26/04/2018
« Les Clochards de la Gloire », ADJ (er) Alexis Le Gall, BM5, 1ère DFL, éd. Charles Hérissey
Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés.
Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs,
flotteront sur la cathédrale de Strasbourg.
Serment de Koufra
20 juin 1940, port d’Audierne, une maman au cœur lourd voit disparaître au loin un petit caboteur. A son bord, ses deux fils, des gamins de 17 et 19 ans. Ils partent prendre les armes pour la France, à l’appel d’un obscur général…
L’histoire est connue : la Blitzkrieg, la débâcle, l’armistice, l’appel du 18 juin et une France coupée en deux dans des proportions inégales, entre les tenants de la paix ou de la poursuite du combat. Parmi ces derniers, une poignée d’hommes dont deux jeunes Bretons, Jacques et Alexis Le Gall. C’est leur mère qui a entendu l’appel du Général de Gaulle à la TSF et les en a informés. Leur fougueuse jeunesse, un sens aigu de la patrie, les poussent sans la moindre hésitation à poursuivre le combat, avec la bénédiction de leur courageuse maman. Parmi les premiers à rejoindre Londres, ils sont, de fait, des fondateurs de la France Libre. Alors que Jacques s’engage comme sous-marinier et passe toute la guerre à chasser les navires allemands, Alexis opte pour l’Armée de Terre. Il rejoint la 1ère Division Française Libre, créée de bric et de broc et largement sous-équipée (d’où le titre du livre), soutenue du bout de lèvres par les Britanniques. Après sa formation d’inspiration Chasseur en Angleterre, au Congo et au Cameroun, il participe à toutes les campagnes du Bataillon de Marche n°5 et ses Tirailleurs Camerounais : Egypte, Levant, Libye, Tunisie, Italie, Provence... jusqu'en Alsace où il est blessé en 1945.
C'est cette glorieuse « aventure » que nous livre Alexis Le Gall dans « Les Clochards de la Gloire » et elle est superbement contée, écrite avec le cœur et une humilité qui honore son auteur, s’attachant au vécu, fourmillant d’anecdotes.
Un témoignage majeur, l'un des plus notables sur les FFL.
L’Ar Zénith
Quand nous larguons les amarres, maman est toujours là, avec notre frère de onze ans, courageuse et digne, entourée d'une foule silencieuse qui semble assister à un enterrement. Quant à nous, nous ne pensons qu'à une chose : partir au plus vite avant que les Allemands n’arrivent. Nous nous dirigeons vers la sortie du port, escortés sur le môle de quelques curieux ou sympathisants. Petit arrêt rapide pour récupérer quelques retardataires. Enfin, ouf ! nous laissons le phare derrière nous. Ce matin nous y croyions à peine et maintenant nous voilà enfin parti.
Pour combien de temps ? Quand reverrons-nous Audierne, si jamais nous le revoyons ? Je lance un dernier regard vers cette côte familière, mon pays.
20 juin 1940, départ pour l’Angleterre via l’île de Sein, à bord de l’Ar Zénith
Alexis Le Gall, au premier plan, devant son frère Jacques et 4 camarades présents comme eux sur l’Ar Zénith : de gauche à droite Patrice Jouen, François Laurent, Louis Tessier et Jean Lozac’haneur. Juillet-août 1940, Delville Camp, Angleterre.
Je me dis, en jetant les yeux autour de moi : « Dire qu'on est tous là et que, dans ce seul cinéma, se trouvent toutes les troupes de la France Libre, les seuls Français à avoir accepté de Gaulle comme chef, les seuls Français à vouloir continuer la lutte. C'est triste, c'est pitoyable. Pauvre général qui n’a que nous sur qui s’appuyer. » En même temps, je suis fier et heureux d’en être, de faire partie, même une minuscule partie, de cette poignée. Je repasse en mémoire tous les évènements de cette journée, ce cinéma capable de contenir notre Armée, cette étrange chanteuse de Marseillaise, ce défilé cafouilleux mais émouvant, cette fête nationale de 1940. Nous avons serré les dents, mais aussi serré les rangs autour de notre chef, si esseulé mais si plein d'assurance et d’espoir.
14 juillet 1940, Londres, Olympia Hall où sont regroupés les volontaires de la France Libre
Section Mitrailleuse 2 (SM2) du BM5, en Italie, avant le débarquement de Provence. En haut : à gauche Alexis Le Gall ; 2ème à droite Chich, 3ème Alain Tanguy.
Un soir que nous sortions pour aller boire un pot, Jean Bervas, qui avait un œil de verre, eut l’idée loufoque de l'enlever et de le poser sur la table de notre tente, pour surveiller les boys pendant notre absence. Ce que voyant, l'un de nos autres copains sortit son dentier pour mordre, dit-il, celui que l'œil lui signalerait comme voleur ou fainéant. Effroi, au moins apparent, des boys devant ces Blancs qui pouvaient à volonté s’enlever qui un œil, qui des dents. Cela suffit-il à les empêcher de nous voler ? Je n'en crois rien, mais nous pûmes toujours en rire (et très probablement les boys aussi, de leur côté, derrière notre dos).
Mai 1941, Camp de Pointe Noire, Congo
De gauche à droite : Alexis Le Gall, Jean Jestin, François Azel, Robert Perrier, Pierre Lenain
Il s'appelait Gonidec et était de Douarnenez. Il venait du camp de Batchenga, alors sous la férule du Lieutenant Giraud et des Français du Cameroun qui se réclamaient de Pétain et avaient refusé de rallier la France libre. Je ne pus m'empêcher de lui dire « - Mais enfin, pourquoi restes-tu dans ce camp ? Rejoins-nous chez de Gaulle. Tu seras beaucoup mieux et ce sera plus honorable.
- Quand je t’aurai raconté mon histoire, tu comprendras pourquoi je ne rallierai jamais de Gaulle ». Il était embarqué à Mers El Kebir sur je ne sais quel bateau quand les Anglais vinrent les bombarder. Il fût coulé et la plupart de ses camarades tués ou blessés. On l’expédia alors sur le Richelieu à Dakar. Là aussi de Gaulle et les Anglais le bombardèrent et endommagèrent son navire. On l’affecta sur le Bougainville au Gabon. Peu après ce fût le Savergnan de Brazza, battant pavillon à Croix de Lorraine, qui se présenta. A sa première bordée, il atteignit la Bougainville qui dut s’échouer pour ne pas couler. « Ils m’ont coulé deux fois et bombardé trois fois, et tu voudrais en plus que je les rejoigne ? Pour tirer peut-être sur des copains ? Ca jamais. » Nous bavardâmes jusqu’au soir et je vins le revoir le lendemain. Il ne souffrait pas mais était très fatigué. Le troisième jour, ma visite fut inutile : il était mort dans la nuit.
En ce temps-là, on mourait pour la France des deux côtés. Il nous aurait probablement rejoint plus tard, comme ses autres camarades.
1941, Hôpital de Yaoundé, Cameroun. Alexis y est soigné pour une forme dérivée de paludisme.
Alexis Le Gall et ses Tirailleurs du BM5
Devant l’attaque, les Allemands eurent pour tactique de descendre systématiquement les cadres européens en supposant que, sans chefs, les tirailleurs faibliraient ou seraient pris de panique. Le résultat fut inverse à celui espéré. Furieux de voir leurs chefs, officiers et sous-off’, atteints, les Camerounais devinrent fous de rage et taillèrent à merci à coups de machette dans tout ce qui se présentait, provoquant un carnage. Piozin, leur commandant de compagnie, chargeait lui, sabre au clair, se promettant d'embrocher le premier ennemi à sa main. Hélas son sabre, bien loin d'une arme de Tolède, était de piètre qualité : pupille de la nation, Piopio ne disposait pas à sa sortie de Saint-Cyr des finances voulues pour se payer une épée de valeur. Au lieu de traverser l’Allemand, son sabre se plia, ce qui sauva la vie du Chleu.
Mai 1943, Bataille de Takrouna, Tunisie
1ère DFL à Pontecorvo
De partout sortent des rafales, arrivent des obus de mortier ou d'artillerie. L'Attaque est lancée sur Pontecorvo. Nous voyons des véhicules de Fusiliers-Marins, chars légers, Half-Tracks qui avancent, zigzaguent, tirent et de temps en temps nous arrivent obus et rafales. Une fois de plus je vois la bonne bouille du tirailleur Tournar qui, avec un grand sourire et toutes dents dehors, me lance : « Y’a chaud Sergent ».
Mai 1944, Campagne d’Italie
Débarquement en Provence. Photo INA.
La plage est archi-calme, pas un ennemi à l’horizon, pas un tir. Moment d’émotion ! Pour la première fois depuis quatre ans, nous foulons la terre de France. Certains regardent avidement. D’autres se penchent vers le sol. Chacun ressent intérieurement et garde son émotion pour lui. Je regarde Tanguy et Hochet et dis : « Et voilà, on est quand même arrivés ».
16 août 1944, débarquement à Cavalaire, Provence
1ère DFL en Alsace
Il fait froid. Il y a bien longtemps que le litre de schnaps est terminé et nos conserves de « ration K » sont gelées. J'en ouvre cependant une boîte. On peut sucer le bloc glacé qu'elle contient. J'ai toujours les jambes et les pieds trempés et glacés. Comme tout est calme, je vais rejoindre le sous-off commandant le groupe de voltigeurs qui nous accompagnent, car son poste est sous rondins et il y fait un peu plus chaud. Nous bavardons tranquillement quand brusquement on entend des éclats de voix, des éclatements de grenade et des tirs : nous sommes attaqués. Je me précipite vers mon emplacement et dis à Poncelet : « Tu ne tires que si tu distingues quelque chose ». Mais nous scrutons en vain. Devant nous et sur le côté, on se bat, Allemands, Français mélangés. On n’y voit goutte. Soudain, on m’allume d’une rafale de mitraillette, tirée à moins de 10 mètres. J’ai reçu un grand coup de poing dans le bras gauche.
1er février 1945, Alexis est blessé en Alsace
8 mai 1945
C'est noir de monde. A 15 heures s'élève des haut-parleurs la voix du grand Charles bientôt couverte par les hourras et les bravos. Des groupes se forment, chantent, dansent, hurlent, s'embrassent et je me trouve subitement loin, si loin d'eux. Je m'étais fait une fête de ce moment, mais je ne participerai pas à la liesse générale. Je ne veux pas me mêler à tous ces jeunes en folie. Mes pensées vont vers les autres, mes amis, les vrais vainqueurs. Et repasse alors devant mes yeux tout ce chemin que nous avons parcouru ensemble : l'Angleterre, le Cameroun, le Western Desert, l’Italie, la Provence, les Vosges, l’Alsace et viennent s'y superposer les visages de tous les copains disparus, tout ce qui était ma famille, P’tit Jean Jestin, Franch Arzel, Jaffret « la coterie », Robin l’ami juif, le petit Seité, Le Bastard notre « moujik » du Camp d’Ornano, Jaillet le « cureton », Delrieu notre capitaine de football, Javanaud à la mèche blanche, Antoni le petit Corse qui est mort à ma place, Douard le Marseillais tué à Takrouna et Dupin et mes deux petits gars morts et gelés à leur mitrailleuse dans l’Ill Wald et tous les autres, tous les autres…
8 mai 1945, Champs Elysées
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Dès le 20 juin 1940, Alexis Le Gall (17 ans) et son frère Jacques (19) traversent la Manche, avec la bénédiction de leur mère veuve et laissée seule avec deux plus jeunes enfants, et rejoignent le Général de Gaulle à Londres. Ils sont dès lors des fondateurs des FFL. Alors que Jacques devient sous-marinier, Alexis, optant pour l’Armée de Terre, fait toutes les campagnes de la 1ère Division Française Libre aux côtés de ses Tirailleurs Camerounais du Bataillon de Marche n°5 : Egypte, Levant, Libye, Tunisie, Italie, Provence... jusqu'en Alsace où il est blessé en 1945. Après guerre, il intègre l’administration coloniale et retourne au Cameroun où il passe treize années de sa vie. Il revient en France et s’installe dans sa Bretagne natale où il demeure toujours, soucieux de maintenir la mémoire de ce qu'il a vécu avec ses camarades.
Vidéo « Les frères Le Gall » ici.
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Avec Alexis Le Gall au Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr-Coëtquidan 2017
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Les Clochards de la Gloire, ADJ (er) Alexis Le Gall
Préface de l’EV Jacques Le Gall, postface du GAL Patrick Jardin
ISBN 978-2914417518 – Prix 22€ - Format 24x15,2, 388 pages, cahier-photo
Aux éditions Charles Hérissey
Disponible ici.
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Hommage
Aux morts pour la France du Bataillon de Marche n°5,
Aux morts pour la France de la 1ère Division Française Libre,
A tous les morts pour la France durant la 2nde Guerre Mondiale,
Aux blessés,
Aux tirailleurs camerounais,
A tous les Français, soldats et résistants, qui ont combattu pour la libération de la patrie, à nos alliés.
Ce qu'a pu faire pour la France la 1ère Division Française Libre,
Ce qu’elle a su faire par le cœur, le corps, les armes de ceux qui en était,
Ce qu'elle a pu faire avec ses chefs Koenig, Brosset, Garbet, avec ses officiers, ses soldats,
C'est un des plus beaux morceaux de notre Grande Histoire,
C'est un rocher que les vagues du temps ne détruiront jamais,
C'est pour toujours un défi lancé à ceux qui doutent de la France.
Général de Gaulle
22:12 Publié dans 2nde Guerre Mondiale, FFL, Marsouins, Bigors, Tirailleurs | Lien permanent | Commentaires (0)
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