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06/01/2014

« DGSE Service Action : Un agent sort de l’ombre », Pierre Martinet, 3e RPIMa, DGSE, Ed. Privé & J’ai Lu.

 

Extraits publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Tous droits réservés.

 

 

Il faut faire des choses audacieuses, même téméraires, quand on y espère un profit matériel ou moral. Mais, ces choses audacieuses une fois décidées, il faut les faire avec le maximum de prudence.

Henry de Montherlant

 

 

En 2005, la parution d’un livre déchaîne les passions. Pensez ! L’autobiographie d’un ancien agent de la DGSE, mêlé qui plus est à une sombre affaire de déstabilisation d’une star du PAF ! « Un agent sort de l’ombre » de Pierre Martinet : une bombe médiatique…  

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Il est vrai que le récit de Pierre avait de quoi faire frémir sous les lambris de la République : Para-Colo présent notamment à Beyrouth lors de l’attentat du Drakkar, il a rejoint le *très secret* Service Action de la DGSE. Au fil des pages, il en révèle la sélection et l’entraînement, pour le moins « virils », puis les missions des « espions » français.

Oh, ne vous attendez pas à du 007 ! Sourire émail diamant, smoking, Martini dry et Aston Martin… « Ayez une tête de slip et personne ne vous remarquera.  Passer pour un abruti, c’était le début de la clandestinité ».  L’un des grands intérêts de ce récit, outre le sujet évidemment, réside dans l’humilité de l’auteur. Pierre ne cache rien de ses doutes ni de la fatigue psychologique après tant d’années de vie à la limite de la schizophrénie, qui lui feront finalement quitter le service pour la vie civile… et les ennuis, hélas.

Une autobiographie qui respire l’honnêteté, y compris lorsqu’elle nous emmène dans le marais putride que s’avère être le service Sécurité de Canal+, luttant certes contre le piratage des décodeurs, mais pas que... (et loin s’en faut).

Depuis sa parution, le livre est un succès. Pour preuve sa récente reprise en édition de poche  « J’ai Lu ». Et c’est mérité ! Bien sûr le sujet est porteur, mais « Un agent sort de l’ombre » est aussi un récit clair et bien écrit, forcément autocensuré, mais dans lequel on trouve l’essentiel : « l’essence de la vie d’espion ».

Morceaux choisis :

3e RPIMa, Beyrouth, attentat du Drakkar

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Photo AFP/Jamal Farhat

 « Qui a fait ça, qui a fait ça ? ». La phrase bourdonnait autour de moi comme un insecte. Lancinante, cette question était en train de nous vriller la cervelle. Mais personne ne savait comment y répondre. Y avait-il des survivants ? La structure n’allait-elle pas nous tomber sur la gueule quand on l’escaladerait ? Tout tournait très vite dans ma tête, et pas seulement dans la mienne. Autour de moi, la rage circulait dans les rangs, très vite remplacée par l’accablement devant le tas de béton fumant qui s’étalait sous nos yeux pleins de poussière.

 

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Il fallait se déshabiller au plus vite pour éviter les infections. A cause des risques, les médecins avaient donné l’ordre à tous ceux qui avaient travaillé sur la zone de brûler leur treillis. A la queue leu leu, on a porté nos fringues imprégnées de la mort de nos copains (…) Nous regardions ce feu de camp improvisé tout en nous observant. On n’était pas beaux à voir, mais on se sentait profondément vivants. J’ai eu un petit frisson. Je voyais que quelque chose était en train de s’envoler dans les volutes noires. Sans doute un morceau de notre naïveté sur le monde. Notre innocence s’était barrée, écrasée à quelques kilomètres de là sous des tonnes de béton.

 

N’Djamedna, Tchad, opération Epervier

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Forces Spéciales, Tchad. Photo José Nicolas

Je les ai vus arriver. Deux commandos d’une trentaine d’hommes avec les cheveux mi- longs, aucune trace de la tenue réglementaire ni d’arme apparente. Juste leurs gueules ridées qui indiquaient qu’ils étaient restés longtemps sous le soleil. Je savais qu’ils rentraient de là-haut et je les enviais. Eux, au moins, allaient au combat. C’était la deuxième fois que je croisais les hommes du Service Action, et je pensais que, décidément, si je voulais de l’action, c’était avec eux qu’il fallait être.

 

Service Action de la DGSE, Camp de Cercottes, sélection et entraînement

Nous vivions les uns sur les autres, sans lumière du jour, comme des souris de laboratoire. La distribution des corvées donnait lieu à des engueulades et c’était voulu par les instructeurs. Principe du rat en cage, il fallait tester la résistance psychologique des candidats. Ça marchait (…) Certains se renfermaient sur eux-mêmes, d’autres se plaignaient, d’autres encore se révélaient être des leaders.  En fait il y avait ceux qui subissaient la situation et ceux qui l’affrontaient (…) L’isolement était en train de nous façonner en profondeur, de nous sculpter la cervelle définitivement.

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« D’abord la glotte. Vous lui écrasez d’un coup sec, soit avec le tranchant de la main, soit avec un coup de poing. Si vous tapez très fort, ça broie les cartilages et il ne peut plus respirer. Ensuite, le nez. Un coup sec avec la paume de la main de bas en haut. Tout le corps doit appuyer votre coup comme si vous vouliez lui rentrer le cartilage du nez dans le cerveau. Pour le plexus, c’est aussi simple ! Vous tapez très fort comme un piston. L’onde de choc lui coupera net la respiration. Ca fait très mal et ça vous casse en deux votre adversaire. Ensuite, pour les filles, il y a le traditionnel coup de pied dans les couilles. ».

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Léon [notre instructeur] était un musicien du calibre et il avait sa propre partition. Elle s’appelait « ploum-ploum… ploum ! » « Quand vous tirez, n’oubliez jamais : deux balles dans le buffet… ploum-ploum et on finit par un balle dans la tête… ploum ! ».

 

En mission avec le service Action de la DGSE

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Avoir une nouvelle identité était une chose. Se créer la légende qui allait avec était indispensable. Un agent doit connaître par cœur les adresses des cafés du coin, savoir si le patron est moustachu, chauve, ou hirsute et mal rasé. Le médecin généraliste que l’on va voir et nous prescrit des antibiotiques au moindre rhume, les stations de métro les plus proches… tous ces détails qui font que votre légende est blindée et que l’on vous croit lorsque vous en parlez. Votre légende, c’est votre gilet pare-balles. Plus elle est épaisse plus on mettra de temps à vous percer à jour. J’étais entré dans la phase schizophrène de l’agent.

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Photo P.A.

Je pensais en regardant le visage barbu qu’il valait mieux qu’il change de vie s’il voulait voir grandir ses enfants, parce que pour lui le sablier venait de se retourner. Adrien dit : « Les préops ont déjà équipé la ville dans laquelle vous allez opérer. - C’est où ? - Londres. Abou Walid s’y est installé depuis peu. En fait, l’Etat-Major le soupçonne fortement de préparer, avec son groupe de joyeux comploteurs, des attentats pendant la coupe du monde de football. La première rencontre aura lieu dans quelques mois au stade de France, à Saint-Denis. Inutile de vous dire que c’est même pas la peine d’y penser. On ne revivra pas les attentats du RER. ».

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Après avoir effectué notre itinéraire de sécurité, on est revenus tous les deux au point de départ. Il n’y avait plus personne. Je me suis dit que Caroline commençais à voir des « rats bleus » partout. Dans le jargon de la maison, cela voulait dire que l’agent rentrait dans une crise paranoïa aiguë, un peu comme les alcooliques. A la différence qu’il mettait en danger toute la mission et son équipe. Deux minutes plus tard, Caroline a recommencé. Qu’elle ne sentait pas le truc, qu’elle était sûre qu’on était suivi et que, de toute façon, on s’était fait repérer par les services suisses et qu’on allait finir comme les agents du Mossad, quelques mois auparavant. Je lui ai demandé de fermer sa gueule, puis on a traversé la rue pour se diriger vers cette putain de boîte aux lettres. On était en retard sur l’horaire de livraison et je voyais déjà ceux d’en face se demander pourquoi e la panique monter. Puis j’ai regardé Caroline. C’était la première fois que je lui parlais comme cela. Trop de pression, trop de missions en préparation, trop de fatigue accumulée. Beaucoup d’agents traversaient ce genre de crise après un certain temps sur le terrain, n’arrivant plus à gérer les trop grandes quantités de stress occasionnées.

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« Personnellement, j’en ai un peu marre de tourner autour d’Abou Walid. Je pisse dans ses chiottes, je bouffe dans son assiette, je dors presque dans son lit. J’ai quasiment remplacé son ombre. Il ne fait pas un mètre dans la rie sans que je sois dans ses babouches ou sur ses talons. Si ce mec  est un ennemi de la République ; d’un coup de cutter, je luis ouvre la carotide et on n’en parle plus. Ça fera faire des économies aux contribuables. Il passe certains soirs par la même petite rue… »

Adrien et les autres ont sursauté et j’ai bien compris, au regard qu’Adrien m’a lancé, qu’il n’aurait jamais dû me donner la parole.

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Quelque chose s’était cassée sans que je m’en rende compte. Dix-sept ans à servir les intérêts du pays. De Beyrouth au Tchad, de Centrafrique à la Nouvelle-Calédonie, les souvenirs remontaient comme des bulles. Surtout, je sentais mon corps me dire que c’était bon, qu’on pouvait s’arrêter. Après trois mille sauts, mes deux genoux étaient fracassés et l’arthrose lombaire qui se pointait les jours de pluie, je commençais à ressentir l’usure de ne pas m’être ménagé une seule seconde. Trop d’adrénaline tue l’adrénaline (…) On ne vivait pas indéfiniment loin de la lumière dans une ambiance poisseuse, de méfiance, de suspicion et de parano sans avoir le métabolisme modifié en profondeur.

Je me suis dit qu’il était temps d’apprendre à écrire des CV. Sauf que je me demandais bien ce qu’on pouvait faire en sortant du Service.

Cher Monsieur,

Je sais espionner, tuer à mains nues, sauter en parachute et faire péter des chars à distance. Engagez-moi, je serai un plus pour votre société.

 

Canal+

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[en 2001, usé tant physiquement que psychologiquement, Pierre quitte la DGSE pour intégrer le service Sécurité de Canal+ où il espère vivre une fin de carrière dans la sérénité. Hélas la chaîne est en pleine tourmente, luttes d’influence entre businessmen et stars du PAF, magouilles et tutti quanti]

Je suis rentré à Orléans [où est basé le Service Action de la DGSE]. J’avais respiré en m’éloignant de cette ville et du Service. J’y avais passé dix ans. Maintenant, j’y retournais pour fuir le piège dans lequel je m’enfonçais tous les jours un peu plus. Je me rappelais de ma vie parallèle d’avant. Ce que l’on faisait avait un sens, les enjeux nous dépassaient tous, nous étions des soldats. J’avais été fier des missions. J’avais même trouvé que l’on n’en faisait pas assez. J’avais cru que dans le civil ce serait différent. Cela n’avait pas été le cas. C’était bien pire. Des histoires crapoteuses de télé et de gros sous, des histoires de flics véreux, il y avait mieux en guise de vraie vie.

 

L’adieu aux armes

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Je me suis assis, j’ai commandé un café et j’ai compté les espions de bureau, une bonne poignée à vue d’œil. Je me suis dit que ma carrière s’arrêtait là, sous leurs yeux, que je pouvais tourner la page, que j’assumais ma vie, que j’en étais fier mais qu’elle n’était pas finie.

***

Pierre est allé au-devant des ennuis, en se livrant ainsi. Mais il est évident que l’écriture de ce récit a été un exutoire l’aidant à se reconstruire psychologiquement. Et c’est très bien ainsi.

Remercions le aussi, non pas pour avoir sorti de l’ombre, mais pour avoir mis un rai de lumière sur ces hommes et ces femmes des services secrets, qui prennent au nom de la France des risques énormes, parfois jusqu’à la mort, sans que cette France ne soit en mesure de reconnaître officiellement leurs sacrifices. Pas de cérémonie aux Invalides pour eux. « Un agent sort de l’ombre » leur rend un hommage mérité.

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Nous avons rencontré Pierre à Saint-Cyr en 2013, et avons échangé régulièrement avec lui depuis.

Il va très bien…

***

1304739-1715504.jpgNé en 1964, fils et petit-fils de militaire, Pierre Martinet s’engage en 1983 au 3e Régiment Parachutiste d’Infanterie de Marine. Il est déployé notamment  au Liban et au Tchad. Alors Sergent-Chef, il postule au Service Action de la DGSE. Il y « officie » sous le pseudonyme de Florent. En 2001 il intègre le Service Sécurité de Canal+, entre lutte contre les réseaux de piratage et sombre histoire d’espionnage interne.

Pierre mène désormais une carrière de consultant dans le domaine de la sécurité et d’auteur. Outre « Un agent sort de l’ombre », on lui doit « De l'ombre à la lumière » (Ed. Privé), « Cellule Delta » (Flammarion) et « Opération Sabre d'Allah » (Ed. du Rocher),  récits romancés plus que des romans. Il dirige également la collection « Service Action » des Editions du Rocher dans laquelle figure « L’espion aux pieds palmés » de Bob Maloubier.

« Un agent sort de l’ombre » a été écrit en collaboration avec Philippe Lobjois, journaliste, auteur de plusieurs livres et documentaires sur l'Afghanistan, l'ex-Yougoslavie et l'affaire Ingrid Betancourt. 

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Prix (J’ai Lu) 7,70€ - ISBN 978-2290028698 - Format 17,8 x 11 - 381 pages

Aux éditions Privé & J’ai Lu

« Un agent sort de l’ombre » et les autres livres de Pierre Martinet se trouvent très facilement dans toutes les bonnes libraires sur les sites du Net. Par exemple ici. 

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Hommage

Aux 58 Chasseurs-Parachutistes des 1er et 9e RCP morts pour la France dans l’attentat du Drakkar

Capitaines Jacky Thomas et Guy Ospital, Lieutenant Antoine Dejean de La Bâtie, Sous-Lieutenant Alain Rigaud,  Adjudants Antoine Bagnis et Michel Moretto, Sergents Christian Dalleau, Vincent Daube, Jean-Pierre Lebris, Yves Longle et Gilles Ollivier, Caporaux-Chefs Djamel Bensaidane, Laurent Beriot Laurent, Vincent Carrara, Louis Duthilleul, Xavier Grelier, Olivier Loitron, Franck Margot, Patrice Seria et, Hervé Vieille, Caporaux Patrice Girardeau, Jacques Hau, Laurent Jacquet, Patrick Lamothe, Dominique Lepretre, Olivier Leroux,Franck Muzeau et Laurent Thorel, Parachutistes de 1ère classe Guy Gasseau , Remy Gautret, François Julio, Gilles Pradier, Patrick Tari et Sylvestre Théophile, Parachutistes Yannick Bachelerie, Richard Bardine , Franck Caland, Jean-François Chaise, Jean Corvellec, Jean-Yves Delaitre, Thierry Deparis, Thierry Di-Masso, Hervé Durand, Romuald Guillemet, Jacques Kordec, Victor Lastella, Christian Ledru, Patrick Levaast, Hervé Leverger, Jean-Pierre Meyer, Pascal Porte, Philippe Potencier, François Raoux, Raymond Renaud, Thierry Renou, Bernard Righi, Denis Schmitt et Jean Sendra.

Aux 241 soldats américains morts dans le précédent attentat du 23 octobre 1983

Aux blessés.

 

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Hommage

Aux membres de la DGSE morts, souvent anonymement, pour la France.

Aux blessés.

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Commentaires

mon mari etait a l homme de son regiment, le 1er RCP, il etait la bas, quand la caserne a petee!
et ensuite, c est mon oncle qui etait au 3 RPIMA, qui est arrive aussi avec sa compagnie!

Écrit par : breteau | 06/01/2014

Nous n'oublions pas tous ceux du Liban. Honneur à eux.

Écrit par : UPpL'E | 06/01/2014

oulala!!! ça c'est du récit d'agents secret!! merci Alain pour les extraits! celui là, je le veux dans ma bibliothèque!!!

Écrit par : François | 19/01/2014

Merci François. Comme c'est un poche, tu devrais le trouver facilement. sinon, fais signe, je te l'enverrai. Nous allons poursuivre la série Service action avec "Une vie dans l'ombre" du COL Jouan et "L'espion aux pieds palmé" de Bob Maloubier.

Écrit par : UPpL'E | 19/01/2014

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