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12/12/2016

« Trahison sanglante en Afghanistan », CNE (r) Audrey Ferraro ; « Afghanistan – Photographe, un métier risqué », CES (er) Hervé Tillette de Clermont-Tonnerre ; « Dans les pas de Zamaraï Païkan, général et héros afghan », COL Philippe Cholous

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation des auteurs ; droits réservés.

 

Moi contre mon frère ; mon frère et moi contre notre cousin ; notre cousin, mon frère et moi contre les autres.

Proverbe afghan

 

En parcourant nos nombreuses recensions sur l’Afghanistan, nous avons noté que les Afghans n’apparaissaient que sous un seul jour : celui de l’ennemi…

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Or il est bien évident qu’il ne faut pas confondre Afghan et Taliban. D’ailleurs, ce « peuple afghan » n’a rien de monolithique, malgré son Islam omnipotent. Mosaïque ethnique, vendetta de tradition, intérêts économiques (opium/aka morphine), attrait de l’Occident vs Charia, etc. Il y eut (il y a), en Afghanistan, des ennemis redoutables comme de fidèles alliés, des amis à la vie à la mort, comme d’ignobles traîtres...

Et pour illustrer ce fait, nous abordons trois livres, au mérite extraordinaire, relevant de l’euphémisme : nous éclairer sur la complexité afghane…

 

« Trahison sanglante en Afghanistan », CNE (r) Audrey Ferraro, CRR-Fr, éd. Publibook

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20 janvier 2012, un soldat de l’Armée nationale afghane ouvre le feu à l’intérieur de la base de Gwan sur ses mentors français, alors en plein footing ; ceux-là même qui ont pour mission de le former et venir en aide à son pays. Cinq d’entre eux perdent la vie, une quinzaine est blessée, tous les membres de l'OMLT K4, issus des 93e  RAM, 4e RCh, 2e  REG et 28e RT sont marqués à jamais. Si chacun garde en mémoire l’embuscade d’Uzbin, reconnaissons que cet ignoble massacre a reçu peu d’écho. Nous ne disserterons pas sur le « pourquoi », mais remercierons la CNE (r) Audrey Ferraro, officier d’information et de communication notamment en Opex, avant de poursuivre son cursus militaire dans la réserve au sein du Corps de Réaction Rapide, d’avoir, par cet essai regroupant les témoignages déchirants des survivants, de l'encadrement médical, de la base-arrière, de proches des victimes, inscrit dans la mémoire éternelle le sacrifice de Ceux de Gwan. Un très beau livre-hommage.  

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Avec la capitaine (r) Audrey Ferraro au Festival International du Livre Militaire de saint-Cyr Coëtquidan 2015

« Trahison sanglante en Afghanistan », aux éditions Publibook, disponible ici

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Le SCH Svilen Simeonov en « mentoring », fin décembre 2011, Gwan

Il neige. Les précipitations s’accentuent jusqu’à avoir un vrai temps d’Alpins. Lorsque je sors du bureau du capitaine, je tombe sur une scène mémorable : des soldats afghans en train de faire une bataille de boules de neige, comme le feraient nos jeunes engagés ou nos écoliers. Quelques centaines de mètres plus loin, un autre groupe est en train de faire un grand bonhomme de neige. Ce jour-là je suis face à une forme d’universalité dans laquelle je me retrouve : quelles que soient nos différences culturelles, nous sommes finalement très proches avec les mêmes espoirs ou les mêmes aspirations.

Témoignage du LCL Hugues C, chef du détachement OMLT K4.

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Puis la terre se soulève. Chacun  reconnait le claquement d’une arme automatique et réalise que nous sommes pris à partie. Le choc de l’impact à la hanche et le réflexe de survie me jettent à terre. Avec un des membres de l’OMLT, nous nous protégeons mutuellement. Je comprends que ne plus bouger peut être synonyme de survie. Un deuxième impact au coude et puis la résignation…

Penser à ma tendre femme et mes chers enfants me sert de réconfort face à la mort qui arrive. Pas de film de la vie qui passe, juste une dernière pensée pour ceux que j’aime.

Témoignage du LCL Hugues C, chef du détachement OMLT K4.

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SCH Svilen Simeonov, 2e REG, BCH Geoffrey Baumela, ADC Denis Estin, ADC Fabien Willm et CNE Christophe Schnetterle, 93e RAM, assassinés à Gwan

Le plus dur, c’est de voir l’envers de la mort, c’est-à-dire l’impact qu’elle a sur nos proches et les familles endeuillées. Etre prêt à accepter de mourir est bien plus simple que d’en connaître les conséquences autour de nous.

Témoignage du président des sous-officiers du 93e RAM.

***

« Afghanistan – Photographe, un métier risqué », CES (er) Hervé Tillette de Clermont-Tonnerre, SIRPA-Terre, éd. Bergame

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13 juillet 2011, Sébastien Vermeille, photographe du SIRPA-Terre, est tué lors d’une attaque suicide d’un taliban alors qu’il couvre une shura. Quatre camarades perdent également la vie, les ADJ Emmanuel Técher et Jean-Marc Gueniat du 17e RGP, le LTN Thomas Gauvin et l’ADJ Laurent Marsol du 1er RCP. Le chef d’escadrons de Clermont-Tonnerre est désigné pour accompagner la famille Vermeille lors des cérémonies officielles, en premier lieu Sandrine, épouse enceinte de Sébastien, et Mathys, leur jeune fils. La vie militaire est ainsi faite que 6 mois plus tard, Hervé rejoint l’Afghanistan, sur les traces de Sébastien, avec pour mission de former des équipes de communication de l’Armée nationale afghane…

Dès 2013 et notre première rencontre avec le commandant au salon du Livre, où il officiait comme organisateur du stand du Ministère de la Défense, nous avions discuté de son manuscrit qu’il cherchait à publier. Nous sommes bien placés pour savoir que la tâche est difficile et nous réjouissons de l’aboutissement du projet. Un récit sans prétention, mais très humain, qui met à l’honneur comme ils le méritent, nos si talentueux photographes et vidéastes militaires.

« Afghanistan – Photographe, un métier risqué », aux éditions Bergame, disponible ici

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Le chef du SIRPAT, l’air grave d’une manière que je ne lui connais pas, me demande de récupérer mon chef de cellule et de venir immédiatement dans son bureau. « Fermez la porte s’il vous plait ». Je sens la mauvaise, la très mauvaise nouvelle. Les mots ont du mal à venir. La tête basse, l’air atteint par une douleur interne. « Bien écoutez. Nous venons de perdre l’un de nos camarades en Afghanistan. Il s’agit du caporal-chef Vermeille, photographe en mission sur la base de Tagab. Cela s’est passé lors d’une attente pour une shura alors qu’il couvrait cette activité sur le terrain. Je n’ai pas le détail pour le moment. Le plus important est de lancer la procédure pour prévenir la famille ».

Pascal et moi sommes passés en quelques secondes dans un autre monde. C’est une impression bizarre. Nous sommes là, dans le silence, sans voix, sans réactions. Une minute, deux minutes…

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Hervé de Clermont-Tonnerre et Mathis Vermeille

Je profite de quelques instants avec Mathis, pour mieux le connaître, être proche de lui. Le plus souvent, je suis en uniforme et cela présente du sens pour lui. « Comme papa », me dit-il souvent.

Paris, juillet 2011

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Le CES de Clermont-Tonnerre à droite, en pleine formation de l’équipe com afghane

[Les deux stagiaires afghans] ont pris en main leurs appareils. Avec de courtes explications théoriques et mises en œuvre pratiques, nous avons débuté le long travail d’apprentissage qui les mènera vers l’obtention de leurs diplômes. C’est important pour eux, car cela leur permettra d’apprendre un nouveau métier éventuellement transposable dans le civil, mais surtout de mettre en exergue les activités de leur bataillon. Ils pourront, grâce à leurs produits vidéo et photo rendre compte, au travers de l’histoire, des actions de leur armée.

 Nijrab, fin 2011

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Je quitte l’Afghanistan, ayant vécu au rythme du Sergent Vermeille, au moins celui de la vie de tous les jours sur la base. Je n’ai pas eu la chance de sortir dans les vallées comme il le faisait si souvent. Mais j’ai côtoyé Jeremy, Mickael et d’autres qui se préparaient ou rentraient de leurs missions. J’ai pu apprécier leur force, leur courage. J’ai pu voir, admirer, leur production photo et audiovisuelle. Ils sont bien les « soldats de l’image ». Ils méritent amplement ce titre, eux qui racontent l’histoire militaire de notre époque, et surtout de leurs camarades.

Nijrab, janvier 2012

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Avec le CES de Clermont-Tonnerre et Sandrine Vermeille.

Nous en profitons pour saluer Sandrine Guillerm-Vermeille, qui a perdu son mari alors qu'elle portait son second fils. Peut-on imaginer plus cruelles circonstances ? Une femme courageuse, aussi charmante qu'admirable.

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Elle est marquée à jamais mais se reconstruit, pour ses fils et pour elle-même. Pour preuve : son projet de participer, avec son amie Céline, veuve en 1ères noces du BCH Fabien Rivère, 515e RT, tué en Côte d’Ivoire en 2003, au rallye Aïcha des Gazelles 2018. Nous vous invitons à visiter le site de leur nouvelle association W.O.L.V.E.S (Widow, Orphan, Life, Voluntary, Energie, Sodarity / Veuve, Orphelin, Vie, Volonté, Energie, Solidarité) ici, rejoindre leur page FaceBook ici, et donner un petit coup de pouce financier

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« Deux ans dans les pas de Zamaraï Païkan, général et héros afghan », COL Philippe Cholous, Gendarmerie Mobile

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Récit très original de par son sujet, puisqu'il nous place dans l'intimité du commandant de L’ANCOP  [Police Nationale Afghane d'Ordre Public], dont Philippe a été conseiller permanent de 2013 à 2015 ; et plus généralement dans celle de cette unité largement inspirée de la Gendarmerie Mobile française.

Une vision de l'intérieur donc, qui va cependant au-delà du seul portrait d’un héros national (Zamaraï a été compagnon d’armes de Massoud), ami de la France, puisque Philippe vit parallèlement le retrait des forces occidentales et le passage de relais sécuritaire aux Afghans (non sans difficulté, nous le savons). Témoin d’un épilogue, en quelque sorte.

Son rapport aux Afghans, à l’Islam, aux alliés ; le terrain, les combats [le colonel est présent lors de 4 attaques contre le général], la corruption, la place des femmes…

En outre, il s’agit du deuxième témoignage de gendarme en Afgha, après celui du COL Stéphane Bras (abordé ici) et nous ne devons pas oublier l'engagement des hommes en bleu [portant pour l’occasion le treillis camouflé] dans le conflit.

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Avec notre très bon camarade Philippe Cholous, gendarme mobile au passé de marsouin et fier papa de hussard :)

« Deux ans dans les pas de Zamaraï Païkan, général et héros afghan », aux éditions Lavauzelle, disponible ici

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Colonel Cholous en Afghanistan

Les Afghans étaient respectueux et polis, même si le fait que je sois, au contraire de mes prédécesseurs et des militaires de la coalition, dépourvu de conducteur et d’équipe de protection, les a toujours persuadés que je n’étais pas vraiment un colonel. En revanche, me voir aller et venir toujours seul dans Kaboul et sur le terrain leur donna l’image d’un combattant autonome et un peu fou. Cette image leur plut et me servit. L’Afghan se plaît en effet volontiers à cultiver un côté fier, insouciant et bravache. Il y a dans les unités de l’ANCOP un petit côté « bandes de Picardie » et dans l’équipe de protection rapprochée de Zamaraï un petit côté « Cadets de Gascogne ».

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Le général Zamaraï et le colonel Cholous

Le général Zamaraï aime à relater des faits ou à raconter des anecdotes sur le terrain même où elles se sont déroulées. Ainsi, il m’a d’emblée amené à Uzbeen, sur les lieux des combats qui coûtèrent la vie à neuf marsouins et un légionnaire. C’était pour lui une manière pudique de montrer son respect pour le sang versé. Il en avait d’autant plus le respect que c’était là des Occidentaux morts pour l’Afghanistan. Il y a beaucoup de débats en France s’agissant de la question de savoir quel intérêt nous allions défendre là-bas. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que, dans l’esprit de cet Afghan, les Français ont donné leur vie pour l’avenir de son pays.

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Le colonel Cholous en Humvee

Pris sous le feu, je ne peux débarquer pendant l’accrochage. Restant inactif à bord de mon Humvee qui est en milieu de rame, les minutes me paraissent interminables. Je sais que le blindage me met à l’abri des armes légères et que la proximité des habitations complique les tirs ennemis. Pour le reste… notamment les roquettes, je me sens vulnérable. Je me sens d’autant plus immobile qu’en tourelle, le servant de la mitrailleuse s’en donne à cœur joie. Les étuis pleuvent dans l’habitacle.

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Le général Zamaraï et le colonel Cholous, départ pour l’Aïd

Ces deux ans d’Afghanistan m’auront marqué à jamais, notamment les missions en opération de guerre. De ce pays j’emporte des images fabuleuses. Pourtant, je sais qu’il ne me manquera pas. Ma vie est ici, auprès de mes ancêtres et parmi les miens. Certains Afghans, en revanche, me manqueront, au premier rang desquels le général Zamaraï, ce héros authentique, ainsi que les soldats de l’ANCOP dans les mains desquels j’ai si souvent remis ma vie. Leurs visages me reviendront. Du Pouliguen au col de Salang, le vent portera mes pensées vers eux, mes frères d’armes d’un temps.

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Photo Sébastien Joly, auteur du reportage ‘Aito.

Revenons sur notre introduction. Certes l’Afghanistan avait toutes les allures d’un guêpier, mais nous n’entrerons pas dans un débat sur le conflit.

Nous laisserons par contre la parole au SCH Yohan Douady, Marsouin, vétéran d’Afgha, qui y a perdu son camarade Cyril Louaisil, 

avec dans nos pensées Sandrine, Mathis, Maxence, la famille Vermeille, les proches de ceux de Gwan et de tous les morts en Afghanistan,

avec dans nos pensées les blessés et tous les Afghaners,

avec dans nos pensées, également, les Afghans dont le GAL Zamaraï, qui, contrairement aux Talibans, veulent continuer à voir voler dans leur pays les cerfs-volants.

« Certains pourront toujours prétendre que nous n’avons influé sur rien, que ces dix années de guerre en Afghanistan ont été inutiles, mais il suffirait que germent les quelques graines d’espoir que nous avons semées lors de nos mandats successifs, pour que rien n’ait été inutile.

Et même si rien ne germe, pourquoi devrions-nous regretter d’avoir essayé ?

Pourquoi devrions-nous renier ceux qui ont été tués ou blessés, en essayant ?»