13/03/2013
"Ma Blessure de Guerre Invisible", Sylvain Favière, Infirmier-para, Ed. Esprit Com'
Cette chronique est dédiée à Laurence, épouse de Sylvain.
« Pour moi, les gens parlent trop. Ils ont des soucis, des buts, des désirs, que je ne peux concevoir comme eux.
Parfois, je suis assis là, avec l’un d’eux, dans le petit jardin d’un café, et j’essaie de lui expliquer que l’essentiel, en somme, c’est de pouvoir être assis là, tranquillement. »
"A l’Ouest Rien de Nouveau", Erich-Maria Remarque
Ma. Blessure. De. Guerre. Invisible. Avec ces cinq mots, Sylvain Favière donne le tempo. J’emploie ce mot, tempo, sciemment : son récit biographique s’apparente, en effet, à une mélodie - mieux, à une symphonie - allant crescendo.
Vous êtes confortablement installé dans votre fauteuil rouge. Le chef d'orchestre, soldat-compositeur, entre. Les musiciens débutent la partition.
C’est presque aérien, petite musique de chambre : La vocation d’infirmier de Sylvain, son attirance pour l’armée, son engagement chez les Paras.
Puis résonnent les premiers cuivres : son volontariat pour l’Afghanistan, s'éloigner de sa femme, de ses filles ; honneur, goût de l'aventure - qui n'effacent pas les doutes ; son départ, son arrivée au « Pays de l’Insolence ».
Photo © Sylvain Favière
A cet instant intervient un thème musical d’inspiration orientale : Sylvain est intégré, comme combattant-infirmier, dans une OMLT, unité de l’Armée Nationale Afghane, encadrée par les Occidentaux.
Il se sent proche de ces soldats Afghans, de fait, ses frères d'armes ; il fait de son mieux pour apprendre leur langue, partage le thé, et, évidemment, combat à leur côté.
« Leurs prières rythmaient leurs journées. Ils croyaient en l’éviction des balles, si Allah en décidait ainsi. Ils croyaient au châtiment de feu, en cas de faute. Leur manière de vivre et de penser était si différente de la mienne, Occidental, ayant accès à toutes les commodités du monde. Ils se complaisaient dans le peu, voire le rien, et Allah. Néanmoins, chaque soldat possédait un GSM…
Je leur disais que pour moi, il y avait des anges sur Terre, sous différentes formes. Ces anges vivaient parmi nous pour nous aider dans les moments difficiles. Ils semblaient comprendre. »
Photo © Sylvain Favière
Pas d’entracte. La musique ne s’interrompt pas, mais notre soldat-compositeur, introduit, à cet instant, des phrases musicales dissonantes.
« Avec mes camarades, nous échangions nos analyses sur l’éventuelle explosion d’un IED sous notre VAB. Je disais qu’en cas de survie, les douleurs provoquées par les fractures seraient insupportables. Entre les blessures, les équipements et l’environnement du véhicule, la désincarnation risquait d’être laborieuse. Bull disait que la tourelle de la mitrailleuse lourde pourrait céder et lui couper le tronc en deux. Cela s’était passé à Kaboul. Il ajoutait qu’avec une forte explosion, la mort serait instantanée. C’était presque l’idée que nous préférions. »
Puis tous les cors sonnent ! Les tambours grondent ! et… silence.
Retour en France.
Seul le premier-violon joue.
Photo ©Ministère de la Défense
« Qui se souviendrait des noms de nos camarades tombés au Champ d’Honneur ? Qui se rappellerait leurs noms ? »
Et joue encore,
« Personne ne s’intéressait à moi. A ce que je venais de vivre ? Parfois si. Il y avait bien quelqu’un qui me posait une question ou deux. Mais la complexité de la mission et les termes trop techniques ne permettaient pas une synthèse rapide. Alors, très vite, le désintérêt apparaissait sur le visage de mon interlocuteur. »
Joue...
« Je ne comprenais plus les gens. Je ne les intéressais plus. Je n’avais plus rien à leur dire. »
Et joue, et joue…
« Alors les larmes me montent. Elles remplissent mes yeux abondamment. Elles coulent le long de mes joues. Je retiens un instant mes sanglots, puis j’éclate en pleurs, criant tout ce que je peux. Je suis dans la pénombre, volets tirés. Parce que j’ai honte. »
Tambours ! Cymbales !...
« J’ai envie de tuer. »
Silence…
Alors, une petite flûte, toute douce, comme un murmure, bien agréable à nos oreilles.
« Je n’étais pas malade. J’étais blessé. »
Photo © Sylvain Favière
Et puis… Oh, ce n’est certes pas l’Hymne à la Joie, mais, à nouveau des cordes. C’est discret au début, mais on les entend. Et on va les entendre, jusqu’au bout de la partition, de plus en plus distinctement...
« Aujourd’hui, cette blessure est devenue une cicatrice, avec laquelle je vis (…) De temps en temps, elle s’ouvre un petit peu (…) Comme l’ange Saint-Michel avait dû veiller sur moi lorsque j’étais parachutiste de l’Armée Française en Afghanistan, je sais que quelque part, aujourd’hui, j’ai un ange gardien qui panse mes plaies quand elles s’ouvrent, arrêtant les saignements, et me permettant, ainsi, de repartir, soigné de mes maux. »
Le chef d’orchestre soldat-compositeur se retourne, il regarde la salle. Il salue.
Le public se lève.
Tonnerre d’applaudissements.
*
Sylvain Favière s'engage comme infirmier-para. En 2011, il est volontaire pour un déploiement en Afghanistan. Agé de 38 ans, il est désormais réserviste, salarié d'un service de santé au travail. Marié, père de trois enfants, il est aussi… grand-père :). Sylvain sera présent au Salon du Livre, Porte de Versailles, sur le stand de l'Armée de Terre (J53). Il se prêtera au jeu des dédicaces les 22 (10:00-14:00) et 23 mars (10:00-12:30). Liste complète des auteurs ici.
L’intégralité des droits d’auteur est versée à la CABAT – Cellule d’Aide aux Blessés de l’Armée de Terre
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Hommage aux blessés dans leur chair,
Hommage aux blessés dans leur cœur,
Hommage aux blessés dans leur âme.
Avec le salut fraternel du Chasseur et de la Russe-blanc aux Infirmiers-Paras, à tous les meurtris.
Sylvain, c'est toujours le même ange...
"Saint-Michel, défenseur des âmes justes,
Saint-Michel, consolateur des affligés…"
Litanie de l’archange Saint-Michel, Saint-Patron des Parachutistes
Livre, récit biographique d'un infirmier-para, témoignage stress post-traumatique, Afghanistan
11:35 Publié dans Afghanistan, Mili-Livre, Service de Santé, SSPT | Lien permanent | Commentaires (0)
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