)

J’entendais le Tigre faire les passages et tirer autour de notre position. Là, j’ai vu Constant, l’infirmier du stick, passer pour aller voir Jéjé, car il était vraiment dans un sale état. Quand j’ai vu Calvin, l’adjoint du SAS, avec son équipe, je me suis dit que j’étais sauvé. J’en avais les larmes aux yeux rien que de les voir. Je savais qu’ils allaient se battre pour nous et nous sortir de cette merde (…) Je les voyais se déployer avec rage pour nous sauver. Je regardais ces visages tendus. Les gars n’avaient qu’un seul objectif, nous sortir de là. 

Curieusement, j’étais serein. Calvin et son équipe étaient là. Plus rien ne pouvait m’arriver.

Virgil, gravement blessé lors de l’opération « Snake 22 », 29 novembre 2011.

 

 

 

 

 

 

 

 

05/06/2014

« Les enfants de Sidi-Ferruch », 1CL Jean-Pierre Hutin, 3e RPC, éd. Le Spot

 

Extraits publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur et des éditions Le Spot. Photos Jean-Pierre Hutin & SCH Marc Flament « Aucune bête au monde… », éditions de la Pensée Moderne. Droits réservés.

 

 

Nous vous supplions, proconsuls, de demeurer loin de Rome,

de chanter vos requiem de l'autre côté de la mer.

Nous ne voulons pas les entendre.

Vos morts nous gênent et votre courage nous fait peur ! 

Philippe Heduy, "Au lieutenant des Taglaïts".

 

Qui s’attendrait à ce qu’un Léopard de Bigeard fasse les choses comme les autres ? Que ce soit faire la guerre ou écrire un récit autobiographique ? Ce serait mal les connaître !

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Eh bien voilà un vrai récit de Léopard : « Les enfants de Sidi-Ferruch » par le 1CL Jean-Pierre Hutin, 3e RPC.  Un livre dont on a beaucoup parlé dans le microcosme de la littérature mili. Certains l'ont qualifié d'OVNI, déconcertés par son style célinien revendiqué. Et oui, il y a de quoi être dérouté, dérangé. Phrases hachées en mode rafale de PM, ponctuation trous de balles. Lecture difficile donc, si vous ne vous laissez pas porter. Et après tout, c’est votre droit. Mais il y a une chose dont nous sommes certains, c’est qu’il aurait plu à Bigeard.

Le Bruit et la Fureur, mode Para-Colo. Il fallait oser. Chapeau [casquette lézard] bas à Jean-Pierre Hutin.

 

Faut dire, au début, j’étais con. Je savais pas. 

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Sidi-Ferruch

En ce doux printemps 1958, j’étais là moi, con et tout content de l’être. A Sidi-Ferruch, petite station balnéaire noyée dans les pins, située, j’vous rencarde braves gens, près d’Alger. J’étais perdu comme ça dans les réflexions quand j’entendis la voix suave de notre nouvel adjudant qui sortait du PC de la compagnie. Il nous souhaita la bienvenue. Il ressortait de son petit accueil qu’il n’avait jamais rien vu d’aussi moche. Quoi, comment on pouvait lui parachuter des tarés pareils, consterné il était, il hurlait, des gonzesses on lui avait envoyé, d’ailleurs c’était sûrement une erreur de l’Intendance, nous à ce qu’il constatait on était sûrement les nouvelles mignonnes du Sphinx. Comment pouvait-il en être autrement, il devinait nos petites fentes à travers nos braguettes, des fentes je vous dis, comment faire la guerre avec des gonzesses ? Mais qu’est-ce qu’il avait fait au Bon Dieu pour avoir mérité des calamités telles que nous, d’ailleurs c’est simple quand les vrais soldats, eux qui en avaient des grosses comme ça - y faisait un petit geste, genre melon – nous verraient en rentrant d’OPS, y mourraient de rire, enfin ceux qui reviendraient. Les autres y z’auraient de la chance, ils verraient pas le désastreux spectacle. 

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4e Section, 1ère Cie du 3e RPC  - Photo JP Hutin

Quelques jours plus tard, ils arrivèrent les hommes, les OPS, nous on voulait voir, de vrais soldats, pensez on bandait, nous les petits renforts, d’être comme ça aux premières loges, voir arriver la guerre (…) Le premier justement, comme ça, pas bégueule y nous salua, bonjour les bleus, ah voilà les renforts, y souriait. Pourtant on voyait bien qu’il était fatigué, je m’appelle Leroi, c’était un beau nom ça pour un soldat. A bien regarder il n’avait rien d’exceptionnel notre premier OPS. Plutôt petit, pas costaud, non un modèle standard, j’étais un peu déçu, moi forcément j’attendais une image et bêtement j’avais juste un homme exténué devant moi, d’ailleurs j’dis homme, mais y devait avoir tout carat dans les dix-neuf ans, vaguement six mois de plus que moi. Je me creusais, qu’est-ce qu’y faisait la différence entre lui et moi, j’ai mis un temps à comprendre, puis ah, ses yeux fallait voir, ils avaient un siècle. Comment c’était possible ça. Pourquoi des yeux si vieux, si âgés, dans un corps si jeune ?

 

On s’imagine pas le temps qu’il faut pour savoir. 

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3e RPC - Photo M. Flament

On est reparti brusquement, au pas de course, court, court, petit Léopard, une direction là-bas, voyez je montre du doigt, coup de feu, ça accrochait. Moi, je courais, hop hop. Vaguement inquiet déjà, mais un tout petit peu seulement. La peur la grande laide visqueuse engluante ce serait pour tout à l’heure. Je savais pas, j’allais savoir. 

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3e RPC au combat - Photo M. Flament

Crapahute… marche… pitonne… transpire… Bouffe du piton… de la piste… poussière… crache tes poumons Léopard… au bout de la piste là-bas… tout au loin… mais si près déjà… la première équipe voltige vient d’accrocher… une courte rafale… rran… une autre… plus longue… encore rran… tu le sais Léopard une fois de plus… la machine à faire des veuves vient de parler… cris… rafale… agonie déjà… gueulante… à droite… attention à midi… à une heure là sur toi… rafale… la grande faucheuse ricane à nouveau… à moi les petits oiseaux… venez dans le grand manteau de de la mort… Fells… Comanches…. Léopards… Apaches… Camouflés… prend tout le monde la grande Faucheuse... pas raciste… touché… maman… maman… cartonné… rapatrié par télégramme… pas de chance. 

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3e RPC - Photo M. Flament

Nous étions victorieux, la belle affaire ! La victoire dans ce formidable et hallucinant amas de pierres à l’infini et votre serviteur tout petit, insignifiant, au milieu de ce fatras d’éternité, tout se bousculait en moi. Plénitude d’émotions, j’étais en pleine ataraxie. Toutes ces émotions en moi semblaient m’avoir figé pour l’éternité. Mourir sur l’instant me parut une chose de raison, momifié par le vent du désert, on me retrouverait dans mille ans. Il faut bien faire vivre les archéologues. Envie de pisser. J’avais envie de pisser. Le drame de la condition humaine, c’est son enveloppe corporelle. J’aurais souhaité divaguer, philosopher à l’infini et voilà que cette putain de vessie me rappelait à mes petits devoirs matériels. N’est pas le père de Foucault qui veut. L’opération prit fin, comme toujours, sans prévenir, fini mon petit olympe personnel. 

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A gauche, JP Hutin

Dents de loup, John Wayne me voilà, grenade, poignard, corps souple et dur. Pas de graisse… fini le lard, envolé le gras, pas le temps, des loups Madame qu’on était j’vous le dis, tiens pour un peu madame si description vous mouillez j’irai jusqu’au loup-garou. On le grimpait vite ce piton au vu des renseignements bigo… Des fells de l’autre côté du piton y grimpent vers le haut… Vite avant eux sinon tir aux pigeons… Pensez, pas de course vite plus vite… des ailes… premier arrivé en haut y gagne, pour l’autre c’est la fin de la grande tourlouzine… Dix secondes avant eux… dix toutes petites secondes avant les fellouzes… Une éternité pour eux… A 30 mètres du compte les fells, tant pis, malheur aux vaincus. Ah melon fellouze… plein la gueule plein les dents plein les tripes… déchaînés… tue, tue, tue, enchainés à la mort on était… cent pour cent… sang pour sang… tu allais couler… pas le nôtre ce coup-là. S’en fout.  Rouge quand même le sang des fells… Le grand pied, la grande partouze du sang. TUER. 

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3e RPC - Photo M. Flament

Rran… Rran… rafale… grenade. Cris à droite, vite, tire ! Bon Dieu, attention grenade, en avant, au paquet, tue, tue Etienne mon ami, mon frère tu cries, tu hurles, Maman, Maman, l’homme quand y sent la vie le quitter, il appelle le dernier refuge… fœtus… sa mère. Tu as morflé, merde, les tripes. Un pansement… Mon pansement individuel trop petit… dérisoire… Pisse la tripe… Moi acharné à colmater avec mon petit bout de gaze… Vite, plein de sang, éponge rouge, infirmier ! INFIRMIER ! Où est ce con de Bernard ? Voilà, voilà… Moi idiot, mon pansement déborde par la tripe qui déborde de partout, la main dans le tiède horrible de la vie, qui fout le camp. Voilà l’infirmier. Qu’est-ce que tu fous avec ton tampax usagé ? J’attends de l’eau chaude pour une infusion, connard. Faut compresser tout ça. Passe-moi 4 ou 5 pansements… Phénergan-Dolosal… Geste professionnel… Bandes. Tu crois qu’il va s’en tirer ? Peut-être… peut-être… 

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4e Section, 1ère Cie du 3e RPC – section de Jean-Pierre, en permission ce jour-là.

Les dieux barbares se marraient, ils riaient aux larmes, les fumiers, tu as signé Léopard, tu n’as qu’à jouir. Tu voulais être un beau camouflé, un rutilant Léopard, comme sur les affiches en couleurs. Engagez-vous rengagez-vous. Tu croyais pouvoir devenir un barbare en tout impunité, garder tes yeux pisseux, petites mirettes innocentes. Top facile Dupont… Ducon, à peine Leroi. Tu sais à présent, enfin presque. Maintenant tu commences à entrevoir, encore quelques massacres, ceux des tiens, ceux de l’ennemi et tu seras un vrai guerrier, un barbare à part entière.

Tu auras le droit de tes yeux.  

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Alger, 12 mai 1958

Le 12 mai 58 fût pour les Léopards le début de la grande sodomie. Un enculage sans vaseline. Brut. Même pas un petit doigt dans l’anus pour nous mettre en condition. Foutre non. Brut de brut. Le zob, la bite, le bonheur des dames, vroum, ran le paf dans le cul. Je m’égare. Je m’emporte encore et toujours. Je vous disperse. J’avais juré d’écarter la politique de mon récit. Difficile. Des souvenirs m’assaillent. Hantent mes tripes. Je me renie pour la petite Laura Dupont un peu Hernandez, abattue à la sortie d’un bal à Staouili la petite Laura. Dix-huit ans, belle, jeune, conne et innocente. Ne vous méprenez pas, ce n’était en rien ma petite amie, ce n’est pas la faute d’avoir essayé d’ailleurs. Elle ne voulait rien savoir. Moi je n’étais pas vraiment amoureux, non, c’est surtout mon petit Jésus que j’essayais de placer. Peine perdue, il était resté sur la paille mon petit Jésus. Elle était morte, cartonnée à la sortie d’un bal. Toujours la vie et ses cahots. Elle était morte avec sa vignette de garantie. Elle aurait dû avoir le droit de vivre, peut-être une vie ordinaire minable, longue et monotone, elle aurait sûrement grossi, enlaidi, les cheveux lourds et poisseux. Mais bordel c’était sa vie. La vie, personne n’avait le droit de lui prendre à cette petite conne innocente, personne, personne.

Maintenant, des années après, je suis toujours con. Mais je sais.

 

***

hutin 2.JPGsignaturePaillon.jpegJean-Pierre Hutin nait dans une famille marquée par le combat : ses grands-pères perdent l’un une jambe, l’autre un bras, pendant la Grande Guerre ; ses parents sont des résistants de la première heure, arrêtés par la Gestapo et déportés. Génétiquement guerrier, il devance l’appel. De 1958 à 1960, il combat en Algérie au sein du 3e Régiment de Parachutistes Coloniaux, les léopards de Bigeard. Et non, rien de rien. Non, il ne regrette rien.

 

 

Interview de Jean-Pierre Hutin. 

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Décoration de Micheline Hutin-Auproux, maman de Jean-Pierre.

*** 

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Prix : 15€ - ISBN 978-2-9541232-4-0 – format 14,5x21 190 pages – cahier photo n&b. 

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Aux éditions Le Spot 

Livre disponible chez Europa Diffusion ici.

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Hommage

Aux Léopards morts pour la France,

Aux blessés.

Cette Légion d'honneur, c'est moi qui la porterai, mais ce sont mes paras qui l'ont gagnée.

Général Bigeard recevant la plaque de grand officier de la Légion d’Honneur

 

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Retrouvailles d’anciens chez Vedel. A gauche Jean-Pierre Hutin, à droite GAL Bigeard.

***

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Les Léopards à Alger

Le barbare est de retour, les barbares sont là. Bientôt leur grande ombre camouflée planera sur la ville. Le haut état-major allait encore grincer des dents (…) A part mourir, pas de tradition, ces gens-là. Provocateurs en plus ! Saluent aucun gradé. Moi, Commandant Alex Dupont, moi qui ai 18 ans de carrière, moi quatre année prisonnier des boches, huit ans d’état-major en Indochine, six ans de cirrhose à Madagascar, j’ai vu de mes yeux, pas plus tard qu’hier, deux Léopards saluer un Caporal-Chef de la Légion, vous vous rendez compte, un Caporal-Chef.  

Tout ça sous prétexte qu’ils mouraient ensemble, au loin, là-bas.

Jean-Pierre Hutin

 

 

 

 

 

 

07/09/2013

"La Légion - Avec le 2e REP au cœur des crises internationales", ADC Thomas Gast, Epee Edition

 Photos et extraits publiés avec l'aimable autorisation de l'auteur. Photo du CPL Christophe Gobin transmise par sa maman. Droits réservés.

 

 

Ce qui importe n'est pas que nous vivions,

mais qu'il redevienne possible de mener dans le monde

une vie de grand style

et selon de grands critères.  

Ernst Jünger, Légionnaire, écrivain allemand.

 

Et de trois ! Après « Une vie de Légionnaire », du légendaire ADC Jean-Claude Saulnier et « Combattants sans passé », de notre ami slovène le SGT Robert Markus, nous revenons au 2e REP avec l’ADC (e.r) Thomas Gast et son récit biographique « La Légion – Avec le 2e REP au cœur des crises internationales ». Et nous en sommes ravis...

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...d'autant plus que ce récit est passionnant, très bien illustré, tout couleur, complété par d’utiles annexes (insignes, devises, chants des différentes entités de la Légion…). Nous le recommandons aux non-initiés car il est très facile d’accès.

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Le récit de l’ADC Gast est si riche, que le résumer en quelques paragraphes est un challenge difficile à relever. Tchad, RCA, Bosnie, Djibouti… Nous ferons donc deux focus : ses premières années de jeune Légionnaire au 3e REI en Guyane, et ses dernières missions, comme Adjudant du 2e REP, où il est acteur des  incidents dramatiques, trop méconnus, du Congo-Brazzaville.

3e REI, Guyane

Les petits monstres.

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La forêt de Mana était pire que la peste. Les moustiques nous déchiquetaient carrément. Ni les produits anti-moustiques, ni le Tafia [alcool de canne], ni les jurons, n’étaient d’une quelconque utilité. J’aurais préféré avoir un jaguar en face de moi que ces petits monstres invisibles qui piquaient même à travers les vestes et les ponchos.

Il y a bois et bois.  

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« Vous avez deux heures pour construire un radeau ! »  dit l’un des instructeurs, « Puis vous ferez la traversée pour aller sur l’autre berge où un délicieux déjeuner vous attendra »

Ce seul message aurait dû nous donner des soupçons, mais nous étions amaigris et morts de faim.

(…)

Moins de deux heures plus tard, le radeau se trouvait sur le bord sablonneux de la rivière. Une embarcation impressionnante ! Le travail nous avait rendu encore plus affamés et nous avions déjà l’eau à la bouche en pensant au délicieux repas qui attendait de l’autre côté. « A l’eau ! » criaient les instructeurs ! En unissant nos forces, nous arrivâmes à trainer le radeau jusqu’à l’eau… où il coula immédiatement ! Nous étions paralysés par la stupeur et la déception.

« Si à l’avenir vous voulez construire un radeau, coupez d’abord un bout de l’arbre que vous avez l’intention d’utiliser, et jetez-le à l’eau. S’il flotte, tant mieux… »

Miam miam.

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Un instructeur du CEFE accrocha un serpent vivant avec un fil, la tête en haut. Ensuite, il le laissa perdre tout son sang. Quand cela fut terminé, il lui fit une coupe circulaire autour du cou, ensuite une coupe longitudinale de la tête jusqu’à la pointe la plus extrême de son corps. Il saisit des deux mains la peau du cou du serpent et la lui retira lentement du corps. Pourtant, le serpent bougeait encore. Ce fût trop pour une journaliste qui préféra se retirer dans l’obscurité protectrice d’un évanouissement.

Jour de solde. Le Capitaine est joueur.

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« Bon, Gast ! dit le Capitaine. Ce serait donc 2300 francs ? Correct ? » Je hochais la tête avidement « Oui mon Capitaine ! » C’était pas mal d’argent pour un simple soldat. Il comptait lentement les billets et les poussait dans ma direction. Je les saisis, mais soudain, comme si cela lui venait justement à l’esprit, il remit sa main sur la liasse. « Oh ! J’avais presque oublié ! Tu dois 350 francs au club de la compagnie ». Il prit l’argent, pendant que je comptais désespérément dans ma tête. « Et puis tu avais payé à crédit au bordel. 1200 francs ». L’imposante pile d’argent initiale diminuait dangereusement. « En plus, je déduis à chaque soldat les billets pour la tombola annuelle de Noël. »….

Pas civilisés ?  

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J’étais encore couché dans mon hamac (…) lorsque des voix me réveillèrent. En me redressant je vis autour de moi une bonne douzaine de petits indiens [Oyampis], garçons et filles. Ils étaient assis et me regardaient fixement. Je n’oublierai pas leurs grands yeux magnifiques. Je ne sais ce qui me passa par la tête, mais je me levais, fouillais dans mon sac à dos, et trouvais quelque chose pour chacun : mon miroir, un couteau, un foulard, un savon… Je fis cadeau de choses qui m’étaient chères et qui avaient de la valeur, et j’en ressenti un immense bonheur. Ils prirent mes cadeaux et disparurent, en silence, sans un merci, sans un mot. (…) Un quart d’heure plus tard, j’entendis à nouveau des voix derrière moi, celles des enfants. Ils étaient revenus, et chacun avait un cadeau pour moi, des bananes, des mangues, un collier en corne (…) J’acceptais leurs cadeaux avec les larmes aux yeux.

La vie, quoi. 

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Mon cœur se mit à frapper staccato. Je savais que je parcourais des chemins qu’aucun autre parmi les mortels européens n’avait foulés avant moi. Nous étions au cœur de la Guyane. Il y avait des ruisseaux si purs qu’on pouvait y voir scintiller de la poussière d’or. Il y avait des collines et des voies navigables qui ne portaient aucun nom (…) Il y avait ici, dans la jungle profonde, des anacondas, des mygales et des serpents venimeux d’une taille inimaginable (…) C’était un sentiment écrasant, mais aussi libérant. Indescriptible. Je me sentais si proche de la Terre, comme je ne l’avais jamais été avant. Je vivais !

*

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Djibouti, Intermède musical 

Extrait de « Beau Travail », film de Claire Denis, 2000.

Les filles étaient camouflées en barmaids, timides et honorables. Elles venaient d’Ethiopie, de Somalie et d’Afrique noire. Les bars portant les noms de Tour Eiffel, Mic Mac, Chez Mama Fanta, Joyeux Noël, l’Amsterdam se réveillaient seulement bien après le coucher du soleil, et les barmaids oubliaient peu à peu leur « timidité »…

*

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1997, Opération Pélican, Congo-Brazzaville.

Au printemps  1997, une partie du 2e REP, dont la compagnie de Thomas, est envoyée à Brazzaville, pour relever le 8e RPIMa dans sa mission d’éventuelle évacuation des ressortissants occidentaux du Zaïre : Brazzaville, capitale du Congo, et Kinshasa capitale du Zaïre, (désormais République Démocratique du Congo), ne sont séparés que par le fleuve Congo. 

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Fleuve Congo - Evacuation d’occidentaux 

La situation reste calme à Kinshasa, un désengagement des forces est envisagé, malheureusement c’est à Brazzaville, autre poudrière, que les choses se gâtent…  Le 5 juin, à l’approche des élections opposant le président sortant Lissouba à son rival Nguesso, une flambée de violence éclate. La ville devient le théâtre de violents affrontements entre les forces armées congolaises et les milices « Cobra » de Nguesso.

La sécurité des ressortissants occidentaux n’est plus assurée. Ces derniers, menacés par les soldats ou miliciens incontrôlés, restent terrés à domicile et sont souvent victimes de pillages, de vols ou de brutalités physiques.

Le 7 juin, en soirée, des appels angoissés de Français menacés, voire violentés, conduisent le commandement à décider de procéder aux premières extractions afin de mettre les personnes à l’abri. À 19 h, le REP reçoit pour mission, en accord avec les autorités congolaises, d’extraire les civils en difficulté à proximité de la Présidence.

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Le Capitaine alla droit au but : « Bon, Gast, (…) La situation est la suivante » Il se tourna vers la carte accrochée au mur de son bureau et pointa son  doigt « Ici, exactement dans cette rangée de maisons, des Français se sont barricadés. Ils nous ont demandé de l’aide et il me semble qu’ils en ont besoin ! » Il leva les yeux de la carte « Gast, vous venez avec moi. Notre mission est de sortir les Français de là et de les amener ici ».  Je lui jetais un regard interrogatif. Ce n’était certainement pas tout (…) « Tous ceux qui nous feront obstacle sur place et qui essayeront de nous empêcher d’accomplir notre mission seront à considérer comme ennemis et devront être traités comme tels ».

Dans de simples camions,  les Légionnaires s’engagent sur l’avenue Schœlcher et prennent contact avec les différentes milices. La 3e section de la 1e compagnie, commandée par Thomas, marque un temps d’arrêt pour prendre contact, comme convenu, avec les autorités militaires congolaises chargées de la sécurité sur zone, tandis que le GCP [Groupe de Commandos Parachutistes] reste en appui.

Après avoir obtenu l’accord des autorités, les Français reprennent  leur progression. A environ 1 km de l’objectif, lorsque les éléments de tête s’engagent sur un rond-point, la colonne est délibérément prise à partie à courte portée par des miliciens congolais, embusqués sur le côté nord-ouest de l’avenue. Les Légionnaires sautent des camions et se retrouvent fixés par les tirs, dans une configuration peu propice à la riposte. Laissons désormais la parole à Thomas :

L’angle était trop aigu pour pouvoir toucher une des positions ennemies avec une grenade LRAC [Lance-Roquette Anti-Char]. Les grenades auraient peut-être ricoché et mis en danger nos propres hommes. Ce dont nous avions un besoin urgent, c’était un écran de fumée, mais il était inutile d’y penser : toutes nos grenades fumigènes étaient dans un des véhicules qui étaient exposé aux tirs massifs. Même la nuit ne nous offrait aucune protection, il faisait trop clair.

(…)

Tout mouvement, soit une tentative de décrochement, soit une contre-attaque pour nous dégager de là aurait signifié inévitablement de lourdes pertes.

(…)

Tandis que les renforts sont envoyés de la base, je fus informé par radio que l’un de mes chefs de groupe et un légionnaire avaient été grièvement blessés.

Je leur ordonnais de rester là où ils étaient, de protéger le périmètre proche et d’empêcher par des tirs sporadiques que l’ennemi n’attaque nos positions.

(…)

Des mouvements de troupe avaient lieu sur notre droite et nous n’avions aucune idée de quels éléments il s’agissait et quels étaient leurs intentions. Tous les scénarios étaient possibles ! Nous disposions seulement des munitions que chacun avait emportées sur lui (…) la plus grande partie des munitions était restée dans les véhicules qui se trouvaient  sous le feu ennemi.

Quand les Légionnaires de la CEA (Compagnie d'Eclairage et d'Appui  - le renfort envoyé par la base) arrivèrent sur la zone de combat, j’entendis enfin à ma gauche notre lourde mitrailleuse 7,62 mm : une vraie musique à mes oreilles.

(…)

Des éléments du GCP [Commandos Paras du 2e REP] commandés par le Capitaine Desmeules avaient réussi à s’avancer jusqu’à mes hommes blessés. Lors de cette action brillante et intrépide, qui montra une fois de plus ce dont cette unité était capable, l’un des leurs tomba sous une pluie de balles et fût tué sur le coup.  Si les soldats du GCP n’avaient pas été là, mon soldat et mon sous-officier auraient certainement succombé à leurs blessures.

(…)

Le renfort (CEA) prit position à gauche de ma section, face à l’ennemi. Ses éléments les plus avancés se retrouvèrent immédiatement sous les tirs adverses. Lors de cette action, un officier, deux sous-officiers et trois Légionnaires furent blessés, certains grièvement. Mais les bleus [couleur de la Cie] sont parvenus à renverser la situation en attaquant immédiatement et efficacement l’adversaire.

Le 2e REP perd un homme, et compte une dizaine de blessés, donc cinq grièvement. On estime à 25 le nombre de miliciens Congolais tués.

Brazzaville est désormais en guerre. L’Etat-Major renforce considérablement le dispositif, par l’envoi d’hommes des 2e REI et 1er REC, de blindés VAB, VBL, ERC90 Sagaie… matériel qui a cruellement manqué à Thomas et ses hommes le 7 juin.

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De fait, dans les jours qui suivent, le rapport de force change de camp :

Quand j’arrivais au carrefour et que je formais avec le VAB sur sorte de bouclier entre les Légionnaires et l’ennemi, je fus immédiatement pris sous le feu. Je répondu avec la 12,7 et fis signe au chef de groupe de décrocher. Pendant que mon VAB reculait lentement, avec le groupe à l’abri derrière, je tirais systématiquement sur tout ce qui me semblait dangereux. Soudain, la voix de mon conducteur, un Polonais rouquin, m’interpella : « Un heure, deux cents, un véhicule léger Toyota avec un canon antichar sans recul nous tire dessus ». Il avait prononcé ces mots d’une voix calme qui m’épatait, car j’étais moi-même essoufflé et en nage. (…) je pointais la 12,7 dans la direction et ouvrit le feu (…) je vis monter face à nous un nuage de fumée, qui voulait dire qu’une roquette avait été tirée sur nous. Juste à côté ! J’entendis l’impact derrière moi, ce qui me donna la chair de poule (…) une seconde plus tard, la Toyota explosa.

Il était temps de mettre en avant ces Légionnaires-Paras impliqués dans cet événement dramatique du Congo-Brazzaville, trop peu connu du grand public.

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Hommage 

Au Caporal Christophe Gobin,

alias André Gilles,

mort pour la France au Congo-Brazzaville,

Aux blessés. 

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Le CPL Christophe Gobin, photo aimablement transmise par sa maman à laquelle nous renouvelons toute notre sympathie.

*

Message reçu en octobre 2016 :

Brazzaville Juin 1997.
Un bond dans le passé. Nous y étions avec notre fille de 2 ans.
Presque vingt ans pour oublier la peur, le sifflement des balles, les tirs des obus qui tombaient non loin de la maison, les impacts sur le fuselage du Transall qui nous amenait à Libreville.
4 jours 3 nuits d'angoisse avant d'être exfiltrés de notre maison, escortés, libérés de cette prison de peur, évacués par nos militaires français jusqu’à l’aéroport où nous avons passé une nuit supplémentaire sous le feu incessant de Kalachnikov, sous la protection si rassurante des Légionnaires.
Un soulagement, une reconnaissance à vie ; s'ils n'étaient pas intervenus nous ne serions pas là aujourd'hui.
Jamais nous n'oublierons le regard courageux de ces hommes, d'un professionnalisme incroyable, d’un calme impressionnant, presque froid dans des situations d’extrêmes tensions, qui nous ont protégés durant ces événements, pour certains gravement blessés ou comme votre fils en échange de sa vie.
Nous leur devons d'être là, nous le lui devons. Nous n’oublions pas.
Nous sommes partis de Brazzaville sans pouvoir dire Merci à nos militaires. Mais comment et qui remercier? Nous ne connaissions rien d’eux, jusqu’à la publication de cette page où nous pouvions enfin découvrir un nom, un visage et une adresse.
Sachez Madame que nous avons un profond respect pour votre fils, qui représente pour nous le porte drapeau de tous ces hommes qui partent en mission dans des pays compliqués.
Nous n’oublierons jamais Christophe, qui est mort pour nous mais qui vit depuis dans nos mémoires, ni ses frères d’armes qui sont, comme lui, volontairement partis loin de chez eux pour nous sauver au péril de leurs vies.
Oui ce jeune légionnaire continuera à vivre en nous ; il a maintenant un nom, un visage, une histoire, et en plus il est beau !
Avec presque 20 ans de retard nous présentons toutes nos condoléances à la Maman de Christophe GOBIN et à sa famille, qui peuvent être fières de lui,
Avec le même retard nous présentons nos condoléances à sa deuxième famille, le 2eme REP, qui fait la fierté de notre pays et qui est venue nous porter secours un jour de printemps 1997 à Brazzaville.
Avec tout notre respect et toute notre gratitude.


Famille BELMUDES, Coopération française, en poste à Brazzaville en juin 1997.

* * *

DSC01000.JPGThomas nait dans une famille modeste de Haute-Franconie, RFA. En 1985, après plusieurs années passées dans un régiment para allemand, il succombe à l’appel du Képi Blanc. Engagé au 3e REI, il passe trois ans en Guyane puis rejoint le 2e REP de Calvi fin 1987. Légionnaire puis Sergent, Sergent-Chef et Adjudant, il participe à un nombre considérable d’OPEX : Tchad, RCA, Gabon, Djibouti, Bosnie, Congo-Brazzaville... Il quitte la Légion après 17 ans de service, marié et papa d’une fille. Certes, il a rejoint son pays d’origine, mais dans son cœur la France et la Légion ont une place immense.

Dès les premières syllabes « Allons enfants de la Patrie », j’ai pris conscience que j’avais signé un contrat et que je devais le remplir. Je commençais à chanter de manière hésitante (…) Je me posais la question : « Est-ce que j’étais prêt à combattre pour la Légion étrangère, donc pour la France et ses intérêts ? Et laisser ma vie, au cas où ? ». La réponse était oui, à cent pour cent. Autrement, je n’avais pas ma place ici. Je chantais donc plus fort : « égorger vos fils et vos compagnes… ». Et soudain je chantais à gorge déployée et je me sentais bien ! (…) Quelque chose qui pesait sur mon âme m’avait été enlevé. Je me sentais tout à coup libéré et sans contraintes ! Oui, cet hymne était devenu le mien. Vive la Légion ! 

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Prix : 19,90€ - ISBN 978-3-943288-04-9 - Format 16x23,5 - 353 pages - Tout couleur.

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Livre disponible chez l'éditeur Epee Edition ici.

Site de l'auteur ici.

Page FaceBook du livre ici.

Page FaceBook de l'auteur ici.

 

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*

Vor der Kaserne

Vor dem großen Tor

Stand eine Laterne

Und steht sie noch davor

So woll'n wir uns da wieder seh'n

Bei der Laterne wollen wir steh'n

Wie einst Lili Marleen,

Wie einst Lili Marleen.

 

Lili Marleen, version originale par Lale Andersen

 

« La Légion » de Thomas Gast. Comme un écho dans ma mémoire.

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Le GAL commandant les Forces françaises à Berlin vient de nous passer en revue.16e Chasseurs, chef de corps COL Muriel, quartier Napoléon, Tegel, Berlin-Ouest

1987. Thomas est Allemand ; je suis Français. Il porte fièrement le Képi blanc. Je suis tout fier de ma tenue bleue et jonquille. Il s’envole pour un morceau de France par-delà l’Atlantique, perdu sur le grand continent américain : la Guyane. Je rejoins un confetti  d’Allemagne libre, au-delà du Rideau de fer : Berlin-Ouest. Alors qu’il crapahute dans la forêt amazonienne, c’est une autre jungle qui m’attend, urbaine, avec sa vie trépidante, tourbillon pour oublier que nous ne sommes qu’une muraille de torses face aux divisions soviétiques (combien de temps aurions-nous tenu ?). Son regard est arrêté par un mur végétal ;  moi, c’est un mur de béton couvert de graffitis qui me barre l’horizon. Les petits indiens l’émeuvent. Dans ma Solferino, en descendant d’un bus mili sur Unter den Linden, alors que nous venions de transmettre l’ordre de ne pas parler aux est-allemands, pour leur propre sécurité, un jeune homme s’approche de moi : « Franzose ? » « Ja » et là avec un grand sourire, il sert le point, le pouce en l’air… Ça m’a ému.    

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Au Ku’dorf : le pianiste, le Chasseur jeunot (bière et Craven A), le bitter.

Le soir, avec les copains, j’allais au Ku’dorf, une cave située à deux pas du Ku'damm. Il y régnait un rien d’ambiance « Berlin des années 20 ». Un vieux pianiste jouait. Il avait vite repéré la petite bande de Chasseurs. Entre deux chansons, on lui payait des coups. Une pinte de bière / une mini-bouteille de bitter / une pinte de bière / une mini-bouteille de bitter, qu’il avalait cul sec, la tête en arrière, la coinçant entre ses dents…

Et tandis qu’à Cayenne, Thomas écoutait « Mon Légionnaire » de Piaf,  à Berlin, chaque soir, nous demandions au pianiste de jouer pour nous « Lili Marleen »… 

Lili Marleen, par Marlène Dietrich

Edith la Française et Marlène l’Allemande étaient sœurs de cœur.

Une partie du cœur de Thomas est restée en France, une partie du mien en Allemagne. Jenseits des Rheins, Ich grüße meinen Bruder Thomas.

 

Cette tendre histoire

De nos chers vingt ans

Chante en ma mémoire

Malgré les jours, les ans.

Il me semble entendre ton pas

Et je te serre entre mes bras,

Lily, Lily Marlène,

Lily, Lily Marlène. 

Lily Marlène, version française par Suzy Solidor, chant du 3e REI.

 

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Sachant que je ne reverrai sans doute jamais plus cet endroit et que les horloges sonnaient déjà la dernière ligne droite dans la Légion, j’emportais, la nuit tombée, une demi-douzaine de bières, une couverture et des cigarettes et j’allais, ainsi équipé, sous les regards étonnés des sentinelles, dans un lieu tranquille à l’écart du camp, au beau milieu du désert. C’était une nuit douce, qui n’en finissait pas. Mais je voulais aller jusqu’au bout de cette nuit magnifique (…) Je récapitulais la vie dans la Légion, avec un sourire sur les lèvres et accompagné d’une voix qui me chuchotait à l’oreille « Tu as tout fait comme il fallait ».

Adjudant Thomas Gast, Djibouti.

 

 

 

 

 

 

  Livre, récit biographique d'un Légionnaire, 3e REI Guyane, 2e REP, embuscade de Brazzaville, Congo

08/07/2013

"Combattants sans passé", Robert Markus, 2ème REP.

Photos et extraits publiés avec l'aimable autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

 

 

"Ces hommes d’exception qui choisissent de servir la France avec honneur et fidélité…"

Général Christophe de Saint-Chamas, Commandant la Légion Etrangère

 

 

Legio Patria Nostra. Trois mots qui résonnent dans le cœur de tous les Légionnaires, comme ils devraient le faire dans celui de chaque Français. Quels mecs quand même ces Képis blancs ! N’hésitez pas : avec « Combattants sans passé » du Sergent Robert Markus, imaginez-vous, le temps de la lecture de son récit, dans la peau de l’un d’entre eux…

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Entrez dans la peau de Robert ! Vous êtes un jeune gars, vous vivez à Maribor dans la belle Slovénie, vous êtes mécanicien et puis, non pas sur un coup de tête, car ce n’est pas votre genre, mais après mûre réflexion, vous quittez votre fille, votre mère, votre sœur, vos amis… Vous quittez toute votre vie et vous prenez un billet de train pour Marseille, pour servir la France sous le képi blanc.

Et pourtant, vous ne parlez pas un mot de français. Alors, dans un premier temps, vous jouez les ombres : « Un ordre. Que font les autres ? Je fais pareil ». Vous doutez parfois, mais dans la tête, les choses sont claires : vous atteindrez l’objectif que vous vous êtes fixé : intégrer la Légion, vaille que vaille, coute que coute.  Et vous marchez ! Vous courrez ! Vous sautez ! Vous suez ! Vous vous massacrez les pieds et le dos ! Oui, vous en ch*, mais  vous la fermez, même si parfois….

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Lors d’une marche, vous êtes appelé auprès du Lieutenant, pour servir de radio. En sus de votre arme, de votre sac qui vous déchire déjà le dos, d’une partie des affaires d’un camarade à la peine, vous portez tout le matériel radio.

Plusieurs fois le Lieutenant s’est retourné pour me demander si tout allait bien (…)  J’ai toujours répondu dignement, en serrant les dents, comme si tout allait bien. En fait, j’avais envie de jeter ce *putain* de poste de radio par terre, avec toute la force qui me restait, pour qu’elle explose en millions de morceaux !

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Mais si vous avez la chance d’être un homme de la trempe de Robert, vous tenez  le coup physiquement, et de plus, par une certaine forme de grâce,  vous respectez d’instinct les us et coutumes de la Légion.

Alors, même si vous ne maîtrisez toujours pas le français, la récompense est au bout : vous vous coiffez du képi blanc. Vous êtes désormais un Légionnaire. Tant ont échoué ou abandonné, que vous pouvez en être fier. Oh oui !

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Voici venu le temps de l’affectation. Vous restez dans un même esprit de saine ambition : légionnaire, c’est génial, légionnaire-para, ça l’est encore plus ! Donc ce sera le 2ème REP de Calvi. Ouais. Reste que, ce n’est pas vous qui décidez…

A Aubagne, accompagné de votre Lieutenant, vous vous présentez devant le Colonel du 1er RE qui va vous affecter. Votre français reste approximatif, mais vous êtes décidé :

- Où veux-tu aller ?

- Au 2ème REP, mon Colonel.

- Non, non. Toi, tu iras au 1er REC.

- Non mon Colonel. Je veux 2ème REP.

- [en fronçant les sourcils] Le 1er REC n’est pas assez bon ? Ce n’est pas la Légion étrangère ?

- La 1er REC bonne. Mais moi veux 2ème REP.

Après un coup d’œil au Lieutenant du 4ème RE, qui cache mal son sourire, le Colonel approuve. Ce sera Calvi.

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Et sans transition,  vous voici dans un Transall, au-dessus de la Corse, à jouer les pantins accrochés sous un bout de tissu. Rien que ça.

Je me suis quelque peu perdu dans les différentes émotions ressenties, le saut dans le vide, l’adrénaline, l’accélération du rythme cardiaque.

Il y avait l’avion, il y avait moi, l’altitude, le parachute, le saut, l’air…

Et puis,  jour après jour, vous vous fondez dans votre Patria, vous progressez en français, vous vous endurcissez encore plus, physiquement, mentalement ; vous ne bronchez pas aux ordres des Caporaux, qui règnent en maîtres sur les chambrées, vous nettoyez les toilettes sans moufter, vous buvez la bière…

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Evidemment, vous êtes jeune et vigoureux, cloîtré depuis des mois avec des mâles, donc certains besoins « physiologiques » de base vous titillent l’esprit (et le reste). Lors des premières sorties, vous pensez vivre l’aura du Légionnaire auprès des filles, mais, attention, les étincelles dans les yeux de certaines d’entre elles sont surtout allumées par l’aura de votre portefeuille…

Avec le nombre de b* qui étaient entrées et sorties de cette fille, on aurait pu construire une autoroute à quatre voies de Calvi à Paris…

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Et puis, à l’occasion, vous jouez des biscoteaux et balancez quelques châtaignes, mais c’est de tradition légionnaire…

Comme chaque année, la fête [de Noël] a été mémorable. Des spectacles de divertissement joués par des Légionnaires sur une scène de théâtre improvisée, une ambiance festive et des têtes chaudes. Cette fois, la compétition des forts caractères avait lieu entre les Anglais et les Polonais. Une bagarre a éclaté à peine une heure après le début des festivités, mais n’a pas duré longtemps. Quelques bons coups concrets et rapides ont été échangés, agrémentés par les insultes standards anglaises « fuck you » [va te faire…] et polonaises « Kurva » [salope]. Cette « performance théâtrale » imprévue a été le centre de l’attention. Nous sommes tous restés simplement assis en les observant, le Capitaine inclus, en attendant que les coqs combattifs se calment. Puis le Capitaine leur a tranquillement demandé s’ils en avaient assez, et si nous pouvions continuer avec le dîner et le spectacle.

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Et puis vous découvrez l’Afrique, antithèse de votre chère Slovénie… Le Tchad, la République Centrafricaine, la Gabon, le Congo, Djibouti…

Les hommes restaient tranquillement couchés devant leur cabane, dans l’ombre, sur le tapis (…) Ils regardaient autours d’eux en se grattant les c*, outils indispensables pour la fabrication d’héritiers de la pauvreté.

En Centrafrique, vous subissez le jeu de jeunes chenapans, qui empoisonnent vos tours de gardes au camp de Bangui :

Afin de protéger le garde dans le mirador des jets de pierres, un filet métallique a été installé.

Ces pestes ont rapidement inventé de nouvelles techniques plus sophistiquées pour nous embêter. Ils ont rempli des préservatifs d’urine et les ont jetés directement dans le filet de métal (…) au contact, les préservatifs explosaient…

Mais la vengeance est un plat qui se mange froid, et malheur au chef de bande que vous allez attraper un peu plus tard.

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L’Afrique ne cesse de vous surprendre…

Après une nuit blanche pour avoir « fait le barbelé » [forme légionnaire de « faire le mur »] et fêté votre anniversaire, vous embarquez pour un saut d’entrainement avec des paras centrafricains.

Je bataillais contre le sommeil alors qu’eux étaient apeurés à mort. (…) J’ai appuyé le front sur mes mains et fermé les yeux en pensant que j’allais pouvoir me reposer quelques minutes avant le premier saut. Erreur capitale. Dès le décollage, les soldats locaux ont commencé à chanter en chœur avec enthousiasme. J’ai levé la tête pour vérifier de mes yeux ce que mes oreilles ne pouvaient croire (…) Ils tapaient dans les mains au rythme d’une chanson d’église, semblait-il (…). Adieu sommeil. Amen.

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Vous avez aussi droit au grand écart de la sortie « culturelle » :

Petit a)  Il était interdit de plonger dans les profondeurs noires sans protection de caoutchouc. Si jamais le héros se présentait chez le médecin avec une maladie sexuelle, ce dernier l’aidait volontiers, en le piquant avec une aiguille énorme directement dans le plongeur téméraire. Le malheureux patient sautait de joie pendant au moins deux jours après la confrontation avec l’aiguille

Petit b) Le Capitaine a organisé une sortie au cinéma dans le centre culturel français, avec au programme le dessin animé Pocahontas. Quand nous sommes sortis du centre comme un groupe d’écolier en uniforme, nous avons été la cible de regards stupéfaits des parents…

Et puis aussi, à l’occasion, vous vous vengez gentiment d’un Lieutenant pénible, profitant de son assoupissement alors que vous conduisez le camion sur une piste. Vous visez le nid de poule et  *boum* réveil mode panique du Lieutenant. Evidemment vous vous faites engueuler, mais intérieurement, vous vous marrez…  (héhéhé).

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Oui, lisez « Combattants sans passé » et prenez-vous pour un Légionnaire ! Dans un style simple, direct, honnête, Robert vous offre cette chance. Changez de peau, le temps d’une lecture !

 

Chaque jeune homme tenté par le képi blanc devrait s’y plonger, car la Légion n’est pas un choix, c’est une vocation. Pour les anciens, que de souvenirs reviendront à la surface, avec à n’en pas douter, une certaine émotion. Quant à tous les autres, ils refermeront le livre avec le sentiment d’en avoir appris beaucoup sur ce corps d’élite, si atypique, dont la France est si fière et à juste raison.

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SGT Robert Markus et ADC Jean-Yves Saulnier 

Et lisez aussi « Combattants sans passé » pour Robert, l’archétype du Légionnaire au sens le plus noble du terme, un type large d’épaules, clair dans sa tête, droit dans ses rangers. Un type pour qui les mots Honneur et Fidélité ont encore un sens. Un Slovène, dont la France peut s’enorgueillir de l’avoir adopté pour fils.

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Robert et le Général Bidart

*

robert_markus.jpgRobert Markus est né en Slovénie. Après son service militaire dans la défunte armée yougoslave, et pour des raisons que nous tairons, tradition Légionnaire oblige, il quitte sa ville natale de Maribor et s’engage dans la Légion. Affecté au 2ème REP de Calvi, il participe aux principales OPEX des années 1990 et 2000 : Tchad, République Centrafricaine, Gabon, Congo, Bosnie-Herzégovine, Djibouti, Kosovo, Guyane, etc. Il est nommé Sergent en 2001.

Robert quitte la Légion après 15 ans de service aux 2ème REP, 13ème DBLE, 4ème RE et 2ème REI. Il est marié à Aleksandra et vit dans le sud de la France.

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Robert s’est lancé seul dans cette belle aventure littéraire, qui retrace ses 5 premières années de Légionnaire. Ecrit en slovène, son récit a été traduit en français par sa femme Aleksandra. Devant le succès en Slovénie (classé best-seller, et oui…), Robert poursuit l’aventure avec «  Légion ; anecdotes et traditions », dont il fait actuellement la promotion dans son pays natal. On espère pouvoir le lire bientôt en français… 

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 Pour vous procurer « Combattants sans passé », et contacter Robert (accueil sympathique garanti) voir ici.

 

 

 *

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Hommage

Aux Légionnaires morts pour la France

Aux blessés

 

 

Avec le salut fraternel du Chasseur et de la Russe-blanc aux bérets verts

 

Respectueux des traditions,

attaché à tes chefs,

la discipline et la camaraderie sont ta force,

le courage et la volonté tes vertus. 

Code d’honneur du Légionnaire

 

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Et moi le vieux Chasseur à pied, dinosaure d’un corps historiquement prestigieux, qui ne survit que grâce au 16 (Dieu soit loué) ; ces Vitriers à l’esprit quelque peu fantaisiste, protestataires, voire frondeurs dès que l’on touchait à leurs traditions, allant jusqu’à renommer les couleurs qui ne leur convenaient pas… Bleu cerise ! Jonquille ! Ce corps des Chasseurs à pied pourtant si vaillant, auquel j’ai eu l’honneur d’appartenir,  comme avant moi mon arrière-grand-père et mon grand-père ;  ces diables bleus qui n’ont pourtant jamais démérité, « Qu’on nous fasse marcher plus vite, mais que l’on ne nous supprime pas ! », hélas laminés en 20 ans, sans état d’âme…

Je formule le vœu que la France n’agira pas de même avec la Légion, et que dans cent ans, un jeune Slovène quittera sa jolie ville de Maribor, prendra un train pour Marseille, avec ces trois mots à l’esprit :

Legio Patria Nostra.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     Livre, récit biographique de Légionnaire, 2e REP

10/06/2013

"Une vie de Légionnaire", ADC Jean-Claude Saulnier, 2ème REP, Ed. Nimrod

Extraits et photos publiés avec l'aimable autoristation de l'auteur et des éditions Nimrod. Droits réservés. 

 

Et le temps passera. Ces hommes, anonymes sous le képi blanc, continueront de défiler majestueusement et de se battre comme ils l'ont toujours fait, relevés par d'autres hommes au même képi blanc, ayant toujours dans les yeux le reflet de cette foi intérieure qui ennoblit la Légion.

Maréchal Juin

 

Il y a des jours comme ça.

Vous êtes au bureau. Vous jetez un coup d'œil à la fenêtre. Ah ! Le soleil brille enfin ! Votre téléphone sonne. Vous ne connaissez pas le numéro. Vous décrochez.

"- Bonjour Monsieur, Jean-Claude Saulnier à l’appareil.

- ...??!?! Adjudant-chef Saulnier ?

- Mais oui.

- …"

Adjudant-Chef Saulnier, 2ème REP, infirmier, président des Sous-Officiers, Chevalier de la Légion d’Honneur, 34 ans de Légion, du saut sur Kolwezi à L’Afghanistan. Waouh !

Et puis... nous avons parlé une heure, des Légionnaires bien sûr, de ces em* de Chasseurs, du Mali, de nos arrière-grands-pères en 14, du retour des GI du Vietnam, du Service militaire et de ses bienfaits... et d'une bière...

L’impression de se connaître depuis toujours et que le soleil ne brille pas que dans le ciel.

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« Une vie de légionnaire », nouvel opus de nos amis des Editions Nimrod, qui, décidément, n’ont que de bonnes idées. Ce livre est le résultat d’une collaboration entre l’ADC Jean-Claude Saulnier et Pierre Dufour, écrivain et journaliste, spécialiste de la Légion, qui brosse une histoire extrêmement précise du 2ème REP de 1977, date de l’engagement de Jean-Claude, à son adieu aux armes en 2011.

De par la densité du livre (400 pages…), cette chronique n’est qu’un humble résumé, parti-pris de votre serviteur.

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Engagement sous le nom de Julien Soral

Né à Châtellerault, aîné d’une fratrie de 3 garçons, hélas orphelin de père à 5 ans, Jean-Claude Saulnier n’a pas, a priori, la vocation militaire. Il effectue son service à la 153ème CLRM puis tente sa chance dans le civil comme chaudronnier.

Pas de vocation militaire donc, et pourtant, lassé des jérémiades de ses concitoyens :

Je suis parti, car les gémissements des gens me tuaient à petit feu.

1977, Engagement, Fort de Nogent

 

Et c’est pour la Légion qu’il opte, convaincu par un Adjudant-Chef recruteur qui évoque une vie d’aventure, d’action et de camaraderie.

La Légion, dont il découvre bien vite les spécificités….

[Le médecin] m’a demandé si je buvais.

« - Oui, Normalement.

-         C’est-à-dire ?

-         Bah, deux ou trois bières.

-         Caisses ?

-         Mais non, canettes ! »

Visite médicale, Aubagne

 

C’était une véritable fourmilière, sans cesse en mouvement, jour et nuit. Jusqu’au grade de Caporal, les gens courraient partout. On avait l’impression qu’il fallait être cadre ou permanent pour avoir le droit de marcher. Une cour de récréation pour adultes.

Ce qui m’a le plus frappé, ce sont les fenêtres ouvertes en plein mois de novembre. J’ignorais encore que les chambrées étaient chauffées par des poêles à mazout qu’il fallait éteindre à 22 heures, et qu’on ouvrait les fenêtres le matin jusqu’au retour du sport, quel que soit le temps. 

Nous avons appris à prendre soin de nos pieds et de notre corps, percer les ampoules avec un fil trempé dans le permanganate, casser les rangers à coups de marteau pour les assouplir. Certains urinaient même dedans.

1977, Instruction, Castelnaudary

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Le 2e REP à Calvi, 1978

Son instruction à Castelnaudary n’est pas une sinécure, mais le fameux mens sana in corpore sano s’applique bien à Jean-Claude, et la récompense de tant de sueur, d’ampoules, de courbatures, de grimaces et de serrements de dents l’attend au bout du chemin :

Puis l’ordre a retenti : « Coiffez vos képis blancs ! ». Pendant quelques secondes il y eut un moment d’émotion, puis nous nous sommes coiffés de ce képi pour lequel nous avions fourni tant d’efforts.

Jean-Claude opte pour le 2ème REP de Calvi. Il est vrai que cumuler le prestige du Légionnaire à celui du Para…

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Calvi, Saut d’entrainement, 1978

C’est à Calvi que se forgeait désormais l’esprit para du Légionnaire. C’est aussi à Calvi que se trempait l’âme du régiment.

1978, 2ème REP, Calvi.

  

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Entraînement LRAC, lance-roquette-anti-char

Et c’est toute la vie du Légionnaire que nous dévoile le livre, y compris dans ses aspects les plus cocasses…

On allait aussi au Pouf, le bordel militaire de campagne. Bien sûr pour les filles, mais aussi pour passer un bon moment. Il existait un jeu entre compagnies. Quand l’une était au Pouf, une autre envoyait le plus jeune pour chercher de la bière après l’appel.

Rien d’extraordinaire, direz-vous, si ce n’est qu’une concurrence, certes amicale mais très  « virile », régnait entre les compagnies. Lorsque l’une d’elles  était au Pouf, les autres y étaient persona non grata. De ce fait, l’arrivée du p’tit jeune au bordel était sanctionnée à coups de poings…

Le pauvre « bizut » avait deux options :

- Se faire casser la tête, revenir sans bière, et être accueilli par le mépris des caporaux de sa compagnie,

-  Se faire casser la tête, et revenir avec la bière. RAS.

L’expérience aidant, l’idée était de cacher deux ou trois caisses de canettes dans le maquis et de s’affranchir ainsi… du cassage de tête au Pouf !

Et puis… A peine un an dans la Légion, et Jean-Claude entre dans l’histoire.

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Kinshasa, avant le saut sur Kolwezi  

Dès l’indépendance du Congo belge en 1960, la région du Katanga, riche en matières premières stratégiques, manifeste violement son désir d'autonomie. En mai 1978, une nouvelle révolte, soutenue par le bloc soviétique, se dresse contre le pouvoir central de Kinshasa. Plusieurs milliers de  rebelles, bien armés, encadrés par des conseillers cubains, investissent Kolwezi où résident près de 3000 Occidentaux. 

Blancs et noirs font face à la mort. Les minutes comptent double. Des européens sont abattus comme des chiens à certains endroits de la ville. Kolwezi est livrée aux pillards. 

La Belgique, ancienne puissance coloniale, tergiverse quelque peu, la France, elle, percute !

Jean-Claude décolle vers un saut qui marquera l’histoire du XXème siècle. 

19 mai 1978

A 15 heures, un grondement d’avions se fait entendre au nord de la ville, au dessus de l’ancien aérodrome. Les corolles blanches des parachutes s’ouvrent dans un ciel de plomb. Parmi les africains, une rumeur se répand : Ce sont les Cubains qu’on attend ! Mais les Européens savent que c’est le salut qui vient du ciel…

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Le 2e REP saute sur Kolwezi -Photo © 2ème REP  

La descente a été pénible et m’a paru très longue (…) Des rafales d’armes automatiques ont été tirées à partir de la lisière nord de la ville et de la voie ferrée située à l’est de la zone de saut. La densité de la végétation autour des villas de l’ancienne ville ne permettait pas de situer l’origine des coups de feu, mais leur imprécision ne provoqua aucune perte. Il est néanmoins désagréable d’être une cible impuissante. Un vrai pigeon d’argile.  

Hélas Jean-Claude se blesse à l’atterrissage, mais le courageux jeune-homme n’a pas l’intention d’abandonner les copains. Il sert les dents  et marche.

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Déploiement du 2ème REP à Kolwezi. Photo © AALE

C’est un voyage au bout de l’horreur qui commence alors pour les Légionnaires. Partout ce ne sont que des rues désertes parcourues par des meutes de chiens errants qui s’attaquent aux innombrables cadavres abandonnés à même le sol, des voitures calcinées, des tas d’immondices devant les maisons pillées. L’odeur âcre prend à la gorge. Des essaims de mouches tourbillonnent et s’acharnent sur les corps mutilés, gonflés, hideux.

En quelques heures, le bilan du 2ème REP est éclatant. L’effet de choc des troupes d’assaut a été déterminant et a bousculé l’ennemi.

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Photos © AALE

Au bout de quelques jours cependant, la douleur devient insupportable et Jean-Claude peine à marcher. Constat (et engueulade) du médecin : le pied est gonflé et noir comme la ranger ! Double fracture malléolaire et fissure du talon. Jean-Claude est rapatrié. Devoir accompli.

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Défilé du 2ème REP à Kolwezi. En tête le Colonel Erulin (1932+1979) photo © famille Erulin

L’opération « Bonite » est un succès incontestable, mais le bilan est lourd :

5 tués et 20 blessés au 2ème REP, 6 disparus de la mission française, 1 para belge tué, 11 tués et 8 blessés parmi les parachutistes Zaïrois, sans compter les autres militaires de Kinshasa.

On estime à 170 le nombre de civils blancs massacrés, ainsi que 700 africains.

Les rebelles Katangais ont perdu 250 des leurs et sont en déroute.

2700 Occidentaux sont sauvés par l’opération.

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1984, Jean-Claude est nommé Sergent 

On le voit, il y a du courage et de la volonté chez cet homme, tout comme une grande part d’humanisme, et c’est, assez naturellement, que Jean-Claude s’oriente vers le rôle d’infirmier.

Mais il reste bel et bien un Légionnaire avant tout, au grand dam des élèves de l’école de santé d’Orléans, appartenant à d’autres corps, pour au moins un aspect : 

Nous nous sommes intégrés sans problème dans un monde nouveau pour nous, mais d’un autre côté nous cultivions notre différence, qui se manifestait  par le pas Légion, ce qui fait que nous étions toujours en retard sur le pas des autres quand il s’agissait de marcher en rang. Finalement, le chef de stage a renoncé et nous étions préposés aux couleurs, au grand désespoir des autres, qui trouvaient que nous mettions beaucoup trop de temps pour faire le trajet jusqu’au mat…

1983, Ecole du Service de Santé, Orléans 

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Assistance médicale en Centrafrique, 1982

Jean-Claude va partager la vie du 2ème REP multipliant les OPEX, en particulier en Afrique, terre de prédilection des Légionnaires : Centrafrique, Tchad, Gabon, Djibouti...

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Jean-Claude Saulnier à l’entraînement à Djibouti 

Nous avons subi une violente tempête de sable comme on en voit dans les films. Nous nous sommes arrêtés, nous avons enfilés nos ponchos et courbé l’échine en attendant que cela passe. Quand la tempête a été terminée, on ne voyait plus de la section que quelques petits monticules de sable qui commençaient à s’ébrouer.

1980, Djibouti

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Centrafrique 

Arrivés à proximité d’un village, nous avons vu un petit vieux sur le bord de la route, debout au garde à vous, toutes ses médailles pendantes. C’était un vétéran de la seconde guerre mondiale qui avait appris notre arrivée. On ne sait comment. Le Lieutenant a fait arrêter le convoi et a salué régulièrement l’ancien.

1984, Centrafrique

Puis vient le temps des forces d’interposition. Concept quelque peu angélique imposé par les politiques ; missions compliquées, frustrantes pour les militaires. Liban, Bosnie, Côte d’Ivoire… goût amer pour nos soldats.

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Marines du 32d MAU et légionnaires du 2e REP pendant l'évacuation des troupes de l'OLP de Beyrouth, photo © 2ème REP

Quand la nuit est tombée, nous avons eu droit à un son et lumière impressionnant. Dans tous les coins de la ville, nous voyions des départs d’armes lourdes, des traçantes dessinant des serpentins qui zébraient l’obscurité, tandis que le staccato des armes automatiques était ponctué de détonations assourdissantes. L’Ouest répondait à l’Est, avant que le Nord n’entre dans la danse et que le Sud s’en mêle.

1982, Liban

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Jean-Claude Saulnier, poste avancé à Nevesinje, Bosnie 

Un bosniaque passait son temps à tirer sur les antennes du PC. De temps en temps, il parvenait à en couper une. (…) Dans ce cas, l’ADC Deptula venait me chercher à l’infirmerie pour monter sur le toit. Nous commencions à réparer l’antenne et là, nous entendions des balles se planter à quelques mètres de nous. (…) Les tirs se rapprochaient à 3 mètres, puis 1 mètre… Quand c’était très proche, nous décrétions que c’était l’heure du café et descendions du toit. Après cette pause, nous remontions pour finir le travail.

(…) Ce qui est sûr, c’est que le Bosniaque n’avait pas l’intention de nous tuer, car nous faisions des cibles faciles.

1992, FORPRONU, Bosnie 

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Légionnaires du 2ème REP en Côte d’Ivoire, Photo © 2ème REP 

J’ai pris une rafale de Kalachnikov que j’ai évitée d’un roulé-boulé derrière un talus. J’ai lâché à mon tour une rafale et j’essayais de voir d’où provenait le tir. Encore deux ou trois rafales qui ont tapé à 10 ou 15 cm, mais je ne voyais pas le tireur. J’ai lâché encore une longue rafale et j’ai dégagé de ce coin malsain.

2002, Côte d’Ivoire

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Légionnaires sous casques bleus – ici du 2ème REI, Bosnie. Photo © AALE

Nous avons pris conscience qu’un casque bleu, c’était un peu la palombe du coin.

1992, FORPRONU, Bosnie

Et cependant, Jean-Claude Saulnier reste philosophe…

J’ai vu un grand-père assis sous un arbre très feuillu. Je me suis approché et lui ai demandé comment s’appelait cet arbre. Il m’a dit : « C’est un arbre à ombre ». J’ai trouvé la réponse empreinte d’une grande philosophie.

2002, Côte d’Ivoire

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Sur les sentiers du GR20

Désormais marié à Marylin, père de 4 enfants, on pouvait penser que la carrière de l’ADC Saulnier se déroulerait sereinement, sous le beau ciel de la Corse qu’il aime tant. D’autant plus que vient le temps des honneurs…

Reconnu par ses paires, il est élu Président des sous-officiers. Le rôle lui va comme un gant : accueil des nouveaux sous-off’, rappel des traditions et des us et coutumes, interface avec les officiers, et surtout soutien aux hommes en difficulté, tant d’un point de vue personnel que professionnel. Bel hommage de ses camarades, et sans aucun doute l’homme de la situation.

Mais… 11 septembre 2001, le monde entier regarde sa télévision avec effarement, et voici notre Adjudant-Chef de nouveau en campagne : direction le pays de l’insolence…

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ADC Saulnier, GAL Townsend (101st Airborne), COL Bellot des Minière (CDT 2ème REP)

Nous résumerons la dernière campagne de Jean-Claude par ces deux phrases : 

Il est très dur de faire du social aujourd’hui avec des gens qui tireront sur vos camarades demain. 

La rébellion afghane est comme l’hydre de Lerne. On coupe sa tête, il en repousse deux.

2010, Afghanistan  

Et puis un jour de 2011, qui vient certainement bien vite pour Jean-Claude, bien trop vite même : l’adieu aux armes.

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2011, L’adieu aux armes, photo © 2ème REP 

Trente et un ans de joies et de coups de chien, l’épanouissement d’une vie d’homme et de sous-officier au sein d’une institution militaire sans égale au monde...

* * *

A la lecture de « Une vie de légionnaire », ce qui m’a frappé, outre évidemment la carrière exceptionnelle de Jean-Claude Saulnier, c’est sa formidable humilité.

Tentez l’expérience, dites-lui : «  Vous êtes une légende vivante du 2ème REP, c’est un honneur de vous rencontrer », il vous répondra à coup sûr : « Arrête tes conneries ».

Il n’y a là aucune fausse modestie, c’est simplement l’âme du personnage, et cela en fait toute la grandeur. De la part d’un Légionnaire, ce n’est certes pas surprenant.

Le 29.9.2005, lors de la prise d’armes de la Saint-Michel, j’étais fait Chevalier de la Légion d’Honneur (…) La première question que je me suis posé a été : « Pourquoi moi » ?

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Saint-Michel, 29.9.2005, remise de la Légion d’Honneur par le GAL Dary

« Par son courage au feu et ses qualités d’infirmier au combat, a contribué personnellement à la sauvegarde de vies françaises.

Mérite d’être cité en exemple. »

24.5.2004, extrait de la citation à l’ordre de la division, Général d’armée Bentégat, Chef d’Etat-Major des Armées

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ach_sa10.jpgNé en 1954 à Châtellerault, Jean-Claude s’engage en 1977 et rejoint le prestigieux 2ème REP de Calvi. Sa première mission de guerre fait date : le saut sur Kolwezi. Infirmier au combat, il participe à l’essentiel des opérations extérieures : Zaïre, Gabon, Centrafrique, Tchad, Djibouti (dont un déploiement avec le 13ème DBLE), Liban, Guyane (avec le 3ème REI), Bosnie, Afghanistan... En 2006, il est élu par ses paires Président des Sous-Officiers. Fait chevalier de la Légion d’Honneur en 2005, médaille militaire, trois citations, il poursuit sa carrière d’infirmier dans le civil. Amoureux de la Corse, sa terre d’adoption où il vit toujours, Jean-Claude est marié à Marylin et père de quatre enfants. Et c’est un chouette bonhomme !

Pierre Dufour, écrivain et journaliste spécialisé dans l'histoire militaire, a été chef du secrétariat de rédaction du mensuel de la Légion étrangère Képi blanc. Il est l'auteur de nombreux articles dans des revues françaises et étrangères et de plus de quarante ouvrages historiques et militaires consacrés à l'ancien empire colonial français, dont "La France au Levant", "La Légion en 14-18" et "Les Bat' d'Af".

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Hommage

Aux Légionnaires-Parachutistes du 2ème REP morts pour la France, 1977-2013

Zaïre

Sergent-chef DANIEL, Caporal-chef ALLIOUI, Caporaux ARNOLD et HARTE, Légionnaire CLÉMENT. 

Djibouti

Catastrophe aérienne du mont Garbi, morts en service aérien commandé. 

Capitaine PHILIPONNAT, Sergent-Chef STORAI, Sergents DORE, POMMIER et WOUTIER, Caporaux OEHLMANN, OLETTA, PELTON, SIMONET, BURGRAFF, 1ères Classes BEAUTEMPS, BETON, KERTY, ZASSER, Légionnaires BUZUT, DEPIERRE, FALAUT, GALVES, GORDON, GUNES, LEON, LIMA DA SILVA, LUANG, SENDERS, THIU-SAM, VELMAR.

Accompagnés de :

Capitaine  CHANSON et Caporal LAURIOL, 13ème DBLE,

Commandant DALMASSO, Capitaines COUILLAUT, TADDEI et DEMANGE, Adjudant-Chef DAENINCKX, ETOM 188, Armée de l’Air,

Capitaine DROULLE, EMIA/FFDJ,

Maître GLOANEC, Commando Jaubert. 

Bosnie

Légionnaire BENKO.

Congo-Brazzaville

Caporal GOBIN.

Afghanistan

Sergent RYGIEL, Caporal-Chef PENON, Caporal THAPA, Légionnaires de 1ère Classe HUTNIK et JANSEN.

Mali

Sergent-chef VORMEZEELE

A tous les Légionnaires-Parachutistes du 2ème BEP/2ème REP morts pour la France,

Aux blessés. 

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Hommage au 1er REP

Non, rien de rien, non, je ne regrette rien

 

Avec le salut fraternel du Chasseur et de la Russe-blanc aux Képis blancs-Bérets verts ! 

 

Nous sommes les hommes des troupes d’assaut,

Soldats de la vieille Légion.

Demain brandissant nos drapeaux,

En vainqueurs nous défilerons.

Chant du 2ème REP.

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ADC Saulnier et GAL McChrystal, commandant la force internationale en Afghanistan, 2009-2010.

-         Que penses-tu de toutes ces années à la Légion ?

-         Mon Général, vous me donnez 35 ans de moins, et je recommence. 

L’ADC Saulnier au Général de Saint-Chamas,

COMLE (Commandant de la Légion Etrangère).

 

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28 janvier 2013, les Légionnaires-Parachutistes sautent sur Tombouctou. 

« More Majorum »
À la manière des anciens.

Devise du 2e REP. 

C’est moi qui rêve, pense l’ancien. Donne-moi tes vingt ans. Donne-moi ta place. Prends mes médailles. A toi les honneurs, à toi la gloire. Donne-moi tes missions impossibles, donne-moi tes pitons à conquérir, ton adjudant à supporter, la jungle à traverser. Donne-moi encore l’occasion de chanter avec les copains, de tomber en route, ou vaincre au combat.

Pierre Sergent, 1er REP.

 

 

 

 

 

Livre, récit biographique d'un Légionnaire, 2e REP, Kolwezi

07/01/2013

197 Jours - Un été en Kapisa, Julien Panouillé, 1er RCP, Ed. Mélibée

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Rendre son « journal » attrayant pour autrui est un art difficile. Julien Panouillé réussi brillamment ce challenge. Il est vrai qu'il a le sens de la chute, manie très naturellement la petite phrase percutante et le non-dit, qui en dit long...
On passe brutalement de l'action à l'attente, de l'exaltation au spleen, de la fraternité au besoin de solitude.

Lorsque l’on se remémore ses lectures, quand bien même on a le souvenir d’avoir aimé un livre, on en garde parfois peu de choses. Quand je pense « 197 Jours », me vient immédiatement l’image de Julien, se levant la nuit, pour fumer seul sa clope devant l’immensité Afghane (*). C’est un signe : Ce livre se vit plus qu'il ne se lit.

 Saluons aussi les très belles préface (du Commandant de RAPTOR) et postface (du père de l'auteur).

 

 (*) fumer, c’est mal.

 

 "Vivre, ce n'est pas attendre que les orages passent ;

c'est apprendre à danser sous la pluie "

 

 

 

Julien paouillé.jpgLe Caporal-Chef Julien Panouillé est né en 1988. Il est tireur d’élite longue distance au prestigieux 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes de Pamiers, poste qu’il occupe en Kapisa, durant l’été 2011. Je garde en mémoire qu’il est le tout premier à m’avoir fait l’honneur d’une dédicace. Et si vous le croisez, demandez-lui de remonter ses manches… (vous comprendrez).

photo© Sébastien P.

 

 

 

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Hommage :

Au Lieutenant Thomas Gauvin, 1er RCP, mort pour la France en Afghanistan

 

A l'Adjudant Pascal Correia, 1er RCP, mort pour la France en Afghanistan

 

A l'Adjudant Laurent Marsol, 1er RCP, mort pour la France en Afghanistan

 

Au Caporal-Chef Cyrille Hugodot, 1er RCP, mort pour la France en Afghanistan

 

Au Caporal Florian Morillon, 1er RCP, mort pour la France en Afghanistan

 

Aux 55 Chasseurs-Parachutistes du 1er, qui ont péri dans l’attentat du Drakkar, à Beyrouth ; à tous ceux morts en OPEX,

 

Aux blessés.

 

Avec le salut fraternel du vieux Chasseur aux Bérets Rouges.

 

Et par Saint-Michel…

 

 

 Livre, journal, récit biographique d'un Chasseur-Parachutiste, 1er RCP, Afghanistan