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18/11/2014

Mili-reportage : Le salon des Ecrivains-Combattants 2014

Toutes les photos ©Natachenka/Une Plume pour L’Epée.

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Pour tous les fans de récits de soldats, le salon des Ecrivains-Combattants est indéniablement l’endroit où il faut être, avec le Festival International du Livre Militaire de Coëtquidan ou le stand du Ministère de la Défense au Salon du Livre de Paris. Nous n’allions pas rater l’occasion d'y retrouver des auteurs déjà connus et faire de nouvelles rencontres ; en conséquence, direction Saint-Mandé ce samedi 15 novembre où était organisée la 84e édition.

Avec une pensée pour ceux qui ne peuvent se déplacer sur Paris, voici notre mili-reportage.

 

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Avec le CNE Brice Erbland, 1er RHC, actuellement détaché au Ministère de la Défense.

De chouettes retrouvailles, car ce pilote de Tigre, vétéran d’Afgha et de Lybie, portant beau le bleu cobalt, nous le connaissons bien. Nous avions d’ailleurs débuté le blog avec « Dans les griffes du Tigre », mais notre texte était loin d’être à la hauteur du récit de Brice (il fallait bien débuter…). Nous avons donc décidé de reprendre notre recension et produire une version totalement refondue pour 2015. Patience.

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Aux éditions Les Belles Lettres. Disponible ici

 

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Avec le CDT (h) Jean Arrighi.

C’est toujours un honneur de rencontrer un  grand ancien comme le CDT Arrighi : Commandos Parachutistes, Commandos Nord-Vietnam, Régiment de Corée en Indochine, prisonnier du Vietminh, Guerre d’Algérie comme Légionnaire. .. « L’épreuve du guerrier – Récits de guerre » sont ses mémoires, mais aussi, dixit le Commandant, un « coup de gueule » contre les détracteurs de l’Armée et un plaidoyer pour tous ceux qui sont tombés pour la France en Indo et AFN. Inutile de vous dire que l’on a hâte de le lire…

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Chez Indo Editions. Disponible ici

 

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Avec le GAL (2s) Pierre de Tonquédec.

« Monsieur Tchad ». Le Général y a en effet servi à trois reprises : commandant à Abéché puis chef de l’Etat-Major franco-tchadien à Fort-Lamy en 1970-72 ; Commandant de l’opération Tacaud en 1979-80 ; Enfin en 1987, inspecteur d’Epervier.  Nous n’avons que trop ponctuellement abordé ce théâtre d'opérations ; belle occasion de rectifier le tir avec « Face à Kadhafi – Opération Tacaud ». Avec une pensée pour mon petit-cousin du 28e RT qui s’y trouve actuellement en OPEX.

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Aux éditions SOTECA/Belin. Disponible ici

 

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Avec le LTN Jean-Marie Mathieu, vétéran d’Algérie 57-58, et ses filles.

Sorti de Cherchell (EOR), Jean-Marie Mathieu rejoint les Diables Rouges du 15.2 avant d’être affecté à l’état-major de la ZEC (Zone Est Constantinois). Partisan de la décolonisation, patriote critique, il désapprouve  certaines méthodes de répression employées dans le cadre des « pouvoirs spéciaux ». Après nos amis Zeller, Delcayre ou Hutin, farouchement favorables à l’Algérie française, "l'autre point de vue" donc, mais qu’il convient évidemment d’aborder, par honnêteté intellectuelle (chacun connaissant la complexité du drame algérien).

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Aux éditions L’Harmattan, disponible ici

 

Nous laissons maintenant une place aux enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants de combattants. Ils ont toute leur place ici. En publiant des témoignages, ils se sont investis pour que la mémoire de leurs anciens ne s’envole pas avec eux. Qu’ils en soient remerciés.

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Avec Mme Fabienne Monclar, fille du GAL Raoul Magrin-Vernerey dit Monclar.

« Monclar ». Voici un nom qui « sonne » dans l’histoire de France. Saint-Cyrien ; Première-Guerre mondiale durant laquelle il est blessé 7 fois ; Légionnaire au Proche-Orient pendant l’Entre-Deux-Guerres ; Narvik pendant la Campagne de France ; Londres dès le 21 juin 40, Campagne d’Afrique puis de Syrie à la tête de la 13e DBLE, refusant à chaque fois de porter les armes contre les Français restés fidèles au gouvernement de Vichy ; Indochine ; il termine sa carrière militaire en abandonnant ses étoiles de Général pour prendre le commandement du bataillon de Corée comme Lieutenant-Colonel… « Bayard du XXe siècle » comme est joliment sous-titrée la biographie de Mme Monclar, dédiée à son père.  Tout juste paru. Un livre évidemment incontournable.

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Aux éditions Via Romana. Voir ici

 

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Avec Mme Sophie Lamy, arrière-arrière-petite-fille du Poilu Louis-Auguste Hubert, 109e RI.

L’année du Centenaire de la déclaration de la Grande Guerre est l’occasion de nombreuses publications d’historiens et biographes et c’est heureux. Mais quand c’est une jeune femme qui s’intéresse directement à la vie de son arrière-arrière-grand-père pendant le conflit, c’est encore mieux. Outre l’intérêt historique évident de carnets tenus au jour le jour par un Poilu, la démarche tord le cou à une idée communément admise sur le peu d’intérêt manifesté par les jeunes générations pour l’histoire de notre pays et la mémoire de nos soldats. Voici donc « Souvenirs de guerre  1914-1918 » journal de marche de Louis-Auguste Hubert, instituteur, mobilisé au 109e RI, proposé et édité par Sophie Lamy. Nous saluons l’initiative.

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Aux éditions Jets d’Encre. Disponible ici

 

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Avec Mme Martine Veillet, petite-fille du médecin militaire Louis Maufrais.

Dans la même rubrique « témoignages de la Grande Guerre », deux livres publiés par Martine Veillet : Le premier est basé sur les  carnets et transcriptions d’enregistrements audio de son grand-père, médecin militaire dans les tranchées. De l’Argonne au Chemin des Dames, en passant par Verdun et la Somme. Publié en 2008, ce témoignage d’exception a suscité de nombreuses réactions, en premier lieu dans la famille Maufrais, la découverte de nouveaux documents, des lettres… ce qui a permis à Mme Veillet de publier « Ils étaient camarades de tranchées – sur les traces de Louis Maufrais ». Deux tomes donc, qui se donnent la réplique, richement illustrés de photos inédites. Un must. Et si vous en doutez notez que plusieurs grandes maisons d’édition étaient volontaires pour la publication (Robert Laffont remportant la mise).  On souhaiterait à ce propos  que ces éditeurs, disposant de moyens marketing importants, laissent plus de place aux témoignages de nos soldats, au milieu des futiles bios d’aussi futiles « people ». Le business, ok, mais le devoir de mémoire, c’est bien aussi.

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Aux éditions Robert Laffont, disponibles ici

 

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Avec Florian Hollard, fils de Michel Hollard, résistant.

« Michel Hollard – Le Français qui a sauvé Londres » est un livre sur un homme méconnu et pourtant on lui doit, grâce à son action d’espionnage, la découverte puis la destruction des rampes de V1, destinés à ravager Londres. Dénoncé, Michel Hollard est arrêté, torturé, déporté au bagne de Neuengamme puis jeté dans la cale d’un navire promis au naufrage. Un monsieur discret, qui ne connut par les honneurs de la République, n’étant pas spécialement (impression de l’auteur) « dans les petits papiers » du GAL de Gaulle car indépendant des services de renseignement de la France Libre. Il sort d’un oubli immérité grâce à son fils Florian, auteur du texte basé sur ses souvenirs personnels et recherches.

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Aux éditions Le Cherche Midi. Disponible dans toutes les bonnes librairies et sites du Net.

 

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Avec Agnès Le Boudec-Andrieu et Bertrand Le Boudec, enfants du GAL (2s) Lucien Le Boudec.

Un véritable coup de cœur pour cette bio sur un grand ancien, Grand-croix de la Légion d’honneur, ancien du 6e BPC, blessé cinq fois au combat, appartenant à « Ceux de Tu Lé » et « Ceux de Dien Bien Phu ». Respect. Ses mémoires existent grâce à ses enfants Agnès et Bertrand qui ont publié ce livre remarquable, superbement illustré par les photos inédites issues de la collection de leur père. « Elevé à la dignité » a reçu le prix Jacques Chabannes 2014 de l’association des Ecrivains Combattants et ce ne peut être que mérité.  Indispensable dans toute bonne bibliothèque mili.

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Aux éditions Lavauzelle. Disponible ici

 

Quant à toutes les autres personnes présentes, qu’elles reçoivent nos sincères excuses de ne pas les mentionner. Le salon des Ecrivains-Combattants est un beau succès, les livres nombreux et il nous est matériellement impossible de tous les couvrir : histoire, stratégie… Nous sommes les premiers à le regretter. 

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Clin d’œil cependant à deux sympathiques écrivains-historiens, Gérard Bardy (à gauche sur la photo), à qui l’on doit une biographie de Susan Travers, unique femme Légionnaire, chez Pygmalion (vous connaissez notre affection pour la Légion…) et Alain Desaulty (à droite), que l’on retrouve toujours avec plaisir sur les salons, auteur « mili » prolifique. Citons son dernier livre : « 1954 – Le Tournant du siècle, l’année Dien Bien Phu » aux éditions Persée, disponible ici

Et pour conclure, merci à l’association des Ecrivains-Combattants et son indispensable travail de mémoire, ainsi qu’à la ville de Saint-Mandé pour une organisation sans faille. 

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Site de l’association des Ecrivains Combattants ici.

 



 

 

08/11/2014

Hommage à Ceux de la Grande Guerre ; Le dormeur du val, Arthur Rimbaud

  

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 Nos arrière-grands-pères, combattants de la 1ère Guerre Mondiale : 

Pour le Chasseur : Abel Préau, 10e RG, 105e RAL, 46e RI ; Ernest Antoine, 37e RIT, mort pour la France le 1er janvier 1915 à Toul ; Fernand-Gaston Camut, 17e BC, 71e BC, croix de guerre 1914-1918 avec étoile de bronze. Pour la Russe-blanc : Colonel Fiodor Zakharevitch Plakoff ; Colonel Vassilï Oskarovitch Lampe.

 

Le dormeur du val

 

C'est un trou de verdure où chante une rivière,

Accrochant follement aux herbes des haillons d'argent ;

Où le soleil, de la montagne fière, luit :

C'est un petit val qui mousse de rayons.

 

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu, dort ;

Il est étendu dans l'herbe, sous la nue,

Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

 

Les pieds dans les glaïeuls, il dort.

Souriant comme sourirait un enfant malade,

Il fait un somme :

Nature, berce-le chaudement : il a froid.

 

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;

Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,

Tranquille.

Il a deux trous rouges au côté droit.

                 

 Arthur Rimbaud

 

***

Bibliothèque "Récits de poilus"

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Liste loin d'être exhaustive - les publications sont nombreuses, surtout en cette année de centenaire. 

Evidemment, de très nombreux livres d'histoire existent, ainsi que de bonnes biographies. Récemment paru : "Joffre" par le LCL Rémy Porte, disponible dans toutes les bonnes librairies ou par exemple ici.

 

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Hommage

Aux morts de 1914-1918 :

1 811 000 Russes, 1 388 000 Français, 885 000 Britanniques, 651 000 Italiens, 450 000 Serbes, 250 000 Roumains, 116 000 Américains, 74 000 Indiens, 65 000 Canadiens, 62 000 Australiens, 43 000 Belges, 26 000 Grecs, 18 000 Néo-zélandais, 10 000 Africains du Sud, 7 000 Portugais, 3 000 Monténégrins,

4 000 000 d'Allemands, Austro-Hongrois, Turcs et Bulgares,

près de 9 000 000 de civils.

Aux 20 000 000 de blessés.

 

Dirigez-nous dans nos ténèbres. Soyez nos agents de liaison. Soyez nos célestes fourriers. Préparez-nous là-haut le cantonnement. Afin que, lorsque viendra l’heure décisive, l’heure H par excellence, nous puissions vous retrouver dans la lumière et dans la paix. 

Abbé Joseph Bordes 

Discours à l’ossuaire de Douaumont

 

 

 

01/11/2014

« Mémoire de larmes d’un casque lourd », CCH Xavier Geoffroy, 28e RTrans, éd. Edilivre.

Extraits publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Photos inédites, collection de l’auteur. Droits réservés. Merci de nous consulter si vous souhaitez les réutiliser.

 

 

Il y a des larmes plus douloureuses que celles que l'on pleure : 

Ce sont celles que l'on n’arrive pas à pleurer.

 Bertrand Vergely, philosophe et théologien chrétien orthodoxe français.

 

 

Lors de la guerre du Vietnam, 50 000 GIs meurent au combat ou en service. Durant les années qui suivent, on estime à 50 000 au minimum le nombre de vétérans qui se suicident. Cet autre drame, qui fit donc autant de victimes, si ce n'est plus, que le conflit (cela interpelle) fût longtemps ignoré, voire tu. Il porte désormais un nom : le syndrome de stress post-traumatique (SSPT).

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Il fallut la débâcle américaine, et sans aucun doute un changement de mentalité dans notre société, pour que l’on fasse enfin cas de la détresse psychologique de certains combattants, « cassés de l’intérieur » : la « blessure de guerre invisible » comme l’a si bien qualifiée l’ADC Sylvain Favière.

Sylvain est l’un des rares, avec le SCH Yohann Douady dans « D’une guerre à l’autre » à avoir osé aborder dans un récit autobiographique les troubles terribles générés par le SSPT, tant pour la personne qui en est victime, que pour ses proches. Il faut du courage, il est vrai, pour se livrer ainsi. Et ce courage, un transmetteur l’a trouvé à son tour : le CCH Xavier Geoffroy, 28e RTrans, traumatisé, c’est bien le mot, par ce qu’il a vécu au Rwanda, sentiment aggravé par les malheurs de la vie, la perte de son amie de cœur, d’un frère d’armes en Bosnie et un accident.

Aujourd’hui, le SSPT est pris on ne peut plus au sérieux par l’institution militaire. D’où la mise en place d’un service spécifiquement dédié à ceux qui en souffrent, accessible par numéro vert, ou de « sas » à Chypre au retour des OPEX, période de transition/décompression pour les soldats. 

Nous savons que le chemin vers la guérison est long, difficile et que la clé est dans l’échange. Remercions Sylvain, Yohann et désormais Xavier de leurs témoignages. Démarche salutaire pour eux-mêmes, mais aussi pour leurs camarades isolés dans leur mal-être. Remercions aussi Xavier de rappeler ce que fut le Rwanda et de rendre hommage aux victimes d’une des pires tragédies du XXe siècle. 

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Xavier Geoffroy, 28e RTrans, quartier Chanteau, Orléans. Collection de l’auteur.

Mars 1996. Un brouillard épais règne dans ce milieu forestier en ce mois de mars. J’aperçois le reflet des phares sur le bitume de cette route…

« Monsieur ! Vous m’entendez ? Monsieur, si vous m’entendez, serrez-moi la main ». Complètement engourdi par un mauvais rêve, je n’arrive pas à savoir où je me trouve. Un médecin urgentiste et une infirmière s’occupent de moi. Mes vêtements sont tachés de sang et déchirés, mon pantalon de treillis est coupé du bas vers le haut pour laisser apparaitre mes jambes.

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Xavier Geoffroy, 28e RTrans, quartier Chanteau, Orléans. Collection de l’auteur.

Je déprime de plus en plus chaque jour qui passe, je n’accepte pas de me voir ainsi. J’étais au meilleur de ma forme et me voilà au plus bas. Je n’arrive pas vraiment à redémarrer la machine. Désormais, je recommence à esquiver les séances de sport du matin sans même me cacher de mes camarades et responsables. J’erre dans les longs couloirs de la compagnie et remonte avec un café m’enfermer dans ma chambre.

On peut penser que cet accident grave, qui aurait pu coûter la vie à Xavier, sert de catalyseur : car s’il marque physiquement notre ami transmetteur, il libère aussi sa parole. En effet, depuis son retour du Rwanda, Xavier souffre de SSPT. Mais comment sortir indemne du Rwanda, de l’Apocalypse, comme l’a décrit le padre Kalka ?

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Rwanda 3.7.1994. D’ap. photo AFP/Hocine Zouar. 

Après avoir participé au montage d’une station de transmissions, je me retrouve de garde devant une immense grille, l’entrée principale de notre base, pour deux heures de vacations. Je suis avec un jeune Légionnaire du 2e REI de Nîmes. Nous n’avons pas trop le temps et encore moins la tête à discuter. Une masse importante et grandissante de gens attend devant la grille, nous leurs demandons de bien vouloir reculer de quelques mètres. Tout cela se passe dans un bruit incessant de cris et de chants. Certains s’agrippent aux barreaux des grilles. Nous ne savons plus à quelle ethnie appartient la plupart de ces gens. Certains nous demandent de les laisser rentrer, d’autres veulent de l’eau et surtout de la nourriture. A ce moment-là, il ne faut en aucun cas sortir de la nourriture de ses poches, car cela peut déclencher une émeute et tout faire déraper.

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Réfugiés rwandais. D’ap. photo AFP

Des femmes et des enfants, des vieillards, passent à côté de nous en formant une longue chaîne humaine interminable. J’ai l’impression de ne pas être présent quand ils me regardent, tellement la détresse dans leurs yeux est accablante. 

Certains pleurent, tandis que d’autres restent les yeux dans le néant. Je croise le regard d’une femme, d’un vieillard, d’un enfant, sans jamais recevoir le moindre échange, comme si je n’étais qu’une affiche.

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Xavier Geoffroy au Rwanda. Collection de l’auteur.

J’ignore combien de temps nous avons passé au bord des routes, mais bien moins que toutes ces personnes. C’est dans un profond silence que nous regagnons notre camp de base. Après avoir essayé de manger, je regagne ma tente pour m’allonger. Je ne trouve pas la paix dès que mes paupières se ferment, j’aperçois en permanence des visages de réfugiés. Mes jours et mes nuits ici sont devenus un véritable enfer.

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Rwanda, fosse commune, d’ap. photo Reuters/Corinne Dufka

L’odeur qui règne et la vue me provoquent des nausées. J’aperçois des camions arrêtés à différents embranchement de routes, des civils ramassent tous ces morts pour les charger vulgairement dans les bennes. Un spectacle complètement surnaturel cela semble irréel pour la plupart d’entre nous. On se demande si tout cela est vrai, si nous ne sommes pas en plein cœur d’un cauchemar. Je repense à ce que m’a dit un sergent-chef de la Légion en arrivant à l’aéroport : « Ceci est la cours de jeu du Diable ! ».

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Rwanda, camp de réfugié, d’ap photo AP/JM Bouju

Des larmes coulent sur mes joues à chaque passage d’un enfant à mon point d’eau. Ils ne comprennent pas ce qui se passe mais les adultes, eux, ont très bien réalisé ce que nous faisons. Les réfugiés ont compris que nous démontons certains matériels et allons quitter le Rwanda (…) Ce soir, allongé sur mon duvet, je pleure à l’intérieur de mon être.

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Xavier Geoffroy, ici au Bénin. Collection de l’auteur.

Je sursaute une fois de plus dans mon lit, je me rends compte à quel point je suis choqué. Ces fantômes ne me quitteront jamais. Ces fantômes ne quitteront pas cet ossuaire vivant et eux ne nous quitteront jamais.

Mes proches ne me reconnaissent plus. Je me suis emmuré dans le plus profond silence. Rien ne sort, aucun mot ne s’échappe de ma bouche (…) Tout ce qu’ils disent ne m’intéresse pas, je ne pense qu’à une seule chose, retourner au Rwanda, pour venir en aide aux réfugiés.

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Rwanda, camp de réfugiés

Je m’enferme dans ma chambre à la caserne. Je me surprends à écrire des bribes, comme pour cracher quelque chose qui me gêne au niveau de l’estomac. Sur les feuilles de papier blanc, je vomis des mots. La nuit venue, je m’allonge et verrouille mes paupières tout en laissant une lampe de chevet allumée. Lorsque soudain, un enfant m’attrape la jambe à nouveau, il tire de toutes ses forces sur mon pantalon de treillis. Je regarde en sa direction, ses joues sont couvertes de larmes de sang. Son short et ses jambes sont tachés d’excréments et une odeur désagréable s’en dégage. Une douleur me saisit au niveau du crâne, je me réveille hors du lit la tête contre le mur.

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Xavier Geoffroy. Collection de l’auteur.

Je parle de souffrance parce qu’elle est réelle, toutes les personnes ayant subi un traumatisme le diront. Elles revivent des scènes d’épouvante mises en sommeil momentanément quelque part dans leur psychisme. On pense avoir oublié toutes les sensations et ces images effroyables, insoutenables, irréelles, puis un jour, elles ressurgissent…

***

 

10313835_682567958463599_740453962290809229_n.jpgXavier Geoffroy nait  en 1973. A 18 ans il s’engage dans l’armée, rejoint le 41e puis le 28e Régiment de Transmissions. Il est déployé notamment en Guyane, en Somalie, au Rwanda et en Bosnie. Il est profondément marqué par ce qu’il vit lors de l’opération Turquoise au Rwanda. A son retour, il subit les troubles du stress post-traumatique, mal-être, cauchemars. En 1996, il est victime d’un accident en service, aggravant sa détresse psychologique. Diminué physiquement et psychiquement, il quitte l’Armée. Apportant son aide à des survivants du génocide installés en France, échangeant avec d’autres victimes de SPT, il trouve la force de témoigner en écrivant « Mémoire de larmes d’un casque lourd » qu’il agrémente de poèmes. Il se reconstruit pas à pas, aidé pas ses proches, et en premier lieu sa femme. Le chemin est long, mais il est sur la bonne voie.

Page FaceBook du livre ici.

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ISBN 978-2-332-73437-2 – Prix 23,50 € - Format  13,5x20,5 - 194 pages

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Aux éditions Edilivre

Disponible ici

 ***

 

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Hommage

A toutes les victimes du syndrome de stress post-traumatique ;

ce sont des blessés de guerre.

Aux Transmetteurs.

A ceux de Turquoise.

A la mémoire des civils rwandais, victimes de la folie humaine.

***

Depuis janvier 2013, le Ministère de la Défense a lancé un numéro vert destiné aux militaires et aux vétérans souffrant de SSPT : 

08 08 800 321

Des psychologues du Service de Santé des Armées sont disponibles, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, pour répondre à toutes les interrogations. Selon l’urgence de la situation ou au bon vouloir de chacun, les patients pourront être aussi redirigés vers des médecins du système de santé public pour être pris en charge.

*** 

Nous n’oublions pas les proches. 

Mme Pascale Lumineau, maman de Pierre-Olivier, MLC du 40e RA mort pour la France en Afghanistan en 2012, a créé l’association « De la pierre à l’olivier », qui a pour vocation de mettre en contact et organiser des groupes de parole dans toute la France, dom-tom inclus, afin que ceux qui ont eu le malheur de perdre un proche, mais aussi les familles des blessés (physiques et psychiques) puissent partager avec des personnes dans la même situation. 

Pour que la parole se libère...

Groupe FaceBook ici. 

 

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Survivant du génocide rwandais, d’ap. photo AP/Jean-Marc Bouju/Keystone

Lorsque je me suis mis à écrire tous ces mots, j’ai souvent eu la sensation de vomir mes maux, sans que rien ne sorte. Il y a des choses qui restent et qui ne peuvent sortir. On vit avec et il n'est nullement possible de faire autrement. C’est ce qui fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Des porte-paroles d’horreur.

 

Je vais jeter mes dernières forces,

Dans cette bataille qui s’amorce. 

Hier, je pensais être un sans larmes,

Aujourd’hui, je suis fait de larmes de sang.

Xavier Geoffroy