10/04/2014
« Blessé de guerre », SCH Jocelyn Truchet, 13e BCA. Autoédité.
Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Tous droits réservés.
Apprends à écrire tes blessures dans le sable et à graver tes joies dans la pierre.
Lao Tseu
« Ce garçon a la pêche et donne la pêche ». Voici exactement ce que nous avons pensé, après avoir écouté le SCH Jocelyn Truchet lors de ses interventions dans deux cafés littéraires mili. Rien d’étonnant à ce qu’un jeune-homme de 25 ans, Chasseur alpin, sportif, ait et donne la pêche, nous direz-vous. Rien, si ce n’est que Jocelyn est un grand blessé de guerre, amputé de la jambe gauche...
Jocelyn Truchet est bien connu dans la fraternité mili. Nous avons tous entendu parler de lui, nous connaissons tous les photos émotionnellement très fortes de Philippe de Poulpiquet le concernant, mais rappelons les faits : en 2009, le SGT Truchet est déployé en Afghanistan avec le 13e BCA qui forme l’ossature du GTIA « Black Rock ». Après 6 mois de combats intenses, à quelques semaines de la fin de la mission, un IED est déclenché au passage de sa patrouille. Très grièvement blessé, le corps criblé d’éclats, il devra être amputé de la jambe gauche, perdant aussi l’usage de plusieurs doigts d'une main.
Sans présager, évidemment, de l’issue tragique de sa mission, Jocelyn a pris soin de noter chaque jour ses actions et celles de ses camarades en Kapisa, poursuivant ses écrits à l’hôpital et lors de sa rééducation. Et c’est ce journal de marche, revu avec la collaboration de Bruno Pasdeloup, qu’il a eu la bonne idée d’éditer.
Morceaux choisis :
Le 13e BCA avant son départ et en vol pour l’Afghanistan © C. Batardin
2.12.2009. Les moteurs rugissent et les roues quittent le sol : nous quittons notre terre, notre France. Je regarde par le hublot les dernières lumières de la côte qui s’éloigne. Direction Abu Dhabi, notre seule et unique escale avant Bagram ; avant la guerre.
Jocelyn - Séance de tir au HK416
31.12.2009. Dans une heure, nous aurons les ordres pour partir à la recherche des journalistes [Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier] kidnappés. D’habitude, il est naturel pour nous de nous exposer sous le feu de l’ennemi pour un de nos camarades, mais ici, c’est pour des inconnus que nous allons mettre notre vie en jeu. Nous n’avons pourtant aucune hésitation : ils sont Français et si notre modeste action peut nous permettre de les sortir de là, nous le ferons sans hésiter. En espérant qu’ils sauront se souvenir des efforts et des risques entrepris par chacun d’entre nous pour les libérer…
Math, blessé lors du combat du 11.5.2010 - L’auxsan (auxiliaire sanitaire) délivre les premiers soins © D.Geffroy@Armée de Terre
8.1.2010. Math repère un mec armé d’un RPG [roquette] qui se lève et fait feu sur lui. Il tire sa FLG [grenade à fusil] dans sa direction, mais la roquette explose à trois mètres de lui contre le mur. Math et mon tireur minimi [mitrailleuse] sont plaqués au sol par le souffle de l’explosion. Ils se relèvent et basculent dans la ruelle, avant que Math ne s’écroule au sol. Nous le faisons évacuer rapidement par l’arrière, craignant que l’adrénaline ne l’ait empêché dans un premier temps de sentir une blessure. Il est sonné et il n’entend plus rien. Après quelques minutes, il se relève mais est toujours sourd. Nous tirons quatre grenades à fusil en direction du tireur RPG. Derrière le muret où nous sommes, des tirs claquent. Est-ce les C20 ? Nouvelle rafale : finalement, ce sont des tirs d’insurgés. Deux de mes gars passent leurs flingues par-dessus le muret et lâchent des rafales à la libanaise. Ils essaient visiblement de nous contourner, il faut accélérer…
Opération Minautore 2 - 5.3.2010 – l’un des nombreux plans du livre
10.1.2010. Les deux missiles font mouche sur le compound [maison afghane] en même temps et une seule explosion parvient à nos oreilles. Les insurgés se calment et nous décrochons en tirant une roquette de 89 mm pour couvrir notre rupture de contact. Nous courons vers le wadi [canal d’irrigation] situé à 400 m derrière nous. Les 35 kg d’équipements que nous portons sur le dos commencent à se faire sérieusement sentir et il faut motiver les gars pour qu’ils ne s’arrêtent pas. J’ai l’impression que certains vont tomber en syncope, les visages sont blancs.
19.1.2010. Même après 12h de sommeil, je suis complètement naze. Les organismes des gars sont mis à rude épreuve par la difficulté des opérations. Le rythme des opérations est particulièrement éprouvant lors de ce mandat mais le moral des gars est au beau fixe. C’est l’essentiel.
Enguerrand Libaert lors d’une mission de sécurisation de convoi © C. Perruchot@Armée de Terre
9.2.2010. « - Ca veut dire quoi Delta Charlie Delta ? – Décédé » Moment d’hésitation chez nous… « - Il y a un mort chez 20 alors… - Tu es sûr d’avoir bien entendu ? »
Finalement la nouvelle tombe : Il s’appelle Enguerrand Libaert. Les plus jeunes de la troupe sont anéantis. C’était leur pote et il avait fait ses classes avec pas mal de mes gars. Nous nous occupons d’eux autant qu’on le peut, mais que dire pour réconforter devant une cette tragédie ? Il faut qu’ils restent concentrés, la mission continue.
Une rare pause : Barbecue Chasseur à Tagab. Jocelyn au centre.© N. Deshayres
25.2.2010. Nous sommes réveillés par un tir de Chicom [roquette] qui explose en plein cœur de la base. C’est reparti pour une demi-heure d’attente dans les bunkers (…) Ces alertes, le plus souvent nocturnes, offrent parfois des visions assez cocasses. Soldats en tongs, caleçon et gilet pare-balle, l’arme à la main et le cheveu hirsute.
Repas chez le vendeur de foulards du camp Warehouse – Jocelyn 2nd à partir de la gauche
11.3.2010. « Vacances » au camp Warehouse de Kaboul. Nous sommes invités à manger chez le marchand de foulards. Grand moment, nous mangeons en tailleur assis par terre et goûtons tous les plats (…) Nous sommes vites calés par ce repas gargantuesque ! (…) Lorsque nous quittons le camp, l’Américain en faction à la porte lève son poing au son de « Kill ! Kill ! Kill ! »
Jocelyn et ses hommes en patrouille
8.4.2010. Début des fouilles dans le village (…) J’arrive à communiquer avec les habitants grâce à l’interprète. Ils me disent qu’il n’y a aucun de Talibans ici (…) Soudain, un RPG [roquette] explose 50m à notre gauche, suivi de rafales de PKM [Kalachnikov]. Nous courons jusqu’au compound situé à une trentaine de mètres. La moitié de mon groupe est parvenu à passer le découvert et l’autre se retrouve bloqué par les tirs. Deux missiles Milan sont tirés et l’artillerie envoie du lourd (…) Un gars de la section 12, complètement assourdi par l’explosion, détale à toute allure en voyant ses camarades courir, dépassant même ses collègues qui doivent le rattraper pour l’arrêter. Nous continuons notre progression vers le col en traversant quelques compounds. Quelques balles sifflent encore au-dessus de nos têtes tandis que nous bondissons derrière les seules protections du coin, des cailloux gros comme des ballons de foot (et encore, pas bien gonflés…) (…) En descendant du col, notre interprète est à côté de moi et je lui dis « Il n’y a pas d’insurgés ici ! » avant de partir dans un fou rire tous les deux.
Reconnaissance d’une route par le Génie © N. Deshaires
20.4.2010. Pot d’anniversaire du Première Classe Ludwig, le gars qui a découvert l’IED [engin explosif improvisé] aujourd’hui. Un beau cadeau pour lui : 20 ans, 20kg d’explosif.
Jocelyn lors de son évacuation après l’explosion de l’IED © D. Geffroy@Armée de Terre
16.5.2010. Je me sens projeté. Dans les airs, mon esprit travaille très vite et je me demande ce qu’il m’arrive. Ai-je marché sur une mine ? Peu probable car le chemin est très emprunté par les paysans du coin et une section est déjà passée devant moi. Un tir de RPG ? Difficile à croire car je n’ai pas vu le départ du coup. La dernière solution : un IED, sûrement déclenché à distance par téléphone. Quelques secondes plus tard, qui me paraissent une éternité je me retrouve au sol sans air dans les poumons pour reprendre mon souffle (…)
« Putain tu vas quand même pas crever comme ça juste parce que tu n’arrives pas à reprendre ton souffle ! » Puis je me rends compte que j’ai de la terre plein la bouche.
Jocelyn à Percy
30.5.2010. Autour de moi, une chambre d’hôpital tandis qu’au dehors résonne le bruit des klaxons de la vie parisienne. On m’apprend la nouvelle : je suis à l’hôpital Percy, à Clamart. Mon opération à Bagram a duré dix heures et s’est soldée par l’amputation de ma jambe gauche à mi-cuisse. J’ai du mal à y croire. Je regarde pendant de longues minutes l’emplacement où devrait se trouver ma jambe.
Photo © Philippe de Poulpiquet
Juillet 2010. Jour après jour, la routine de l’hôpital s’installe. Réveil à la même heure, petit-déjeuner, séance de kiné, de sport et d’ergothérapie le matin. Encore une séance de kiné l’après-midi puis de balnéothérapie et enfin les visites de fin de journée. Tous les jeudis, deux hommes de mon bataillon viennent prendre de mes nouvelles. Ça fait plaisir de voir la tête de mes compagnons d’armes. Par ailleurs, ils me permettent de remplir mon tiroir de friandises, sur lequel je veille jalousement depuis mon lit.
Peu à peu, j’apprends à apprivoiser mon nouveau corps, à accomplir les gestes simples du quotidien avec mon handicap ; j’apprends à revivre, tout simplement.
Jocelyn décoré aux Invalides
12.10.2010. A l’hôpital, je m’étais lancé un défi : si tu reçois une médaille, tu le feras debout ! Lorsque j’ai appris la nouvelle de ma décoration, il me restait trente jours avant le Grand jour. Trente jours pour me tenir droit sur les pavés des Invalides. Trente jours avant aujourd’hui.
(Re)conquête de l’Arête des Cosmiques © 27e BIM
27.6 .2012. Nous arrivons enfin au dernier gros obstacle de l’ascension : une falaise granitique de 20 m de haut, verticale, qu’il nous reste à escalader avant de basculer sur la face nord pour la dernière partie de notre périple. Un épisode rendu délicat par l’impossibilité de plier ma jambe gauche mais que je parviens malgré tout à surmonter avec l’aide de mes compagnons de cordée. Après six heures de travail en équipe, j’atteins enfin la terrasse sud et ses 3842 m sous les applaudissements des gens présents. Pour la quatrième fois de ma vie, mais pour la première fois sur une seule jambe.
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Si nous gardons une place toute particulière dans nos cœurs aux morts pour la France, n’oublions pas les blessés. Plus de 700 en Afghanistan. N’oublions pas non plus les victimes du stress post-traumatique, estimées à 1000.
Le courage, le soutien de ses proches, de ses frères d’armes, d’organismes tels que la CABAT, Solidarité Défense ou Terre Fraternité, ont permis à Jocelyn de parcourir le long chemin vers la guérison et l’acceptation son handicap.
Selon la formule consacrée, « il mérite d’être cité en exemple » pour les blessés qui sont encore sur ce chemin et auxquels nous pensons avec affection.
« Perdu, déstabilisé, isolé dans sa souffrance, il est ainsi depuis son retour d’Afghanistan, voici plus de deux ans… Seul le désespoir empêche de croire à des jours meilleurs. Or toute la richesse du cœur de l’homme se résume à l’espérance que nous ne devons jamais perdre. Il nous faut espérer pour lui et avec lui, car l’espérance est souvent ce qui reste quand tout est parti à vau-l’eau. Le travail d’accompagnement sera long, mais il n’est pas permis de croire à son échec. »
Padre Jean-Yves Ducourneau, aumônier militaire, « L’autre combat ». Ed. EdB.
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Né dans la vallée de la Maurienne, c’est naturellement vers les troupes de Montagne que le cœur de Jocelyn Truchet penche lorsqu’il s’engage : il rejoint le 13e BCA de Chambéry. En 2009, alors Sergent, il est déployé en Afghanistan avec le GTIA « Black Rock » commandé par le COL Vincent Pons, chef de corps du 13. En fin de mandat, il est très grièvement blessé par l’explosion d’un IED, qui impose l’amputation de la jambe gauche. Soutenu par sa famille et ses frères Chasseurs alpins, Jocelyn prend sa rééducation comme un nouveau combat, se fixe des objectifs ambitieux. Grand sportif, il retrouve les murs d’escalade, les pistes de ski et de multiples handisports. Il participe notamment au « Wounded Warrior Trial 2013 » [Challenge des blessés de guerre] à San Diego aux Etats-Unis dans les épreuves de tir et natation où il se distingue avec la médaille de bronze en 50m dos (l’équipe française terminant 2nde dans le classement des médailles derrière les USA). Retrouvant sa place parmi ses frères Diables bleus du 13, le désormais Sergent-Chef Truchet a intégré la cellule Communication du bataillon. Il vient de terminer une formation délivrée par l’ECPAD.
Le SCH Jocelyn Truchet est titulaire de la Médaille Militaire.
Dans la reconstruction physique et psychologique de Jocelyn, il convient de saluer le soutien apporté par la CABAT, Solidarité Défense et Terre Fraternité, en premier lieu sur les aspects financiers liés à sa prothèse de jambe « high tech » (coût du genou articulé : 55 000 €…).
Saluons aussi Anne-Claire, sœur de Jocelyn, aussi sympathique qu’active dans la promotion du livre.
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Prix 22€ - ISBN : 978-2-7466-6634-4 – Format 25x21- 155 pages
Jocelyn a décidé d’autoéditer « Blessé de guerre ». Il mérite d’autant plus d’être soutenu, ayant engagé les fonds nécessaires à la publication. Le livre est très beau, format à l’italienne, papier de qualité, magnifiquement illustré de photos inédites et des plans des engagements (bonne idée). Il est disponible sur le site de Jocelyn ici. Dédicace possible.
Page FaceBook officielle ici.
Jocelyn et le 2nd auteur Afghaner du 13e BCA : le LCL Bernard Gaillot, auteur de « De l’Algérie à l’Afghanistan ». Voir ici.
Rencontres avec Jocelyn – Café littéraire de l’Alliance Géostratégique ; Café littéraire au Carré Parisien ; Salon du Livre 2014. Pour l’anecdote : nous avons joué les figurants avec notre complice de Mars Attaque, lors d’une interview par une équipe de France 3. Nous vous préviendrons de la diffusion du reportage (en mai, semble-t-il).
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Bibliothèque "Chasseurs en Afghanistan"
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Hommage
Aux diables bleus morts pour la France en Afghanistan :
Adjudant-Chef Franck Bouzet, 13ème BCA,
Adjudant Laurent Pican, 13ème BCA,
Caporal Nicolas Belda, 27ème BCA,
1ère Classe Eguerrant Libaert, 13ème BCA,
1ère Classe Clément Chamarier, 7ème BCA.
A tous les morts pour la France en Afghanistan,
Aux Chasseurs morts pour la France.
Aux blessés.
Avec le salut fraternel du Chasseur et de la Russe-blanc
Diables bleus en Afgha – Jocelyn sur le VAB, 2nd à partir de la droite. © D.Geffroy@Armée de Terre
La guerre d’Afghanistan s’achève et ses protagonistes entrent peu à peu dans l’oubli. D’autres conflits font leur apparition, au Mali ou ailleurs. Mais les blessés de guerre porteront toute leur vie le vivant témoignage de leurs batailles. Quatre ans plus tard, ma blessure est toujours là et ma souffrance physique quotidienne. Je ne pense pas m’en débarrasser un jour. Lorsque mon nerf me lance, j’ai le sentiment que ma jambe coupée est toujours là et que c’est elle qui me fait souffrir. Les médecins appellent cela « le membre fantôme ». Je serre les dents, je me plie en deux sous la douleur et j’attends que la souffrance passe. Ce fantôme va et vient plusieurs fois par jour et apparaît sans prévenir. Avec le temps, j’apprends à vivre avec lui. Cela fait partie de mon sacrifice. Je ne m’en plains pas et je ne regrette rien.
Photo © Bruno Pasdeloup
19:26 Publié dans Afghanistan, Chasseurs, Mili-Livre | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Je viens de lire cette chronique qui est vraiment très bien et reflète bien ce que Jocelyn a écrit dans son livre.
Écrit par : Champagnat Marie-Claire | 11/04/2014
Merci Marie-Claire. Un encouragement à poursuivre notre humble mission de soutien.
Écrit par : UPpL'E | 11/04/2014
merci.
Écrit par : david | 10/08/2016
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