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01/12/2014

« L’autre côté de la lentille », CPL Olivier « Wali » Lavigne-Ortiz, R22eR, Canada, éd. OLOrtiz

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés. Merci de nous consulter si vous souhaitez les réutiliser.

 

 

« Tu peux tuer toutes les hirondelles,

tu n'empêcheras pas le printemps de revenir. »

Proverbe afghan

 

Après-midi du 14 juillet, sur l’esplanade des Invalides, après l’émotion de la rencontre tant attendue avec le LCL Steve Jourdain, au gré de la discussion : « Tu connais le livre de Wali ? – Nan – C’est un ancien tireur d’élite. Vétéran d’Afgha. Photographe. Tu devrais le contacter… »

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Nos fidèles lecteurs savent déjà toute l’affection que nous portons à Steve Jourdain. La magie de cette relation fraternelle, établie par-dessus l’Atlantique, en quelques jours et par de simples échanges de messages, allait-elle se répéter avec son jeune compatriote Wali ? Le lien indéfinissable qui unit la communauté militaire et tous ceux qui revendiquent en faire partie, quand bien même civils, n’est-il qu’une vue de l’esprit ? Non. Cette fraternité est un fait : L’accueil du tireur d'élite est plus que chaleureux. Quelques échanges de mails comme avec Steve et déjà le sentiment de s’adresser à un ami. Magique.

Et puis nous recevons le livre. On le feuillette. On le lit. Et là encore, de la magie…

Je vous amène vers ces endroits où les lentilles que l’on voit sont celles attachées sur une arme. Plus qu’une mission de combat, bienvenue dans ce tour guidé et protégé derrière une infaillible vitrine de papier. Bienvenue dans cette patrouille alternant entre l’hiver et l’été ; près de ce que certains appellent l’enfer, mais surtout près de la beauté. Bienvenue dans une des contrées les plus dangereuses du monde. Voilà non pas les images d’une belle guerre, mais les belles images d’une guerre.

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La guerre, quoique parfois nécessaire, est toujours un échec de l’humanité. Les plus grandes victoires militaires sont aussi les plus grandes défaites humaines. La guerre est comme une partie de poker, à l’exception qu’ici, même le gagnant y perd quelque chose. A la guerre, impossible de se refaire. On ne reprend pas ce que l’on a perdu. Les mères ne reverront plus leur fils. Les sœurs n’embrasseront plus leur frère. Les familles des gagnants, comme celles des perdants, vivront à jamais avec le douloureux souvenir du grand départ vers le royaume des morts.

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D’un côté il y a les bombes et les embuscades. Il y a le fanatisme. Il y a l’ennemi. De l’autre, il y a les enfants qui jouent et des bergers qui conduisent leurs bêtes aux pâturages. La beauté se trouve même dans les pays en guerre. 

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Entre l’objectif de mon arme et celui de mon appareil photo, il y a le soldat et le photographe. Il y a le guerrier et il y a l’artiste. Je portais mon arme comme un homme ; je jouais avec mon appareil photo comme un enfant.

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En une seule patrouille, on peut traverser tous les états d’esprit. On voit un enfant se lever dans les vagues d’une mer de blé et, quelques instants plus tard, un homme travailler à l’ombre d’un arbre penché. On passe du sifflement des balles au chant des oiseaux dans les champs. Du cadavre d’un combattant au regard candide d’un parent. Des larmes d’un soldat au charme d’une rivière sous un pont de terre. Du camouflage couleur désert aux vignobles tapissés de raisins verts. Du sang au rouge du soleil levant. Du désespoir à l’espoir. 

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Un photographe est tel un magicien. D’un simple clic, il peut faire disparaître la laideur et arrêter le temps. Il peut isoler la beauté d’une toute petite fleur et l’enlever des ardeurs d’un désert. Il peut faire oublier une bataille aux générations à venir. Il peut rendre muet le calvaire des coups de feu et des explosions...

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… il peut capturer une âme prisonnière de la guerre et la placer dans un livre telle une œuvre sacrée dans la galerie d’un magnifique musée. Il peut rassembler des morceaux de l’enfer et les assembler en une mosaïque digne du paradis. Il peut recruter l’image de plusieurs orphelins isolés et lever une armée à la conquête des cœurs du monde entier.

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J’ai aimé ce pays, sa culture, ses gens. J’ai choisi de m’attarder à sa beauté. Malgré la guerre. Malgré mon métier de soldat. Car cette belle contrée est bien plus que des véhicules blindés et des soldats casqués.

 

***

moi1.jpgOlivier Lavigne-Ortiz nait en 1981 à Montréal. Tireur d’élite du Royal 22e Régiment, seule unité d’active québécoise de l’armée de terre canadienne, il est déployé en 2009 en Afghanistan. Il y retourne l’année suivante pour former la police afghane. Son surnom de « Wali » lui est donné par les Afghans qui peinent à prononcer son prénom. Soldat mais aussi artiste éclectique, Olivier est auteur (on lui doit le conte philosophique « Le voyageur sans nom »), compositeur de musique classique, réalisateur et évidemment photographe, pour le compte du R22eR et à titre privé.

Son site WEB ici

 

Mon premier déploiement s’est effectué en tant que tireur d’élite au sein du Royal 22e Régiment. C’était en 2009. J’y suis retourné en 2010 avec une équipe de conseillers avisés pour former la police afghane. En tout, j’y ai passé 16 mois. Sans hésiter, j’y serais resté pour le double du temps.

Wali 

Souvent, nous avons refermé les livres sur l’Afgha – soyons honnêtes – profondément émus, à commencer par celui de Steve, « Mon Afghanistan ». Avec « De l’autre côté de la lentille », nous l’avons fait avec le sourire, avec un sentiment d’espérance. Et ce n’est finalement pas si contradictoire, car le livre de Wali fait écho à celui de Steve : au-delà du fracas des armes, gardons en mémoire que tous nos soldats (français, canadiens, la nationalité compte-elle ?) se sont investis, ont soufferts, ont été blessés, ont perdu parfois la vie, pour une seule chose : pour que l’Afghanistan ressemble, enfin et exclusivement, à l’image qui prime dans « De l’autre côté de la lentille » : le sourire des enfants.

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ISBN : 978-2981232434 – Prix 24€ – format 21,6x21,6 - 170 pages.

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Site WEB ici.  

Le livre se trouve facilement en France, Belgique, Suisse, Luxembourg, par exemple via Amazon.fr 

 

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Pour mémoire, nous avons abordé « Mon Afghanistan », récit autobiographique du 2nd auteur du R22eR, notre camarade le LCL Steve Jourdain, ici

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Hommage

A nos frères d’armes canadiens ;

158 ont perdu la vie en Afghanistan.

Aux blessés.

A tous ceux qui ont œuvré et œuvrent toujours pour la paix en Afghanistan.

Je me souviens.

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Wali en Afgha.

Au fil des mois, le corps et l’âme du soldat finissent par être marqués. Je m’en suis sorti avec quelques rares égratignures. La guerre ne m’avait pas tant changé. Elle avait simplement confirmé ce que j’avais toujours été au fond de moi : un soldat. Quand les personnes me demandent comment a été mon expérience en Afghanistan, je vois dans leur expression qu’ils s’attendent à une réponse triste et négative. Ils sont surpris et sourient quand je leur réponds que l’Afghanistan a été la plus belle expérience de ma vie.

Wali

 

 

 

 

 

18/11/2014

Mili-reportage : Le salon des Ecrivains-Combattants 2014

Toutes les photos ©Natachenka/Une Plume pour L’Epée.

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Pour tous les fans de récits de soldats, le salon des Ecrivains-Combattants est indéniablement l’endroit où il faut être, avec le Festival International du Livre Militaire de Coëtquidan ou le stand du Ministère de la Défense au Salon du Livre de Paris. Nous n’allions pas rater l’occasion d'y retrouver des auteurs déjà connus et faire de nouvelles rencontres ; en conséquence, direction Saint-Mandé ce samedi 15 novembre où était organisée la 84e édition.

Avec une pensée pour ceux qui ne peuvent se déplacer sur Paris, voici notre mili-reportage.

 

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Avec le CNE Brice Erbland, 1er RHC, actuellement détaché au Ministère de la Défense.

De chouettes retrouvailles, car ce pilote de Tigre, vétéran d’Afgha et de Lybie, portant beau le bleu cobalt, nous le connaissons bien. Nous avions d’ailleurs débuté le blog avec « Dans les griffes du Tigre », mais notre texte était loin d’être à la hauteur du récit de Brice (il fallait bien débuter…). Nous avons donc décidé de reprendre notre recension et produire une version totalement refondue pour 2015. Patience.

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Aux éditions Les Belles Lettres. Disponible ici

 

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Avec le CDT (h) Jean Arrighi.

C’est toujours un honneur de rencontrer un  grand ancien comme le CDT Arrighi : Commandos Parachutistes, Commandos Nord-Vietnam, Régiment de Corée en Indochine, prisonnier du Vietminh, Guerre d’Algérie comme Légionnaire. .. « L’épreuve du guerrier – Récits de guerre » sont ses mémoires, mais aussi, dixit le Commandant, un « coup de gueule » contre les détracteurs de l’Armée et un plaidoyer pour tous ceux qui sont tombés pour la France en Indo et AFN. Inutile de vous dire que l’on a hâte de le lire…

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Chez Indo Editions. Disponible ici

 

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Avec le GAL (2s) Pierre de Tonquédec.

« Monsieur Tchad ». Le Général y a en effet servi à trois reprises : commandant à Abéché puis chef de l’Etat-Major franco-tchadien à Fort-Lamy en 1970-72 ; Commandant de l’opération Tacaud en 1979-80 ; Enfin en 1987, inspecteur d’Epervier.  Nous n’avons que trop ponctuellement abordé ce théâtre d'opérations ; belle occasion de rectifier le tir avec « Face à Kadhafi – Opération Tacaud ». Avec une pensée pour mon petit-cousin du 28e RT qui s’y trouve actuellement en OPEX.

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Aux éditions SOTECA/Belin. Disponible ici

 

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Avec le LTN Jean-Marie Mathieu, vétéran d’Algérie 57-58, et ses filles.

Sorti de Cherchell (EOR), Jean-Marie Mathieu rejoint les Diables Rouges du 15.2 avant d’être affecté à l’état-major de la ZEC (Zone Est Constantinois). Partisan de la décolonisation, patriote critique, il désapprouve  certaines méthodes de répression employées dans le cadre des « pouvoirs spéciaux ». Après nos amis Zeller, Delcayre ou Hutin, farouchement favorables à l’Algérie française, "l'autre point de vue" donc, mais qu’il convient évidemment d’aborder, par honnêteté intellectuelle (chacun connaissant la complexité du drame algérien).

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Aux éditions L’Harmattan, disponible ici

 

Nous laissons maintenant une place aux enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants de combattants. Ils ont toute leur place ici. En publiant des témoignages, ils se sont investis pour que la mémoire de leurs anciens ne s’envole pas avec eux. Qu’ils en soient remerciés.

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Avec Mme Fabienne Monclar, fille du GAL Raoul Magrin-Vernerey dit Monclar.

« Monclar ». Voici un nom qui « sonne » dans l’histoire de France. Saint-Cyrien ; Première-Guerre mondiale durant laquelle il est blessé 7 fois ; Légionnaire au Proche-Orient pendant l’Entre-Deux-Guerres ; Narvik pendant la Campagne de France ; Londres dès le 21 juin 40, Campagne d’Afrique puis de Syrie à la tête de la 13e DBLE, refusant à chaque fois de porter les armes contre les Français restés fidèles au gouvernement de Vichy ; Indochine ; il termine sa carrière militaire en abandonnant ses étoiles de Général pour prendre le commandement du bataillon de Corée comme Lieutenant-Colonel… « Bayard du XXe siècle » comme est joliment sous-titrée la biographie de Mme Monclar, dédiée à son père.  Tout juste paru. Un livre évidemment incontournable.

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Aux éditions Via Romana. Voir ici

 

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Avec Mme Sophie Lamy, arrière-arrière-petite-fille du Poilu Louis-Auguste Hubert, 109e RI.

L’année du Centenaire de la déclaration de la Grande Guerre est l’occasion de nombreuses publications d’historiens et biographes et c’est heureux. Mais quand c’est une jeune femme qui s’intéresse directement à la vie de son arrière-arrière-grand-père pendant le conflit, c’est encore mieux. Outre l’intérêt historique évident de carnets tenus au jour le jour par un Poilu, la démarche tord le cou à une idée communément admise sur le peu d’intérêt manifesté par les jeunes générations pour l’histoire de notre pays et la mémoire de nos soldats. Voici donc « Souvenirs de guerre  1914-1918 » journal de marche de Louis-Auguste Hubert, instituteur, mobilisé au 109e RI, proposé et édité par Sophie Lamy. Nous saluons l’initiative.

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Aux éditions Jets d’Encre. Disponible ici

 

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Avec Mme Martine Veillet, petite-fille du médecin militaire Louis Maufrais.

Dans la même rubrique « témoignages de la Grande Guerre », deux livres publiés par Martine Veillet : Le premier est basé sur les  carnets et transcriptions d’enregistrements audio de son grand-père, médecin militaire dans les tranchées. De l’Argonne au Chemin des Dames, en passant par Verdun et la Somme. Publié en 2008, ce témoignage d’exception a suscité de nombreuses réactions, en premier lieu dans la famille Maufrais, la découverte de nouveaux documents, des lettres… ce qui a permis à Mme Veillet de publier « Ils étaient camarades de tranchées – sur les traces de Louis Maufrais ». Deux tomes donc, qui se donnent la réplique, richement illustrés de photos inédites. Un must. Et si vous en doutez notez que plusieurs grandes maisons d’édition étaient volontaires pour la publication (Robert Laffont remportant la mise).  On souhaiterait à ce propos  que ces éditeurs, disposant de moyens marketing importants, laissent plus de place aux témoignages de nos soldats, au milieu des futiles bios d’aussi futiles « people ». Le business, ok, mais le devoir de mémoire, c’est bien aussi.

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Aux éditions Robert Laffont, disponibles ici

 

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Avec Florian Hollard, fils de Michel Hollard, résistant.

« Michel Hollard – Le Français qui a sauvé Londres » est un livre sur un homme méconnu et pourtant on lui doit, grâce à son action d’espionnage, la découverte puis la destruction des rampes de V1, destinés à ravager Londres. Dénoncé, Michel Hollard est arrêté, torturé, déporté au bagne de Neuengamme puis jeté dans la cale d’un navire promis au naufrage. Un monsieur discret, qui ne connut par les honneurs de la République, n’étant pas spécialement (impression de l’auteur) « dans les petits papiers » du GAL de Gaulle car indépendant des services de renseignement de la France Libre. Il sort d’un oubli immérité grâce à son fils Florian, auteur du texte basé sur ses souvenirs personnels et recherches.

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Aux éditions Le Cherche Midi. Disponible dans toutes les bonnes librairies et sites du Net.

 

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Avec Agnès Le Boudec-Andrieu et Bertrand Le Boudec, enfants du GAL (2s) Lucien Le Boudec.

Un véritable coup de cœur pour cette bio sur un grand ancien, Grand-croix de la Légion d’honneur, ancien du 6e BPC, blessé cinq fois au combat, appartenant à « Ceux de Tu Lé » et « Ceux de Dien Bien Phu ». Respect. Ses mémoires existent grâce à ses enfants Agnès et Bertrand qui ont publié ce livre remarquable, superbement illustré par les photos inédites issues de la collection de leur père. « Elevé à la dignité » a reçu le prix Jacques Chabannes 2014 de l’association des Ecrivains Combattants et ce ne peut être que mérité.  Indispensable dans toute bonne bibliothèque mili.

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Aux éditions Lavauzelle. Disponible ici

 

Quant à toutes les autres personnes présentes, qu’elles reçoivent nos sincères excuses de ne pas les mentionner. Le salon des Ecrivains-Combattants est un beau succès, les livres nombreux et il nous est matériellement impossible de tous les couvrir : histoire, stratégie… Nous sommes les premiers à le regretter. 

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Clin d’œil cependant à deux sympathiques écrivains-historiens, Gérard Bardy (à gauche sur la photo), à qui l’on doit une biographie de Susan Travers, unique femme Légionnaire, chez Pygmalion (vous connaissez notre affection pour la Légion…) et Alain Desaulty (à droite), que l’on retrouve toujours avec plaisir sur les salons, auteur « mili » prolifique. Citons son dernier livre : « 1954 – Le Tournant du siècle, l’année Dien Bien Phu » aux éditions Persée, disponible ici

Et pour conclure, merci à l’association des Ecrivains-Combattants et son indispensable travail de mémoire, ainsi qu’à la ville de Saint-Mandé pour une organisation sans faille. 

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Site de l’association des Ecrivains Combattants ici.

 



 

 

01/11/2014

« Mémoire de larmes d’un casque lourd », CCH Xavier Geoffroy, 28e RTrans, éd. Edilivre.

Extraits publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Photos inédites, collection de l’auteur. Droits réservés. Merci de nous consulter si vous souhaitez les réutiliser.

 

 

Il y a des larmes plus douloureuses que celles que l'on pleure : 

Ce sont celles que l'on n’arrive pas à pleurer.

 Bertrand Vergely, philosophe et théologien chrétien orthodoxe français.

 

 

Lors de la guerre du Vietnam, 50 000 GIs meurent au combat ou en service. Durant les années qui suivent, on estime à 50 000 au minimum le nombre de vétérans qui se suicident. Cet autre drame, qui fit donc autant de victimes, si ce n'est plus, que le conflit (cela interpelle) fût longtemps ignoré, voire tu. Il porte désormais un nom : le syndrome de stress post-traumatique (SSPT).

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Il fallut la débâcle américaine, et sans aucun doute un changement de mentalité dans notre société, pour que l’on fasse enfin cas de la détresse psychologique de certains combattants, « cassés de l’intérieur » : la « blessure de guerre invisible » comme l’a si bien qualifiée l’ADC Sylvain Favière.

Sylvain est l’un des rares, avec le SCH Yohann Douady dans « D’une guerre à l’autre » à avoir osé aborder dans un récit autobiographique les troubles terribles générés par le SSPT, tant pour la personne qui en est victime, que pour ses proches. Il faut du courage, il est vrai, pour se livrer ainsi. Et ce courage, un transmetteur l’a trouvé à son tour : le CCH Xavier Geoffroy, 28e RTrans, traumatisé, c’est bien le mot, par ce qu’il a vécu au Rwanda, sentiment aggravé par les malheurs de la vie, la perte de son amie de cœur, d’un frère d’armes en Bosnie et un accident.

Aujourd’hui, le SSPT est pris on ne peut plus au sérieux par l’institution militaire. D’où la mise en place d’un service spécifiquement dédié à ceux qui en souffrent, accessible par numéro vert, ou de « sas » à Chypre au retour des OPEX, période de transition/décompression pour les soldats. 

Nous savons que le chemin vers la guérison est long, difficile et que la clé est dans l’échange. Remercions Sylvain, Yohann et désormais Xavier de leurs témoignages. Démarche salutaire pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs camarades isolés dans leur mal-être. Remercions aussi Xavier de rappeler ce que fut le Rwanda et de rendre hommage aux victimes d’une des pires tragédies du XXe siècle. 

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Xavier Geoffroy, 28e RTrans, quartier Chanteau, Orléans. Collection de l’auteur.

Mars 1996. Un brouillard épais règne dans ce milieu forestier en ce mois de mars. J’aperçois le reflet des phares sur le bitume de cette route…

« Monsieur ! Vous m’entendez ? Monsieur, si vous m’entendez, serrez-moi la main ». Complètement engourdi par un mauvais rêve, je n’arrive pas à savoir où je me trouve. Un médecin urgentiste et une infirmière s’occupent de moi. Mes vêtements sont tachés de sang et déchirés, mon pantalon de treillis est coupé du bas vers le haut pour laisser apparaitre mes jambes.

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Xavier Geoffroy, 28e RTrans, quartier Chanteau, Orléans. Collection de l’auteur.

Je déprime de plus en plus chaque jour qui passe, je n’accepte pas de me voir ainsi. J’étais au meilleur de ma forme et me voilà au plus bas. Je n’arrive pas vraiment à redémarrer la machine. Désormais, je recommence à esquiver les séances de sport du matin sans même me cacher de mes camarades et responsables. J’erre dans les longs couloirs de la compagnie et remonte avec un café m’enfermer dans ma chambre.

On peut penser que cet accident grave, qui aurait pu coûter la vie à Xavier, sert de catalyseur : car s’il marque physiquement notre ami transmetteur, il libère aussi sa parole. En effet, depuis son retour du Rwanda, Xavier souffre de SSPT. Mais comment sortir indemne du Rwanda, de l’Apocalypse, comme l’a décrit le padre Kalka ?

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Rwanda 3.7.1994. D’ap. photo AFP/Hocine Zouar. 

Après avoir participé au montage d’une station de transmissions, je me retrouve de garde devant une immense grille, l’entrée principale de notre base, pour deux heures de vacations. Je suis avec un jeune Légionnaire du 2e REI de Nîmes. Nous n’avons pas trop le temps et encore moins la tête à discuter. Une masse importante et grandissante de gens attend devant la grille, nous leurs demandons de bien vouloir reculer de quelques mètres. Tout cela se passe dans un bruit incessant de cris et de chants. Certains s’agrippent aux barreaux des grilles. Nous ne savons plus à quelle ethnie appartient la plupart de ces gens. Certains nous demandent de les laisser rentrer, d’autres veulent de l’eau et surtout de la nourriture. A ce moment-là, il ne faut en aucun cas sortir de la nourriture de ses poches, car cela peut déclencher une émeute et tout faire déraper.

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Réfugiés rwandais. D’ap. photo AFP

Des femmes et des enfants, des vieillards, passent à côté de nous en formant une longue chaîne humaine interminable. J’ai l’impression de ne pas être présent quand ils me regardent, tellement la détresse dans leurs yeux est accablante. 

Certains pleurent, tandis que d’autres restent les yeux dans le néant. Je croise le regard d’une femme, d’un vieillard, d’un enfant, sans jamais recevoir le moindre échange, comme si je n’étais qu’une affiche.

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Xavier Geoffroy au Rwanda. Collection de l’auteur.

J’ignore combien de temps nous avons passé au bord des routes, mais bien moins que toutes ces personnes. C’est dans un profond silence que nous regagnons notre camp de base. Après avoir essayé de manger, je regagne ma tente pour m’allonger. Je ne trouve pas la paix dès que mes paupières se ferment, j’aperçois en permanence des visages de réfugiés. Mes jours et mes nuits ici sont devenus un véritable enfer.

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Rwanda, fosse commune, d’ap. photo Reuters/Corinne Dufka

L’odeur qui règne et la vue me provoquent des nausées. J’aperçois des camions arrêtés à différents embranchement de routes, des civils ramassent tous ces morts pour les charger vulgairement dans les bennes. Un spectacle complètement surnaturel cela semble irréel pour la plupart d’entre nous. On se demande si tout cela est vrai, si nous ne sommes pas en plein cœur d’un cauchemar. Je repense à ce que m’a dit un sergent-chef de la Légion en arrivant à l’aéroport : « Ceci est la cours de jeu du Diable ! ».

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Rwanda, camp de réfugié, d’ap photo AP/JM Bouju

Des larmes coulent sur mes joues à chaque passage d’un enfant à mon point d’eau. Ils ne comprennent pas ce qui se passe mais les adultes, eux, ont très bien réalisé ce que nous faisons. Les réfugiés ont compris que nous démontons certains matériels et allons quitter le Rwanda (…) Ce soir, allongé sur mon duvet, je pleure à l’intérieur de mon être.

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Xavier Geoffroy, ici au Bénin. Collection de l’auteur.

Je sursaute une fois de plus dans mon lit, je me rends compte à quel point je suis choqué. Ces fantômes ne me quitteront jamais. Ces fantômes ne quitteront pas cet ossuaire vivant et eux ne nous quitteront jamais.

Mes proches ne me reconnaissent plus. Je me suis emmuré dans le plus profond silence. Rien ne sort, aucun mot ne s’échappe de ma bouche (…) Tout ce qu’ils disent ne m’intéresse pas, je ne pense qu’à une seule chose, retourner au Rwanda, pour venir en aide aux réfugiés.

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Rwanda, camp de réfugiés

Je m’enferme dans ma chambre à la caserne. Je me surprends à écrire des bribes, comme pour cracher quelque chose qui me gêne au niveau de l’estomac. Sur les feuilles de papier blanc, je vomis des mots. La nuit venue, je m’allonge et verrouille mes paupières tout en laissant une lampe de chevet allumée. Lorsque soudain, un enfant m’attrape la jambe à nouveau, il tire de toutes ses forces sur mon pantalon de treillis. Je regarde en sa direction, ses joues sont couvertes de larmes de sang. Son short et ses jambes sont tachés d’excréments et une odeur désagréable s’en dégage. Une douleur me saisit au niveau du crâne, je me réveille hors du lit la tête contre le mur.

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Xavier Geoffroy. Collection de l’auteur.

Je parle de souffrance parce qu’elle est réelle, toutes les personnes ayant subi un traumatisme le diront. Elles revivent des scènes d’épouvante mises en sommeil momentanément quelque part dans leur psychisme. On pense avoir oublié toutes les sensations et ces images effroyables, insoutenables, irréelles, puis un jour, elles ressurgissent…

***

 

10313835_682567958463599_740453962290809229_n.jpgXavier Geoffroy nait  en 1973. A 18 ans il s’engage dans l’armée, rejoint le 41e puis le 28e Régiment de Transmissions. Il est déployé notamment en Guyane, en Somalie, au Rwanda et en Bosnie. Il est profondément marqué par ce qu’il vit lors de l’opération Turquoise au Rwanda. A son retour, il subit les troubles du stress post-traumatique, mal-être, cauchemars. En 1996, il est victime d’un accident en service, aggravant sa détresse psychologique. Diminué physiquement et psychiquement, il quitte l’Armée. Apportant son aide à des survivants du génocide installés en France, échangeant avec d’autres victimes de SPT, il trouve la force de témoigner en écrivant « Mémoire de larmes d’un casque lourd » qu’il agrémente de poèmes. Il se reconstruit pas à pas, aidé pas ses proches, et en premier lieu sa femme. Le chemin est long, mais il est sur la bonne voie.

Page FaceBook du livre ici.

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ISBN 978-2-332-73437-2 – Prix 23,50 € - Format  13,5x20,5 - 194 pages

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Aux éditions Edilivre

Disponible ici

 ***

 

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Hommage

A toutes les victimes du syndrome de stress post-traumatique ;

ce sont des blessés de guerre.

Aux Transmetteurs.

A ceux de Turquoise.

A la mémoire des civils rwandais, victimes de la folie humaine.

***

Depuis janvier 2013, le Ministère de la Défense a lancé un numéro vert destiné aux militaires et aux vétérans souffrant de SSPT : 

08 08 800 321

Des psychologues du Service de Santé des Armées sont disponibles, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pour répondre à toutes les interrogations. Selon l’urgence de la situation ou au bon vouloir de chacun, les patients pourront être aussi redirigés vers des médecins du système de santé public pour être pris en charge.

*** 

Nous n’oublions pas les proches. 

Mme Pascale Lumineau, maman de Pierre-Olivier, MLC du 40e RA mort pour la France en Afghanistan en 2012, a créé l’association « De la pierre à l’olivier », qui a pour vocation de mettre en contact et organiser des groupes de parole dans toute la France, dom-tom inclus, afin que ceux qui ont eu le malheur de perdre un proche, mais aussi les familles des blessés (physiques et psychiques) puissent partager avec des personnes dans la même situation. 

Pour que la parole se libère...

Groupe FaceBook ici. 

 

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Survivant du génocide rwandais, d’ap. photo AP/Jean-Marc Bouju/Keystone

Lorsque je me suis mis à écrire tous ces mots, j’ai souvent eu la sensation de vomir mes maux, sans que rien ne sorte. Il y a des choses qui restent et qui ne peuvent sortir. On vit avec et il n'est nullement possible de faire autrement. C’est ce qui fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Des porte-paroles d’horreur.

 

Je vais jeter mes dernières forces,

Dans cette bataille qui s’amorce. 

Hier, je pensais être un sans larmes,

Aujourd’hui, je suis fait de larmes de sang.

Xavier Geoffroy

 

 

 

 

 

 

 

 

02/10/2014

« Captain Teacher », CNE (r) Raphaël Krafft, COS/2e REI. Ed. Buchet-Chastel

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés.

 

 

Quand la vérité n'est pas libre, la liberté n'est pas vraie.

Jacques Prévert.

 

[En mode sourcils froncés] Quoi ? Un journaliste « typé France-Culture » devient capitaine de la Légion pour animer une radio libre en Afgha ? Mais qu’est-ce-que c’est que cette blague…

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Et puis, et puis… connaissant les képis blancs, nous nous sommes dits : « Un tel projet : ne pas considérer le déploiement en Afghanistan que d’un point de vue purement militaire, créer un lien avec la population, par l’intermédiaire d’une radio en langue pashto… Serait-ce si étonnant de la part des Légionnaires ? ». 

Ce n’est donc pas une blague. En 2009, Raphaël Krafft, journaliste radiophonique, est appelé par le COL Bernard Durieux, chef de corps du 2e REI, pour aider à la fondation d’une radio communautaire, indépendante de toute autorité politique (y compris de la hiérarchie militaire française et de ses services « d’influence » auprès des populations), animée par des Afghans et émettant depuis la base de Tora. Pour faciliter le projet, Raphaël s’engage, devient Capitaine de réserve rattaché au COS et s’envole pour l’Afgha. C’est cette aventure qu’il nous compte dans « Captain Teacher » - Capitaine professeur, surnom donné par les journalistes afghans qu’il doit former. 

Une succession de rencontres, avec les Afghans, la guerre, la Légion... Une vision du conflit originale, décalée, entre franche rigolade lorsque Raphaël doit entrer dans le « moule » légionnaire (inénarrable Capitaine Negroni…) et un certain spleen qui s’installe au fil des pages, enthousiasme et sympathique idéalisme des débuts, contrariés par la tournure des évènements...

Allez, on allume la radio.

***

La tâche que m’assigne la Légion est (…) de monter une radio de A à Z : de la fabrication du studio à l’habillage de l’antenne en passant par la formation des personnels. Le chef de corps a été très économe en mots pour m’informer de ma mission ; l’armée a une approche du travail par objectifs : « Capitaine Krafft, vous devez créer Radio Surobi dans les délais les plus brefs et il faut qu’elle marche. Débrouillez-vous. »

 

Moulez-là, gros rat ! 

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CNE Negroni

Son coup de taureau, ses bajoues saillantes, ses sourcils épais qui lui barrent le visage, son regard scrutateur me rappellent le colonel Kurtz d’Apocalypse Now. Il m’attend accoudé sur le capot d’une P4, cigarette à la bouche. Alors que je le salue à la mesure du ton avec lequel il me parlait la veille au téléphone, le capitaine Negroni me tend négligemment le plat de la main sans changer de posture, et me juge de la tête au pied avec un regard de biais.

- Alors vous voilà, capitaine Krafft ! me dit-il se redressant tout à coup en appuyant sur le « ca » de capitaine et le « kra » de Krafft avant de se tourner vers le major Houssin, complice.

- Le capitaine Krafft s’est-il bien comporté, Major ? L’interroge-t-il avec cette même insistance sur les consonnes dures et le sourire en coin.

- Ca va, mon capitaine, répond-il sans conviction, il y a encore quelques réglages à faire, mais je suis sûr qu’entre vos mains notre jeune capitaine sera bientôt digne de son grade.

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Légionnaires du 2e REI et Ali Baba, interprète, devant le studio-bunker

- Voici radio Surobi ! me lance Negroni l’air satisfait. Et voici Aziz et Nasser, nos amis afghans et Monsieur Ali Baba, notre interprète ! (…) Je vous présente le capitaine Krafft qui est venu spécialement de France pour s’occuper de vous. Dès demain, il vous apprendra à parler dans un micro et à devenir des journalistes, c’est un spécialiste de la radio.

Les Afghans s’inclinent en guise de reconnaissance, le capitaine s’installe dans un des fauteuils inclinables dont a été équipé ce qui ressemble à la salle de rédaction quand entre le colonel en second. Ce dernier m’inspecte de la tête au pied avant de me lancer :

- Alors que pensez-vous de notre radio, Krafft ?

- Magnifique mon colonel, dis-je sincère.

En effet, la Légion n’a pas lésiné pour rendre le lieu confortable et fonctionnel : tableaux blancs aux murs, ordinateurs, armoires de rangement, sièges conférences, etc.

- Que pensez-vous de mon marbre blanc ? lance-t-il, très fier, il m’a coûté une fortune.

- Mon colonel, c’est beau le marbre mais ça résonne comme dans une cathédrale. Ce n’est pas idéal pour une radio.

- Krafft ! intervient Negroni en criant, moulez-la ! On n’est pas à France Culture ici ! On doit s’adresser ainsi à un supérieur dans la Légion : « Mon colonel, j’appelle respectueusement votre attention sur le fait que le marbre est plutôt déconseillé dans la conception architecturale d’un studio radiophonique. » Reçu ?

- Reçu.

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Sayef, Aziz, Nasser et Abid, animateurs de Radio Surobi

Voici donc le capitaine Krafft qui va commencer aujourd’hui votre formation. C’est un vrai journaliste. Il va vous apprendre à animer une radio libre. Car je vous rappelle que Radio Surobi doit être une radio libre, c’est le souhait du chef de corps. 

Je l’interromps :

- Mon capitaine ?

- Oui, Krafft ?

J’appelle respectueusement votre attention sur le fait que l’appellation radio libre n’est pas la plus appropriée pour Radio Surobi.

- Mais c’est ce que demande expressément le chef de corps ! Il ne s’agit pas de faire Radio Paris ici !

- Certainement mon capitaine, mais le terme de radio libre est initialement synonyme de radio pirate (…)

- Vous voulez dire que le terme radio libre à une connotation de gauchiste ?

- De gauche en tous cas.

- Ce serait un comble que la Légion soit à l’initiative d’un tel média. Vous rendrez compte au chef de corps, mais n’oubliez pas de mettre les formes !

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Le COL Durieux et les Légionnaires du 2e REI à Tora

- Alors comme ça, Krafft, vous fumez vos clopes avachi dans un transat en plein milieu du camp au vu et au su de toute la troupe ?

- Les nouvelles vont vite à ce que je vois.

- Ne faites pas le malin Krafft et moulez-là ! Nous avons été tolérants et patients avec vous, conscients que nous sommes de votre inexpérience militaire. Mais il est grand temps que vous preniez le pli mon garçon. D’autant que le chef de corps a décidé de vous intégrer au régiment en vous remettant ce béret vert – qu’il me tend, avant d’immédiatement s’en ressaisir. Hop hop hop ! Vous ne croyez pas tout de même que vous allez porter un béret de la Légion avec votre coupe de hippie !

- Ma coupe de hippie ? Vous plaisantez ? Je n’ai jamais eu les cheveux aussi courts depuis mes classes !

(…)

- Laissez-lui une houppette de Saint-Cyrien, il ressemblera à un FAF [militant d’extrême-droite, acronyme de la France Aux Français]

Greco s’exécute et me repasse maladroitement la tondeuse en appuyant fort et de façon répétée sur toute la surface de mon crâne pour ne laisser qu’un tout petit millimètre sur la tête, haut du front excepté où je sens dépasser la fameuse houppette du GUD [Groupe Union Défense – organisation d’extrême droite]. Negroni me détaille le visage, tire sur sa Dunhill, la garde à la bouche et, satisfait, me pose de ses deux mains le béret vert sur la tête.

- Vous ressemblez enfin à quelqu’un, Krafft ! (…) enfin vous voilà beau ! Et n’oubliez pas de faire la gueule quand vous vous promenez dans le camp, les Légionnaires doivent vous prendre pour un sale con, c’est important.

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CNE Negroni, soirée de la Saint-Sylvestre

- Asseyez-vous donc, gros rat ! m’intime Negroni de bonne humeur avec ce sobriquet amical qui ne me quittera plus, avant de commander un café au caporal de semaine. 

- En quoi puis-je vous être utile, mon capitaine ?

- En rien Krafft. Je vous ai fait venir pour que nous discutions autour d’un bon café, histoire de nous détendre et de bien commencer la journée.

- Merci mon capitaine, mais j’attire respectueusement votre attention sur le fait que les stagiaires afghans m’attendent pour la première leçon.

- On n’attire pas l’attention d’un supérieur – je vous rappelle qu’à grade égal l’ancienneté prime et que j’en ai des décennies de plus que vous – on appelle l’attention, nuance ! Quant aux Afghans, ils attendront.

Entre alors dans le bureau un jeune capitaine, commandant d’unité, qui lance à Negroni :

- Alors mon capitaine, toujours à crouler sous le boulot ?

- Moulez-là Vancina ! lui crie-t-il avant de se tourner de nouveau vers moi : Voyez-vous, Krafft, le secret d’un bon chef c’est de savoir déléguer, donc de bien s’entourer. C’est ce que le jeune Vancina n’a pas encore compris. Dans le cas qui nous intéresse et en ma qualité de directeur de Radio Surobi, je vous délègue la tâche de créer cette radio. Mais n’oubliez pas une chose : si Radio Surobi est un succès, je serai félicité ; dans le cas contraire, c’est vous qui serez puni. Et maintenant disparaissez.

 

Débrouillez-vous Krafft !

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Le doyen du village de Ganda Khasaray

[Réunion d’un tabor d’Afghans, une quinzaine de poètes, appelés à réciter des poèmes à l’antenne]

Il règne un silence de plomb dans la pièce, quand l’un d’eux, le plus âgé, dit à mon adresse :

- J’aime Jeanne d’Arc.

- Formidable ! m’écriais-je, heureux que la glace se brise enfin. Pourquoi cela ?

- Parce qu’elle s’est battue vaillamment contre les Anglais comme le fit Malalai en son temps.

- Malalai ?

- C’est la « Jeanne d’Arc afghane », mon capitaine, me souffle Ali Baba. Elle a rallié l’armée pashtoune contre les troupes britanniques lors de la bataille de Maiwand, à la fin du XIX° siècle.

- Oui, nos deux peuples ont cela en commun, lui dis-je.

- Faux. Les anglais sont désormais vos amis, ils se battent à vos côtés en Afghanistan.

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Aziz prépartant une emission

Aziz lit son texte. Je comprends, à la sonorité et au rythme de sa voix, à l’harmonie des mots de cette langue qui m’est pourtant étrangère, qu’il a écrit un vrai poème pour décrire le réfectoire de la Sodexo dont il est allé enregistrer l’ambiance.

« Les murs blancs au soleil de ces boîtes en plastique collées les unes aux autres affectent mon regard.  Je voudrais un paysage vierge pour m’éblouir du spectacle des montagnes de Kaoun dans le lointain (…) J’entre dans le réfectoire. Les employés s’affairent pour préparer le déjeuner, ils parlent des langues inconnues de la mienne. Hindi ? Tamoul ? Je me sens tel un étranger sur cette parcelle d’Afghanistan où est posée cette boîte en plastique blanc qui abîme mon regard. Je m’assieds près d’une fenêtre. Au loin je vois les montagnes de Kaoun, elles sont éblouissantes de beauté. »

Après que Georges m’ait traduit son texte, je suis pris au dépourvu et ressens un peu de honte, le chronomètre en main, à vérifier s’il a respecté le temps que je lui avais imparti. Ce serait dommage, me dis-je, d’imposer ici les formats courts et froids des radios françaises, voix au débit mécanique, à la musicalité répétitive, véritables tirettes à bière de l’information.

Formidable Krafft !

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Radiodiffusion d’une poésie, Aziz en arrière-plan

Le poète commence à déclamer, quand arrive le colonel.

- Formidable ! S’émerveille-t-il en nous affranchissant du garde-à-vous d’un geste de la main. Que dit-il ?

- Je ne sais pas, mon colonel, lui dis-je un peu inquiet. J’enregistre l’émission et vous ferai remettre une traduction dès que possible.

- Il parle de l’Afghanistan, de ses divisions, dit Georges, les bras croisés, et visiblement ému par ce qu’il entend.

Faites que nous vivions en paix, sur un parterre de fleurs.

Au tour de Negroni, de retour de sa sieste – c’est vendredi – d’entrer dans le studio

- C’est formidable ! s’écrie-t-il lui aussi. Mes respects, mon colonel, qu’en pensez-vous, mon colonel ?

- Formidable Negroni. Je n’imaginais pas que la radio prendrait un jour cette dimension.

Formidable est le mot qui convient. Radio Surobi est un incontestable succès. Difficile bien sûr pour Raphaël d’évaluer l’audience, mais les dizaines d’appels journaliers pour dédicacer une chanson, les milliers de lettres reçues, prouvent qu’une bonne partie de la population adhère au projet.

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Ecole de Ganda Khasaray

- C’est encore trop tôt, mon capitaine, répond Aziz quand je lui demande à la fin du cours s’il serait possible un jour [d’avoir des femmes] à l’antenne. Les gens manquent d’éducation ici, ils vivent coupés d’avec le reste du monde depuis toujours. Il faut y aller petit à petit. Commençons par faire apparaître des voix de femmes dans le cadre de nos reportages en interviewant des infirmières à l’hôpital ou des personnalités politiques féminines quand elles se présentent. Plus tard, lorsque notre légitimité sera accrue, nous pourrons réfléchir à un moyen d’avoir des journalistes femmes ou des animatrices. Mais il est impensable qu’elles viennent travailler ici, à Tora, sur la base militaire. On les considérerait comme des femmes de mauvaise vie.

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Aziz en reportage

- Et donc Aziz, tu me disais que tu connaissais des « frères tristes » [surnom donné aux insurgés] ? 

- Oui bien sûr, qui n’en connaît pas ?

Il regarde autour de lui et reprend :

- Pour ma part, j’ai un ami  d’enfance qui est parti sur les crêtes. Nous ne partagions pas les mêmes points de vue politiques, je n’approuve pas ce qu’il fait, mais cela ne nous empêche pas d’être restés en contact (…).

Du peu que je comprenne de l’Afghanistan et du conflit qui la meurtrit, cet aveu ne me choque pas. Dans « Guerre, contre-insurrection et démocratie, après l’Afghanistan », Durieux écrira : « Dans ce pays, comme dans d'autres théâtres de crise, il n'y a pas de coupure franche entre les amis et les ennemis, entre les insurgés les plus fanatiques et les partisans les plus convaincus du gouvernement légitime (...) Si ligne de partage il y a, c'est dans le cœur de chaque Afghan. »

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Nasser à l’antenne

Je suis un peu fébrile, à fleur de peau depuis le départ de mes protecteurs. J’ai le sentiment que la survie de Radio Surobi ne tient qu’à un fil, que le pacte de confiance établi avec Aziz, Nasser et Abid peut à tout moment voler en éclats. Je commence à croire que la charte signée par le colonel Durieux n’est finalement qu’un bout de papier sans consistance maintenant qu’il est rentré à Nîmes. Et puis, je dois bien l’avouer : je me suis lié à cette radio et aux Afghans qui l’animent. Je ne prends pas les mises en garde de Negroni très au sérieux.

- Suivez mon conseil, Krafft, ne vous attachez pas. Ni à Aziz, ni à Nasser, ni aux autres. L’attachement conduit au déchirement.

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CNE Negroni, fan des Pet Shop Boys

- J’ai planché sur la façon d’intégrer Radio Surobi à la chaine de commandement.

- Mouais, dis-je, toujours aux aguets quand les militaires se mêlent de nos affaires.

- Il faut bien que tu comprennes que c’est la condition de la survie de la radio. Un chef qui débarque ici, il faut bien qu’il sache où situer la radio dans le schéma « mili » qu’il a en tête et aussi savoir à quoi elle sert.

- A quoi elle sert ? Que veux-tu dire par là ? 

- Tu es naïf, Raphaël, c’est fini le temps de Durieux et de Negroni.

 

Gâchis ?

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Départ du CNE Negroni

Débuté avec de francs éclats de rire, « Captain Teacher » se clôt sur une note morose. Les temps ont changé ; l’indépendance de Radio Surobi vis-à-vis des « Opérations Militaires d’Influence » est mise à mal, préambule à la diffusion de messages plus convenus, formatés, contrôlés, voire propagandistes. La présence de Raphaël n’est plus souhaitée/souhaitable. 

Le 25 août 2010, sur le tarmac de Kaboul, assis dans l’attente du décollage qui va le ramener définitivement en France, Raphaël rumine. Tout ça pour ça. Par le hublot, il aperçoit  un convoi. Ce sont les cercueils du CCH Jean-Nicolas Panezyck et du CNE Lorenzo Mezzasalma, rapatriés par le même avion. Il ferme le store du hublot. Tout ça pour ça.

 

***

ob_9c2d6e_krafft-raphael.jpgRaphaël Krafft est né en 1974. Journaliste indépendant, il alterne reportages au long cours et voyages à vélo dont il tire des livres et émissions radio pour, notamment, France Culture. En 1997, appelé du contingent, il est animateur de la radio Azur FM à Sarajevo, en langue française, destinée aux troupes et francophones de Bosnie. En 2004, il forme les journalistes d’une radio communautaire au Congo-Kinshasa. En 2009, sur une initiative du COL Benoît Durieux, chef de corps du 2e REI, il s’engage dans l’armée pour aider à la mise en place d’une radio communautaire en langue pashto, « Radio Surobi ». Formant les volontaires afghans aux rudiments du reportage et de l’animation radiophonique, il en tire son surnom de « Captain Teacher », Capitaine professeur. Il passe plusieurs mois sur la base de Tora, aux côtés des 2e REI, 2e REP et 126e RI. Redevenu civil, il poursuit sa carrière de reporter et enseigne en école de journalisme. Dernier projet en date avec son complice Alexis Monchovet : "Vélo do Brasil" : 3 mois à parcourir le Brésil, coupe du monde incluse, à la force des cuisses et des mollets, le tout avec un regard évidemment décalé. Ne manquez pas le film tiré de l’aventure. Vous passerez une bonne soirée.

 

***

Radio Surobi

La guerre, je l'ai fréquentée en d'autres lieux en tant que reporter. J'ai attendu de nombreuses fois qu'elle survienne pour rassasier ma soif d'adrénaline, me rappeler ou rappeler aux autres que j'existe, m'exalter de vivre un moment extraordinaire, historique parfois, ou simplement pour avoir de quoi écrire un article. (...) [Mais] être acteur à la guerre, c'est autre chose. Je m'en rends compte aujourd'hui. Je me rends compte que les militaires, finalement, quand ils sont sains d’esprit et "bien tassés dans leurs bottes", n’aiment pas la guerre, ou du moins, l’aiment parfois moins que nous [les journalistes]. Et c'est heureux.

Capitaine (r) Raphaël Krafft

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Prix : 20€ - ISBN 978-2-283-02695-3 – Format 14x20,5 – 304 pages, cahier-photo couleur

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Aux éditions Buchet-Chastel

Le livre se trouve facilement, à commander chez votre libraire préféré(e) ou sur le Net. 

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Rencontre avec Raphaël lors d’un café littéraire mili « de la Chouette » organisé par « Guerres et Conflits »

Nous pourrions imaginer Raphaël amer. Non de l’aventure menée, forcément exaltante, mais du sort réservé à Radio Surobi : Elle subsiste, mais a perdu son indépendance éditoriale puis, au départ des Français, a été reléguée par le commandant afghan dans un coin du camp (le dit commandant installant sa chambre dans le bunker-studio de diffusion…). Elle n’émet désormais que quelques heures par jour. Ayant abandonné sa liberté de ton, peut-être décrédibilisée auprès des auditeurs, manquant de moyens, sa survie est hypothétique.  

En conclusion de son récit, Raphaël évoque un gâchis, qui fait écho à l’issue de l’opération occidentale en Afghanistan. 

Alors, tout ça pour ça ? Tout ça pour rien ? Peut-être. Ou peut-être pas. Car cet adolescent afghan, qui a envoyé un poème dédié sa bien-aimée et qui a eu la fierté de l’entendre sur les ondes de Radio Surobi ; ou cette jeune inconnue, qui a téléphoné en cachette, bravant l’interdit, demandant que soit jouée sa chanson préférée, n’ont-ils pas changé à jamais ? Pourra-t-on un jour leur faire accepter qu’écouter de la musique, jouer avec un cerf-volant, c’est mal, mauvais, interdit ?

Et s’il ne reste que « ça », un instant de liberté volé à travers les ondes, n’est-ce-pas déjà énorme ?

 

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Courrier envoyé par un auditeur à Radio Surobi

 

Au nom d’Allah

 

"Combien tes lèvres rouges ont-elles tué ?

Et tes yeux ? Combien de larmes ont-ils fait couler ?

C’est moi, Faryadi, fou d’amour pour toi,

Trop de prétendants sont déjà morts de te voir sourire."

A Radio Surobi, j’adresse ce poème et toute mon affection.

De la part de Faryadi du village de Konj

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 Poètes & Légionnaires

Hommage 

A tous ceux qui ont œuvré et œuvrent toujours pour un Afghanistan, non pas transformé, mais apaisé.

 

Le son de nos sabres fendant l’air résonne dans le monde entier.

Eternels rivaux, nous semons les graines de nos divisions.

Jamais souverains nous ne deviendrons.

Et pourtant, nos bras sont grands ouverts pour en notre sein accueillir le vaste monde.

« Le vif désir », extrait d’un poème de Mahmad Daoud Mohlessyar, chef de la shura des poètes de Surobi, diffusé sur Radio Surobi. 

 

 

 

 

 

 

 

06/09/2014

"Obéir ? Journal de l'Amiral Paul Marzin", Marie-Paule Leclerc-Marzin. Ed. Charles Hérissey

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de Mme Leclerc-Marzin. Droits réservés.

+ A la mémoire de mon cousin le CBA Jacques Boyer, marsouin, qui, s’échappant de son camp de prisonniers en 1941, rejoignit l’Armée d’Afrique +

 

 

Juge digne de toi toute parole et tout acte qui est selon la nature. Ne t'en laisse détourner ni par le blâme, ni par les calomnies, dont parfois le blâme est suivi. Du moment que ce que tu as fait, ou ce que tu as dit, est bien, ne crois jamais que ce soit au-dessous de ta dignité. Les autres ont leur propre raison qui les conduit et ils obéissent à leur impulsion propre.

Marc-Aurèle, "Pensées pour moi-même".

 

Dans la marche de l’Histoire, il est des morts que l’on préfère oublier. Comme des épines dans le pied. Alors elle avance, cette Histoire, en espérant que ces échardes disparaitront d’elles-mêmes. Mais parfois, elles finissent par faire boiter et il n’y a guère d’autre option que de s’assoir au bord du chemin et d’enlever la chaussure. Cela s’est produit pour les épines « Harkis » et « Torture en Algérie ». C’est le cas, actuellement, pour les épines « Mutins de 14 ». Le verra-t-on un jour, pour celles des soldats restés fidèles au gouvernement de Vichy ?

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Nous imaginons déjà des sourcils se froncer à la simple évocation de lever un voile marqué d’un grand « Collaboration ! ». Et pourtant, il s’agit simplement de regarder son histoire en face et d’écouter ceux qui ont le courage de témoigner. Nous sommes à ce titre heureux d’aborder « Obéir ? », journal de l’Amiral Paul Marzin, commandant du cuirassé Richelieu, qui s’est opposé à la tête de son équipage au débarquement anglais et français-libre à Dakar en 1940, puis a rejoint l’Amirauté à Vichy. 

Les sourcils sont toujours froncés ? Alors, lisez. La chaussure doit être enlevée. Il n’y a pas d’autre option : un soldat sait qu’un pied abimé peut s’infecter. Il est temps de le soigner. 

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Le Richelieu à Brest – Carte postale « Gaby »

Juin 1940. Alors que la Blitzkrieg s’est abattue sur la France, Le Richelieu est en rade à Brest. Paul Marzin en a été nommé commandant le 1er juillet 1939. Les ouvriers travaillent fébrilement à son achèvement.

Toute la nuit, nombreuses alertes aériennes. On tire au jugé sur des avions qui survolent la rade. J’aperçois très nettement deux parachutes portant sans doute des mines magnétiques qui tombent au-delà de la jetée. Le 18 juin, au petit jour, nouvelle alerte : trois avions allemands Heinkel venant de l’est nous attaquent en vol horizontal et lancent trois bombes qui tombent environ cent cinquante mètres par bâbord arrière (…) Nos [canons de] 100 ripostent furieusement, l’un des avions paraît touché.

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Mers-el-Kebir - photo merselkebir.unblog.fr 

3 Juillet 1940. Pour ne pas tomber dans les mains des Allemands, Le Richelieu a vogué vers Dakar. Entre-temps, l’armistice a été signé à Rethondes. Mais la puissante Royale, épargnée par les combats, inquiète l’allié anglais.

A 17 heures, coup de tonnerre : un message intercepté m’apprend que l’escadre de l’Amiral Gensoul vient d’être attaquée à Mers-el-Kebir près d’Oran par les Britanniques. J’envisage avec l’Amiral Cadart les mesures à prendre pour la défense du mouillage, bien mal organisé et surveillé : les phares continuent à fonctionner, la ville est illuminée, le barrage n’est pas gardé, les batteries de côte ne sont pour ainsi dire pas armées, les avions n’obéissent à aucune règle de survol de la rade…

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Le Richelieu à Dakar, protégé par des filets anti-torpilles - photo dakar.1940.free.fr

8 juillet 1940. Le porte-avion anglais Hermes mouille au large de Dakar. Devant le refus du gouverneur général Pierre Boisson de livrer la ville aux anglais…

5h05. Nous entendons des bruits de moteurs d’avion à bâbord, ainsi que le crépitement des mitrailleuses du Bougainville. Presque aussitôt surgissent deux ou trois biplans de porte-avion anglais Swordfish (…) Ces avions ont simplement servi de « bruiteurs » pour attirer l’attention de la défense, alors que deux autres groupes d’avions sont restés invisibles des veilleurs (…) Nous apercevons deux sillages de torpilles venant de bâbord arrière et qui font route droit sur le Richelieu ; moment d’attente angoissante puis soupir de soulagement quand on se rend compte qu’elles ont dû passer sous le bâtiment. Au même instant le maître-timonier Legac me signale un sillage de torpille venant de tribord avant. La marche de l’engin est bien réglée cette fois… 

Touché, le Richelieu est immobilisé dans la rade, mais sa puissance de feu reste redoutable. L’escadre anglaise reste au large, pour un temps…

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L’attaque britannique. Gerbe de 380 autour du Richelieu – photo issue de l’album personnel de l’Amiral Marzin.

23 septembre. Suite à l’appel du 18 juin, les Forces Françaises Libres se constituent. Le Général de Gaulle envoie ses émissaires à Dakar, tentant de faire basculer la colonie, mais reçoit une fin de non-recevoir du gouverneur. Les Britanniques lancent un ultimatum.

11 heures. On entend des détonations dans le sud et des gerbes s’élèvent dans le port, encadrant le Richelieu (…) D’autres obus tombent au même moment sur la ville près de la batterie du cap Manuel ; l’hôpital indigène, des villas du plateau, des cases de la Médina sont touchés (…) Quelques instants auparavant, deux des croiseurs légers britanniques ont ouvert le feu sur le sous-marin Persée qui, surpris en surface, avait été touché de trois obus au moment où il lançait sur eux deux torpilles. Le Persée, touché, coule.

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A bord de l’épave de l’Audacieux - photo dakar.1940.free.fr

16h30. L’Audacieux sort de la rade par la passe Est et bientôt sa coque est masquée à ma vue par la pointe la plus basse de Gorée. Je vois néanmoins sa mâture défiler entre les palmiers, au moment où elle va se masquer dans le clocher de la vieille église, une flamme immense s’élève au-dessus de l’ile pendant que de fortes détonations retentissent. Surpris par un croiseur anglais, l’Australia, il est canonné à bout portant : un obus explose dans la soute à munitions, la chaudière est en flammes, quatre-vingts hommes sont tués, il y a une centaine de blessés.

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Tir du Richelieu sur les navires anglais - photo dakar.1940.free.fr

Mais le Richelieu réplique. La bataille dure 3 jours. Les Britanniques ont lancé leurs cuirassés Barham et Resolution : ils sont sévèrement touchés par les tirs et torpilles françaises. Ils doivent rompre le combat. L’opération est un échec, la Royal Navy se retire définitivement. 98 défenseurs, 68 civils, 36 Anglais et 2 Français-Libres ont été tués dans les combats.

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25 septembre, les marins du Richelieu accueillent avec enthousiasme le sous-marin Bévéziers qui rentre au port après avoir atteint d'une torpille le cuirassé britannique Resolution - photo atf40.forumculture.net

De Gaulle fût très marqué par cet épisode. Il pensait qu’il arrivait en libérateur, que les Allemands allaient s’emparer de Dakar, que la ville était affamée. Il n’avait pas non plus assez mesuré le choc de l’attaque de Mers-el-Kebir.

« Les jours qui suivirent me furent cruels. J’éprouvais les impressions d’un homme dont un séisme secoue brutalement la maison et qui reçoit sur la tête la pluie de tuiles qui tombent du toit ».

Charles de Gaulle, Mémoires de guerre.

*

Mais le journal de l’Amiral Marzin ne s’arrête pas là. En février 1941, il quitte le commandement du Richelieu et rejoint l’Amirauté à Vichy.

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Anniversaire de la bataille de Dakar. De gauche à droite, Amiral Darlan, gouverneur général Boisson, Vice-Amiral Bourragué, Contre-Amiral Marzin. Sept. 1941. Collection MP. Marzin

1941. En arrivant à l’Amirauté, je ressentis une impression de malaise : j’y étais accueilli comme un intrus par le chef d’état-major, l’Amiral Le Luc et avec défiance par certains de ses adjoints (…) Auphan lui-même me reçut avec une certaine réticence (…) Il avait déjà deviné que l’Allemagne ne pouvait plus gagner la guerre et il manœuvrait pour éviter une rupture brutale avec l’Amérique, qu’il pensait devoir être un jour l’arbitre de la paix. Il lui fallait modérer constamment l’amiral Darlan qui s’était lancé à fond dans la collaboration. Aussi redoutait-il mon influence qu’il supposait, a priori, aveuglément antibritannique.

Je commençais dès les premiers jours à me rendre compte que la politique de Vichy était singulièrement tortueuse.

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L’Amiral Darlan accueilli à Berchtesgaden par Hitler (caché par ses aides de camps) - photo INA

Le 11 mai 1941, l’amiral Darlan rencontre Hitler à Berchtesgaden. A l’issue, des négociations s’engagent sur une collaboration militaire (en échange d’hypothétiques retours de prisonniers de guerre). Cet accord prend le nom de « Protocole de Paris ». Il concerne La Syrie, la Tunisie… et Dakar.

Il s’agissait de livrer Dakar aux Allemands pour en faire une importante base d’aviation et de sous-marins (…) Notre résistance de 1940 avait eu lieu sans arrière-pensée, car le pavillon avait été insulté sans que les agresseurs puissent invoquer le moindre prétexte. Aussi la lecture du protocole m’ouvrit-elle définitivement les yeux, et me mit dans un état de rage concentrée.

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Rue de Rivoli - photo occupation-paris.blogspot.fr

Dès lors, l’amiral Marzin met tout en œuvre pour torpiller l’accord. Pour la Syrie, il est trop tard : Français « vichystes », Britanniques et Français-Libres se battent déjà.

Le 11 juin, j’eus le loisir de jeter un rapide coup d’œil sur un Paris vide et morne, pavoisé d’emblèmes hitlériens, et ce premier contact avec l’Occupation ne fit que m’assombrir d’avantage. En déambulant rue Royale, je pensais avec amertume à tous ceux de Syrie qui tombaient pour la fidélité à la parole donnée, pendant que j’allais discuter des mesures qui pouvaient mettre la Tunisie à feu et à sang.

Ce même 11 juin 1941, l’épouse de Paul Marzin écrit dans son propre journal : Darlan fait une folie. Les Allemands ne lâchent rien et nous engagent à fond. Paul discute tout seul avec la délégation allemande de Wiesbaden. Que va-t-il en sortir ?

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Le Maréchal Pétain et le vice-président du conseil Pierre Laval - photo INA

Le 11 novembre 1942, suite au débarquement allié en Afrique du Nord, les allemands envahissent la zone libre. L’Amiral Marzin considère que le Maréchal Pétain n’a qu’une option : démissionner. Il faut aussi sauver la flotte en la faisant appareiller de Toulon pour l’Afrique. Pétain ne fait ni l’un ni l’autre.

Jusqu’à ce jour, j’avais patienté dans la discipline en rongeant mon frein, lorsque je constatais les abdications successives de nos indignes gouvernants, en bataillant pour maintenir la Marine dans la ligne de l’Armistice. Malgré Montoire [collaboration économique entre la France et l’Allemagne], Saint-Florentin [rencontre entre le MAL Pétain et Hitler], je n’avais jamais cessé de croire au double jeu du Maréchal, ni d’espérer que dans la situation présente, celui-ci allait enfin se démasquer. Hélas ! Je m’étais trompé ou plutôt, j’avais été indignement trompé comme tant d’autres : de l’Armistice dans l’honneur de juin 1940, il ne restait plus d’armistice, et l’honneur était irrémédiablement perdu…

Le 19 novembre, l’Amiral Marzin présente sa démission. 

Le 27 novembre, l’Amiral de Laborde, encerclé par les troupes allemandes à Toulon, ordonne le sabordage de la flotte. 

 

***

 

Img0001.JPGPaul Marzin naît en 1894 dans une famille brestoise. L’un de ses grands-pères s’est engagé comme mousse au milieu du XIX°, l’autre est charpentier de marine. Son père s’engage à son tour à 18 ans et devient officier principal d’administration par concours interne. Très bon élève, Paul Marzin intègre l’Ecole Navale en 1912. Durant la Grande-Guerre, il est affecté à l’escadre de Méditerranée, assurant la protection des convois militaire, chassant le sous-marin allemand ou austro-hongrois. Pendant l’entre-deux-guerres, il sert comme chef d’artillerie sur plusieurs navires, avant de prendre service à terre, notamment au Centre des Hautes Etudes Navales et à l’Etat-Major. En 1938, il est nommé commandant du cuirassé Richelieu, alors en construction. En 1940, resté fidèle au gouvernement du Maréchal Pétain, il défend Dakar contre la tentative de débarquement anglo-gaulliste. Rejoignant l’Amirauté à Vichy, ouvrant peu à peu les yeux sur les orientations d’un gouvernement décidé à plus de collaboration avec l’Axe, il entre à sa manière en résistance, tentant de « torpiller » les projets militaires allemands devant impliquer la France. Démissionnaire après l’invasion de la zone libre, volontaire pour rejoindre l’Afrique du nord, Paul Marzin est laissé à l’écart, certainement trop « marqué » par l’épisode de Dakar. A la Libération cependant, son attitude patriote est reconnue par les vainqueurs. Il n’est donc pas mis en cause lors de l’épuration. Il décède subitement en 1963 après avoir poursuivi sa carrière dans l’Administration portuaire.

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La famille Marzin en 1943 à Vichy. 1er rang à droite Marie-Paule - photo MP. Marzin

Cette période de l’histoire me remplit d’une grande tristesse et d’une sombre amertume. Beaucoup croyaient sincèrement faire leur devoir, mais ont été trompés par ceux à qui ils avaient prêté serment.

Marie-Paule Leclerc-Marzin 

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Rencontre avec Mme Leclerc-Marzin au Salon des Ecrivains-Combattants 2013 - photo Natachenka/UPpL'E

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Prix : 20€ - ISBN : 978-2914417464 – format 15,4x23,8 – 240 pages, cahier photo.

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Aux éditions Charles Hérissey

Disponible ici

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L’Amiral Gensoul aux funérailles des 1297 marins français morts Mers-el-Kebir - photo merselkebir.unblog.fr

Hommage

Aux morts de Mers-el-Kebir, de Dakar, du Gabon, de Syrie, de Madagascar, d'Afrique du Nord ; Français restés fidèles au gouvernement et Français-Libres, tombés dans des combats fratricides, mais restant unis dans l’honneur de la parole donnée.

"Je n’ai appris le bombardement des navires français dans la baie d’Oran que par les journaux. Les marins britanniques furent atterrés par cette nouvelle. Les pertes humaines furent tragiques et la tristesse de cet événement n’a cessé de hanter la Royal Navy ces trente-neuf dernières années, bien que, pour autant que je sache, personne ne l’ait exprimé. C’est pourquoi, j’aimerais saisir cette occasion pour dire que nous regrettons sincèrement que les choses se soient passées ainsi. Je voudrais exprimer notre sympathie à tous ceux qui en ont souffert et nos condoléances à tous ceux qui ont perdu un parent dans cette tragédie."

Lord Mountbatten, Amiral de la Royal Navy, dernier vice-roi de l'Inde britannique, oncle de la reine Élisabeth II, à propos de Mers-el-Kebir. 4.12.1979

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 Photo merselkebir.unblog.fr

En 2005, le cimetière des Marins de Mers-el-Kebir, proche d’Oran, a été saccagé, les croix brisées. Avec « l’autorisation du gouvernement algérien », il a pu être réhabilité par la France. Sans doute pour ne pas choquer sur l’autre rive de la Méditerranée, les croix n’ont pas été relevées, les tombes étant désormais marquées par de simples plots.

 *

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Les officiers du Richelieu. Au centre Paul Marzin.

Je n’ai jamais vu de semblable débarquement à celui qui se déroula ce jour-là sous nos yeux. Il est vrai que si l’affection profonde que nous portions à notre commandant résultait de sa bonté et de sa simplicité, elle n’en traduisait pas moins notre attachement né dans le travail, dans la peine, dans le combat, dans la victoire. L’équipage s’était rangé dans la bande, dans la tour et les superstructures, les officiers avaient gagné la plage arrière. Quand la vedette qui le transportait à terre poussa, elle mit à petite vitesse pour défiler le long du bord. Au garde à vous, le capitaine de vaisseau Marzin salua une dernière fois son vaillant équipage pendant que celui-ci hurlait des hourrahs sans fin.

26.2.1941, Paul Marzin quitte le commandement du Richelieu. Scène décrite par l’Ingénieur-Mécanicien Pen, membre de l'équipage.

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 L'équipage du Richelieu

 

 

 

 

 

 

 

 

 

06/08/2014

« La Légion dans la peau », ADC (er) Victor Ferreira, 2e REI, 4e RE. Ed. La Compagnie Littéraire

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés.

 

 

 

Ainsi l’Eternel mit une marque sur Caïn,

afin que quiconque le trouverait ne le tuât point.

Genèse 4,15

 

 

Légionnaire et tatoué, cela ne sonne-t-il pas comme une évidence ?  « Il était plein de tatouages, que j'ai jamais très bien compris… »

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Une évidence et pourtant le sujet n’a jamais été vraiment abordé. Voici qui est rectifié grâce à Victor Ferreira, ancien Adjudant-Chef du 4e RE, devenu photographe professionnel, avec ce livre photo « La Légion dans la peau » (quel joli titre). Un projet-passion, qui a nécessité trois ans de travail, de multiples voyages et un engagement personnel certain, car nous connaissons le rapport « compliqué » du Légionnaire à la photo.

En sus, un parti-pris de l’auteur qui nous plait bien : pas d’esbroufe, pas de « romantisme » (quoi que…). Des clichés pris sur le vif, sans préparation, sans pause, sans lumière artificielle, sans filtre et encore moins retouches. « Alors, t’es OK pour la photo ? Regarde-moi. Clic». One shot. Une sobriété que l’on retrouve dans les légendes : lieu, date, heure. Basta. 

Alors, austère, « La Légion dans la peau » ? Que nenni. Le texte tout d’abord : rare, mais de grande qualité : intro-hommage du GAL Bruno Dary, ancien gouverneur militaire de Paris, préface d’Henri Weill, spécialiste de la Légion s’il en est, postface passionnante du médecin-aspirant Dr Jean-Eric Lundy, 2e REP 85/86, pionnier du sujet comme auteur d’un mémoire d’étude, et enfin quelques textes, courts mais superbes, de l’auteur. 

Et puis, il y a, évidemment, les photos. Succession de tatouages, mais au-delà, succession de portraits, et encore au-delà, succession d’hommes, et encore au-delà, succession de regards…

Fascinant.

 

Les rendez-vous photographiques avec les légionnaires m’ont réservé une multitude de surprises insoupçonnées, des instants d’intimité parfois, avec des hommes que je connaissais ou pensais bien connaître. Ils sont venus librement à moi, nos rencontres se sont déroulées sans préparation, sans artifice technique, sans mise en scène. Ils m’ont accordé un peu de leur temps, de leur vie ou de leurs histoires. Ces dernières font partie de la Légion Etrangère. Le tatouage fait partie du mythe de l’institution car il a du sens pour ces hommes, comme leur engagement et leur attachement à celle-ci.

ADC Victor Ferreira

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Camps des Garrigues, 21.9.2011, 13h12 

Il glisse sa silhouette fragile entre deux séries de prises de vues. Il m’observe, revient une deuxième fois, m’interroge sur ma relation avec l’Institution, sur mon parcours, et repart. Ne promet rien. Surtout pas de photos. Il réapparait plus tard et comme pour se rassurer m’affirme qu’on se ressemble.

V.F.

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Camps des Garrigues, 21.9.2011, 13h48 

Point de mystère pour ces marques d’appartenance se référant explicitement à l’Institution Légion Etrangère : ces tatouages d’affiliation comme je les nommais expriment sous une forme cryptée ou fruste, le plus souvent explicite et triomphante, tout un florilège à travers lequel s’affiche l’appartenance à la communauté.

ASP Jean-Eric Lundy

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 Camps des Garrigues, 21.9.2011, 12h41 

Contrairement à une vision communément répandue, le personnage incarnant l’idéal commun dans la Légion s’apparente bien davantage à la mère primitive qu’à l’image paternelle.

J-E.L.

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 Calvi, 8.2.2012, 14h55

Si l’on sait que « le monde de la Légion verbalise peu mais fantasme beaucoup (*) », on pressent aisément que le tatouage offre un accès privilégié aux non-dits et aux affects.

(*) Carol, 1971                                                                          J-E.L. 

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 Laudun, 5.10.201, 14h42

Le Légionnaire n’est pas un homme de verbe : il ne s’agit pas tant de « dire » Camerone que « d’être » Camerone.

J-E.L.

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 Nîmes, 20.9.2011, 15h30

Il est parfois difficile de savoir de quel côté se place le Légionnaire : « Nous défendrons l’Algérie contre le diable… » était-il chanté résolument tout comme « Nous n’avons pas seulement des armes, mais le diable marche avec nous… ».

J-E.L.

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  Castelnaudary, 24.11.2011, 14h46

« - Pourquoi ce tatouage ?

- Car la mort n’a pas de religion… »

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 Orange, 20.7.2013, 6h55

« - Il y a des tatouages que j’ai fini par retirer, car ils ne représentaient plus rien pour moi… 

Mais celui-ci fait tellement partie de moi et de ma vie, que je m’interroge parfois sur ce qu’il va devenir, après… » 

 

***

201304301248-full.jpgVictor Ferreira nait en 1963 au Portugal. En 1984, il rejoint la Légion Etrangère, pour laquelle il sert plus de 20 ans. Il est notamment déployé au Tchad, RCA, Bosnie. Lors de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, il est aide de camp du GAL Lecerf. Il quitte l’institution en 2007, alors adjudant-chef. Victor est désormais photographe professionnel et vit en Espagne, marié et père de famille. 

 Site de Victor ici.

 

 

Interview de Victor lors de son exposition photo

Jusqu'au 1er septembre, les photos de Victor sont exposées au Musée de la Légion à Aubagne. Voir ici

 

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Notre première et bien sympathique rencontre avec Victor Ferreira.

« - Vous avez remarqué ? Lorsque l’on feuillette le livre, on regarde en premier lieu les tatouages. Mais après plusieurs passages, qu’est-ce que l’on voit vraiment ?

- Les regards.

- Oui, les regards »

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Prix : 24€ - ISBN : 978-2876834606 – Format 16x24, 158 pages

Victor a souhaité un prix de vente le plus accessible possible. Merci à lui.

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Aux éditions La Compagnie Littéraire

Livre disponible chez l'éditeur ici

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  Toulon, 10.2.2012, 11h46

Hommage 

Aux Légionnaires morts pour la France,

Aux blessés.

 

Sur son cœur on lisait : « personne ».

Il n’savait pas, je lui pardonne …

Edith Piaf, "Mon Légionnaire"

Créé par Marie Dubas en 1936 sur des paroles de Raymond Asso (ancien Légionnaire), et une musique de Marguerite Monnot

 ***

 

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Calvi, 8.2.2012, 14h54

Autoportrait de l’auteur.

 

 

 

 

 

 

 

 

24/07/2014

Mili-reportage : le Festival International du Livre Militaire et le Triomphe des écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan 2014

Photos de Natachenka et du Chasseur. Si vous souhaitez les réutiliser, merci de citer Une Plume pour L’Epée.

Nota : Nous ne sommes ni des journalistes, ni des officiels, d'où une liberté de ton (assumée) dans nos reportages...

 

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En guise de préambule, nous allons nous adresser à vous, honorables lecteurs, vous qui êtes « tombés » par hasard sur ce blog. Il s’agit d’une devinette. Dans quel milieu social pensez-vous pouvoir vivre ce genre d’évènement :  

Par une belle journée de juillet, vous arrivez à Coëtiquidan, « bled » un peu paumé, et là : 

Un homme, votre aîné, que vous n’avez vu qu’une fois jusque-là, vous prend dans ses bras, vous embrasse comme si vous étiez son fils ou sa fille et vous dit « Il faut que vous veniez me voir en Ariège ! ». 

Et un autre homme, de votre âge, avec lequel vous avez échangé par mails mais que vous n’avez jamais rencontré jusque-là, vous saute dans les bras et vous embrasse, avec une affection qui transparait dans ses yeux, comme un frère qu’il retrouverait après de nombreuses années d’absence. 

Et un autre homme qui  vit de l’autre côté de l’océan vous dit : « j’ai des cadeaux pour toi » et vous tend des objets précieusement conservés, car ils comptent énormément pour lui. Des choses qu’il n’aurait pu offrir qu’à son frère et qui vous font monter les larmes aux yeux.

Et des jeunes gens, que vous avez accompagné dans un projet formidable, ne veulent pas que vous partiez, que vous les quittiez, comme s’ils voyaient s’éloigner leurs parents pour très longtemps. 

Alors, lecteurs qui êtes arrivés ici par hasard, dans quel milieu social ce genre de choses peut se produire ? Eh bien, c’est l’ARMEE !

Vous ne nous croyez pas ? Vous voulez les noms de ces parents, frères et sœurs, enfants ? Les voici : Richard, Christian, Steve, Bernard, Yohann, Jocelyn, Pierre, Nicolas, Youri, Marine, Lysiane, etc. etc.

Cela ne suffit pas ? Alors, la preuve par l’image :

 

Tout d’abord, nos parents

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Voici nos pères (à double titre car ils sont aumôniers J)

Le padre Richard Kalka à droite, auteur de « Dieu désarmé » que nous avons abordé ici.

"Oui padre, nous te rendrons visite, merci de ne pas avoir laissé le Chasseur mourir de soif et il faut bien qu'il y ait des courageux comme nous pour faire la fermeture des cocktails…"

 Le padre Christian Venard à gauche, auteur de « Un prêtre à la guerre », dont nous parlons ici.

"Merci pour l’info padre, nous ferons bien attention au sens du vent si nous nous promenons du côté de Tombouctou !"

 

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Et voici notre « maman », Delphine Legrand, organisatrice du FILM et qui, malgré les millions de choses à gérer, doit en sus nous supporter. (Delphine on a oublié nos tickets ! Delphine on n’a pas pensé au dîner ! Delphine on ne sait plus sur quel parking on est garés !)

Bien sûr, nous plaisantons (hum hum), l’essentiel étant que Delphine est une vraie maman pour tous les auteurs, s’implique « à fond », garde le sourire et si le festival est un tel succès, c’est pour l’essentiel grâce à elle.

 "Bravo et vivement la 6ème édition du F.I.L.M !" 

Page FaceBook du festival ici.

 

Maintenant, la fratrie

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Le LCL Steve Jourdain, Royal 22e Regiment, auteur de « Mon Afghanistan » que nous abordons ici.

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14 juillet aux Invalides, avec Claudine, épouse de Steve et leur fille Karyanne

Steve a conjugué des vacances en famille, bien méritées, avec le défilé du 14 juillet (auquel il a tenu à assister bien qu’ayant atterri le jour même à 5h30 à Roissy…), l’après-midi aux Invalides à la rencontre des Français, le F.I.L.M, une conférence (dont nous parlons plus bas) et le Triomphe. 

A noter qu’il a été soutenu financièrement dans son initiative par l’armée canadienne ! C’est à saluer. (les soldats-auteurs français en sont restés un peu rêveurs…) (message subliminal au Ministère de la Défense).

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Avec l’accent de la Belle-Province, qui fait immanquablement monter le sourire aux lèvres : « Je t’ai apporté des cadeaux : Ça c’est mon béret. Tu vois, il a bien servi. Ça, c’est mon t-shirt lorsque je commandais la compagnie « Cobra » en Afgha. Et ça, c’est la médaille des 100 ans du Royal 22e Regiment, mais il y a une façon spécifique de l’offrir, via une poignée de main… »

Ouhlala ! Cueilli le Chasseur ! Difficile de garder contenance. Grosse émotion.

Jonathan, Chuck, Yannick, Sébastien, Patrick, Martin, Alexandre, Martin, Jean-François, Christian, Matthieu, Karine… je me souviens.

 

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Le LCL Bernard Gaillot, 13e BCA rattaché actuellement à l’OTAN, auteur de « De l’Algérie à l’Afghanistan » dont nous parlons ici.

Bernard mon ami, Bernard mon frère-Chasseur. Promis, on se revoit bientôt  et cette heureuse coïncidence « géo-familiale » va faciliter les choses…

 

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Le SCH Jocelyn Truchet, 13e BCA, auteur de « Blessé de guerre » que nous abordons ici.  

Voici un petit-frère que nous connaissons bien pour l’avoir rencontré à plusieurs reprises lors de ses interventions dans des cafés littéraires mili. Il a eu à nouveau l’occasion d’exprimer son talent d’orateur en participant avec Steve Jourdain à une conférence "France/Canada, Regards croisés sur l’Afghanistan"

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Conférence du LCL Steve Jourdain et du SCH Jocelyn Truchet. 

Conclusion du COL Héliot, animateur des conférences du F.I.L.M : "Mon Colonel, Chef, votre intervention est l'une des plus réussies et des plus passionnantes de toute l'histoire du festival..."

Il est bien dommage que les téléspectateurs français et canadiens ne puissent profiter de tels témoignages (message subliminal aux médias).

 

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Le COL Nicolas Le Nen, 27e BCA désormais DGSE, auteur de « Task Force Tiger » dont nous parlons ici.

Eh oui, encore un diable bleu. Mais les Chasseurs (et les Légionnaires) écrivent beaucoup et c’est tant mieux ! Alors, amis des autres corps de l’Infanterie, les cavaliers, les sapeurs, les artilleurs, les transmetteurs, les aviateurs, les marins, les gendarmes, les pompiers, etc. à vous de jouer ! Prenez la plume ! Nous attendons vos récits avec impatience.

Merci mon Colonel pour vos mots touchants sur notre "travail". Un bel encouragement pour continuer. "Chasseur un jour…"

 

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Pierre Martinet, ancien du 3e RPIMa et de la DGSE. Nous avons abordé « Un agent sort de l’ombre » ici

Le toujours très cool ex-agent de la DGSE présentait son récit et l’ensemble de ses romans. Ou comment en savoir un peu plus sur nos services secrets… Il fallait oser, Pierre l’a fait.

 

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Avec Sylvain Auché, Fine « Canon » et photographe de Saint-Cyr, dont nous avions découvert le superbe « Hommage & Valeurs » l’année dernière et dont nous parlons ici.

"Après un si beau livre-photo « casoar », on rêve d’un second tome « bleu-turquin »…" 

 

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Rencontre que nous attendions depuis longtemps, avec la charmante Anne-Cécile Juillet, venue présenter le livre-photo « Pour la France », en son nom et celui de Philippe de Poulpiquet en reportage du côté de Gaza. 

Evidemment « Pour la France » entre dans la liste des livres que nous aborderons. Un peu de patience.

 

Et enfin, les enfants

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Nous avons été confronté à un dilemme : le SCH Yohann Douady, 2e RIMa, appartient évidemment à la fratrie, donc devrait figurer dans le paragraphe précédent, mais nous n’avions pas de photo sans son éditeur, Mr Nimrod, qui est lui, tout le monde le sait, un fils spirituel d’Une Plume pour L’Epée.

Le Chef Douady (enfin, nous pensons qu’il est toujours Chef car il y a eu une petite confusion en début de festival) (n’est-ce-pas Yohann ? héhéhé) (et qui, comme vous le voyez, s’ennuie ferme au F.I.L.M) est l’auteur du brillantissime « D’une guerre à l’autre », dont nous avons parlé ici

Quant à Monsieur Nimrod, qui ne connait pas cet éditeur qui fait exception dans la profession ? (car lui est un pro - message subliminal à d’autres maisons d’édition). Le dit Mr Nimrod qui présentait son riche catalogue ainsi que la collection de t-shirts coproduite avec Marius (qui nous a manqué mais voir ici).

 Site des éditions Nimrod ici.

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Redevenons sérieux. Nous vous avons parlé souvent de la 52e promotion de l’EMIA, « Ceux d’Afghanistan » et de leur projet d’élever une stèle en hommage aux 89 morts pour la France durant le conflit. Un projet d’ampleur, demandant un gros engagement personnel. Il a été mené à bien et a même dépassé toutes les espérances puisque qu’un GROS chèque, reliquat des dons, a été versé à Terre Fraternité pour soutenir les blessés et les familles endeuillées.

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Nous avons accompagné ce projet dès sa gestation.

 

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Nous avons participé aux 89km… certes en marchant... J

Les 89 km en video.

 

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Nous étions présents pour l’inauguration de la stèle, non sans émotion.

 

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Nous étions également présents lors des remises des chèques (20 000€ !) à Terre Fraternité, à l’issue des 89km et lors du gala de promo au pavillon Dauphine.

 

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Nous gardons en souvenir de beaux livrets, créés par le SLT Youri Feral avec le soutien de Sylvain Auché, qui immortalisent toutes les étapes du projet. 89 exemplaires vont être envoyés aux familles des morts pour la France.

 

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En retour, les Dolos nous ont manifesté, à maintes occasions, leur affection. En premier lieu les SLT Youri Feral et Marine Berthol, qui feront de beaux officiers-Sapeurs, mais aussi tous "Ceux d’Afghanistan" et Lysiane.

 

 

Le soir du Triomphe, lorsqu’ils ont disparu dans l’ombre en chantant, ce sont bien nos enfants qui s’éloignaient

Des enfants dont nous sommes très fiers. 

 

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***

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Nous souhaitons aux promotions « Ceux d’Afghanistan » et « de Castelnau » toute la réussite possible dans leurs écoles d’application, régiments et bataillons ; une bonne continuation aux promotions « Général Delayen », « Lieutenants Thomazo » et « Capitaine Hervouët » ; la bienvenue à la 54e promo de l’EMIA et 201e de l’ESM.

Toutes nos photos du Triomphe ici.

 

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Le Prix des Cadets remis à Isabelle Lasserre et Thierry Oberlé pour « Notre guerre secrète au Mali », éditions Fayard.

Nous tenons maintenant à nous excuser auprès de tous les autres auteurs qui publient des livres d’histoire, de stratégie, des biographies, des romans, des BD. Tout cela est forcément passionnant. Hélas, il nous est impossible d’aborder tous les thèmes de la littérature mili, par manque de temps (nous devrons attendre la retraite…). D’où notre « focalisation » sur les autobiographies et livres-photo. C’est cruel pour nous.

 

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Russe-blanc « dolo » et Chasseur à pied honoré de porter la tarte de ses frères alpins, Bernard et Jocelyn.

Pour conclure, nous revenons vers vous, chers lecteurs qui êtes tombés par hasard sur ce blog. Vous êtes dubitatifs ? Vous ne comprenez pas pourquoi nous considérons ces hommes et femmes en uniforme comme nos parents, nos frères et sœurs, nos enfants ?

Alors, un effort : allez au-devant des soldats. Parlez-leurs ! Echangez avec eux ! Les occasions sont plus nombreuses qu'il n'y paraît : journées portes-ouvertes, cérémonies d'hommages, défilés, salons...

Trop timides ? Alors, lisez les soldats-auteurs ! Ce sont les porte-paroles de tous leurs camarades.

Vous pouvez justement commencer par "Ceux d'Afghanistan". Parmi eux le padre Richard, la padre Christian, Steve, Bernard, Yohann, Jocelyn, le COL Le Nen...

Jetez un oeil ici.

Vous allez tout comprendre. Définitivement.

Et c’est aussi une question de dignité...

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Coëtquidan, stèle pour les 89 morts en Afghanistan



 

 

05/06/2014

« Les enfants de Sidi-Ferruch », 1CL Jean-Pierre Hutin, 3e RPC, éd. Le Spot

 

Extraits publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur et des éditions Le Spot. Photos Jean-Pierre Hutin & SCH Marc Flament « Aucune bête au monde… », éditions de la Pensée Moderne. Droits réservés.

 

 

Nous vous supplions, proconsuls, de demeurer loin de Rome,

de chanter vos requiem de l'autre côté de la mer.

Nous ne voulons pas les entendre.

Vos morts nous gênent et votre courage nous fait peur ! 

Philippe Heduy, "Au lieutenant des Taglaïts".

 

Qui s’attendrait à ce qu’un Léopard de Bigeard fasse les choses comme les autres ? Que ce soit faire la guerre ou écrire un récit autobiographique ? Ce serait mal les connaître !

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Eh bien voilà un vrai récit de Léopard : « Les enfants de Sidi-Ferruch » par le 1CL Jean-Pierre Hutin, 3e RPC.  Un livre dont on a beaucoup parlé dans le microcosme de la littérature mili. Certains l'ont qualifié d'OVNI, déconcertés par son style célinien revendiqué. Et oui, il y a de quoi être dérouté, dérangé. Phrases hachées en mode rafale de PM, ponctuation trous de balles. Lecture difficile donc, si vous ne vous laissez pas porter. Et après tout, c’est votre droit. Mais il y a une chose dont nous sommes certains, c’est qu’il aurait plu à Bigeard.

Le Bruit et la Fureur, mode Para-Colo. Il fallait oser. Chapeau [casquette lézard] bas à Jean-Pierre Hutin.

 

Faut dire, au début, j’étais con. Je savais pas. 

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Sidi-Ferruch

En ce doux printemps 1958, j’étais là moi, con et tout content de l’être. A Sidi-Ferruch, petite station balnéaire noyée dans les pins, située, j’vous rencarde braves gens, près d’Alger. J’étais perdu comme ça dans les réflexions quand j’entendis la voix suave de notre nouvel adjudant qui sortait du PC de la compagnie. Il nous souhaita la bienvenue. Il ressortait de son petit accueil qu’il n’avait jamais rien vu d’aussi moche. Quoi, comment on pouvait lui parachuter des tarés pareils, consterné il était, il hurlait, des gonzesses on lui avait envoyé, d’ailleurs c’était sûrement une erreur de l’Intendance, nous à ce qu’il constatait on était sûrement les nouvelles mignonnes du Sphinx. Comment pouvait-il en être autrement, il devinait nos petites fentes à travers nos braguettes, des fentes je vous dis, comment faire la guerre avec des gonzesses ? Mais qu’est-ce qu’il avait fait au Bon Dieu pour avoir mérité des calamités telles que nous, d’ailleurs c’est simple quand les vrais soldats, eux qui en avaient des grosses comme ça - y faisait un petit geste, genre melon – nous verraient en rentrant d’OPS, y mourraient de rire, enfin ceux qui reviendraient. Les autres y z’auraient de la chance, ils verraient pas le désastreux spectacle. 

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4e Section, 1ère Cie du 3e RPC  - Photo JP Hutin

Quelques jours plus tard, ils arrivèrent les hommes, les OPS, nous on voulait voir, de vrais soldats, pensez on bandait, nous les petits renforts, d’être comme ça aux premières loges, voir arriver la guerre (…) Le premier justement, comme ça, pas bégueule y nous salua, bonjour les bleus, ah voilà les renforts, y souriait. Pourtant on voyait bien qu’il était fatigué, je m’appelle Leroi, c’était un beau nom ça pour un soldat. A bien regarder il n’avait rien d’exceptionnel notre premier OPS. Plutôt petit, pas costaud, non un modèle standard, j’étais un peu déçu, moi forcément j’attendais une image et bêtement j’avais juste un homme exténué devant moi, d’ailleurs j’dis homme, mais y devait avoir tout carat dans les dix-neuf ans, vaguement six mois de plus que moi. Je me creusais, qu’est-ce qu’y faisait la différence entre lui et moi, j’ai mis un temps à comprendre, puis ah, ses yeux fallait voir, ils avaient un siècle. Comment c’était possible ça. Pourquoi des yeux si vieux, si âgés, dans un corps si jeune ?

 

On s’imagine pas le temps qu’il faut pour savoir. 

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3e RPC - Photo M. Flament

On est reparti brusquement, au pas de course, court, court, petit Léopard, une direction là-bas, voyez je montre du doigt, coup de feu, ça accrochait. Moi, je courais, hop hop. Vaguement inquiet déjà, mais un tout petit peu seulement. La peur la grande laide visqueuse engluante ce serait pour tout à l’heure. Je savais pas, j’allais savoir. 

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3e RPC au combat - Photo M. Flament

Crapahute… marche… pitonne… transpire… Bouffe du piton… de la piste… poussière… crache tes poumons Léopard… au bout de la piste là-bas… tout au loin… mais si près déjà… la première équipe voltige vient d’accrocher… une courte rafale… rran… une autre… plus longue… encore rran… tu le sais Léopard une fois de plus… la machine à faire des veuves vient de parler… cris… rafale… agonie déjà… gueulante… à droite… attention à midi… à une heure là sur toi… rafale… la grande faucheuse ricane à nouveau… à moi les petits oiseaux… venez dans le grand manteau de de la mort… Fells… Comanches…. Léopards… Apaches… Camouflés… prend tout le monde la grande Faucheuse... pas raciste… touché… maman… maman… cartonné… rapatrié par télégramme… pas de chance. 

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3e RPC - Photo M. Flament

Nous étions victorieux, la belle affaire ! La victoire dans ce formidable et hallucinant amas de pierres à l’infini et votre serviteur tout petit, insignifiant, au milieu de ce fatras d’éternité, tout se bousculait en moi. Plénitude d’émotions, j’étais en pleine ataraxie. Toutes ces émotions en moi semblaient m’avoir figé pour l’éternité. Mourir sur l’instant me parut une chose de raison, momifié par le vent du désert, on me retrouverait dans mille ans. Il faut bien faire vivre les archéologues. Envie de pisser. J’avais envie de pisser. Le drame de la condition humaine, c’est son enveloppe corporelle. J’aurais souhaité divaguer, philosopher à l’infini et voilà que cette putain de vessie me rappelait à mes petits devoirs matériels. N’est pas le père de Foucault qui veut. L’opération prit fin, comme toujours, sans prévenir, fini mon petit olympe personnel. 

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A gauche, JP Hutin

Dents de loup, John Wayne me voilà, grenade, poignard, corps souple et dur. Pas de graisse… fini le lard, envolé le gras, pas le temps, des loups Madame qu’on était j’vous le dis, tiens pour un peu madame si description vous mouillez j’irai jusqu’au loup-garou. On le grimpait vite ce piton au vu des renseignements bigo… Des fells de l’autre côté du piton y grimpent vers le haut… Vite avant eux sinon tir aux pigeons… Pensez, pas de course vite plus vite… des ailes… premier arrivé en haut y gagne, pour l’autre c’est la fin de la grande tourlouzine… Dix secondes avant eux… dix toutes petites secondes avant les fellouzes… Une éternité pour eux… A 30 mètres du compte les fells, tant pis, malheur aux vaincus. Ah melon fellouze… plein la gueule plein les dents plein les tripes… déchaînés… tue, tue, tue, enchainés à la mort on était… cent pour cent… sang pour sang… tu allais couler… pas le nôtre ce coup-là. S’en fout.  Rouge quand même le sang des fells… Le grand pied, la grande partouze du sang. TUER. 

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3e RPC - Photo M. Flament

Rran… Rran… rafale… grenade. Cris à droite, vite, tire ! Bon Dieu, attention grenade, en avant, au paquet, tue, tue Etienne mon ami, mon frère tu cries, tu hurles, Maman, Maman, l’homme quand y sent la vie le quitter, il appelle le dernier refuge… fœtus… sa mère. Tu as morflé, merde, les tripes. Un pansement… Mon pansement individuel trop petit… dérisoire… Pisse la tripe… Moi acharné à colmater avec mon petit bout de gaze… Vite, plein de sang, éponge rouge, infirmier ! INFIRMIER ! Où est ce con de Bernard ? Voilà, voilà… Moi idiot, mon pansement déborde par la tripe qui déborde de partout, la main dans le tiède horrible de la vie, qui fout le camp. Voilà l’infirmier. Qu’est-ce que tu fous avec ton tampax usagé ? J’attends de l’eau chaude pour une infusion, connard. Faut compresser tout ça. Passe-moi 4 ou 5 pansements… Phénergan-Dolosal… Geste professionnel… Bandes. Tu crois qu’il va s’en tirer ? Peut-être… peut-être… 

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4e Section, 1ère Cie du 3e RPC – section de Jean-Pierre, en permission ce jour-là.

Les dieux barbares se marraient, ils riaient aux larmes, les fumiers, tu as signé Léopard, tu n’as qu’à jouir. Tu voulais être un beau camouflé, un rutilant Léopard, comme sur les affiches en couleurs. Engagez-vous rengagez-vous. Tu croyais pouvoir devenir un barbare en tout impunité, garder tes yeux pisseux, petites mirettes innocentes. Top facile Dupont… Ducon, à peine Leroi. Tu sais à présent, enfin presque. Maintenant tu commences à entrevoir, encore quelques massacres, ceux des tiens, ceux de l’ennemi et tu seras un vrai guerrier, un barbare à part entière.

Tu auras le droit de tes yeux.  

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Alger, 12 mai 1958

Le 12 mai 58 fût pour les Léopards le début de la grande sodomie. Un enculage sans vaseline. Brut. Même pas un petit doigt dans l’anus pour nous mettre en condition. Foutre non. Brut de brut. Le zob, la bite, le bonheur des dames, vroum, ran le paf dans le cul. Je m’égare. Je m’emporte encore et toujours. Je vous disperse. J’avais juré d’écarter la politique de mon récit. Difficile. Des souvenirs m’assaillent. Hantent mes tripes. Je me renie pour la petite Laura Dupont un peu Hernandez, abattue à la sortie d’un bal à Staouili la petite Laura. Dix-huit ans, belle, jeune, conne et innocente. Ne vous méprenez pas, ce n’était en rien ma petite amie, ce n’est pas la faute d’avoir essayé d’ailleurs. Elle ne voulait rien savoir. Moi je n’étais pas vraiment amoureux, non, c’est surtout mon petit Jésus que j’essayais de placer. Peine perdue, il était resté sur la paille mon petit Jésus. Elle était morte, cartonnée à la sortie d’un bal. Toujours la vie et ses cahots. Elle était morte avec sa vignette de garantie. Elle aurait dû avoir le droit de vivre, peut-être une vie ordinaire minable, longue et monotone, elle aurait sûrement grossi, enlaidi, les cheveux lourds et poisseux. Mais bordel c’était sa vie. La vie, personne n’avait le droit de lui prendre à cette petite conne innocente, personne, personne.

Maintenant, des années après, je suis toujours con. Mais je sais.

 

***

hutin 2.JPGsignaturePaillon.jpegJean-Pierre Hutin nait dans une famille marquée par le combat : ses grands-pères perdent l’un une jambe, l’autre un bras, pendant la Grande Guerre ; ses parents sont des résistants de la première heure, arrêtés par la Gestapo et déportés. Génétiquement guerrier, il devance l’appel. De 1958 à 1960, il combat en Algérie au sein du 3e Régiment de Parachutistes Coloniaux, les léopards de Bigeard. Et non, rien de rien. Non, il ne regrette rien.

 

 

Interview de Jean-Pierre Hutin. 

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Décoration de Micheline Hutin-Auproux, maman de Jean-Pierre.

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Prix : 15€ - ISBN 978-2-9541232-4-0 – format 14,5x21 190 pages – cahier photo n&b. 

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Aux éditions Le Spot 

Livre disponible chez Europa Diffusion ici.

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Hommage

Aux Léopards morts pour la France,

Aux blessés.

Cette Légion d'honneur, c'est moi qui la porterai, mais ce sont mes paras qui l'ont gagnée.

Général Bigeard recevant la plaque de grand officier de la Légion d’Honneur

 

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Retrouvailles d’anciens chez Vedel. A gauche Jean-Pierre Hutin, à droite GAL Bigeard.

***

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Les Léopards à Alger

Le barbare est de retour, les barbares sont là. Bientôt leur grande ombre camouflée planera sur la ville. Le haut état-major allait encore grincer des dents (…) A part mourir, pas de tradition, ces gens-là. Provocateurs en plus ! Saluent aucun gradé. Moi, Commandant Alex Dupont, moi qui ai 18 ans de carrière, moi quatre année prisonnier des boches, huit ans d’état-major en Indochine, six ans de cirrhose à Madagascar, j’ai vu de mes yeux, pas plus tard qu’hier, deux Léopards saluer un Caporal-Chef de la Légion, vous vous rendez compte, un Caporal-Chef.  

Tout ça sous prétexte qu’ils mouraient ensemble, au loin, là-bas.

Jean-Pierre Hutin

 

 

 

 

 

 

22/05/2014

« Un prêtre à la guerre », padre Christian Venard, aumônier, Ed. Taillandier

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés.

 

 

Dirigez-nous dans nos ténèbres. Soyez nos agents de liaison. Soyez nos célestes fourriers. Préparez-nous là-haut le cantonnement. Afin que, lorsque viendra l’heure décisive, l’heure H par excellence, nous puissions vous retrouver dans la lumière et dans la paix. 

Abbé Joseph Bordes, aumônier du 34e RI, fusillé par les Allemands en 1944

Discours à l’ossuaire de Douaumont

 

Ecrire un livre sur sa vie. Y avez-vous songé ? La démarche n’est pas anodine. Volonté de témoigner, de partager, de faire comprendre, voire de se comprendre… De vider son sac. Un peu de tout cela, certainement. Reste qu’il faut un élément déclencheur pour se lancer dans l’aventure.

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Le padre Christian Venard, aumônier parachutiste, parle de « son » élément déclencheur au début d'Un prêtre à la guerre en ces termes : 

Le 15 mars 2012, l’horreur semée par Merah sur le sol montalbanais me touche de plein fouet (…) Cela fait un an et demi que l’essentiel de mon temps et de mon énergie est consacré à l’accompagnement des familles de nos camarades parachutistes tombés en Afghanistan : Morillon, Hugodot, Nunès-Patégo, Técher, Marsol, Gauvain, Guéniat, Tholy… Morts pour la France. Pour vous ce ne sont que des noms… Pour moi des visages dans des cercueils, des camarades connus vivants, des épouses, des mères et des pères, des enfants, des pleurs, des souffrances, des incompréhensions. Et quand je vois mourir dans mes bras deux camarades de plus en ce mois de mars, oui, d’une certaine façon la coupe devient trop pleine.

Oui, sans doute ces quelques larmes débordant de la coupe ont irrigué le terreau de la vie du padre, faisant germer les graines des souvenirs. Ils sont souvent dramatiques, hélas, ces souvenirs  - on n’accompagne pas ses camarades, ses fils soldats, vers leur dernière demeure, sans que le cœur ne saigne ; on ne tient pas la main d’Abel Chennouf, de Mohamed Legouad, ce funeste 12 mars 2012, sans tourner son regard vers le Ciel et demander « Pourquoi ? » - mais la vie est ainsi faite que la tragédie n’est pas omniprésente dans la vie du père Christian et Dieu soit loué ! Alors dans ce récit,  il y a aussi de beaux souvenirs, de beaux moments. On rit même de bon cœur devant ses facéties, car l’homme est taquin. On apprécie aussi son franc-parler, son « dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas », liberté de parole d’aumônier oblige.

Un livre profond, qui interpelle (quelles que soient ses propres croyances) et qui pose les bonnes questions.

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Nota : Le padre a beau être un jeune homme (il est de la génération du Chasseur… J), nous ne pouvons aborder toutes les phases de sa « carrière ». Trois focus donc : sa première OPEX au Kosovo (il existe bien trop peu de témoignages sur ce conflit « compliqué »…), sa dernière au Mali et sa mission, au combien importante et difficile, d’accompagner les familles endeuillées.

 

Kosovo – Le baptême du feu

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Kosovo, à droite le padre Venard.

Les premières images du Kosovo et des villages brûlés sont restées gravées dans ma mémoire. A Mitrovica, ce sont les odeurs surtout qui s’impriment : celle de la mort, celles des cadavres d’animaux en putréfaction, celle du « cramé ». Comme dans une scène de film de guerre, la moitié de la ville brûle encore. Les flammes et la fumée se mêlent à la chaleur d’un été qui s’annonce étouffant. Je n’avais jamais vu une ville en feu à moitié détruite, ni de cadavres humains ou de carcasses de bêtes à l’abandon.

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Manifestation d’Albanais, Mitrovica, 2011. Photo © Reuters

Face aux Albanais, la situation est pénible pour les soldats français. En permanence, des individus nous crachent dessus, nous insultent et nous avons interdiction de répondre. La situation est d’autant plus désagréable qu’en secteur serbe, nous sommes en général fort bien accueillis. Les Serbes nous apportent café, slivovitz, fromages  et fruits à profusion. Ils évoquent en toute circonstance la vieille amitié franco-serbe, les souvenirs de 1916 et les combats communs pour nous montrer qu’ils sont nos vrais amis au Kosovo. Il faut se mettre dans la peau du simple soldat, du sous-officier ou même de l’officier, confronté jour après jour sur ce pont de Mitrovica aux invectives des uns et à l’accueil chaleureux des autres pour comprendre combien il est difficile dans ces conditions d’assurer une mission d’interposition en toute neutralité.

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Au centre le padre venard

Tout est calme. En un éclair, un caporal-chef se jette sur moi en hurlant « roquette ! ». Sur le moment je ne comprends rien, j’entends juste ce hurlement. Plaqué au sol, je n’ai que le temps de lever la tête et de voir passer un engin volant en forme d’ogive qui s’avère être effectivement une roquette. Le projectile va exploser de l’autre côté du pont contre un véhicule blindé français. Nous ne déplorons ni blessé, ni mort. Avec cette première expérience du feu, je comprends que la peur se manifeste souvent après l’action. Dans l’instant, il est rare que l’on puisse réaliser l’importance du danger. Pour vraiment savoir ce qu’est la guerre, il faut l’avoir connue, comme l’affirment tant d’anciens. Le vrai courage ne vient qu’avec l’expérience du feu.

 

Mali – Le raid vers Tombouctou

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Mali, photo © Ministère de la Défense

Ce raid demeure un souvenir magnifique. Ce que nous vivons au cours de ces journées est mythique. Le métier de soldat n’est pas de prendre des risques pour le plaisir, mais il ne lui est pas interdit de se rendre compte du caractère exceptionnel de ce qu’il vit. Je ne crois pas que dans ma vie je referai le trajet Bamako-Tombouctou dans ces conditions, bien différentes du Paris-Dakar. Certains parachutistes râlent au cours de cette remontée, ce qui est le propre du soldat français. Pour les remotiver, je leur dis de songer qu’ils pourront raconter à leurs enfants qu’ils ont fait le trajet Abidjan-Tombouctou dans une Sagaie ou dans un VAB. Des accueils triomphaux nous sont réservés dans les villages et les petites villes. Les scènes de liesse et les signes de gentillesse se multiplient. Des gens viennent  nous offrir des fruits et nous dire combien ils nous aiment avec la simplicité et l’exubérance que l’on connaît en Afrique. Ce sont des moments très émouvants. Je suis doublement touché, non seulement parce que cette population se sent libre grâce à nous, mais aussi car il n’est pas si fréquent que l’armée française se fasse acclamer, y compris par sa propre population.

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Padre Venard à droite.

Ce mot de « terroriste » permet d’éviter la controverse qu’aurait suscité l’emploi du mot « islamiste », plus exact, mais qui induit une dimension religieuse que recherchent nos ennemis afin d’assimiler cette guerre à un retour des croisades. Eux aussi mettent en œuvre une stratégie en matière de communication et veulent présenter ces opérations comme une guerre menée par l’Occident chrétien (sic !) contre de courageux djihadistes qui n’aspirent qu’à pratiquer la charia sur leurs terres. Or ces fameux djihadistes que nous rencontrons au Mali sont des abrutis finis. « Ils sont très bêtes, ce sont de idiots ! » me confieront plusieurs femmes tombouctiennes ensuite. Ainsi m’a-t-on rapporté que peu après la chute de Tombouctou, un djihadiste arabe avait tué un djihadiste noir. Or la réponse du tribunal islamique temporaire à la famille de la victime qui réclamait une compensation financière fut de ne pas l’accorder car les « nègres », fut-il expliqué par les juges, étaient des esclaves. Cet épisode a suscité de fortes tensions chez les djihadistes. A peine arrivés, ils avaient réalisé la prouesse de se diviser.

 

France – Le porteur de mauvaise nouvelle

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La maman ou l’épouse sort avec un grand sourire. Mais quand elle aperçoit les bérets rouges, le sourire se fige : elle réalise (…) Pas besoin de paroles. C’est l’effondrement. Et c’est très dur à vivre car nous avons l’impression d’être nous-mêmes coupables de ce que nous annonçons, d’autant plus que la personne endeuillée réagit comme si tel était le cas. Nous essayons d’apporter de l’affection, de la compassion, de l’amour à ces personnes et leur première réaction est de nous rendre responsable du drame. C’est normal. Il nous faut l’accepter, mais c’est très douloureux, presque un coup de poignard. Dans la Bible, le porteur de mauvaises nouvelles est tué car il est la mauvaise nouvelle.

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Obsèques d’Abel Chennouf. Sa compagne enceinte de 7 mois. Photo P. Pavani/AFP 

Nous ne pouvons pas dire grand-chose lors de cette première rencontre. Dans les familles, la réaction de déni s’appuie sur de nombreuses explications : « Ce n’est pas possible : je lui ai parlé hier soir », « Ce n’est pas possible car j’ai reçu une lettre de lui ce matin », « Ce n’est pas possible car il m’avait dit qu’il reviendrait ». Ces phrases n’ont l’air de rien mais quand un époux dit à son épouse : « Je reviendrai », je trouve cela infiniment touchant et beau. Quand une épouse est capable de dire « Ce n’est pas possible, il a dit qu’il reviendrait » c’est une preuve poignante de la force de l’amour humain. 

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Obsèques d’Abel Chennouf. A gauche le padre Kalka - à droite le padre Venard. Photo P. Pavani/AFP.

Alors je L’interroge : « Seigneur, je ne te comprends pas. Toutes les questions que l’on me pose, je ne sais pas y répondre. Comment puis-je faire alors que Tu n’es pas là Seigneur ? » Il est pourtant là, sans aucun doute, mais il m’arrive de Lui en vouloir. Je ne peux absorber ces décharges émotionnelles sans que cela ne m’atteigne dans ma fonction ; cela signifierait sinon que j’ai perdu ma part d’humanité. Il me faut donc vivre avec ces moments de révolte et d’incompréhension et les surmonter.

 

Montauban – Il faisait beau, ce jour-là…

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Montauban. Photo Pascal Pavani/AFP

Une infirmière du régiment, à peine revenue d’Afghanistan, est à mes côtés. Il faut presque la tirer en arrière pour la faire renoncer au massage cardiaque qu’elle pratique en vain. Je prends alors la main encore chaude de Legouad et je suis à nouveau habité par le sentiment qu’il est encore là. Comme pour Chennouf, ni sa mère, ni sa copine, ni son père ne sont là avec lui en ce moment ultime. Et je me dis en mon for intérieur « Tu n’as que moi, ton padre, mais je suis ton padre ». La prière vient ensuite. Plus tard, après avoir découvert qu’il était musulman, je dirai à son père que j’espérais qu’il n’était pas gêné de savoir que c’était un prêtre catholique qui avait accompagné son fils avec des prières catholiques. Et il m’a répondu : « Ah non. Allah est grand ».

***

padre.jpgChristian Venard nait en 1966 dans une famille d’officiers. Fils de Saint-Cyrien, petit-fils  de Légionnaire, ce n’est pourtant pas vers le métier des armes qu’il s’oriente. Etudiant entreprenant, il fonde une PME, mais répondant à l’Appel, il abandonne le business et entre au séminaire à Rome en 1992. Il est ordonné prêtre en 1997. Peu porté vers la vie de paroisse, il rejoint l’armée en 1998, comme aumônier de la 11e Division Parachutiste. Il participe aux principales OPEX de l’armée française, Kosovo, Liban, Tchad, Afghanistan, Côte d’Ivoire, Mali, attaché notamment aux 14e RPCS,  3e RPIMa, 1er RHC, 3e RG, 1er RCP, 12e RCuir, 501-503e RCC… Après un passage comme aumônier de l’ESM il rejoint le 17e RGP de Montauban. Le 15 mars 2012, entendant les coups de feu de la cour du quartier, il rejoint la scène du drame et accompagne Abel Chennouf et Mohamed Legouad vers leur dernière demeure.

Je songe à une chanson de Barbara : Le mal de vivre. Comme elle, certains matins, en me levant, je sens une pesanteur et une tristesse en moi, venues des épreuves subies, ou de la tristesse que je vois chez les autres. D’autres matins ou d’autres soirs, j’ai le sourire aux lèvres et la joie de vivre. Parfois, je trouve que ce fardeau est lourd, parfois infiniment trop lourd. La foi chrétienne n’est pas un euphorisant. C’est tout le paradoxe du chrétien et plus encore du prêtre qui doit entrer pleinement dans la pâte humaine, avec tout ce que cela implique de souffrances et de pesanteurs, afin d’en devenir le levain. Dans ces conditions, je n’ai pas le droit de baisser les bras. Quelque-chose au fond de moi me dit que si je ne me lève pas pour aller rejoindre l’autre, je ne correspondrai pas à ce que le Christ lui-même a fait, rejoindre l’humanité, et à la charge qu’Il m’a confié, être l’un de ses instruments.

 

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 Rencontre avec le padre Venard au salon des Ecrivains-Combattants 2013. Photo CCH Emmanuel Gargoullaud, auteur de « L’Afghanistan en feu » et photographe bénévole pour Une Plume pour L’Epée J

 

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Prix 18,90€ - ISBN 979-10-210-0175-6 – Format 21,4x14,4 304 pages.

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Aux éditions Taillandier.

Disponible ici.

« Un prêtre à la guerre » est écrit en collaboration avec Guillaume Zeller, journaliste et historien, petit-fils du GAL André Zeller

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Bibliothèque « Les aumôniers »

(non exhaustif)

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Hommage

Aux Paras, Sapeurs paras,  Paras colos, Légionnaires paras, Chasseurs-paras, Cavaliers paras, Artilleurs paras, Tringlots paras, Infirmiers paras, Paras de l’Air, Commandos Marine, Gendarmes paras, Aumôniers morts pour la France,

Aux blessés,

 

A l’ICS Thibault Miloche, 126e RI, ami du padre Venard, mort pour la France en Afghanistan,

 

Aux CCH Abel Chennouf, CAL Mohamed Legouad, 17e RGP,  ADJ Imad Ibn Ziaten, 1er RTP, morts pour la France, 

A Jonathan, Aryeh, Gabriel Sandler et Myriam Monsonégo assassinés  à Montauban,

Au CAL Loïc Riber, 17e RGP. Nous sommes pas le cœur et l’esprit à ses côtés dans son combat.

 

« Seigneur, malgré-tout, apprenez-moi à aimer ».

Padre Christian Venard, homélie pour les obsèques d’Abel Chennouf.

 

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Remise du béret rouge amarante par le padre Venard

Les militaires ont besoin d’une forme de reconnaissance. Ils doivent savoir que leur action n’est pas vaine, que les sacrifices de leurs camarades ne sont pas inutiles. Mais l’évolution globale de notre société l’amène à ne pas reconnaître ces héros parce qu’elle en a choisi d’autres. On devient plus facilement un héros en tapant dans un ballon pour des dizaines de millions d’euros par an, qu’en tombant pour son pays au fin fond de l’Afghanistan pour une solde réduite.

 Il y a là un désordre.

Padre Christian Venard

 

 

 

 

 

 

 

 

06/05/2014

« Un long oued pas si tranquille… », LTN (h) Alain-Michel Zeller, 12e BCA, éd. Fol’Fer.

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés.

 

 

Ecrire et raconter, inlassablement, non pour juger mais pour expliquer. Ouvrir la porte à ceux qui cherchent une trace du passé et qui refusent le silence. Repiquer chaque matin le riz de nos souvenirs. Ne pas lâcher prise, jamais, pour celui qui est demeuré dans le bien et dont l’amour est resté là-bas, en Algérie.

CBA Hélie de Saint-Marc

 

 

Lorsque l’on évoque la Guerre d’Algérie des noms viennent immédiatement à l’esprit : Bigeard, Massu, Salan, Challe, Jouhaud, Saint-Marc, de Gaulle évidemment… et Zeller, n’est-ce-pas ? 

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Zeller. Général Zeller, vétéran des 1ère et 2nde guerres mondiales, l’Algérie française, la rébellion dite le putsch d’Alger, le « quarteron »… mais son prénom est André et non Alain-Michel. Alors, qui est l’auteur d’Un long oued pas si tranquille ? Son fils, appelé de la classe 59, Sous-Lieutenant au 12e BCA, blédard, traquant le fellagha à la frontière tunisienne tandis qu’à Alger et Paris le sort de l’Algérie française se nouait…

Cette situation, peu banale on en conviendra, suffit pour se précipiter sur ce livre. Et là, bonne surprise, car outre l’intérêt historique évident,  « Un long oued pas si tranquille » est un récit autobiographique remarquable. Nous suivons Alain-Michel au 18e RCP pour sa formation parachutiste, à l’école de Cherchell dont il sort Aspirant, à Alger la blanche, où il flâne dans les rues de son enfance, sur la ligne Morice, où il monte des embuscades à la tête de son commando de chasse harki, ses rencontres dont celle au « trou » avec le SLT François d’Orléans, fils du comte de Paris, qui meure au combat en Kabylie quelques mois après, son incompréhension face aux évènements… et, non pas omniprésente, mais en filigrane, la figure bienveillante de son père, qui fait le choix que nous connaissons. Le tout écrit avec une classe certaine, à la fois pétillant de jeunesse, facétieux - esprit Chasseur oblige - et grave de par les évènements vécus.

Passionnant. Attachant. L’un des très beaux témoignages sur la Guerre d’Algérie.

 

L’engagement

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Eté 58, Alain-Michel Zeller alors étudiant à l’IFP, Institut Français du Pétrole - Stage [on ne peut plus] pratique sur un chantier de forage à Coulommes. Photo de Cartier-Bresson pour Paris Match.

La situation en Algérie, après le formidable et enthousiaste mouvement du 13 mai 1958, évoluait plutôt favorablement et je me sentais confusément mal à l’aise de ne pas avoir encore participé à ce qui apparaissait comme la grande cause nationale du moment. Cette « guerre », que l’on n’appelait pas encore ainsi, durait déjà depuis plus de quatre ans. Jeune étudiant, j’avais participé à de nombreuses actions en faveur de l’Algérie française au sein d’associations militantes. La préparation militaire parachutiste était ouvertement un lieu où s’exprimait haut et fort la nécessité de garder la province Algérie à la France sans que cela n’ait eu un caractère séditieux.

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Avril 59, Alain-Michel Zeller au Centre d’Instruction du 18e Régiment de Chasseurs Parachutistes, Pau.

Les dix-huit mois d’existence sévère que je venais de passer [à l’IFP], alliés à cette expérience prémilitaire antérieure [prépa militaire parachutiste], me poussaient à me porter volontaire pour les paras. Faute d’avoir suivi des chemins plus prestigieux, je choisissais cette voie en plein accord avec mon père, très pris par ses fonctions suprêmes. Je crois qu’il ressentait une certaine fierté à me voir emprunter cette filière, plutôt que de rechercher, ce qui était tout de même courant  à l’époque, une affection « planquée ». De toute façon cela eût été vain car autant mon père aurait favorisé la solution que j’avais adoptée, autant il eût fait la sourde oreille (et il savait le faire !) dans la seconde hypothèse.

 

Juillet 1959, en partance pour l’Algérie

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Le « Ville d’Oran »

Le « Ville d’Oran », doublant le château d’If et les îles du Frioul laissa derrière lui dans un sillage d’écume les rivages de la métropole. Notre contingent d’une quarantaine d’individus fût dirigé en cale, à l’avant du navire où les effets du tangage ne furent pas long à se manifester sur ceux qui n’étaient pas amarinés. Avec quelques camarades, je me souviens avoir emprunté en douce une coursive car nous avions reçu l’ordre de demeurer dans notre entrepont où croupissaient les collègues le teint blafard et le cœur au bord des lèvres… Elle nous mena sur le pont à l’arrière où se trouvaient encore une demi-douzaine de transats aussitôt investis. L’air frais allié à la houle était appréciable et sans trop nous faire remarquer, nous y passâmes une bonne partie de la journée avec nos rations et quelques canettes de bière.

Notre destin, à ce moment-là, se nouait définitivement ; les amarres avaient au propre et au figuré été larguées et nous voguions plein sud sans trop imaginer quelle existence nous attendait dans cette contrée proche et lointaine.

 

Juillet-décembre 59, Ecole des élèves Aspirants de Cherchell, promotion 906 « Georges Clémenceau », 13e section

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Ferme de Brincourt

Ayant été abondamment « cornaquée » et mis en condition, vint le moment où notre section partit pour la première fois vivre la vie de poste à la ferme Brincourt à une dizaine de kilomètres au sud de Cherchell. 

Une nuit, j’avais été placé dans un poste dit de « sonnette ». Cela consistait à se trouver en position de guet en avant des bâtiments dans un repli de terrain, entouré d’un léger réseau de cordes sur lesquelles étaient suspendues des boîtes de conserves censées donner l’alerte en cas d’intrusion. 

Il était un peu plus de minuit, ciel bas, yeux qui commençaient à ciller, sollicités par le sommeil, quand un grand cri déchirant éclata dans la nuit et me glaça le sang. Pleur ou ricanement odieux, il me fallut un bon moment pour déterminer qu’elle en était l’origine. Le doigt sur la détente du Mas 36, je fouillais intensément du regard l’obscurité tout en percevant un mouvement confus. Je finis par comprendre que l’intrus n’était autre qu’un chacal qui déguerpit sous une pluie de caillasses, tout en éructant encore des glapissements stridents.

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Cherchell, défilé du 11 novembre 1959, ici le peloton IMO [Instruction Militaire Obligatoire]

Le 11 novembre 1959 nous donna l’occasion de défiler en ordre serré dans les rues de Cherchell (…) J’avais imaginé une facétie dont j’avais fait part à l’ensemble de ma section (…) Il s’agissait, arrivés à la hauteur de la maison close qui se dénommait « Chez Zizi » (…) de faire sur mon commandement un « tête ! droite ! » qui était en quelque sorte l’hommage des valeureux biffins aux laborieuses hétaïres. Ce qui fut décidé fut fait et je pense que ce fut la seule fois de ma carrière militaire que je donnais un ordre aussi impeccablement exécuté !

 

 Permission à Alger

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Alger, quartier d’enfance d’Alain-Michel Zeller. De droite à gauche : angle du parc de Galland ; patte d’oie rue Edith Clavell/bd du Telemly puis hors champ à gauche : rue Blaise Pascal et chemin de La Rochelle, longeant le musée d’où la photo a été prise.

Je profitais de ces quelques heures de liberté pour aller reconnaître un quartier que j’avais habité plus de quinze ans auparavant (…) Je m’aventurai vers le parc de Galland, non loin d’une école que j’avais fréquentée en 1943 (…) Retrouver la rue Blaise-Pascal et les escaliers de La Rochelle à l’angle desquels se trouvait l’immeuble dans lequel nous avions vécu. C’est du balcon de l’appartement au sixième étage que je me rappelais avoir assisté le 8 novembre 1942 au débarquement des Américains. Le spectacle était fantastique pour un petit garçon (…) Cette forme de pèlerinage je la continuais en passant devant l’épicerie mozabite au 175 boulevard du Telemly  au-dessus de laquelle  habitait le Général Hartemann, ami de mes parents, brillant aviateur qui devait mourir à bord d’un B26 en Indochine (…) Je pris ensuite la rue Edith Cavell, en pente sinueuse, comme beaucoup de rues d’Alger, pour arriver à l’église du Sacré-Cœur dans la rue Michelet où j’assistai à la messe célébrée par le chanoine Garganico, déjà curé de cette paroisse dans ma prime jeunesse (…) 

Ce périple me confirmait, s’il en était besoin, que cette ville était partie intégrante de cette France diverse qu’évoquait Bernanos. Oui, décidément, cette province valait la peine que l’on fit tout pour qu’elle demeure française. Il n’était pas possible dans mon esprit qu’une solution généreuse et originale, en faisant appel à notre jeunesse, à notre enthousiasme, à notre courage, ne soit pas trouvée dans l’intérêt de tous.

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Aspirant puis Sous-Lieutenant au 12e Bataillon de Chasseurs Alpins

Du fait de son caractère blagueur, Alain-Michel est classé dans la seconde partie du tableau de Cherchell, ce qui l’empêche de rejoindre les paras. Il opte pour les troupes alpines et le 12e BCA, basé à Blandan, sur la ligne « Morice », frontière tunisienne.

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Alain-Michel Zeller et deux camarades Chasseurs à Bône

Bizutage Chasseur

A son arrivée au quartier, le jeune Aspirant a la surprise d’être immédiatement convié à un grand déjeuner, où le chef de corps l’accueille par un déconcertant « Ah ! Z’ai l’air de quoi ? ». S’ensuit toute une série d’évènements déconcertants: aspersion de soupe par un serveur maladroit, pied sous la table d’une bien entreprenante voisine, anisette et Sidi-Brahim à gogo au son du refrain du douzième « Ah c’qu’il est con l’douzième, ah c’qu’il est con c’con là ! », trou noir total et réveil le lendemain dans un lieu inconnu, le bras plâtré ! 

Une « salade de galons » avait été organisée dans les grandes largeurs : Le serveur maladroit n’était autre que le chef de bataillon. Celui à qui je m’étais présenté, le prenant pour le chef de corps, était l’officier de renseignements. La charmante « allumeuse » qui ne m’avait pas du tout laissé insensible était la femme du médecin-major qui, peut-être pour me punir d’avoir été trop entreprenant à l’égard de sa femme, m’avait confectionné ce plâtre dont il me délivra peu après ! Le résultat avait dépassé ce qui était prévu mais m’avait d’emblée fait admettre dans le corps des officiers du 12.

 

A la tête d’un commando de Chasse harki, sur la ligne « Morice », cote 159

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Juin 1960, Blockhaus du PK 919, face au réseau électrifié de la ligne Morice

Le commando s’était installé sur les contreforts d’un épaulement de terrain (…) Le « chouf » s’exerçait avec le maximum d’acuité alors que le jour s’était levé, chacun observant les règles absolues de camouflage, se répétant ou se faisant répéter par chuchotement transmis de bouche à oreille les instructions d’éventuelles ouvertures de feu. Il ne se passa pas très longtemps avant que l’un des guetteurs, placé à l’extrémité du dispositif, me fit savoir qu’il venait de détecter une colonne importante venant de Tunisie dans notre direction. Ordre fut donné de rester totalement silencieux, camouflé et de laisser entrer la colonne le plus possible dans le dispositif…

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1ère Section, 3ème Cie, 12e BCA, côte 159, juin 1960

Même s’ils vivaient un peu à part pour respecter leur mode de vie et leur statut différent de celui de la « régulière », les harkis étaient pleinement intégrés à notre existence. Ils apportaient leur connaissance du terrain et du milieu humain ; leur engagement n’était pas neutre : ils avaient clairement choisi leur camp. La loyauté de ces supplétifs ne fut jamais prise en défaut et le grand malheur fit que la trahison ne vint pas de leur côté mais précisément du côté qu’ils avaient choisi par conviction et à notre demande.

Comment oublier le vieux Diabi qui ouvrant la piste en zone interdite de nuit lorsque nous tendions des embuscades, se rabattait vers moi pour me faire changer tel itinéraire ou telle halte en me disant : « Pas par-là mon Lieutenant, c’est mauvais ! Les chacals nous attendent ». Ou de façon encore plus imagée : « Pas par-là, on va se faire couper les glaouis ! ».

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Alain-Michel Zeller, avril 1960, Chabet R’tem

Le froissement des branches cassées s’interrompit, de longues minutes s’écoulèrent. Rien, seulement le sang qui afflue au cerveau, le pouls qui bat un peu plus vite surtout au niveau  des tempes. Ce bruit reprit de plus belle une dizaine de minutes après, aucun doute, il ne s’agissait plus de quadrupèdes (…) Il fallait prendre une décision : ne pas nous laisser « allumer » à bout portant ni laisser entailler le barbelé pour nous faire « zigouiller » par un effectif sûrement supérieur au nôtre (…) Cette obscurité totale nous mettait à égalité mais nous avions l’avantage d’être relativement à couvert et de pouvoir prendre l’initiative du déclenchement des hostilités. Ce que je fis d’ailleurs en ordonnant feu à volonté.

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La ligne Morice dans la région de Bône

Permission à Paris

Ma permission correspondit avec les fêtes de fin d’année et se retrouver à Paris dans le grouillement affairé de ces derniers jours de 1960  me procura une curieuse sensation. Malgré la joie de retrouver ma famille, mes amis, je comprenais que la France n’était plus sur la même longueur d’ondes que ses départements d’Algérie. Alors que tout m’incitait à profiter de ce temps de détente, de trêve, de retrouvailles, mon esprit retournait vers mon piton et mes hommes.

C’est ainsi qu’à l’un des offices auquel j’assistai à l’église Saint-Pierre-du-Gros-Caillou, paroisse fréquentée par une assemblée surtout bourgeoise, le prêtre dans son homélie se transforma en chantre de l’antimilitarisme et de l’objection de conscience. Une soudaine fureur me saisit, je me levai et sortis furibard non sans, dans ma précipitation, renverser quelques prie-Dieu, provoquant un certain émoi parmi les bien-pensants.

Raccompagné par mon père, je reprenais une Caravelle pour Bône. Je sentis chez lui une certaine émotion qu’il ne voulait surtout pas montrer. Je pense qu’étaient mêlés deux sentiments très forts, celui de me voir repartir vers un destin inconnu et peut-être fatal, mais aussi celui de son propre destin qui le pousserait quelques semaines plus tard à accomplir une fois encore son devoir.

La rébellion

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Les généraux André Zeller, Edmond Jouhaud, Raoul Salan et Maurice Challe, Alger, 23 avril 1961.

Samedi 22 avril 8:30, Communiqué de France 5 : « Les généraux Challe, Jouhaud, Zeller ont pris le pouvoir à Alger avec le concours du 1er REP, d’autres régiments parachutistes : les 14e et 18e RCP, les Commandos de l’Air, le 1er Régiment Etranger de Cavalerie, le 29e Régiment de Dragons ».

Devant l’accélération des événements, le chef de corps du 12e BCA me convoqua et, très neutre dans ses analyses de la situation, m’ordonna de partir avec le commando pour une opération de ratissage et chouf autour du Kef Salah et d’Aïne Bouzwili. Manifestement, cette sortie avait pour but de me mettre en dehors du coup.

Mercredi 26 avril. J’apprends avec abattement et démoralisation totale, alors que je suis rentré tard la veille de mon périple « ratisseur », que tout est fini à Alger.

C’est vraiment avec des rangers de plomb que je repars en embuscade aux abords de Blandan. Le moral n’y est vraiment plus.

Le moral n’y est plus et le cœur non plus. Alain-Michel propose sa démission des commandos de chasse, acceptée par le chef de corps, resté très couleur de muraille pendant les évènements d’Alger et sans doute soulagé de se « débarrasser » d’un élément « devenu gênant ». Pour les quelques semaines de service qui lui restent, le SLT Zeller est « promu » inspecteur en chef des postes de Bouglès et El Bahim, petit bordjs censés protéger la captation des eaux destinées à alimenter la ville de Bône.

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Incarcération du GAL Zeller à la prison de la Santé

Vidéo ici.

Je reçus une lettre de mon père datée du 28 mai, veille de l’ouverture de son procès, écrite de la prison de la Santé. Elle était empreinte d’une rare élévation. Préparé à affronter la peine capitale il me disait que la paix de l’âme était son meilleur soutien et qu’il l’avait entièrement acquise. Il me confiait « aborder l’obstacle avec calme et confiance, ne se sentant rien à se reprocher, son seul souci étant de couvrir ceux qui bravement avaient partagé un idéal commun ». Il ajoutait quelques conseils me recommandant malgré les moments durs que je pourrais traverser de me fixer une ligne de conduite et de m’y tenir : « Les petitesses de ce monde ne sont rien lorsque l’on reste soi-même ». 

Le 15 juin 1961, après 28 mois de service, Alain-Michel Zeller embarque à Bône sur le « Ville de Marseille ». 

Au loin disparait l’Algérie française, à jamais.

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 photo © Rue des Archives

 

 ***

portait.jpgAlain-Michel Zeller nait en 1937 à Lyon dans une vieille famille aux racines alsaciennes, très honorablement connue. Fils du Général André Zeller, combattant de 14-18 et 39-45, neveu du gouverneur militaire de Paris dont le fils, le LTN Jacques Zeller, est tué en 1950 en Cochinchine, ce n’est pourtant pas vers la carrière militaire qu’Alain-Michel s’oriente. Il rejoint l’Institut Français du Pétrole ou il est formé au rude métier de foreur pétrolier. Très engagé dans la cause de l’Algérie française, après une préparation militaire parachutiste, il devance l’appel en 1959 (Classe 59/1A) et rejoint successivement le Centre d’Instruction du 18e RCP, le peloton EOR de la Base Ecole des Troupes Aéroportées (BETAP) de Pau et l’Ecole des Elèves Aspirants de Cherchell. Il est affecté au 12e BCA à Blandan, sur la ligne « Morice ». Aspirant puis Sous-Lieutenant, il est à la tête de commandos de chasse harkis, traquant les fellaghas tentant de traverser la frontière tunisienne. Il vit la rébellion des Généraux d’avril 1961 à Alger, dans laquelle on connaît la part importante prise par son père, entre oreille collée au transistor et mission  sur le terrain, volonté d’éloignement de sa hiérarchie. Quelques semaines après l’échec du « putsch », il quitte l’Algérie, son temps de service terminé (28 mois). Il poursuit dès lors une brillante carrière civile dans le transport international.

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André-Michel Zeller est marié, père de 6 enfants et grand-père de nombreux petits enfants. Homme de conviction mais aussi plein d’humour, il est fier de deux distinctions spécifiques : vice-consul de Patagonie et chevalier du Tastevin.

 

 

 

 Site des anciens de l'Ecole Militaire d'Infanterie de Cherchell ici.

Site de la Fédération Nationale des Amicales des Chasseurs ici.

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Déjeuner avec Alain Zeller

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Prix : 20 € - ISBN 978-2-9527663-0-2 – Format 14x20 - 234 pages – cahier photo

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Aux éditions Atelier Fol’Fer

Disponible ici.

 

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Alain-Michel Zeller reçoit le Prix Algérianiste 2008, distinction Prix Témoignage, pour « Un long oued pas si tranquille »

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Pour en savoir plus sur le GAL André Zeller, père d’Alain-Michel.

***

 

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Hommage

Aux Chasseurs alpins du 12e  et Chasseurs-Parachutistes du 18e morts pour la France en Algérie,

Aux élèves officiers et sous-officiers de Cherchell morts pour la France,

A tous les soldats français, des deux rives de la Méditerranée, morts pour la France,

Aux Harkis,

Aux blessés.

Avec le salut fraternel du Chasseur et de la Russe-blanc

 

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Alain-Michel Zeller, mars 1960, Cote 159

Peut-être estimes-tu que tes vieux copains, moi du moins, s’associent à la colère publique et déversent autour de ton nom des torrents de hargne et de haine ? Tu te tromperais grandement. Chapeau très bas à ton paternel ! A mon avis « cette révolution d’Alger » a été montée par tout ce qu’il restait de noble et beau dans la nation. Si elle n’a pas été suivie, c’est la confirmation pure et simple du fait que notre nation se barre en couille !

Lettre de François de Rauglaudre, camarade d’Alain-Michel Zeller au 18e RCP.

 

Sainte-Jeanne, donnez-nous une aventure à la mesure de la France, comme celle que vous nous avez donnée à l’époque de la guerre d’Algérie et que nous n’avons pas su apprécier. Faites que nous courrions des dangers, que la vie devienne exaltante et dure, que nous oubliions nos comptes en banque, nos livrets de compte d’épargne, nos chaînes hi-fi, nos vacances, notre bougeotte, nos coucheries, nos barbituriques, nos prud’hommes, nos normes européennes, notre train-train plan-plan et revenez, alors, revenez Sainte Jeanne, brandir votre étendard et vous mettre à la tête de ceux qui vous suivront.

Il y en aura, Sainte Jeanne, il y en aura peut-être plus que nous ne pensons.

Vladimir Volkoff, prière à Jeanne d’Arc.

 

 

 

 

 

 

 

26/04/2014

« Parcours Commando », Alain A. dit Marius, Commando de Montfort, éd. Nimrod

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur et des éditions Nimrod. Droits réservés.

 

 

J’espère que tu vis une vie dont tu es fier. 

Si tu ne l’es pas, j’espère que tu auras la force de tout recommencer.

Francis Scott Fitzgerald

 

 

« Oui votre Honneur, mon client a mal agi, mon client est un voyou, mais il a des excuses : il a été élevé dans une famille déstructurée, sa mère est dépressive, il habite un HLM dans une banlieue défavorisée, il a de "mauvaises fréquentations". C’est une victime de la société… »

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Alain A., dit Marius, aurait pu entendre cette phrase d’avocat, habituelle victimisation du coupable. Et s’il se l’était appropriée, s’il s’était auto-excusé de la vie qu’il menait, se trouvant des "circonstances atténuantes", sans doute sa destinée aurait-elle été toute autre. Mais ce n’est pas cette phrase que Marius a retenue, au moment où il basculait dans une plus grande violence ; c’est celle-ci : « Vous allez droit dans le mur. Je vous donne une chance, saisissez-là ».

« Parcours Commando », c’est cette histoire : celle d’un voyou marseillais qui saisit sa chance, change de vie, rejoint les Commandos Marine dont il devient une figure.

Et grâce aux éditions Nimrod qui, une fois de plus, ont frappé un grand coup [non, nous ne sommes pas actionnaires J], le désormais célèbre béret vert se livre au travers d’un récit très intime, essentiellement tourné vers son enfance, son adolescence errante, puis son adhésion corps et âme à la grande famille des Commandos. On peut imaginer qu’il lui a fallu du courage pour « vider son sac ». Nous savons qu’il a hésité, jusqu’à la dernière minute, avant la publication. Mais finalement, il s’est lancé. Et c’est tant mieux, car l’histoire est belle.

Je pense, je ressasse, je réfléchis et j’imagine. Je m’amuse à faire défiler ma vie comme si je tournais les pages d’un livre. Mes souvenirs, mes actions passées et mes désirs s’entremêlent pour évoquer une histoire qui me fait tantôt sourire, tantôt frémir, tantôt souffrir.

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Ces coups que je distribue sont l’expression brutale et sincère de ce que je ressens au fond de moi, comme un ressort tendu à l’extrême qui me brûlerait les entrailles et se détendrait d’un coup sec pour mettre mes poings en branle à la moindre contrariété, au moindre danger. Je sens cette brulure qui me tenaille depuis mon enfance, cette violence qui occupe un espace laissé vacant par le manque d’amour et qui transforme mon visage, m’avertit que je vais frapper sans que je puisse retenir mes coups, sans que je puisse trouver d’autre issue pour résoudre les problèmes. Des millions d’images se bousculent alors dans ma tête et m’aveuglent au point que j’en arrive toujours à cette même extrémité : frapper, frapper et frapper encore avant de me faire frapper. Quand vous n’avez pas d’amour à donner, vous prenez l’habitude de purger votre corps de la rage qui l’habite en frappant.

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Le jeune enquêteur me fixe à nouveau, hésitant quelque temps avant de se décider à parler : « Je ne cautionne pas ce qui vient de se passer, mais vous savez à quelle impasse mène la direction que vous êtes en train d’emprunter (…) Je ne suis ni votre père, ni votre avocat et je dis cela sans jugement aucun, mais chacun doit avoir une chance de changer sa vie. Vous avez fait votre service militaire ? Non ? »

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Ecole des Fusiliers Marins

Les instructeurs terminent leurs monologues respectifs par une déclaration laconique dont nous ne saisissons pas encore toute la portée : « L’entraînement ne s’arrête jamais ». Je bois ces paroles et je me sens bien. Je vais pouvoir me prouver à moi-même que je suis capable de faire quelque-chose de ma vie, je vais pouvoir m’engouffrer dans cette porte qui s’ouvre devant moi pour saisir ma chance sans tergiverser, ni négocier, ni magouiller.

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Photo Emmanuel Donfut / Balao 

J’achève mes 50 mètres puis j’effectue un joli plongeon en canard pour aller arracher une poignée de vase au fond de l’océan. Cette vase, que je sens glisser entre mes doigts, m’apparaît à cet instant plus précieuse que tout l’or du monde, plus précieuse que n’importe quel sac de pièces que j’aurais extrait de l’épave d’une frégate corsaire. Je remonte rapidement à la surface en prenant garde qu’elle ne m’échappe pas des mains, puis je nage vers le ponton afin de révéler à l’instructeur mon trésor de boue et de sable à l’odeur d’algues. Je brandis alors mon poing enserrant la vase comme si j’avais décroché la plus belle des victoires. 

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Stage Commando

Les murs de tôle glacée semblent transpirer la peur de tous les stagiaires qui sont passés par là, en y laissant un peu d’eux-mêmes. La douleur et la peine de ceux qui ont échoué sont presque palpables, mais je devine aussi l’esprit de ceux qui sont allés jusqu’au bout de leur souffrance dans l’humilité, qui ont remporté une victoire sur eux-mêmes dans la tourmente, de ceux dont la joie intérieur qui subsiste en ces lieux agit comme un aimant pour les plus motivés d’entre nous. Mes sens sont d’ailleurs aiguisés comme ceux d’un animal prêt à se lancer dans l’arène.

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Nos gestes sont secs, économes, précis et efficaces. La plupart des stagiaires ont développé un instinct animal qui leur permet de faire preuve d’une extrême vigilance, le regard aux aguets, l’ouïe sensible au moindre bruit. Telle une meute de loup en situation d’insécurité permanente, nous avons pris l’habitude de cohabiter et nous avons développé les réflexes nécessaires à notre survie collective. Notre corps s’est transformé en machine prête à réagir au moindre signe d’alerte. Nous avons adopté de nouvelles attitudes et nous analysons tout ce qui nous entoure, sur le qui-vive en permanence.

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A peine ai-je le temps de jeter un coup d’œil à mes camarades dont je suis aujourd’hui le chef d’équipe, que nous commençons à nous mettre à l’eau. Encore une fois, nous procédons de la manière la plus discrète possible. Pas de plouf comme à la piscine, mais une lente immersion qui provoque comme une interminable décharge électrique dans tous le corps. L’eau glaciale paralyse rapidement tous mes membres et raidit ma nuque jusqu’à la transformer en barre de fer. Pour lutter contre ce phénomène, j’immerge deux fois ma tête sous l’eau les yeux ouverts, distinguant les jambes de mes compagnons qui battent dans l’eau comme si je regardais un film flou aux teintes verdâtres.

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Les stagiaires que nous sommes se sont métamorphosés. Nos visages, plus marqués qu’avant, ne sont plus les mêmes. Un regard ou un geste suffit pour communiquer entre nous. Nous ne nous parlons pas beaucoup, mais nous nous comprenons très vite. Nous partageons les mêmes objectifs et avançons dans la même direction. Efforts et réflexions individuelles sont mis au service de la collectivité.

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Le discours du commandant terminé, le maître de cours s’avance pour saisir la dague gravée dont la lame, bien protégée dans son fourreau, attend son récipiendaire. Il est accompagné de Léon Gautier, vétéran du débarquement du 6 juin 1944 et président de l’Amicale des Commandos français, qui tient dans ses mains le brevet portant le badge 6490. Les deux hommes se tiennent devant nous, immobiles et impassibles, dans l’attente que le commandant de l’école, droit et solennel derrière son pupitre, annonce l’identité du major de stage. « Major de stage commando 59, matelot Alain A. sortez des rangs ! ».

Cette annonce résonne en moi comme un coup de tonnerre (…) Je pense à mon père qui n’est plus de ce monde. Je pense à tous ces gens qui m’ont toujours considéré comme un cancre et un bon à rien. Je pense à mes anciens camarades, à mon ancienne vie, à ce qui m’attend. Je pense à mille choses toutes différentes les unes des autres sans véritablement réaliser ce qui m’arrive. Mon corps est parcouru de frissons, des larmes qu’il me faut absolument contenir me montent aux yeux et je déborde de fierté tout en essayant de n’en rien montrer. Enfin, je sors des rangs comme un automate afin que Léon Gautier [Commando Kieffer, vétéran du Débarquement] puisse me coiffer du green beret.

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Marius poursuit son autobiographie au-delà de ce moment si symbolique qu’a été la remise de son brevet et de son béret vert, mais il reste discret sur ses missions au sein du commando de Montfort qu’il a rejoint. Ceci nous vaut cependant des anecdotes savoureuses : bas-fonds de Djibouti, bataille rangée dans un restaurant de Venise, rôle d’instructeur Commando (la boucle est bouclée), genèse du film « Forces Spéciales »… 

Mais l’essentiel de son récit est bien dans sa rédemption et sa découverte de lui-même au sein de la Marine. 

Est-ce que tout était écrit pour que le voyou marseillais soit trouvé un matin sur un parking, le corps criblé de balles, comme ce fût le cas pour un de ses camarades de perdition ? Est-ce que la chance a « contrarié » un destin écrit d’avance ? Si c’est le cas, cette chance s’est manifestée souvent : rencontre avec un policier bienveillant, rencontre avec une femme, rencontre avec les Commandos Marine... 

La chance a bon dos. Aide-toi, le Ciel t’aidera. 

Il n’y a pas de destin.

 

***

 

1334822.jpegAlain A. dit Marius est né dans un milieu modeste de la région marseillaise, élevé dans un contexte familial « compliqué ». Après une adolescence faite d’errance et de larcins, doublé d’un caractère violent, tous les éléments sont réunis pour que Marius s’enfonce dans la grande délinquance. En 1984, à l’issue d’un énième forfait, une rencontre salutaire avec un inspecteur de Police éclairé change la donne : Marius rejoint l’école des Fusiliers Marins de Lorient, puis le stage Commando dont il sort major. Affecté au Commando de Montfort, il est déployé notamment au Liban, à Djibouti, en Côte d’Ivoire. Il termine sa carrière comme instructeur à l’école des Bérets Verts. Il quitte la Marine en 2006 pour poursuivre une carrière dans la sécurité. En 2011, il est repéré par le réalisateur Stéphane Rybojad qui lui confie un rôle dans son film « Forces Spéciales », aux côtés notamment de Diane Kruger, Benoît Magimel, Tchéky Karyo… 

Marius est marié à Nolwenn à laquelle il rend un vibrant hommage dans le livre et fier papa de Yoann, Maxime et Lukas.

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Marius et Nolwenn au Cercle National des Armées - Photo © Natachenka

Je dois tout à ma femme, qui m’accompagne aujourd’hui encore et qui n’a jamais cessé de m’aimer, qui a su garder toute son énergie pour vivre auprès d’un forban capable d’inventer mille raisons pour camoufler son hyperactivité qui le brûlait de l’intérieur comme un feu dévorant.

 

Page FaceBook officielle de Marius ici.

 

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Rencontres avec Marius – Cercle National des Armées, Soirée des Editions Nimrod, Salon du Livre 2014

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Prix : 21 € - ISBN 978-2915243550 - format 22,8x15 – 384 pages - Cahier photo couleur

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Aux éditions Nimrod

Livre disponible ici.

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 DVD Forces Spéciales 

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Forces Spéciales, notes de production et sources d'inspiration : Le livre du film de Stéphane Rybojad

Prix 34,90€ - ISBN 978-2915243420 – Format 30,2x24,4 – 144 pages

Aux éditions Nimrod – Disponible ici.

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Portez l’esprit Marius !

Motivex & Moraline est une nouvelle marque de vêtements inspirée par le parcours et les valeurs de Marius. En collaboration avec Nimrod. Site de vente ici

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Bibliothèque « Commandos Marine et Fusiliers Marins »

(non exhaustif)

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A paraître en mai : "Le commando Kieffer - Les 177 Français du D-Day" par Jean-Marc Tanguy. Editions Albin Michel en collaboration avec le Ministère de la Défense. Disponible ici.

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Hommage

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© Chemin de Mémoire Parachutiste 

 

Aux Commandos Marine morts pour la France en Afghanistan :

Maître-Principal Loïc Le Page, Commando Trepel,

Maître-Principal Frédéric Paré, Infirmier Fusilier-Commando,

Second-Maître Jonathan Lefort, Commando Trepel,

Second-Maître Benjamin Bourdet, Commando Jaubert,

Aux Commandos Marine et Fusiliers Marins morts pour la France, morts en service commandé,

Aux blessés. 

"A lui l'immortalité, à nous le souvenir, car tant que nous honorerons sa mémoire, son sacrifice aura un sens et il continuera à vivre intensément en nous"

Général de corps d’armée Maurice Le Page, aux obsèques de son fils le MP Loïc Le Page.

 

 ***

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Marius remet le béret vert à l’occasion du stage Commando 123. Partant du principe que réussir le stage est un honneur, quel que soit le rang de sortie, il a choisi de remettre en personne, en tant que maître de stage, le béret vert au stagiaire classé dernier. 

 

Je reste persuadé que l’homme, quelles que soient son éducation, son origine ou ses racines, garde toujours en lui une étincelle qui peut lui permettre de changer et d’évoluer dans le droit chemin. Pour y parvenir, pour transformer cette étincelle en flamme, il lui faut cependant l’entretenir et la stimuler, avoir le désir, l’envie et la volonté de changer, mais aussi le courage d’affronter le regard des autres et d’écouter les conseils qu’ils peuvent vous donner. Bien des hommes se murent dans leurs certitudes privant cette étincelle de la moindre molécule d’oxygène et l’amenant ainsi à s’éteindre définitivement.

Marius

 

 

 

 



10/04/2014

« Blessé de guerre », SCH Jocelyn Truchet, 13e BCA. Autoédité.

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Tous droits réservés.

 

 

 

Apprends à écrire tes blessures dans le sable et à graver tes joies dans la pierre.

Lao Tseu

 

« Ce garçon a la pêche et donne la pêche ». Voici exactement ce que nous avons pensé, après avoir écouté le SCH Jocelyn Truchet lors de ses interventions dans deux cafés littéraires mili. Rien d’étonnant à ce qu’un jeune-homme de 25 ans, Chasseur alpin, sportif, ait et donne la pêche, nous direz-vous. Rien, si ce n’est que Jocelyn est un grand blessé de guerre, amputé de la jambe gauche...

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Jocelyn Truchet est bien connu dans la fraternité mili. Nous avons tous entendu parler de lui, nous connaissons tous les photos émotionnellement très fortes de Philippe de Poulpiquet le concernant, mais rappelons les faits : en 2009, le SGT Truchet est déployé en Afghanistan avec le 13e BCA qui forme l’ossature du GTIA « Black Rock ». Après 6 mois de combats intenses, à quelques semaines de la fin de la mission, un IED est déclenché au passage de sa patrouille. Très grièvement blessé, le corps criblé d’éclats, il devra être amputé de la jambe gauche, perdant aussi l’usage de plusieurs doigts d'une main. 

Sans présager, évidemment, de l’issue tragique de sa mission, Jocelyn a pris soin de noter chaque jour ses actions et celles de ses camarades en Kapisa, poursuivant ses écrits à l’hôpital et lors de sa rééducation. Et c’est ce journal de marche, revu avec la collaboration de Bruno Pasdeloup, qu’il a eu la bonne idée d’éditer.

Morceaux choisis :

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Le 13e BCA avant son départ et en vol pour l’Afghanistan © C. Batardin 

2.12.2009. Les moteurs rugissent et les roues quittent le sol : nous quittons notre terre, notre France. Je regarde par le hublot les dernières lumières de la côte qui s’éloigne. Direction Abu Dhabi, notre seule et unique escale avant Bagram ; avant la guerre.

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Jocelyn - Séance de tir au HK416

31.12.2009. Dans une heure, nous aurons les ordres pour partir à la recherche des journalistes [Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier] kidnappés. D’habitude, il est naturel pour nous de nous exposer sous le feu de l’ennemi pour un de nos camarades, mais ici, c’est pour des inconnus que nous allons mettre notre vie en jeu. Nous n’avons pourtant aucune hésitation : ils sont Français et si notre modeste action peut nous permettre de les sortir de là, nous le ferons sans hésiter. En espérant qu’ils sauront se souvenir des efforts et des risques entrepris par chacun d’entre nous pour les libérer…

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Math, blessé lors du combat du 11.5.2010 - L’auxsan (auxiliaire sanitaire) délivre les premiers soins © D.Geffroy@Armée de Terre

8.1.2010. Math repère un mec armé d’un RPG [roquette] qui se lève et fait feu sur lui. Il tire sa FLG [grenade à fusil] dans sa direction, mais la roquette explose à trois mètres de lui contre le mur. Math et mon tireur minimi [mitrailleuse] sont plaqués au sol par le souffle de l’explosion. Ils se relèvent et basculent dans la ruelle, avant que Math ne s’écroule au sol. Nous le faisons évacuer rapidement par l’arrière, craignant que l’adrénaline ne l’ait empêché dans un premier temps de sentir une blessure. Il est sonné et il n’entend plus rien. Après quelques minutes, il se relève mais est toujours sourd. Nous tirons quatre grenades à fusil en direction du tireur RPG. Derrière le muret où nous sommes, des tirs claquent. Est-ce les C20 ? Nouvelle rafale : finalement, ce sont des tirs d’insurgés. Deux de mes gars passent leurs flingues par-dessus le muret et lâchent des rafales à la libanaise. Ils essaient visiblement de nous contourner, il faut accélérer…

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Opération Minautore 2 - 5.3.2010 – l’un des nombreux plans du livre

10.1.2010. Les deux missiles font mouche sur le compound [maison afghane] en même temps et une seule explosion parvient à nos oreilles. Les insurgés se calment et nous décrochons en tirant une roquette de 89 mm pour couvrir notre rupture de contact. Nous courons vers le wadi [canal d’irrigation] situé à 400 m derrière nous. Les 35 kg d’équipements que nous portons sur le dos commencent à se faire sérieusement sentir et il faut motiver les gars pour qu’ils ne s’arrêtent pas. J’ai l’impression que certains vont tomber en syncope, les visages sont blancs.

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19.1.2010. Même après 12h de sommeil, je suis complètement naze. Les organismes des gars sont mis à rude épreuve par la difficulté des opérations. Le rythme des opérations est particulièrement éprouvant lors de ce mandat mais le moral des gars est au beau fixe. C’est l’essentiel.

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Enguerrand Libaert lors d’une mission de sécurisation de convoi © C. Perruchot@Armée de Terre

9.2.2010. « - Ca veut dire quoi Delta Charlie Delta ? – Décédé » Moment d’hésitation chez nous… « - Il y a un mort chez 20 alors… - Tu es sûr d’avoir bien entendu ? »

Finalement la nouvelle tombe : Il s’appelle Enguerrand Libaert. Les plus jeunes de la troupe sont anéantis. C’était leur pote et il avait fait ses classes avec pas mal de mes gars.  Nous nous occupons d’eux autant qu’on le peut, mais que dire pour réconforter devant une cette tragédie ? Il faut qu’ils restent concentrés, la mission continue.

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Une rare pause : Barbecue Chasseur à Tagab. Jocelyn au centre.© N. Deshayres 

25.2.2010. Nous sommes réveillés par un tir de Chicom [roquette] qui explose en plein cœur de la base. C’est reparti pour une demi-heure d’attente dans les bunkers (…) Ces alertes, le plus souvent nocturnes, offrent parfois des visions assez cocasses. Soldats en tongs, caleçon et gilet pare-balle, l’arme à la main et le cheveu hirsute.

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Repas chez le vendeur de foulards du camp Warehouse – Jocelyn 2nd à partir de la gauche

11.3.2010. « Vacances » au camp Warehouse de Kaboul. Nous sommes invités à manger chez le marchand de foulards. Grand moment, nous mangeons en tailleur assis par terre et goûtons tous les plats (…) Nous sommes vites calés par ce repas gargantuesque ! (…) Lorsque nous quittons le camp, l’Américain en faction à la porte lève son poing au son de « Kill ! Kill ! Kill ! »

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Jocelyn et ses hommes en patrouille 

8.4.2010. Début des fouilles dans le village (…) J’arrive à communiquer avec les habitants grâce à l’interprète. Ils me disent qu’il n’y a aucun de Talibans ici (…) Soudain, un RPG [roquette] explose 50m à notre gauche, suivi de rafales de PKM [Kalachnikov]. Nous courons jusqu’au compound situé à une trentaine de mètres. La moitié de mon groupe est parvenu à passer le découvert et l’autre se retrouve bloqué par les tirs. Deux missiles Milan sont tirés et l’artillerie envoie du lourd (…) Un gars de la section 12, complètement assourdi par l’explosion, détale à toute allure en voyant ses camarades courir, dépassant même ses collègues qui doivent le rattraper pour l’arrêter. Nous continuons notre progression vers le col en traversant quelques compounds. Quelques balles sifflent encore au-dessus de nos têtes tandis que nous bondissons derrière les seules protections du coin, des cailloux gros comme des ballons de foot (et encore, pas bien gonflés…) (…) En descendant du col, notre interprète est à côté de moi et je lui dis « Il n’y a pas d’insurgés ici ! » avant de partir dans un fou rire tous les deux.

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Reconnaissance d’une route par le Génie © N. Deshaires

20.4.2010. Pot d’anniversaire du Première Classe Ludwig, le gars qui a découvert l’IED [engin explosif improvisé] aujourd’hui. Un beau cadeau pour lui : 20 ans, 20kg d’explosif.

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Jocelyn lors de son évacuation après l’explosion de l’IED © D. Geffroy@Armée de Terre

16.5.2010. Je me sens projeté. Dans les airs, mon esprit travaille très vite et je me demande ce qu’il m’arrive. Ai-je marché sur une mine ? Peu probable car le chemin est très emprunté par les paysans du coin et une section est déjà passée devant moi. Un tir de RPG ? Difficile à croire car je n’ai pas vu le départ du coup. La dernière solution : un IED, sûrement déclenché à distance par téléphone. Quelques secondes plus tard, qui me paraissent une éternité je me retrouve au sol sans air dans les poumons pour reprendre mon souffle (…)

« Putain tu vas quand même pas crever comme ça juste parce que tu n’arrives pas à reprendre ton souffle ! » Puis je me rends compte que j’ai de la terre plein la bouche.

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Jocelyn à Percy

30.5.2010. Autour de moi, une chambre d’hôpital tandis qu’au dehors résonne le bruit des klaxons de la vie parisienne. On m’apprend la nouvelle : je suis à l’hôpital Percy, à Clamart. Mon opération à Bagram a duré dix heures et s’est soldée par l’amputation de ma jambe gauche à mi-cuisse. J’ai du mal à y croire. Je regarde pendant de longues minutes l’emplacement où devrait se trouver ma jambe.

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Photo © Philippe de Poulpiquet

Juillet 2010. Jour après jour, la routine de l’hôpital s’installe. Réveil à la même heure, petit-déjeuner, séance de kiné, de sport et d’ergothérapie le matin. Encore une séance de kiné l’après-midi puis de balnéothérapie et enfin les visites de fin de journée. Tous les jeudis, deux hommes de mon bataillon viennent prendre de mes nouvelles. Ça  fait plaisir de voir la tête de mes compagnons d’armes. Par ailleurs, ils me permettent de remplir mon tiroir de friandises, sur lequel je veille jalousement depuis mon lit.

Peu à peu, j’apprends à apprivoiser mon nouveau corps, à accomplir les gestes simples du quotidien avec mon handicap ; j’apprends à revivre, tout simplement.

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Jocelyn décoré aux Invalides

12.10.2010. A l’hôpital, je m’étais lancé un défi : si tu reçois une médaille, tu le feras debout ! Lorsque j’ai appris la nouvelle de ma décoration, il me restait trente jours avant le Grand jour. Trente jours pour me tenir droit sur les pavés des Invalides. Trente jours avant aujourd’hui.

 

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(Re)conquête de l’Arête des Cosmiques © 27e BIM

27.6 .2012. Nous arrivons enfin au dernier gros obstacle de l’ascension : une falaise granitique de 20 m de haut, verticale, qu’il nous reste à escalader avant de basculer sur la face nord pour la dernière partie de notre périple. Un épisode rendu délicat par l’impossibilité de plier ma jambe gauche mais que je parviens malgré tout à surmonter avec l’aide de mes compagnons de cordée. Après six heures de travail en équipe, j’atteins enfin la terrasse sud et ses 3842 m sous les applaudissements des gens présents. Pour la quatrième fois de ma vie, mais pour la première fois sur une seule jambe.

 

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***

Si nous gardons une place toute particulière dans nos cœurs aux morts pour la France, n’oublions pas les blessés. Plus de 700 en Afghanistan. N’oublions pas non plus les victimes du stress post-traumatique, estimées à 1000.

Le courage, le soutien de ses proches, de ses frères d’armes, d’organismes tels que la CABAT, Solidarité Défense ou Terre Fraternité, ont permis à Jocelyn de parcourir le long chemin vers la guérison et l’acceptation son handicap.

Selon la formule consacrée, « il mérite d’être cité en exemple » pour les blessés qui sont encore sur ce chemin et auxquels nous pensons avec affection.

« Perdu, déstabilisé, isolé dans sa souffrance, il est ainsi depuis son retour d’Afghanistan, voici plus de deux ans… Seul le désespoir empêche de croire à des jours meilleurs. Or toute la richesse du cœur de l’homme se résume à l’espérance que nous ne devons jamais perdre. Il nous faut espérer pour lui et avec lui, car l’espérance est souvent ce qui reste quand tout est parti à vau-l’eau. Le travail d’accompagnement sera long, mais il  n’est pas permis de croire à son échec. »

Padre Jean-Yves Ducourneau, aumônier militaire, « L’autre combat ». Ed. EdB.

 

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10014574_706562136033139_2006481245_n.jpgNé dans la vallée de la Maurienne, c’est naturellement vers les troupes de Montagne que le cœur de Jocelyn Truchet penche lorsqu’il s’engage : il rejoint le 13e BCA de Chambéry. En 2009, alors Sergent, il est déployé en Afghanistan avec le GTIA « Black Rock » commandé par le COL Vincent Pons, chef de corps du 13. En fin de mandat, il est très grièvement blessé par l’explosion d’un IED, qui impose l’amputation de la jambe gauche. Soutenu par sa famille et ses frères Chasseurs alpins, Jocelyn prend sa rééducation comme un nouveau combat, se fixe des objectifs ambitieux. Grand sportif, il retrouve les murs d’escalade, les pistes de ski et de multiples handisports. Il participe notamment au « Wounded Warrior Trial 2013 » [Challenge des blessés de guerre] à San Diego aux Etats-Unis dans les épreuves de tir et natation où il se distingue avec la médaille de bronze en 50m dos (l’équipe française terminant 2nde dans le classement des médailles derrière les USA). Retrouvant sa place parmi ses frères Diables bleus du 13, le désormais Sergent-Chef Truchet a intégré la cellule Communication du bataillon. Il vient de terminer une formation délivrée par l’ECPAD.

Le SCH Jocelyn Truchet est titulaire de la Médaille Militaire.

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Dans la reconstruction physique et psychologique de Jocelyn, il convient de saluer le soutien apporté par la CABAT, Solidarité Défense et Terre Fraternité, en premier lieu sur les aspects financiers liés à sa prothèse de jambe « high tech » (coût du genou articulé : 55 000 €…).

Saluons aussi Anne-Claire, sœur de Jocelyn, aussi sympathique qu’active dans la promotion du livre.

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Prix 22€ - ISBN : 978-2-7466-6634-4 – Format 25x21- 155 pages

Jocelyn a décidé d’autoéditer « Blessé de guerre ». Il mérite d’autant plus d’être soutenu, ayant engagé les fonds nécessaires à la publication. Le livre est très beau, format à l’italienne, papier de qualité, magnifiquement illustré de photos inédites et des plans des engagements (bonne idée). Il est disponible sur le site de Jocelyn ici. Dédicace possible.

Page FaceBook officielle ici.

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Jocelyn et le 2nd auteur Afghaner du 13e BCA : le LCL Bernard Gaillot, auteur de « De l’Algérie à l’Afghanistan ». Voir ici.

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Rencontres avec Jocelyn – Café littéraire de l’Alliance Géostratégique ; Café littéraire au Carré Parisien ; Salon du Livre 2014. Pour l’anecdote : nous avons joué les figurants avec notre complice de Mars Attaque, lors d’une interview par une équipe de France 3. Nous vous préviendrons de la diffusion du reportage (en mai, semble-t-il).

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Bibliothèque "Chasseurs en Afghanistan"

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Hommage 

Aux diables bleus morts pour la France en Afghanistan :

Adjudant-Chef Franck Bouzet, 13ème BCA,

Adjudant Laurent Pican, 13ème BCA,

Caporal Nicolas Belda, 27ème BCA,

1ère Classe Eguerrant Libaert, 13ème BCA,

1ère Classe Clément Chamarier, 7ème BCA.

A tous les morts pour la France en Afghanistan,

Aux Chasseurs morts pour la France.

Aux blessés. 

 

Avec le salut fraternel du Chasseur et de la Russe-blanc

 

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Diables bleus en Afgha – Jocelyn sur le VAB, 2nd à partir de la droite. © D.Geffroy@Armée de Terre

La guerre d’Afghanistan s’achève et ses protagonistes entrent peu à peu dans l’oubli. D’autres conflits font leur apparition, au Mali ou ailleurs. Mais les blessés de guerre porteront toute leur vie le vivant témoignage de leurs batailles. Quatre ans plus tard, ma blessure est toujours là et ma souffrance physique quotidienne. Je ne pense pas m’en débarrasser un jour. Lorsque mon nerf me lance, j’ai le sentiment que ma jambe coupée est toujours là et que c’est elle qui me fait souffrir. Les médecins appellent cela « le membre fantôme ». Je serre les dents, je me plie en deux sous la douleur et j’attends que la souffrance passe. Ce fantôme va et vient plusieurs fois par jour et apparaît sans prévenir. Avec le temps, j’apprends à vivre avec lui. Cela fait partie de mon sacrifice. Je ne m’en plains pas et je ne regrette rien.

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Photo © Bruno Pasdeloup

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

19/03/2014

« Une vie dans l’ombre », COL Thierry Jouan, 1er RCP, DGSE. Ed. du Rocher

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Tous droits réservés.

 

 

Ceux qui me lisent savent ma conviction que le monde temporel repose sur quelques idées très simples, si simples qu'elles doivent être aussi vieilles que lui : la croyance que le bien vaut mieux que le mal, que la loyauté l'emporte sur le mensonge et le courage sur la lâcheté. Enfin, que la fidélité incarne la suprême vertu ici-bas. Pour le reste, la joie et la douleur en ce monde se pénètrent mutuellement, mêlant leurs formes et leurs murmures dans le crépuscule de la vie aussi mystérieuse qu'un océan assombri.

Joseph Conrad

 

 

Vous connaissez tous le mythe d’Icare. Lire  « Une vie dans l’ombre » du Colonel (er) Thierry Jouan, Saint-Cyrien, 1er RCP, agent de la DGSE, aide de camp du prince Albert de Monaco vous en proposera la version moderne, d’un militaire qui s’est trop approché du soleil…

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Certes,  « Une vie dans l’ombre » est un récit autobiographique d’espion comme son titre l’indique, mais pour d’évidentes raisons de secret défense, le Colonel Jouan reste discret sur son action, tant comme agent de la DGSE qu’aide de camp du prince Albert. On le comprend. Ne vous attendez donc pas à des crimes d’état ou des scoops sur les « people » de la Riviera. C’est dans un tout autre registre que l’auteur se place, celui de l’intime, de son rapport à la vie, de ses excès, de ses désillusions, de sa reconstruction.

Ambitieux (au bon sens du terme), un rien idéaliste, Thierry Jouan mène sa vie comme un combat et tout lui sourit : beau gosse, petit banlieusard portant fièrement sabre et casoar à Saint-Cyr, officier béret rouge au 1er RCP, repéré par la DGSE pour intégrer le 11e Choc… Icare prend son envol. Mais vous connaissez l’histoire. Confronté à plusieurs expériences traumatisantes lors de missions pour le compte du Service Action (kidnapping en Extrême-Orient, Rwanda…), un avancement chaotique dans la hiérarchie de la DGSE, de probables maladresses… le doute s’installe et avec lui son cortège de « petits travers » : le whisky est consommé avec moins de modération, l’épouse et les enfants sont négligés…

Reste que le soleil est toujours aussi attractif pour Icare, sous la forme d’un poste prestigieux à Monaco…

Morceaux choisis :  

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Thierry Jouan à l’ESM

Pas d’officier ni de chef d’entreprise, encore moins de prêtre dans notre famille. Je n’étais pas prédisposé à une carrière dans les hautes sphères mais je voulais réussir à « être » quelqu’un dans ma vie, réussir une carrière en partant de zéro.

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Au 1er RCP

Fin 1983, je suis lieutenant de l’armée française, chef de section à la compagnie d’instruction du 1er Régiment de Chasseurs-Parachutistes, ce magnifique régiment d’appelés du contingent (…) Je profite enfin de ma vie, de ce que je suis devenu à la force du poignet. J’ai acquis une petite notoriété professionnelle, une petite autonomie financière, avec ma rage et ma volonté de réussir.

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CPES [Centre Parachutiste d'Entraînement Spécialisé] : premier saut dans le vide

Il me dit qu’il est l’officier en charge du recrutement des futurs agents du Service Action de la DGSE et que mon profil l’intéresse. Il me donne son nom mais je ne le retiens pas, préférant retenir les mots « 11e Choc », « Service Action », « DGSE », « Agent »…

« Alors, cela vous intéresse ? »

Et la réponse est oui. Thierry Jouan rejoint Cercottes où il restera 12 ans, entre un rôle d’instructeur au CPES et des missions extérieures pour le compte du Service Action, dont certaines tourneront au cauchemar.

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Thierry Jouan à gauche, en mission de formation d’un groupe dit « révolutionnaire » en Afrique de l’ouest

Méthodiquement, à la lueur de nos lampes frontales, nous nous déshabillons, nous nous lavons avec l’eau que nous avons stockée au camp de base, nous nous changeons et nous nous restaurons. Ce n’est qu’ensuite que nous décidons de parler et d’aborder les sujets marquants de ces dernières heures. Que s’est-il passé ? Avons-nous commis une erreur d’instruction ou de commandement ? De quoi devons-nous rendre compte à nos supérieurs ? Il est deux heures du matin mais nous ne pouvons pas nous résigner à aller dormir, tant que nous ne trouvons pas de réponses à toutes nos questions. Et bien sûr Grégory, qui s’était bien gardé d’aborder la question de l’enfant, me regarde droit dans les yeux et me la pose. Après quelques secondes de réflexion je lui réponds avec franchise et honnêteté : « J’ai fait ce que tu ne pouvais pas faire. »

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Miliciens Interahamwe Hutu, à Kigali en avril 1994

En 1994, sous couverture d’un organisme humanitaire, Thierry Jouan est envoyé à Kigali, au Rwanda, en plein génocide. 

Je lui montre le chargement de mon camion, des médicaments et rien que des médicaments. Il a l’air rassuré mais en redescendant de la cabine arrière, je le vois se crisper sur sa machette. J’ai le réflexe de lui dire qu’il ne doit pas faire de bêtise car, peut-être, cette nuit il sera blessé et il sera bien content d’avoir des médicaments à ce moment-là pour le sauver. Il me regarde, me sourit bêtement, et me dit en caressant mon torse avec la lame de sa machette ensanglantée : « Moi blessé ? Jamais. Je mourrai au combat mais je ne serai pas blessé. De toute façon, dans moins d’une semaine, on est tous morts ».

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Photo © Abdelhak Senna/AFP

Une odeur pestilentielle flotte dans toute la ville. Elle vous suit où que vous alliez. Elle est plus ou moins forte en fonction des quartiers, en fonction des zones où les premiers massacres ont dû se perpétrer. En y regardant de plus prêt et en roulant doucement, on distingue nettement, dans pratiquement tous les jardins de toutes les maisons, des corps recouverts d’un nuage noir. (…) La particularité du nuage est qu’il est bruyant et surtout très mobile rendant complètement flou la vision de ce cadavre. Des mouches.

Je m’enivre copieusement avec des grandes rasades de whisky, puis je m’enfile dans les narines, non pas de la cocaïne, mais des cotons tiges que j’ai soigneusement imbibés d’after-shave pour que cette satanée odeur me laisse dormir.

Il faut que je me réveille, c’est un film d’horreur.

Quelque chose est brisé. Nous ne sommes plus les mêmes. Je suis ailleurs, dans un autre monde. Mon cerveau a été court-circuité par je ne sais quoi. Je suis sur une autre planète.

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L’épuisement se fait très rapidement sentir lorsque vous ne dormez que trois petites heures par nuit. Alors, je me shoote au café, à la vitamine C et au Guronsan pour tenir le coup (…)  [Mais] combien de fois me suis-je endormi dans le métro ou dans le bus ? Combien de fois me suis-je assoupi en mangeant mon steak tartare dans une brasserie parisienne, seul, en m’éloignant le plus possible du monde extérieur ?

Je bosse comme un fou ce concours [pour intégrer l’Ecole de Guerre]. Mais malheureusement, mes nuits commencent à être agitées par des cauchemars. J’ai du mal à dormir. J’ai du mal à me concentrer sur mes cours par correspondance avec un verre ou deux d’alcool, en même temps que j’essaie de résoudre un problème d’espace vectoriel ou de transport d’onde magnétique à l’intérieur d’une gaine métallisée. Les effets de l’alcool se font sentir. J’en ressens le besoin.

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[Mon ami X] est affecté en tant qu’aide de camp de SAS le prince héréditaire Albert et détaché de l’armée française. Détaché de l’armée française ? Je n’avais même pas connaissance qu’un tel poste puisse exister ! (…) Il me demande si je suis intéressé par cette fonction, à exercer avec lui, en binôme. Ma réponse est évidemment affirmative. Je suis en fin de potentiel avec le service Action, je suis épuisé de toutes ces missions, je ne suis absolument pas sûr de commander le CPES de Cercottes et encore moins de réussir l’Ecole de supérieure de guerre qui m’assurerait le grade de colonel et un commandement.

Persévérer à Cercottes dans l’ombre et le secret qui lui pèse de plus en plus ? Rejoindre le radieux soleil monégasque ? Ce sera la principauté, pour le meilleur… ou pas. En effet, après 6 ans au service de la famille princière, le grand plongeon :

« Ecoutez, je suis désolé, mais j’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer (silence). Vous partez, vous quittez le palais princier. Je suis désolé ».

Tout faux. J’ai tout raté. Je suis tombé bas, très bas (…) Comme Icare, je suis monté haut, trop haut et je me suis brûlé les ailes. Je suis en train de tomber, je vacille, je me fracasse par terre.

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Thierry Jouan et le COL Sassi à Cercottes.

« Une vie dans l’ombre » pourrait se terminer sur cette note amère. Heureusement, il n’en est rien. Le Colonel Jouan ne se laisse pas couler, l’abandon n’est pas dans ses gènes : il s’envole pour l’Afrique où il va occuper pendant quelque temps un poste de logisticien. L’occasion de se « pauser », de commencer à écrire pour évacuer le « trop plein », de renoncer définitivement à l’alcool.

Expérience salvatrice. Comme une résurrection : il retrouve sa femme et ses enfants, dont on peut comprendre qu’ils ont enduré des moments très difficiles, tire un trait sur le passé sans le renier et trouve dans la foi un nouvel élan. Ainsi le phenix renaît des cendres d’Icare, éclairé par une étincelle de sagesse qui pourrait faire dire désormais à Thierry : mieux vaut réussir sa vie que réussir dans la vie.

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Jouan 1.JPGNé dans un milieu modeste, fils de sous-officier, Thierry Jouan est élevé dans les HLM de la banlieue parisienne. Il est très tôt attiré par l’armée. Considérant sa carrière plus ou moins consciemment comme un ascenseur social, il sera officier ou rien. En 1977, il intègre le collège militaire d’Aix-en-Provence puis Saint-Cyr en 1979 (promotion Lieutenant-Général Marquis de Montcalm). Alors Lieutenant  au 1er RCP, il est repéré par la DGSE qu’il intègre en 1987. Il y passe 12 ans sous le pseudonyme de « Célestin », entre un rôle d’instructeur au CPES et des missions pour le compte du Service Action. Il est notamment présent à Kigali au Rwanda en 1994, sous couverture d’action humanitaire, lors des évènements dramatiques opposant Hutu et Tutsi. En 1999, il est détaché de l’armée comme aide de camps du prince Albert de Monaco. Après 6 ans dans la principauté, il est brutalement remercié. Suit une courte période d’errance psychologique et professionnelle, qui trouvera une issue heureuse. Il est désormais chargé de mission auprès de l’Association des Consuls Honoraires de Monaco.

Thierry Jouan est marié à Jacqueline et fier papa de Marie-Aude et Arnaud.

Il est chevalier de la Légion d’Honneur, décoré notamment de l’Ordre National du Mérite et de la Croix de la Valeur Militaire.

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Prix : 18,90€ - ISBN 978-2268074337 – Format 19,3x16,5 – 319 pages

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Aux Editions du Rocher

Livre disponible ici

 

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Rencontre avec le Colonel Jouan et sa femme Jacqueline au Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr-Coëtquidan 2013. Photo © Natachenka

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J’ai vécu des choses plus ou moins plaisantes, plus ou moins horribles. J’ai certainement fait des erreurs. Un psychologue vous dira qu’il faut toujours prendre le temps de les analyser, afin de rebondir et d’aller plus en avant. Certes. Mais ce qu’oublient trop souvent nos amis psychologues c’est que, peut-être, nous n’avons plus réellement envie de rebondir et plus envie d’aller plus en avant. Ce n’est pas de la résignation mais plutôt de l’abnégation. J’ai désormais simplement envie de jouir du présent, de vivre avec mon temps, avec mes enfants. Essayer de rattraper psychologiquement le retard. C’est tout.

Colonel (er) Thierry Jouan

 

 

 

 

 

 

 

 

10/03/2014

« De l’Algérie à l’Afghanistan – Après Tazalt, avons-nous pacifié Tagab ? », LCL Bernard Gaillot, 13e BCA. Ed. Nuvis

Extraits publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Illustrations : montage de photos d’Algérie (© leurs auteurs) et d’Afghanistan, ces dernières issues de la collection de l’auteur. Tous droits réservés.

 

 

« Pacifier et occuper fortement le territoire par la méthode de la tâche d’huile. Combiner l’action politique et militaire pour prendre possession du pays. Entrer sans délai en contact intime avec les populations. Connaître leur tendance, leur état d’esprit et satisfaire leur besoin pour les attacher, par la persuasion, aux institutions nouvelles »

Le Général Gallieni à ses troupes à Madagascar, 1896-1905

 

 

Le « Bledard » de 1959 et « l’Afghaner » de 2009 ont-ils eu le sentiment d’écrire l’histoire ? On peut en douter : bien « d’autres chats à fouetter » alors qu’ils étaient au contact sur le terrain. Ou alors, peut-être une impression fugace dans le bateau, en voyant s’éloigner Alger la blanche ? Dans l’hélicoptère en jetant un dernier regard vers Tagab ?

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Et pourtant, l’histoire sans guerriers gaulois, cavaliers francs, preux chevaliers, grognards, poilus, résistants,  est un non-sens, n’est-ce-pas ? 

Vous nous savez très attachés aux récits autobiographiques et autres journaux de marche. Mais en hommage à ces hommes qui ont fait, font et feront l’histoire, ouvrons aujourd’hui nos colonnes à un livre original mais particulièrement pertinent qui mêle histoire justement, stratégie et action : « De l’Algérie à l’Afghanistan – Après Tazalt, avons-nous pacifié Tagab ? », du LCL Bernard Gaillot. Un parallèle entre deux guerres qui a le mérite de nous faire « prendre de la hauteur » en abordant des thèmes dont nous avons beaucoup entendu parler : « pacification », « conquête des cœurs et des esprits »... Mais attention, si le LCL Gaillot est bel et bien un historien diplômé, c’est avant tout un soldat, homme de terrain, officier renseignement au sein du GTIA « Black Rock » de novembre 2009 à juin 2010, alors qu’il était Chef de Bataillon au 13e BCA. 

Résumer un tel livre est illusoire, puisqu’il aborde en profondeur de nombreux aspects des deux guerres. Nous nous contenterons donc de quelques extraits, pouvant s’apparenter à des conclusions thématiques.

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Les « Afghaners » sur les traces des « Bledards »

La population française n’a pas bien compris quels étaient les intérêts pour le pays de s’engager dans cette campagne afghane. Contrairement à l’Algérie, la France n’avait pas de lien historique fort avec l’Afghanistan (…) pays très éloigné de la France, avec lequel les échanges économiques demeuraient faibles, dont la population ne parlait pas français et demeurait fortement marquée religieusement et culturellement par l’Islam. De même il n’existait pas dans ce pays de diaspora française (un million d’Occidentaux vivaient en Algérie au début de la guerre) qui aurait eu intérêt à ce que le pays se stabilise. Enfin la menace représentée par les Talibans ne semblait pas aussi directe pour les Français que celle que représentait le FLN en Algérie.

 

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IED en Algérie et Afghanistan (photo de gauche R. Crespel © La Voix du Nord)

Tout un chacun en âge de servir sous les drapeaux peut être envoyé pacifier l’Algérie. La population française en sera d’autant plus touchée que le nombre des soldats projetés augmentera de manière exponentielle [atteignant] 450 000 fin 1957 alors que le service militaire passait à 27 mois […] Le 18 mai 1956 à Palestro, des combattants de l’ALN [Armée de Libération Nationale algérienne] ont massacré 19 appelés tombés dans une embuscade. Les images du massacre furent largement diffusées et provoquèrent un véritable choc parmi cette population métropolitaine qui prenait conscience de l’horreur de cette guerre, mais aussi du fait que leurs proches pouvaient mourir de la sorte. [En Afghanistan] le pourcentage de soldats projetés par rapport à la population française totale (4000 pour 65 millions) est resté assez faible. Qui plus est, l’armée est maintenant professionnalisée et beaucoup [trop, ndlr] de Français considèrent que « ça fait partie des risques du métier que d’être blessé ou tué à la guerre… ». Le 18 août 2008, dans la vallée d'Uzbeen, des Talibans ont massacré 10 engagés tombés dans une embuscade. Les Français prennent alors conscience que si leur pays ne fait pas la guerre contre les Afghans, leurs soldats sont amenés à remplir des missions de guerre complexes et dangereuses.

 

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A gauche photo © M. Flament - A droite : l’auteur avant un vol Nijrab-Tagab

En dehors de quelques manifestations de sympathie lors des événements tragiques qui ont contribué à faire prendre conscience à tous que les soldats français étaient particulièrement exposés en Afghanistan, l’armée française n’a pas senti d’engouement ou même de soutien particulier pendant cette campagne de pacification. Contrairement au « Bledard » soutenu par la majorité des Français parce qu’il œuvrait directement pour la sécurité et les intérêts du pays, « l'Afghaner » menait sa mission en Afghanistan dans la quasi indifférence que quelques manifestations ponctuelles de sympathie venaient rompre.

 

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Artillerie 1959 vs 2009

L’armée en Algérie avait des raisons toutes particulières de s’engager avec détermination dans le conflit. Venger l’affront des défaites récentes [Campagne de 40 et Indochine], retrouver son honneur après avoir le sentiment de l’avoir perdu en abandonnant les Indochinois, prouver à la population française qu’elle était capable de mener à bien les missions confiées par la nation. En Afghanistan l’armée n’était pas mue par de tels ressentiments, elle avait pour objectif beaucoup plus commun pour l'institution militaire de remplir avec professionnalisme et courage les missions complexes et dangereuses qui lui étaient confiées.

 

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En Algérie, la France combattait seule, avait déployé des moyens considérables pour parvenir à ses fins (…). En Afghanistan,  [elle agissait] au sein d’une coalition otanienne largement dominée par les Américains  qui imposaient outre leur effectif bien supérieur à celui  de la somme toutes les nations formant la coalition, leur commandement mais aussi leur langue et leurs choix stratégiques.  L’armée française n’a donc que rarement pu opter pour ses propres choix stratégiques alors qu’elle aurait pu s’appuyer sur sa grande expérience acquise lors des campagnes de pacification qui jalonnent son histoire. C'est après sept ans d'engagement en Afghanistan  que les Américains se sont reportés aux enseignements tirés de la guerre d'Algérie par des officiers français tels que Galula ou Trinquier  pour changer de stratégie et s'engager progressivement vers une approche plus centrée sur les populations.

 

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A droite : inspection du GTIA à Tagab par le CEMA de l’époque, le général Georgelin (préface du livre)

En octroyant les pleins pouvoirs politiques au Général Massu pendant la campagne d’Alger, le gouvernement donnait un signal fort de sa volonté de totalement impliquer l’armée dans l’œuvre de pacification algérienne (…). Il n’en a pas été de même en Afghanistan où l’armée avait un rôle politique plus  limité : soutenir les institutions politiques locales.

 

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A gauche : SAS en Algérie ; à droite : distribution de stylos par les SEO en Afghanistan

En Algérie, les soldats ne se sont pas limités à combattre les fellaghas (…) Le pouvoir politique leur a demandé de s’impliquer beaucoup plus humainement afin de parvenir à reconquérir les esprits et surtout les cœurs des Algériens en remplissant des tâches multiples qui étaient bien éloignées de leur mission première : combattre (…) En Afghanistan aussi, la mission du GTIA et donc par extension du soldat français comportait un volet humain important qui devait participer à convaincre la population locale de choisir la paix proposée par leur gouvernement  en menant principalement des opérations d'influence (contact avec la population, reconstruction du pays) (…) Ainsi, imitant  les « Bledards algériens », les soldats en Afghanistan se transformèrent à leur manière en bâtisseurs, agriculteurs, conseillers pour la reconstruction, réconciliateurs, médecins pour la population, instructeurs de l’armée ou des policiers afghans et diffuseur des messages de la coalition.

 

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A gauche : Bledards, photo Y-G Berges, © ECPAD. A droite : Chasseurs au contact 

En Afghanistan comme en Algérie, les soldats français ont mené des opérations militaires de petite, moyenne ou de grande envergure, visant à prendre l’initiative sur les insurgés dans des zones difficiles d’accès et à les faire renoncer de commettre leurs exactions contre la population ou contre les soldats français. Ces démonstrations de force étaient régulièrement couronnées de succès et outre la déstabilisation des insurgés, elles provoquaient aussi un changement d’attitude de la population, sensible à la victoire du plus fort.

 

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Contrôle des populations. Photo de gauche © IMA 

La population locale constitue le centre de gravité de toute campagne de pacification. Ainsi, que ce soit en Algérie ou en Afghanistan, la mission première des pacificateurs était de conquérir la confiance de la population autochtone pour la faire adhérer à l’Algérie française ou au gouvernement  légal de l'Afghanistan et à ses représentants dans les vallées. Si en Algérie, les soldats français, de par leur investissement et les liens historiques qui rapprochaient les Algériens à leur pays la France (l'Algérie représentait trois départements français), ont parfaitement réussi à isoler les fellaghas en ramenant une très grande majorité de la population dans le giron français, en Afghanistan, cette tâche était beaucoup moins aisée (…) La population de la Kapisa ou de la Surobi n’avait aucun a priori favorable pour les Français qui étaient présentés par les insurgés comme des infidèles puisque chrétiens et comme des occupants puisque, après les Perses, les Anglais ou les Russes, ils occupaient le pays et imposaient leur vision des choses.

 

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A gauche : Saïdaen 1959, © Claude Sabourin ; à droite : l’EM de Black Rock lors d’un rare moment de détente, après la passation des consignes au 21° RIMA  – 1er à partir de la gauche : l’auteur.

La guerre d’Algérie a profondément marqué dans la durée l’Armée française qui en est ressortie certes aguerrie et modernisée mais aussi profondément meurtrie et divisée. La campagne en Afghanistan a contribué à faire progresser une armée qui a pu expérimenter et faire progresser ses matériels les plus modernes, a pu redécouvrir les valeurs du combat interarmes voire interarmées ou interalliés, a pu prouver que ses chefs et ses soldats restaient réactifs et valeureux au combat, comme l’ont été leurs grands anciens.

 

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6e BCA en Kabylie © ECPAD. CNE Thomas et le SGTIA Raven à Tagab en Kapisa 

 

Algérie, épilogue complexe

Le 19 mars 1962, les accords d’Evian octroient l’indépendance à l’Algérie.

Il faut penser à l’amertume des soldats qui, obéissant à des gouvernements successifs, ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Cadres d’active et militaires du contingent se sont donnés entièrement dans ces missions de guerre et de pacification (…) Pour ma part, comme je l’avais dit en rentrant d’Extrême-Orient pour qualifier ce que je venais de vivre en Indochine, une fois de plus sur le bateau qui me ramenait vers la France avec le 15e BCA et voyant disparaître peu à peu la cité blanche d’Alger, à nos officiers aux yeux embués de larmes, j’ai dit : « Quel gâchis. ».

Le COL Desroche aux  membres de l’Association des Anciens Combattants d’AFN, Chambéry, 11.3.2009

 

Évoquer l’œuvre de pacification entreprise en Kabylie représente une tâche douloureuse (…) Mais tous ceux que je rencontre encore aujourd’hui ont gardé un sentiment d’enthousiasme et de fierté qui n’a pas été altéré par le cours de l’histoire (…) Nous nous rappelons en effet que cette œuvre de pacification réussie avait été rendue possible grâce à l’adhésion totale des cadres et des hommes, engagés et appelés, chacun ayant eu à cœur d’apporter sa pierre à l’édifice.

GAL Vouillemin, commandant d’unité de la 2e Cie du 7e BCA, 1958-1961

 

« Monsieur le président, j’ai choisi une direction tout à fait différente de celle du général Salan. J’ai choisi la discipline, j’ai également choisi de partager avec mes concitoyens et la nation française, la honte de l’abandon. Celui et ceux qui n’ont pu supporter cette honte se sont révoltés contre elle. L’Histoire dira peut-être que leur crime fut moins grand que le nôtre ».

Général de Pouilly déposant au procès du Général Salan.

 

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Chasseurs en Algérie et Afghanistan : contact établi avec la jeunesse

 

Afghanistan, épilogue ?

Les soldats en Afghanistan ont rempli la mission qui leur était confiée et ont grandement participé à ce que la France reparte la tête haute de cette campagne de pacification complexe et dangereuse. Ils ont été les acteurs de la mission réussie d’une armée française, qui est parvenue en Kapisa et en Surobi, non pas à neutraliser tous les insurgés, ce qui n’était pas leur mission, mais à les cloisonner, à redonner une part de liberté à la population et à permettre aux institutions locales, et en particulier à l’armée et à la police afghanes, de gagner en efficacité et en autonomie. Le dernier mot reviendra néanmoins à la population locale, qui choisira plus librement qu'elle pouvait le faire avant le début du conflit le parti du pacificateur ou celui de ceux qui s'y opposaient. A terme, la solution en Afghanistan demeurera afghane.

LCL Bernard Gaillot

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photo Bernard Gaillot.jpgIssu de l’EMIA (promotion Schaffar 95-97), le LCL Bernard Gaillot a passé l’essentiel de sa carrière dans les troupes alpines. En 2006-2009, il commande une Cie de l’ESM de Saint-Cyr (promotion Segrétain 2006-2009). Réintégrant le 13e BCA en 2009, il est déployé en Afghanistan, comme officier renseignement au sein du GTIA « Black Rock » de novembre 2009 à juin 2010. Parallèlement, le LCL Gaillot se passionne pour la guerre d’Algérie et en devient l’un des spécialistes, en faisant le sujet de son mémoire de DEA, qu’il soutient à la Sorbonne en 1997. 

Le LCL Gaillot est désormais rattaché à l’état-major de l’OTAN à Mons.  Il intervient ponctuellement dans le cadre de conférences sur son livre, en ouvrant sur les enseignements qu'il tire de cette comparaison originale entre les deux conflits, mais aussi sur les leçons apprises en Afghanistan sur le commandement des hommes en situation extrême, qu'il compare au management en situation de crise dans les entreprises.

Il s’appuie aussi sur son expérience de chef au combat et d'instructeur à Saint-Cyr pour prodiguer des formations au management à des équipes dirigeantes d'entreprise ou à des étudiants de grandes écoles, dans le cadre du nouveau partenariat entre le fond de dotation Saint-Cyr Formation Continue (SCYFCO) et le Ministère de la Défense. 

Bernard est marié et fier papa de 6 enfants.

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L’auteur (à droite) intervenant dans un stage SCYFCO : une armée qui s'ouvre  en partageant son expérience du management en situation de crise aux dirigeants d’entreprise.

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Le Groupement Tactique Interarmes « Black Rock », déployé en 2009-2010 en Kapisa, commandé par le Colonel  Vincent Pons, chef de corps du 13e BCA, était composé principalement de 550 Chasseurs alpins du 13, 60 artilleurs de montagne du 93e RAM, 70 cavaliers de cimes du 4e RCh, 70 sapeurs Légionnaires du 2e REG ainsi que 150 Gendarmes de Saint-Quentin. 

« Sans peur et sans reproche »

Devise du 13e BCA et du GTIA Black Rock

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Prix : 25,65 € (éditeur) - ISBN 978-2-36367-055 –Format 23,8 x 15,4 - 236 pages

 

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Aux éditions Nuvis - Livre disponible ici

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Hommage

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Monument aux morts du 13e BCA, inauguré en 2013

Au Major Franck Bouzet, 13e BCA, mort pour la France en Afghanistan,

A l’Adjudant-Chef Laurent Pican, 13e BCA, mort pour la France en Afghanistan,

Au Caporal Enguerrand Libaert, 13e BCA, GTIA Black Rock, mort pour la France en Afghanistan, 

Le MAJ Bouzet et l’ADC Pican étaient respectivement l’adjoint et le radio du LCL Gaillot à la section URH 13e BCA entre 1999 et 2002.

A tous les Bledards morts pour la France,

A tous les Afghaners morts pour la France,

Aux blessés.

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« Il offre sa poitrine à son destin glorieux,

Il présente au soleil son haut front lumineux,

Et le vent en rafale a balayé ses yeux,

Les tirs ont ricoché sur son cœur généreux.

Un soldat est tombé, illuminant les cieux,

Et offrant à l’air pur son sourire radieux,

Recouvrant son regard d’un voile ténébreux,

Il est mort au combat mais il était heureux. »

Poème de Mme Sylviane Pons, épouse du chef de corps du 13e BCA, en hommage à Enguerrand Libaert

 

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Le LCL Bernard Gaillot et le COL Vincent Pons arborant le drapeau savoyard au-dessus de Tagab

En 1959, les "Bledards" avaient vaincu militairement l’ALN et vaincu politiquement le FLN. On peut donc se poser légitimement les questions suivantes : comment cette double victoire tactique de l’armée n’a-t-elle pu être transformée en victoire stratégique et diplomatique ? Comment une armée victorieuse peut-elle réagir si elle est dépossédée de sa victoire par le pouvoir politique qui analyse différemment la situation ?

LCL Bernard Gaillot

 

Les insurgés arrivent à gagner des guerres en perdant des batailles. Dans ces conditions, la défaite du vainqueur est possible.

Sylvain Tesson, « Haute Tension  - Des Chasseurs Alpins en Afghanistan »

 

 

 

 

 

 

25/02/2014

« Les Larmes de l’honneur », COL Jacques Hogard, 4e RE, 2e REP, commandant le groupement Sierra de l’Opération Turquoise. Ed. Hugo Doc.

Extraits publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Photos de l’association France Turquoise, sauf mention contraire. Tous droits réservés.

 

 

 

Le scorpion, désirant traverser le ruisseau, demande au crocodile de le porter sur son dos.

Le crocodile s’étonne de cette proposition, craignant le dard du scorpion.

« Rien à craindre, je ne sais pas nager. Ma piqûre serait donc mortelle pour nous deux »

Le crocodile se laisse convaincre et entame la traversée.

La rive en vue, le scorpion pique le crocodile qui, malgré la douleur et la mort qui l’entraîne au fond de l’eau, s’étonne de ce geste effectivement fatal pour tous les deux.

Le scorpion rétorque : « Je n’y peux rien. C’est cela l’Afrique ».

 

"Le crocodile et le scorpion", rapporté par Alain A. dit Marius in « Parcours Commando », Ed. Nimrod.

 

 

Appelez-le « Pays aux mille collines » ; vous viennent alors à l’esprit des images romantiques à la « Out of Africa ». Appelez-le Rwanda et c’est une vision apocalyptique qui s’impose, massacres à coups de machette, enfants errant hagards, vieillards se laissant mourir au bord des routes, montagnes de corps…  et des soldats français salis dans leur honneur, si ce n’est la France elle-même.

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Il n’est pas question de développer ici le drame effroyable que fût le génocide rwandais. Haine viscérale entre deux ethnies, lutte pour le pouvoir entre une « aristocratie » Tutsi et la « plèbe » Hutu, guerre d’influence entre grandes puissances (pourtant alliées), tergiversations de l’ONU…

Nous invitons nos lecteurs, en premier lieu les plus jeunes, à s’informer par eux-mêmes. D’autant plus que le Rwanda conjugue l’une des pires horreurs du XX° siècle et une désinformation orchestrée tant en Afrique que dans le monde anglo-saxon, visant à salir la France et son armée (disons-le tout net).

Alors, quelle meilleure manière pour bâtir sa propre opinion que de lire les récits de  « Ceux du Rwanda » ?  Nous reviendrons sur tous, celui du Général Lafourcade, celui du Général Tauzin, mais débutons avec « Les larmes de l’honneur », témoignage du Colonel Jacques Hogard, l’un des commandants « terrain » de l’opération Turquoise.

 

* Mise en garde : certaines photos peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes *

 

Djibouti, juin 1994

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Légionnaires à Djibouti, photo © Charles Fréger, "Outremer"

[Le Colonel Hogard, alors Lieutenant-Colonel à Djibouti, est choisi pour prendre la tête de l’un des trois groupements opérationnels de l’opération Turquoise]

Quel officier refuserait un commandement, des responsabilités, auxquels il se prépare et  aspire depuis toujours, sans être profondément heureux de l’aboutissement qu’ils représentent ? Mais cette joie s’accompagne de questions plus angoissantes : qu’allons-nous affronter comme situation dramatique ? Serai-je à la hauteur de la tâche ? Comment me comporterai-je face aux dangers, à la fatigue, au stress ? Serai-je le chef militaire que j’ai toujours rêvé d’être et à la hauteur de la confiance que placent en moi chefs et subordonnées ?

 

Rwanda, 30 juin 1994 : le choc.

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© Association France Turquoise

[Le groupement se déploie dans la région de Cyangugu au sud-ouest du Rwanda pour créer une ZHS (Zone Humanitaire Sûre)]

[Le capitaine de corvette Marin] Gillier décrit ce qu’il vient de voir. Sur plus de deux kilomètres, à la sortie du hameau, réduit en cendres par ses assaillants Hutu, le sol est jonché de cadavres décapités, mutilés, fauchés le long du sentier selon leur capacité à fuir, des vieillards et des femmes enceintes, puis des femmes et des enfants, des hommes, enfin.

 

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Le COL Hogard et le GAL (alors COL) Tauzin, 1er RPIma, et un soldat des Forces Armées Rwandaises. Photo magazine Raid n°101.

Sur le terrain, nous allons nous trouver dans l’inconfortable position de celui qui a le doigt entre le marteau et l’enclume. Nous sommes coincés entre un pouvoir déliquescent [Hutu], responsable de l’un des plus grands génocides du siècle, lâché par une armée défaite militairement et en grand état de délitement, et une rébellion [Tutsi] très active, soutenue indirectement, à travers l’Ouganda, mais activement depuis plusieurs années par les Américains et les Britanniques. Cette rébellion s’avance, bien armée, bien encadrée, bien organisés, bénéficiant d’une excellente logistique. Elle progresse méthodiquement sur le terrain, se livrant, elle aussi, à un certain nombre d’exactions de grande ampleur, en représailles des massacres antérieurs. Si nous n’enrayons pas la mécanique provocation-répression, l’incendie de la violence va repartir de plus belle.

 

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© Association France Turquoise

Tout est en perpétuel mouvement. La zone est un immense chaudron, sillonné par d’innombrables colonnes de centaines de milliers de réfugiés aux yeux fous, pitoyables cohortes faméliques et terrorisées. Pour rétablir un semblant d’ordre et un embryon d’humanité dans ce chaos de millions de personnes déplacées, les effectifs des forces de Turquoise sont dérisoires : environ 2 700 hommes au plus fort de l’action (…) Il n’est en effet pas possible de mettre un soldat français derrière chaque Rwandais !

 

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© Association France Turquoise

La centrale ne fonctionne plus. Il faut éviter à tout prix que la population ne boive de l’eau non traitée, des rivières ou du lac Kivu. (…) Au-delà de la simple remise en marche des machines, il faut également payer les salaires, remotiver les personnels, trouver des techniciens qualifiés comme les contrôleurs aériens sans lesquels l’aérodrome de Cyangugu ne peut fonctionner, reconstituer de toute urgence des antennes médicales avec des personnels évanouis dans la nature (…) Les médecins, les chirurgiens et les infirmières des docteurs Auclair et Martin, secondés par une équipe mauritanienne, accueillent jour et nuit des blessés rescapés des massacres et des tentatives de meurtre ainsi que des malades. J’ai le souvenir d’enfants en bas âge, mutilés à coup de machette. Notre personnel médical soigne leurs blessures innommables avec un savoir-faire qu’il leur faut réinventer chaque jour. Leur dévouement est tel qu’il fait forcément appel à des notions plus fortes : de foi et d’amour.

 

Rwanda, 30 juin – 18 juillet

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© Association France Turquoise

[Un semblant d’ordre est mis en place dans la ZHS sécurisée]

En quelques jours, la zone humanitaire est rendue étanche vis-à-vis de l’extérieur et nettement pacifiée à l’intérieur. En une quinzaine de jours, le climat s’est apaisé. Nos hommes sont omniprésents, calmes, rassurants. Les belligérants des deux camps, de même que les malheureuses populations, sentent d’instinct que bien des choses ont changé et que le temps des exactions est terminé et le restera… du moins tant que des hommes de cette trempe seront là ! Les barrages des miliciens disparaissent, les armes sont récupérées, les contrôles sont multipliés et souvent cela permet le sauvetage in extremis de vies humaines menacées.

 

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Désarmement des milices Hutu © Association France Turquoise

Nous clamons haut et fort que nous ne voulons rien savoir des velléités de représailles des uns et des autres et qu’il n’est pas question que quiconque transgresse cet impératif. Nous intervenons contre les miliciens interahamwe [Hutu] qui tentent de forcer la population à se lancer dans l’aventure, sans avenir, de l’exode ; Cela nous conduit plusieurs fois à affronter les milices Hutu à la mi-juillet. Mais nous intervenons aussi pour contrer les meurtrières actions de représailles de certains Tutsi rescapés qui, à partir du 18 juillet, à Nyarushishi, sentant la victoire du FPR [Front Patriotique Rwandais, Tutsi] acquise, se font agressifs vis-à-vis de malheureux déplacés Hutu, souvent des femmes, des enfants ou des vieillards à la traîne des longues colonnes de réfugiés .

 

Rwanda, 18 juillet – 1er août

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© Association France Turquoise

[Kigali, la capitale rwandaise, tombe aux mains du FPR Tutsi. L’armée rwandaise est en totale déroute. Le gouvernement incite les Hutu à la fuite vers les pays limitrophes, Zaïre, Burundi…]

Dans le sillage des Forces Armées Rwandaises se jettent alors sur les routes des milliers, des dizaines de milliers, des centaines de milliers de personnes. Si des colonnes de réfugiés sont en route vers la Zone Humanitaire Sûre et la région de Cyangugu, où nous allons nous efforcer de les fixer, certains vont passer au nord du lac Kivu en direction  du Zaïre, de Goma, notamment, qu’ils investissent pour y mourir par milliers du choléra mi-juillet.

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© Association France Turquoise

L’insécurité que l’on croyait relativement maîtrisée reprend une nouvelle vigueur (…) Il nous faut multiplier les actions musclées pour éviter le pire. C’est ainsi que deux sections du 2e REI renforcées au pied levé d’une section de la 13e DBLE interviennent en plein cœur de Cyangugu pour faire cesser les exactions, désarmer les pillards et les fauteurs de troubles, déserteurs des FAR, miliciens, petites frappes de tout acabit (…) On intervient d’autant plus que les milices interahamwes [extrémistes Hutu] (…) multiplient les actions d’intimidation et de harcèlement visant à terroriser les populations, enjeu majeur. Le but évident de leur action, c’est la terre brûlée : laisser aux vainqueurs un pays vidé au maximum de ses populations.

 

 

Rwanda, 1er août – 21 août

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© Association France Turquoise

[Le FPR Tutsi est définitivement vainqueur]

[Dans la ZHS], avec fermeté et humanité, nos troupes doivent faire face au désespoir qui suinte de toutes parts  et s’insinue dans le tréfonds des consciences. Ce sont les techniciens des usines de production électrique et d’épuration des eaux, que nous avions récupéré chez eux il y a six semaines, qu’il faut convaincre de ne pas repartir, ce sont les médecins et les infirmières du dispensaire, de l’hôpital Saint-François auxquels il nous faut expliquer que la communauté internationale est garante, cette fois, de l’avenir du pays et que le temps des massacres et sanglants règlements de compte est révolu.

 

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Le padre Kalka devant le centre médical Saint-François © R. Kalka

Le Comité préfectoral que nous mettons sur pied a pour mission de rétablir, en liaison avec nous, un embryon d’administration, de contrôle et de sécurisation des communes et bien sûr le rétablissement des structures sanitaires qui ont volé en éclats. En effet, il n’y a plus d’hôpitaux, plus d’infirmeries, les orphelinats sont désertés, les enfants laissés à l’abandon, des nouveau-nés aux adolescents ! Devant ce délitement, c’est notre aumônier  [le padre Richard Kalka] qui prend sur lui de reconstituer et de réactiver le centre médical.

 

Rwanda, 21 août

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© Association France Turquoise

[Le Colonel Hogard et ses hommes quittent le Rwanda. La Zone Humanitaire Sûre, passant sous protection de l’ONU via un contingent éthiopien, est investie par le FPR Tutsi. ]

Que vont devenir tous ces [Hutu] qui nous ont fait confiance dans l’adversité ? Quel va être leur sort, eux qui se retrouvent d’un coup livrés au bon vouloir d’une puissance dont ils se méfient viscéralement, malgré nos bonnes paroles ? Notre départ signifie l’ouverture des limites de la ZHS au nouveau gouvernement légal du Rwanda, le FPR. Tous ceux qui ont apporté leur pierre à la construction du comité préfectoral intérimaire espèrent secrètement – mais sans grande illusion – que la transition s’opère sans trop de casse, permettant de repartir sur des bases saines dans la construction d’un nouveau Rwanda (…) Ces Rwandais courageux acceptaient d’être nos relais auprès des populations. Ils étaient au premier rang pour appuyer nos efforts de stabilisation et de restructuration. Ils seront au premier rang lorsque nous nous retirerons. Je le savais, ils le savaient.

Alphonse-Marie Nkubito, Hutu, ministre de la Justice du gouvernement FPR dit d’union nationale, est mort dans des conditions étranges à Kigali en 1997.

Seth Sendashonga, Hutu, ministre du gouvernement FPR dit d’union nationale, est assassiné en 1998 à Nairobi.

Augustin Cyiza, officier et magistrat Hutu qui a aidé à la reconstruction d’une gendarmerie à Cyangugu, est enlevé à Kigali en 2003. Il n’est jamais réapparu.

Le sous-préfet Théodore Munyangabe, qui a coopéré activement avec Turquoise et a sauvé de nombreux Tutsis au péril de son existence, est toujours détenu en 2014, sans jugement et dans des conditions inhumaines, à la prison de Gikongoro.

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© Association France Turquoise

Nous sommes partis, tous profondément marqués par l’expérience que nous venions de vivre, et bien sûr avec un peu de vague à l’âme, provoqué par le soudain abandon de tout ce que nous avions entrepris de reconstruire, par le soudain abandon de populations, de toutes les populations, quelles qu’elles soient.

23 avril 1995. Au camp de Kibeho, plus de 8000 réfugiés Hutu sont froidement mitraillés par leurs gardiens de l’Armée Populaire Rwandaise.

Octobre-novembre 1996. Mise à mort de centaines de milliers de réfugiés Hutu, pourchassés par l’APR dans les forêts de l’est du Zaïre.

Avril-mai 1997. Mise à mort de plusieurs milliers de réfugiés Hutu par l’APR au Zaïre.

2000. Les derniers Hutu ayant quitté le gouvernement du FPR, Paul Kagamé devient officiellement président de la République rwandaise, à la tête d’un gouvernement 100% Tutsi.

 

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Né en 1955 dans une famille d’officiers, Jacques Hogard s’engage en 1974 au titre de la préparation à Saint-Cyr (2ème année de Corniche au Collège Militaire de Saint-Cyr). Nommé Aspirant puis SLT en 1976, il est affecté au 425e BPCS (Bataillon Parachutiste de Commandement et de Soutien) pour emploi au CEM (Centre d'Entrainement Montagne) de la 11ème DP à Barèges. Il intègre sur titres l'EMIA en 1978. Il fait dès lors l’essentiel de sa carrière dans la Légion Etrangère, 4e RE puis 2e REP. En 1994, il est affecté à Djibouti et est choisi pour prendre la tête de l’un des trois groupements opérationnels de l’opération Turquoise, sous les ordres du Général Jean-Claude Lafourcade, avec pour objectif de mettre en place une « Zone Humanitaire Sûre » (ZHS) autour de la préfecture Cyangugu. Il commande le groupement « Sierra » Sud,  composé de la 1e Cie du 2e REI, 3e Cie de la 13e DBLE, un détachement de l’armée tchadienne et une équipe de Commandos-Parachutistes du 2e REP. En 1998 et 1999, il est chef du Groupement des Forces Spéciales en Macédoine et au Kosovo. Revenu à la vie civile en 2000, il fonde la société d’intelligence stratégique EPEE (Experts Partenaires pour l’Entreprise à l’Etranger).

Le Colonel Hogard est officier de la Légion d’Honneur, père de 6 enfants dont un Saint-Cyrien, perpétuant la tradition familiale.

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Prix 10€ - ISBN 2-7556-0054-3, format 12,5x18,7 - 140 pages

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Aux éditions Hugo doc

Le livre est malheureusement épuisé. Il faut donc le chercher sur le marché de l’occasion, par exemple ici.

Une réédition est espérée.

 

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Nous sommes heureux d’annoncer en exclusivité la parution prochaine de « L’Europe est morte à Pristina », récit autobiographique du Colonel Hogard sur son action au Kosovo en 1999.

Aux éditions Hugo doc

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Bibliothèque « Ceux du Rwanda »

(non exhaustif)

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François Léotard, ministre de la Défense, Edouard Balladur, Premier Ministre, Général Lafourcade, Colonel Hogard. Rwanda juillet 1994.

Site des anciens du Rwanda, association France Turquoise, ici.

 

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Rencontre avec le Colonel Hogard en 2013.

Nous ne pouvons parler du Rwanda sans évoquer la manière dont la France et son armée ont été (et sont toujours) traitées dans les médias anglo-saxons, dans certaines salles de rédactions européennes, voire parisiennes. Des mots tels que « Complicité de génocide », des mises en examen, laissent des traces.

J’ai l’honneur de connaître le Colonel Hogard. Il sait que je porte une grande affection aux hommes de Turquoise. Aveuglement militariste du Chasseur ? Serais-je plus aveuglé que cet américain, homme honnête, qui m’a dit un jour :

« - La France et sa petite débâcle au Rwanda... 

- Pardon ? La France n’a connu aucune débâcle au Rwanda.

- Ce sont pourtant des Légionnaires qui ont entraînés les génocidaires Hutu. 

- Mon cher, ces malheureux se sont massacrés à coup de machette, ils n’avaient aucun besoin d’entraînement par les Légionnaires pour perpétrer cette tragédie ».

 J’ai raconté cette anecdote à Jacques et à sa question « Pourquoi pensait-il cela ? » ma réponse est allée dans le sens de son propre ressenti : désinformation. Et on sait la puissance médiatique de certains lobbies anti-français du côté de Washington et de Londres (ceci m’a toujours attristé).

La France n’a pas à avoir honte de ce qu’elle a tenté de faire au Rwanda. Elle, au moins, est intervenue. Aurait-il été plus glorieux de ne rien tenter ?

Quant aux  hommes de Turquoise, soldats, sous-officiers, officiers, c’est de la fierté qu’ils doivent éprouver, fierté d’avoir sauvé tout ce qu’il était encore possible de sauver, avec les faibles moyens qui leurs étaient accordés.

Laissons la honte à ceux qui, piétinant dans la montagne de cadavres, cherchent au loin des bouc-émissaires.  

 

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Je ne resterai jamais insensible aux grandes déclarations moralisatrices. Il me sera très difficile de cacher ma révolte devant l’hypocrisie qui consiste à verser des larmes sur l’authentique malheur des uns, et exploiter ces larmes pour s’aveugler de celui des autres. Surtout quand, en plus, l’objectif est d’entacher la réputation de notre pays et de son armée.

Colonel Jacques Hogard

 

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A la mémoire des Rwandais de toutes les ethnies.

« S’il faut tirer une leçon du Rwanda, c’est que les hommes sont tous coupables et qu’ils sont tous innocents. Il n’y a pas de bons et de mauvais. Il n’y a que l’engrenage de la haine et de la violence. »

Jean d’Ormesson, Le Figaro, 21 juillet 1994

 

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Hommage à « Ceux du Rwanda »

« J’ai fait tout ce qu’un soldat a l’habitude de faire.

Pour le reste, j’ai fait ce que j’ai pu. »

Etienne de Vignoles, dit La Hire, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc.