10/02/2016
« Libérez Tombouctou ! », COL Frédéric Gout, ALAT, GAM « Hombori ». Editions Tallandier
Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés.
« Si nous sommes vainqueurs ici, nous serons vainqueurs partout. »
Ernest Hemingway, Pour qui sonne le glas
Si vous croisez un homme de Serval, vous n’avez qu’une chose à faire : lui manifester votre respect…
Quelle autre attitude adopter devant « Ceux du Mali » ? Toutes ces femmes et tous ces hommes menant la charge dans le désert malien, dans des conditions dantesques, avec des moyens limités ; écrasant malgré tout, sans coup férir, les nouveaux barbares ; acclamés par une population sauvée d’un esclavage inscrit ; laissant sans voix nos amis anglo-saxons et leur habituel sourire en coin…
Oh certes, un tel geste-hommage risquerait de surprendre ; l’humilité règne dans ce monde mili, qui s’efface lorsque les applaudissements retentissent, laissant le devant de la scène aux politiques. Reste que Serval est un Austerlitz du XXI° siècle; une victoire éclatante. Peut-être pas plus [la guerre n’est pas finie], mais certainement pas moins.
Et voici donc, pour vivre par procuration cette superbe chevauchée, « Libérez Tombouctou ! », journal de marche du Colonel Frédéric Gout, commandant le Groupement Aéromobile de l’opération.
Mais nous avons parlé d’humilité et dans ce récit, elle se confirme : pas d’esbroufe. Il est vrai que le ton est donné dès les premières pages : par une coïncidence tragique, le Colonel apprend sa nomination à la tête du GAM, alors qu’une heure plus tôt il a été informé du décès au Mali du Lieutenant Damien Boiteux, un proche… Placez-vous dans ce contexte, alors que vous devez annoncer la nouvelle de votre départ « pour la guerre » à votre femme, vos enfants…
Evidemment, c’est l’aspect aéroterrestre de l’opération qui est à l’honneur dans ce récit, avec toutes les difficultés psychologiques et logistiques que l’on peut imaginer. Le moindre grain de sable (et Dieu sait qu’il y en a au Mali !) et patatras, report, voire échec, de l’opération planifiée, mise en danger des hommes au sol…
Briefing avec le GAL Barrera. Le Colonel Frédéric Gout au fond. Photo via F. Gout.
Quelles ont été les conséquences des bombardements [de l’Armée de l’Air] ? (…) Qui sont ces hommes dont l’ambition est de contrôler le Mali ? Quelle est leur motivation ? Comment sont-ils équipés ? Quel est leur niveau de préparation au combat ? Nous en avons beaucoup débattu, mais quel est l’écart entre la théorie (souvent volontairement pessimiste) et la réalité.
Tombouctou libéré. Photo via F. Gout
Après une période de grande intensité, je m’attends à plus de calme pour stabiliser les moyens. En deux semaines, nous venons de faire Pau-Bamako-Sévaré-Tombouctou, sans problème majeur, dans le respect parfait de ce qui était demandé. Mes subordonnés sont « dans le coup », malgré les conditions hors norme. Je prends les décisions, mais je suis entouré de femmes et d’hommes qui assument les responsabilités qui leur incombent. Je suis fier d’eux.
Le tigre sort ses griffes. Photo ALAT
Nous sommes difficilement décelables, les caméras thermiques permettent d’observer de loin. A plusieurs kilomètres, nous sommes capables de voir avec précision tous les déplacements. En revanche au sein d’une ville, nous ne pouvons détecter un dispositif camouflé. Nos premières observations ne sont pas inquiétantes, les mouvements sont peu nombreux dans Tombouctou, mais obligent à redoubler de vigilance.
Vol tactique au Mali. Photo via F. Gout
Il n’y a plus le choix. Je suis contraint d’appuyer les unités terrestres dans leurs combats de jour. Le Tigre est touché, mais l’accrochage a peut-être permis aux troupes débarquées d’éviter des pertes humaines. Une reconnaissance de nuit sur un terrain ne servirait pas, les djihadistes y sont invisibles, ils le connaissent parfaitement. Par ailleurs, le risque est de tomber dans des pièges ou des embuscades. Il me faut donc continuer à combattre en plein jour, dans des conditions peu favorables, il faut le reconnaître.
Combats dans Gao. Photo Ministère de la Défense / ECPAD
Les troupes au sol ont la situation en main, mais aucune solution ne semble possible pour venir à bout de ces hommes déterminés et jusqu’au-boutistes. A tout instant, ils peuvent provoquer des pertes dans nos rangs, il est impossible de les approcher sans risquer le déclenchement des charges explosives. Positionné près du général Barrera au PC de la brigade, je propose de tirer un missile Hot à l’intérieur du bâtiment, en utilisant la porte d’entrée pour pénétrer (…) La Gazelle est en position au-dessus de notre PC, nous sommes à moins de quatre kilomètres, une bonne distance de tir pour atteindre la cible. Le général donne son feu vert. L’aire est sécurisée et les troupes françaises et maliennes à proximité se sont mises à l’abri du tir. Il m’arrive quelque chose d’unique : je donne l’ordre de tir à la radio et, juste après, j’entends au-dessus de moi le départ du missile.
Adrar des Ifoghas, photo Ministère de la Défense / ECPAD
Nous sommes face à notre ennemi, nous avons été surpris, c’est tout. Nous savons désormais qu’il est présent dans l’Adrar des Ifoghas, mais il ne bénéficie plus de l’effet de surprise. En revanche, je dois multiplier les explications vers les autorités françaises, qui ne comprennent pas comment deux Tigre peuvent avoir été ainsi touchés. Les Tigre coûtent chers, nous n’en avons pas beaucoup en dotation. Les autorités y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux (…) Tout a été analysé. Nous avons fait des choix. Je porte la responsabilité de pertes hypothétiques, je dois peser chaque décision pour assumer mes ordres, sans être perturbé par leurs éventuelles conséquences. Demain les équipages retourneront au combat, sans état d’âme.
***
Saint-Cyrien de la promotion « Général Delestraint », Frédéric Gout se destine à une carrière dans l’Artillerie des Troupes de Marine, mais c’est finalement vers l’Aviation Légère de l’Armée de Terre qu’il s’oriente, rejoignant le 3e RHC d’Etain. Pilote d’hélicoptère, il est déployé notamment au Tchad et en Ex-Yougoslavie. Basé à Djibouti en 1997, il participe à l’opération humanitaire « Shebelle » en Ethiopie. Après un passage à l’école de l’ALAT de Luc et son diplôme de l’Ecole de Guerre, il retrouve l’Ex-Yougoslavie comme assistant militaire à l’état-major de la SFOR. Avec le 1er RHC de Phalsbourg, il participe à l’opération Licorne en Côte d’Ivoire. Après un passage à l’Etat-Major, il prend la tête du 5e RHC et dans la foulée du Groupement Aéromobile de l’opération « Serval » au Mali, le GAM « Hombori ». Depuis 2014, il occupe des fonctions au sein de l’OTAN à Bruxelles. Le Colonel Gout est marié et père de 3 enfants.
ISBN 979-1021008557 - Prix 18,90 € - Format 21,5 x 14,5 - 256 pages
Aux éditions Tallandier
Disponible ici.
Page FaceBook du livre ici.
Rencontre avec le Colonel Frédéric Gout à l’Ecole Militaire en juin 2015. De très nombreux échanges ont suivi. Nous remercions le Colonel pour son sympathique accueil et son soutien enthousiaste à Une Plume pour L’Epée. Merci aussi pour les belles photos inédites issues de sa collection, fournies pour illustrer cette recension !
La bibliothèque « Ceux du Mali » s’étoffe de jour en jour : La lecture de « Libérez Tombouctou ! » peut d’ores et déjà être complétée par « Opération Serval » du Général Bernard Barrera, commandant les forces terrestres (*) ; « Envoyez les hélicos ! » du Colonel Pierre Verborg, commandant en second du GAM Homborori (*) ; « Offensive éclair au Mali » du Chef de Bataillon Rémi Scarpa, assistant militaire du GAL Barrera, déjà présenté ici ; et « Un prêtre à la guerre » du padre Christian Venard, abordé ici.
(*) Bientôt sur le blog !
Hommage
Aux morts pour la France au Mali, au combat et en service commandé
LTN Damien Boiteux, 4e RHFS
SCH Harold Vormezeele, 2e REP
CPL Cédric Charenton, 1er RCP
BCH Wilfried Pingaud, 68e RAA
CPL Alexandre Van Dooren, 1er RIMa
CCH Stéphane Duval, 1er RPIMa
BCH Marc Martin-Vallet, 515e RT
SCH Marcel Kalafut, 2e REP
ADC Dejvid Nikolic, 1er REG
SCH Thomas Dupuy, CPA 10
CPL Baptiste Truffaux, 21e RIMa
SCH Alexis Guarato, CPA 10
A nos frères d’armes africains, morts au Mali
70 Maliens, 38 Tchadiens, 2 Togolais, 2 Burkinabés, 2 Sénégalais.
Aux blessés,
A tous les soldats de Serval, de Barkhane, de la MISMA et de la MINUSMA,
A leurs proches.
Certaines unités de l’Armée de Terre exposées dans les combats ont vécu des moments tragiques ; je considère que nous avons eu de la chance de ne pas subir le même sort. Je craignais la menace sol-air, si dangereuse pour nos hélicoptères. On retient souvent le nombre de missiles, de roquettes et d’obus tirés et, bien entendu, le nombre d’ennemis neutralisés. Est-ce vraiment l’essentiel ?
COL Frédéric Gout
11:54 Publié dans ALAT, Arme abordée, Mali, Mili-Livre | Lien permanent | Commentaires (2)