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26/04/2014

« Parcours Commando », Alain A. dit Marius, Commando de Montfort, éd. Nimrod

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur et des éditions Nimrod. Droits réservés.

 

 

J’espère que tu vis une vie dont tu es fier. 

Si tu ne l’es pas, j’espère que tu auras la force de tout recommencer.

Francis Scott Fitzgerald

 

 

« Oui votre Honneur, mon client a mal agi, mon client est un voyou, mais il a des excuses : il a été élevé dans une famille déstructurée, sa mère est dépressive, il habite un HLM dans une banlieue défavorisée, il a de "mauvaises fréquentations". C’est une victime de la société… »

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Alain A., dit Marius, aurait pu entendre cette phrase d’avocat, habituelle victimisation du coupable. Et s’il se l’était appropriée, s’il s’était auto-excusé de la vie qu’il menait, se trouvant des "circonstances atténuantes", sans doute sa destinée aurait-elle été toute autre. Mais ce n’est pas cette phrase que Marius a retenue, au moment où il basculait dans une plus grande violence ; c’est celle-ci : « Vous allez droit dans le mur. Je vous donne une chance, saisissez-là ».

« Parcours Commando », c’est cette histoire : celle d’un voyou marseillais qui saisit sa chance, change de vie, rejoint les Commandos Marine dont il devient une figure.

Et grâce aux éditions Nimrod qui, une fois de plus, ont frappé un grand coup [non, nous ne sommes pas actionnaires J], le désormais célèbre béret vert se livre au travers d’un récit très intime, essentiellement tourné vers son enfance, son adolescence errante, puis son adhésion corps et âme à la grande famille des Commandos. On peut imaginer qu’il lui a fallu du courage pour « vider son sac ». Nous savons qu’il a hésité, jusqu’à la dernière minute, avant la publication. Mais finalement, il s’est lancé. Et c’est tant mieux, car l’histoire est belle.

Je pense, je ressasse, je réfléchis et j’imagine. Je m’amuse à faire défiler ma vie comme si je tournais les pages d’un livre. Mes souvenirs, mes actions passées et mes désirs s’entremêlent pour évoquer une histoire qui me fait tantôt sourire, tantôt frémir, tantôt souffrir.

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Ces coups que je distribue sont l’expression brutale et sincère de ce que je ressens au fond de moi, comme un ressort tendu à l’extrême qui me brûlerait les entrailles et se détendrait d’un coup sec pour mettre mes poings en branle à la moindre contrariété, au moindre danger. Je sens cette brulure qui me tenaille depuis mon enfance, cette violence qui occupe un espace laissé vacant par le manque d’amour et qui transforme mon visage, m’avertit que je vais frapper sans que je puisse retenir mes coups, sans que je puisse trouver d’autre issue pour résoudre les problèmes. Des millions d’images se bousculent alors dans ma tête et m’aveuglent au point que j’en arrive toujours à cette même extrémité : frapper, frapper et frapper encore avant de me faire frapper. Quand vous n’avez pas d’amour à donner, vous prenez l’habitude de purger votre corps de la rage qui l’habite en frappant.

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Le jeune enquêteur me fixe à nouveau, hésitant quelque temps avant de se décider à parler : « Je ne cautionne pas ce qui vient de se passer, mais vous savez à quelle impasse mène la direction que vous êtes en train d’emprunter (…) Je ne suis ni votre père, ni votre avocat et je dis cela sans jugement aucun, mais chacun doit avoir une chance de changer sa vie. Vous avez fait votre service militaire ? Non ? »

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Ecole des Fusiliers Marins

Les instructeurs terminent leurs monologues respectifs par une déclaration laconique dont nous ne saisissons pas encore toute la portée : « L’entraînement ne s’arrête jamais ». Je bois ces paroles et je me sens bien. Je vais pouvoir me prouver à moi-même que je suis capable de faire quelque-chose de ma vie, je vais pouvoir m’engouffrer dans cette porte qui s’ouvre devant moi pour saisir ma chance sans tergiverser, ni négocier, ni magouiller.

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Photo Emmanuel Donfut / Balao 

J’achève mes 50 mètres puis j’effectue un joli plongeon en canard pour aller arracher une poignée de vase au fond de l’océan. Cette vase, que je sens glisser entre mes doigts, m’apparaît à cet instant plus précieuse que tout l’or du monde, plus précieuse que n’importe quel sac de pièces que j’aurais extrait de l’épave d’une frégate corsaire. Je remonte rapidement à la surface en prenant garde qu’elle ne m’échappe pas des mains, puis je nage vers le ponton afin de révéler à l’instructeur mon trésor de boue et de sable à l’odeur d’algues. Je brandis alors mon poing enserrant la vase comme si j’avais décroché la plus belle des victoires. 

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Stage Commando

Les murs de tôle glacée semblent transpirer la peur de tous les stagiaires qui sont passés par là, en y laissant un peu d’eux-mêmes. La douleur et la peine de ceux qui ont échoué sont presque palpables, mais je devine aussi l’esprit de ceux qui sont allés jusqu’au bout de leur souffrance dans l’humilité, qui ont remporté une victoire sur eux-mêmes dans la tourmente, de ceux dont la joie intérieur qui subsiste en ces lieux agit comme un aimant pour les plus motivés d’entre nous. Mes sens sont d’ailleurs aiguisés comme ceux d’un animal prêt à se lancer dans l’arène.

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Nos gestes sont secs, économes, précis et efficaces. La plupart des stagiaires ont développé un instinct animal qui leur permet de faire preuve d’une extrême vigilance, le regard aux aguets, l’ouïe sensible au moindre bruit. Telle une meute de loup en situation d’insécurité permanente, nous avons pris l’habitude de cohabiter et nous avons développé les réflexes nécessaires à notre survie collective. Notre corps s’est transformé en machine prête à réagir au moindre signe d’alerte. Nous avons adopté de nouvelles attitudes et nous analysons tout ce qui nous entoure, sur le qui-vive en permanence.

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A peine ai-je le temps de jeter un coup d’œil à mes camarades dont je suis aujourd’hui le chef d’équipe, que nous commençons à nous mettre à l’eau. Encore une fois, nous procédons de la manière la plus discrète possible. Pas de plouf comme à la piscine, mais une lente immersion qui provoque comme une interminable décharge électrique dans tous le corps. L’eau glaciale paralyse rapidement tous mes membres et raidit ma nuque jusqu’à la transformer en barre de fer. Pour lutter contre ce phénomène, j’immerge deux fois ma tête sous l’eau les yeux ouverts, distinguant les jambes de mes compagnons qui battent dans l’eau comme si je regardais un film flou aux teintes verdâtres.

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Les stagiaires que nous sommes se sont métamorphosés. Nos visages, plus marqués qu’avant, ne sont plus les mêmes. Un regard ou un geste suffit pour communiquer entre nous. Nous ne nous parlons pas beaucoup, mais nous nous comprenons très vite. Nous partageons les mêmes objectifs et avançons dans la même direction. Efforts et réflexions individuelles sont mis au service de la collectivité.

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Le discours du commandant terminé, le maître de cours s’avance pour saisir la dague gravée dont la lame, bien protégée dans son fourreau, attend son récipiendaire. Il est accompagné de Léon Gautier, vétéran du débarquement du 6 juin 1944 et président de l’Amicale des Commandos français, qui tient dans ses mains le brevet portant le badge 6490. Les deux hommes se tiennent devant nous, immobiles et impassibles, dans l’attente que le commandant de l’école, droit et solennel derrière son pupitre, annonce l’identité du major de stage. « Major de stage commando 59, matelot Alain A. sortez des rangs ! ».

Cette annonce résonne en moi comme un coup de tonnerre (…) Je pense à mon père qui n’est plus de ce monde. Je pense à tous ces gens qui m’ont toujours considéré comme un cancre et un bon à rien. Je pense à mes anciens camarades, à mon ancienne vie, à ce qui m’attend. Je pense à mille choses toutes différentes les unes des autres sans véritablement réaliser ce qui m’arrive. Mon corps est parcouru de frissons, des larmes qu’il me faut absolument contenir me montent aux yeux et je déborde de fierté tout en essayant de n’en rien montrer. Enfin, je sors des rangs comme un automate afin que Léon Gautier [Commando Kieffer, vétéran du Débarquement] puisse me coiffer du green beret.

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Marius poursuit son autobiographie au-delà de ce moment si symbolique qu’a été la remise de son brevet et de son béret vert, mais il reste discret sur ses missions au sein du commando de Montfort qu’il a rejoint. Ceci nous vaut cependant des anecdotes savoureuses : bas-fonds de Djibouti, bataille rangée dans un restaurant de Venise, rôle d’instructeur Commando (la boucle est bouclée), genèse du film « Forces Spéciales »… 

Mais l’essentiel de son récit est bien dans sa rédemption et sa découverte de lui-même au sein de la Marine. 

Est-ce que tout était écrit pour que le voyou marseillais soit trouvé un matin sur un parking, le corps criblé de balles, comme ce fût le cas pour un de ses camarades de perdition ? Est-ce que la chance a « contrarié » un destin écrit d’avance ? Si c’est le cas, cette chance s’est manifestée souvent : rencontre avec un policier bienveillant, rencontre avec une femme, rencontre avec les Commandos Marine... 

La chance a bon dos. Aide-toi, le Ciel t’aidera. 

Il n’y a pas de destin.

 

***

 

1334822.jpegAlain A. dit Marius est né dans un milieu modeste de la région marseillaise, élevé dans un contexte familial « compliqué ». Après une adolescence faite d’errance et de larcins, doublé d’un caractère violent, tous les éléments sont réunis pour que Marius s’enfonce dans la grande délinquance. En 1984, à l’issue d’un énième forfait, une rencontre salutaire avec un inspecteur de Police éclairé change la donne : Marius rejoint l’école des Fusiliers Marins de Lorient, puis le stage Commando dont il sort major. Affecté au Commando de Montfort, il est déployé notamment au Liban, à Djibouti, en Côte d’Ivoire. Il termine sa carrière comme instructeur à l’école des Bérets Verts. Il quitte la Marine en 2006 pour poursuivre une carrière dans la sécurité. En 2011, il est repéré par le réalisateur Stéphane Rybojad qui lui confie un rôle dans son film « Forces Spéciales », aux côtés notamment de Diane Kruger, Benoît Magimel, Tchéky Karyo… 

Marius est marié à Nolwenn à laquelle il rend un vibrant hommage dans le livre et fier papa de Yoann, Maxime et Lukas.

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Marius et Nolwenn au Cercle National des Armées - Photo © Natachenka

Je dois tout à ma femme, qui m’accompagne aujourd’hui encore et qui n’a jamais cessé de m’aimer, qui a su garder toute son énergie pour vivre auprès d’un forban capable d’inventer mille raisons pour camoufler son hyperactivité qui le brûlait de l’intérieur comme un feu dévorant.

 

Page FaceBook officielle de Marius ici.

 

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Rencontres avec Marius – Cercle National des Armées, Soirée des Editions Nimrod, Salon du Livre 2014

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Prix : 21 € - ISBN 978-2915243550 - format 22,8x15 – 384 pages - Cahier photo couleur

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Aux éditions Nimrod

Livre disponible ici.

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 DVD Forces Spéciales 

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Forces Spéciales, notes de production et sources d'inspiration : Le livre du film de Stéphane Rybojad

Prix 34,90€ - ISBN 978-2915243420 – Format 30,2x24,4 – 144 pages

Aux éditions Nimrod – Disponible ici.

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Portez l’esprit Marius !

Motivex & Moraline est une nouvelle marque de vêtements inspirée par le parcours et les valeurs de Marius. En collaboration avec Nimrod. Site de vente ici

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Bibliothèque « Commandos Marine et Fusiliers Marins »

(non exhaustif)

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A paraître en mai : "Le commando Kieffer - Les 177 Français du D-Day" par Jean-Marc Tanguy. Editions Albin Michel en collaboration avec le Ministère de la Défense. Disponible ici.

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Hommage

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© Chemin de Mémoire Parachutiste 

 

Aux Commandos Marine morts pour la France en Afghanistan :

Maître-Principal Loïc Le Page, Commando Trepel,

Maître-Principal Frédéric Paré, Infirmier Fusilier-Commando,

Second-Maître Jonathan Lefort, Commando Trepel,

Second-Maître Benjamin Bourdet, Commando Jaubert,

Aux Commandos Marine et Fusiliers Marins morts pour la France, morts en service commandé,

Aux blessés. 

"A lui l'immortalité, à nous le souvenir, car tant que nous honorerons sa mémoire, son sacrifice aura un sens et il continuera à vivre intensément en nous"

Général de corps d’armée Maurice Le Page, aux obsèques de son fils le MP Loïc Le Page.

 

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Marius remet le béret vert à l’occasion du stage Commando 123. Partant du principe que réussir le stage est un honneur, quel que soit le rang de sortie, il a choisi de remettre en personne, en tant que maître de stage, le béret vert au stagiaire classé dernier. 

 

Je reste persuadé que l’homme, quelles que soient son éducation, son origine ou ses racines, garde toujours en lui une étincelle qui peut lui permettre de changer et d’évoluer dans le droit chemin. Pour y parvenir, pour transformer cette étincelle en flamme, il lui faut cependant l’entretenir et la stimuler, avoir le désir, l’envie et la volonté de changer, mais aussi le courage d’affronter le regard des autres et d’écouter les conseils qu’ils peuvent vous donner. Bien des hommes se murent dans leurs certitudes privant cette étincelle de la moindre molécule d’oxygène et l’amenant ainsi à s’éteindre définitivement.

Marius

 

 

 

 



10/04/2014

« Blessé de guerre », SCH Jocelyn Truchet, 13e BCA. Autoédité.

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Tous droits réservés.

 

 

 

Apprends à écrire tes blessures dans le sable et à graver tes joies dans la pierre.

Lao Tseu

 

« Ce garçon a la pêche et donne la pêche ». Voici exactement ce que nous avons pensé, après avoir écouté le SCH Jocelyn Truchet lors de ses interventions dans deux cafés littéraires mili. Rien d’étonnant à ce qu’un jeune-homme de 25 ans, Chasseur alpin, sportif, ait et donne la pêche, nous direz-vous. Rien, si ce n’est que Jocelyn est un grand blessé de guerre, amputé de la jambe gauche...

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Jocelyn Truchet est bien connu dans la fraternité mili. Nous avons tous entendu parler de lui, nous connaissons tous les photos émotionnellement très fortes de Philippe de Poulpiquet le concernant, mais rappelons les faits : en 2009, le SGT Truchet est déployé en Afghanistan avec le 13e BCA qui forme l’ossature du GTIA « Black Rock ». Après 6 mois de combats intenses, à quelques semaines de la fin de la mission, un IED est déclenché au passage de sa patrouille. Très grièvement blessé, le corps criblé d’éclats, il devra être amputé de la jambe gauche, perdant aussi l’usage de plusieurs doigts d'une main. 

Sans présager, évidemment, de l’issue tragique de sa mission, Jocelyn a pris soin de noter chaque jour ses actions et celles de ses camarades en Kapisa, poursuivant ses écrits à l’hôpital et lors de sa rééducation. Et c’est ce journal de marche, revu avec la collaboration de Bruno Pasdeloup, qu’il a eu la bonne idée d’éditer.

Morceaux choisis :

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Le 13e BCA avant son départ et en vol pour l’Afghanistan © C. Batardin 

2.12.2009. Les moteurs rugissent et les roues quittent le sol : nous quittons notre terre, notre France. Je regarde par le hublot les dernières lumières de la côte qui s’éloigne. Direction Abu Dhabi, notre seule et unique escale avant Bagram ; avant la guerre.

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Jocelyn - Séance de tir au HK416

31.12.2009. Dans une heure, nous aurons les ordres pour partir à la recherche des journalistes [Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier] kidnappés. D’habitude, il est naturel pour nous de nous exposer sous le feu de l’ennemi pour un de nos camarades, mais ici, c’est pour des inconnus que nous allons mettre notre vie en jeu. Nous n’avons pourtant aucune hésitation : ils sont Français et si notre modeste action peut nous permettre de les sortir de là, nous le ferons sans hésiter. En espérant qu’ils sauront se souvenir des efforts et des risques entrepris par chacun d’entre nous pour les libérer…

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Math, blessé lors du combat du 11.5.2010 - L’auxsan (auxiliaire sanitaire) délivre les premiers soins © D.Geffroy@Armée de Terre

8.1.2010. Math repère un mec armé d’un RPG [roquette] qui se lève et fait feu sur lui. Il tire sa FLG [grenade à fusil] dans sa direction, mais la roquette explose à trois mètres de lui contre le mur. Math et mon tireur minimi [mitrailleuse] sont plaqués au sol par le souffle de l’explosion. Ils se relèvent et basculent dans la ruelle, avant que Math ne s’écroule au sol. Nous le faisons évacuer rapidement par l’arrière, craignant que l’adrénaline ne l’ait empêché dans un premier temps de sentir une blessure. Il est sonné et il n’entend plus rien. Après quelques minutes, il se relève mais est toujours sourd. Nous tirons quatre grenades à fusil en direction du tireur RPG. Derrière le muret où nous sommes, des tirs claquent. Est-ce les C20 ? Nouvelle rafale : finalement, ce sont des tirs d’insurgés. Deux de mes gars passent leurs flingues par-dessus le muret et lâchent des rafales à la libanaise. Ils essaient visiblement de nous contourner, il faut accélérer…

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Opération Minautore 2 - 5.3.2010 – l’un des nombreux plans du livre

10.1.2010. Les deux missiles font mouche sur le compound [maison afghane] en même temps et une seule explosion parvient à nos oreilles. Les insurgés se calment et nous décrochons en tirant une roquette de 89 mm pour couvrir notre rupture de contact. Nous courons vers le wadi [canal d’irrigation] situé à 400 m derrière nous. Les 35 kg d’équipements que nous portons sur le dos commencent à se faire sérieusement sentir et il faut motiver les gars pour qu’ils ne s’arrêtent pas. J’ai l’impression que certains vont tomber en syncope, les visages sont blancs.

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19.1.2010. Même après 12h de sommeil, je suis complètement naze. Les organismes des gars sont mis à rude épreuve par la difficulté des opérations. Le rythme des opérations est particulièrement éprouvant lors de ce mandat mais le moral des gars est au beau fixe. C’est l’essentiel.

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Enguerrand Libaert lors d’une mission de sécurisation de convoi © C. Perruchot@Armée de Terre

9.2.2010. « - Ca veut dire quoi Delta Charlie Delta ? – Décédé » Moment d’hésitation chez nous… « - Il y a un mort chez 20 alors… - Tu es sûr d’avoir bien entendu ? »

Finalement la nouvelle tombe : Il s’appelle Enguerrand Libaert. Les plus jeunes de la troupe sont anéantis. C’était leur pote et il avait fait ses classes avec pas mal de mes gars.  Nous nous occupons d’eux autant qu’on le peut, mais que dire pour réconforter devant une cette tragédie ? Il faut qu’ils restent concentrés, la mission continue.

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Une rare pause : Barbecue Chasseur à Tagab. Jocelyn au centre.© N. Deshayres 

25.2.2010. Nous sommes réveillés par un tir de Chicom [roquette] qui explose en plein cœur de la base. C’est reparti pour une demi-heure d’attente dans les bunkers (…) Ces alertes, le plus souvent nocturnes, offrent parfois des visions assez cocasses. Soldats en tongs, caleçon et gilet pare-balle, l’arme à la main et le cheveu hirsute.

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Repas chez le vendeur de foulards du camp Warehouse – Jocelyn 2nd à partir de la gauche

11.3.2010. « Vacances » au camp Warehouse de Kaboul. Nous sommes invités à manger chez le marchand de foulards. Grand moment, nous mangeons en tailleur assis par terre et goûtons tous les plats (…) Nous sommes vites calés par ce repas gargantuesque ! (…) Lorsque nous quittons le camp, l’Américain en faction à la porte lève son poing au son de « Kill ! Kill ! Kill ! »

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Jocelyn et ses hommes en patrouille 

8.4.2010. Début des fouilles dans le village (…) J’arrive à communiquer avec les habitants grâce à l’interprète. Ils me disent qu’il n’y a aucun de Talibans ici (…) Soudain, un RPG [roquette] explose 50m à notre gauche, suivi de rafales de PKM [Kalachnikov]. Nous courons jusqu’au compound situé à une trentaine de mètres. La moitié de mon groupe est parvenu à passer le découvert et l’autre se retrouve bloqué par les tirs. Deux missiles Milan sont tirés et l’artillerie envoie du lourd (…) Un gars de la section 12, complètement assourdi par l’explosion, détale à toute allure en voyant ses camarades courir, dépassant même ses collègues qui doivent le rattraper pour l’arrêter. Nous continuons notre progression vers le col en traversant quelques compounds. Quelques balles sifflent encore au-dessus de nos têtes tandis que nous bondissons derrière les seules protections du coin, des cailloux gros comme des ballons de foot (et encore, pas bien gonflés…) (…) En descendant du col, notre interprète est à côté de moi et je lui dis « Il n’y a pas d’insurgés ici ! » avant de partir dans un fou rire tous les deux.

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Reconnaissance d’une route par le Génie © N. Deshaires

20.4.2010. Pot d’anniversaire du Première Classe Ludwig, le gars qui a découvert l’IED [engin explosif improvisé] aujourd’hui. Un beau cadeau pour lui : 20 ans, 20kg d’explosif.

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Jocelyn lors de son évacuation après l’explosion de l’IED © D. Geffroy@Armée de Terre

16.5.2010. Je me sens projeté. Dans les airs, mon esprit travaille très vite et je me demande ce qu’il m’arrive. Ai-je marché sur une mine ? Peu probable car le chemin est très emprunté par les paysans du coin et une section est déjà passée devant moi. Un tir de RPG ? Difficile à croire car je n’ai pas vu le départ du coup. La dernière solution : un IED, sûrement déclenché à distance par téléphone. Quelques secondes plus tard, qui me paraissent une éternité je me retrouve au sol sans air dans les poumons pour reprendre mon souffle (…)

« Putain tu vas quand même pas crever comme ça juste parce que tu n’arrives pas à reprendre ton souffle ! » Puis je me rends compte que j’ai de la terre plein la bouche.

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Jocelyn à Percy

30.5.2010. Autour de moi, une chambre d’hôpital tandis qu’au dehors résonne le bruit des klaxons de la vie parisienne. On m’apprend la nouvelle : je suis à l’hôpital Percy, à Clamart. Mon opération à Bagram a duré dix heures et s’est soldée par l’amputation de ma jambe gauche à mi-cuisse. J’ai du mal à y croire. Je regarde pendant de longues minutes l’emplacement où devrait se trouver ma jambe.

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Photo © Philippe de Poulpiquet

Juillet 2010. Jour après jour, la routine de l’hôpital s’installe. Réveil à la même heure, petit-déjeuner, séance de kiné, de sport et d’ergothérapie le matin. Encore une séance de kiné l’après-midi puis de balnéothérapie et enfin les visites de fin de journée. Tous les jeudis, deux hommes de mon bataillon viennent prendre de mes nouvelles. Ça  fait plaisir de voir la tête de mes compagnons d’armes. Par ailleurs, ils me permettent de remplir mon tiroir de friandises, sur lequel je veille jalousement depuis mon lit.

Peu à peu, j’apprends à apprivoiser mon nouveau corps, à accomplir les gestes simples du quotidien avec mon handicap ; j’apprends à revivre, tout simplement.

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Jocelyn décoré aux Invalides

12.10.2010. A l’hôpital, je m’étais lancé un défi : si tu reçois une médaille, tu le feras debout ! Lorsque j’ai appris la nouvelle de ma décoration, il me restait trente jours avant le Grand jour. Trente jours pour me tenir droit sur les pavés des Invalides. Trente jours avant aujourd’hui.

 

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(Re)conquête de l’Arête des Cosmiques © 27e BIM

27.6 .2012. Nous arrivons enfin au dernier gros obstacle de l’ascension : une falaise granitique de 20 m de haut, verticale, qu’il nous reste à escalader avant de basculer sur la face nord pour la dernière partie de notre périple. Un épisode rendu délicat par l’impossibilité de plier ma jambe gauche mais que je parviens malgré tout à surmonter avec l’aide de mes compagnons de cordée. Après six heures de travail en équipe, j’atteins enfin la terrasse sud et ses 3842 m sous les applaudissements des gens présents. Pour la quatrième fois de ma vie, mais pour la première fois sur une seule jambe.

 

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***

Si nous gardons une place toute particulière dans nos cœurs aux morts pour la France, n’oublions pas les blessés. Plus de 700 en Afghanistan. N’oublions pas non plus les victimes du stress post-traumatique, estimées à 1000.

Le courage, le soutien de ses proches, de ses frères d’armes, d’organismes tels que la CABAT, Solidarité Défense ou Terre Fraternité, ont permis à Jocelyn de parcourir le long chemin vers la guérison et l’acceptation son handicap.

Selon la formule consacrée, « il mérite d’être cité en exemple » pour les blessés qui sont encore sur ce chemin et auxquels nous pensons avec affection.

« Perdu, déstabilisé, isolé dans sa souffrance, il est ainsi depuis son retour d’Afghanistan, voici plus de deux ans… Seul le désespoir empêche de croire à des jours meilleurs. Or toute la richesse du cœur de l’homme se résume à l’espérance que nous ne devons jamais perdre. Il nous faut espérer pour lui et avec lui, car l’espérance est souvent ce qui reste quand tout est parti à vau-l’eau. Le travail d’accompagnement sera long, mais il  n’est pas permis de croire à son échec. »

Padre Jean-Yves Ducourneau, aumônier militaire, « L’autre combat ». Ed. EdB.

 

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10014574_706562136033139_2006481245_n.jpgNé dans la vallée de la Maurienne, c’est naturellement vers les troupes de Montagne que le cœur de Jocelyn Truchet penche lorsqu’il s’engage : il rejoint le 13e BCA de Chambéry. En 2009, alors Sergent, il est déployé en Afghanistan avec le GTIA « Black Rock » commandé par le COL Vincent Pons, chef de corps du 13. En fin de mandat, il est très grièvement blessé par l’explosion d’un IED, qui impose l’amputation de la jambe gauche. Soutenu par sa famille et ses frères Chasseurs alpins, Jocelyn prend sa rééducation comme un nouveau combat, se fixe des objectifs ambitieux. Grand sportif, il retrouve les murs d’escalade, les pistes de ski et de multiples handisports. Il participe notamment au « Wounded Warrior Trial 2013 » [Challenge des blessés de guerre] à San Diego aux Etats-Unis dans les épreuves de tir et natation où il se distingue avec la médaille de bronze en 50m dos (l’équipe française terminant 2nde dans le classement des médailles derrière les USA). Retrouvant sa place parmi ses frères Diables bleus du 13, le désormais Sergent-Chef Truchet a intégré la cellule Communication du bataillon. Il vient de terminer une formation délivrée par l’ECPAD.

Le SCH Jocelyn Truchet est titulaire de la Médaille Militaire.

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Dans la reconstruction physique et psychologique de Jocelyn, il convient de saluer le soutien apporté par la CABAT, Solidarité Défense et Terre Fraternité, en premier lieu sur les aspects financiers liés à sa prothèse de jambe « high tech » (coût du genou articulé : 55 000 €…).

Saluons aussi Anne-Claire, sœur de Jocelyn, aussi sympathique qu’active dans la promotion du livre.

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Prix 22€ - ISBN : 978-2-7466-6634-4 – Format 25x21- 155 pages

Jocelyn a décidé d’autoéditer « Blessé de guerre ». Il mérite d’autant plus d’être soutenu, ayant engagé les fonds nécessaires à la publication. Le livre est très beau, format à l’italienne, papier de qualité, magnifiquement illustré de photos inédites et des plans des engagements (bonne idée). Il est disponible sur le site de Jocelyn ici. Dédicace possible.

Page FaceBook officielle ici.

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Jocelyn et le 2nd auteur Afghaner du 13e BCA : le LCL Bernard Gaillot, auteur de « De l’Algérie à l’Afghanistan ». Voir ici.

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Rencontres avec Jocelyn – Café littéraire de l’Alliance Géostratégique ; Café littéraire au Carré Parisien ; Salon du Livre 2014. Pour l’anecdote : nous avons joué les figurants avec notre complice de Mars Attaque, lors d’une interview par une équipe de France 3. Nous vous préviendrons de la diffusion du reportage (en mai, semble-t-il).

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Bibliothèque "Chasseurs en Afghanistan"

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Hommage 

Aux diables bleus morts pour la France en Afghanistan :

Adjudant-Chef Franck Bouzet, 13ème BCA,

Adjudant Laurent Pican, 13ème BCA,

Caporal Nicolas Belda, 27ème BCA,

1ère Classe Eguerrant Libaert, 13ème BCA,

1ère Classe Clément Chamarier, 7ème BCA.

A tous les morts pour la France en Afghanistan,

Aux Chasseurs morts pour la France.

Aux blessés. 

 

Avec le salut fraternel du Chasseur et de la Russe-blanc

 

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Diables bleus en Afgha – Jocelyn sur le VAB, 2nd à partir de la droite. © D.Geffroy@Armée de Terre

La guerre d’Afghanistan s’achève et ses protagonistes entrent peu à peu dans l’oubli. D’autres conflits font leur apparition, au Mali ou ailleurs. Mais les blessés de guerre porteront toute leur vie le vivant témoignage de leurs batailles. Quatre ans plus tard, ma blessure est toujours là et ma souffrance physique quotidienne. Je ne pense pas m’en débarrasser un jour. Lorsque mon nerf me lance, j’ai le sentiment que ma jambe coupée est toujours là et que c’est elle qui me fait souffrir. Les médecins appellent cela « le membre fantôme ». Je serre les dents, je me plie en deux sous la douleur et j’attends que la souffrance passe. Ce fantôme va et vient plusieurs fois par jour et apparaît sans prévenir. Avec le temps, j’apprends à vivre avec lui. Cela fait partie de mon sacrifice. Je ne m’en plains pas et je ne regrette rien.

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Photo © Bruno Pasdeloup