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17/02/2019

« Bernard Dargols, un GI français à Omaha Beach », Caroline Jolivet, éd. Ouest-France

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés.

 

Nous devons toujours prendre parti.

La neutralité aide l'oppresseur, jamais la victime.

Elie Wiesel

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Nous pensions être les premiers à toucher la plage. Prendre l'ennemi par surprise, c'était ce que j'espérais, non pas par bravoure, mais pour avoir ainsi plus de Chance de nous en sortir. Mais au fur et à mesure que nous contournions le Pays de Galles se sont agglutinées autour de notre bateau dix, cent et même plusieurs milliers d'embarcations, d'autres Liberty Ships, mais aussi de petites barques et des navires de guerre immenses. Ce spectacle était incroyable. Comment pouvions-nous, si nombreux, ne pas être repérés par l'ennemi ? Je redoutais que les Allemands, cachés dans leurs casemates où tout l'horizon leur était bien visible, ripostent en conséquence à notre arrivée. J'avais cependant la sensation étrange que si, par chance, je réussissais à mettre un pied sur le sol français, je finirais par m'en sortir.

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Bernard Dargols devant sa Jeep « La Bastille ». Archives familiales Dargols, droits réservés.

La barge avança vite puis s'arrêta. Elle s’approcha lentement de la côte. Nous attendions les nouveaux ordres. Encore une demi-heure s'écoula avant que l'immense rampe à l'avant ne commence à se déployer vers la plage, trente minutes qui parurent interminables, durant lesquelles nous étions coincés dans cette soute inondée par le bruit incessant des bombardements et d’où on ne voyait rien. L’idée de revenir en France et surtout l’espoir de revoir ma famille après l’avoir quittée six ans me submergeait.

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Photo publiée dans la presse américaine. Au centre Bernard Dargols, à gauche Marie-Jeanne Brossard qu’il retrouvera bien des années plus tard. 15 juin 1944, Cerisy-la-Forêt

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Nous reprîmes la route vers Brest. Notre convoi ne passait pas inaperçu. Les enfants étaient fous de joie, déchaînés, dansaient et chantaient. Les hommes levaient le bras et formaient le V de la victoire, d'autres saluaient, d'autres encore nous tendaient des verres de vin ou de cidre, et les femmes et les jeunes-filles criaient, hurlaient, « Vive l'Amérique ! Vive l'Amérique ! », nous envoyaient des baisers et nous jetaient des fleurs. Je croyais rêver.

***

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Voici le récit d'un parcours exceptionnel : en 1939, Bernard Dargols, jeune parisien, est en stage à New York lorsque la guerre éclate. De confession juive, sa famille restée en France est évidemment en grand danger. Son père et ses frères arrivent à fuir la France occupée, mais sa mère, ses grands-parents, restent à Paris. Bernard décide dès lors de s'engager dans l'armée américaine. Sous-officier de la Military Intelligence Service, il débarque en 1944 en Normandie et sert au sein des renseignements militaires de la 2e Division d'infanterie US « Indian Head ». Parcourant l'avant-front, collectant des informations sur les troupes allemandes auprès des Français, il participe à la libération de la Normandie, de la Bretagne et des Ardennes.

Ecrit en collaboration avec sa petite-fille Caroline Jolivet. Livre très réussi, de nombreuses photos issues de la collection familiale, une belle œuvre de mémoire intergénérationnelle. A lire !

Aux éditions Ouest-France, disponible ici. 14€.

Une version anglophone et augmentée a été publiée par Pen & Sword Military en 2018, disponible ici. £19.99.

Une version "audio" est en cours d'élaboration.

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Avec Bernard Dargols et sa petite-fille Caroline Jolivet lors de leur conférence à Rocquencourt en 2015.

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Hommage

Aux soldats de l’Indian Head,

A tous les combattants du jour J et de la Libération,

A toutes les victimes, civiles et militaires, du régime Nazi.

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Novembre 1944, Bernard Dargols au siège du Counterintelligence Corps, place de l'Opéra. Archives familiales Dargols, droits réservés.

Il n'y avait quasiment pas de circulation automobile dans Paris, du fait de la rareté de l'essence. Je m'apprêtais à partir pour aller voir mon copain Max. Ma mère m'a dit : « Fais attention en traversant la rue » en refermant mon col pour que je ne prenne pas froid. Moi qui venait de participer au Débarquement.

 

 

 

 

 

26/04/2018

« Les Clochards de la Gloire », ADJ (er) Alexis Le Gall, BM5, 1ère DFL, éd. Charles Hérissey

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés.

 

Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs,

flotteront sur la cathédrale de Strasbourg.

Serment de Koufra

 

20 juin 1940, port d’Audierne, une maman au cœur lourd voit disparaître au loin un petit caboteur. A son bord, ses deux fils, des gamins de 17 et 19 ans. Ils partent prendre les armes pour la France, à l’appel d’un obscur général…

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L’histoire est connue : la Blitzkrieg, la débâcle, l’armistice, l’appel du 18 juin et une France coupée en deux dans des proportions inégales, entre les tenants de la paix ou de la poursuite du combat. Parmi ces derniers, une poignée d’hommes dont deux jeunes Bretons, Jacques et Alexis Le Gall. C’est leur mère qui a entendu l’appel du Général de Gaulle à la TSF et les en a informés. Leur fougueuse jeunesse, un sens aigu de la patrie, les poussent sans la moindre hésitation à poursuivre le combat, avec la bénédiction de leur courageuse maman. Parmi les premiers à rejoindre Londres, ils sont, de fait, des fondateurs de la France Libre. Alors que Jacques s’engage comme sous-marinier et passe toute la guerre à chasser les navires allemands, Alexis opte pour l’Armée de Terre. Il rejoint la 1ère Division Française Libre, créée de bric et de broc et largement sous-équipée (d’où le titre du livre), soutenue du bout de lèvres par les Britanniques. Après sa formation d’inspiration Chasseur en Angleterre, au Congo et au Cameroun, il participe à toutes les campagnes du Bataillon de Marche n°5 et ses Tirailleurs Camerounais : Egypte, Levant, Libye, Tunisie, Italie, Provence... jusqu'en Alsace où il est blessé en 1945.

C'est cette glorieuse « aventure » que nous livre Alexis Le Gall dans « Les Clochards de la Gloire » et elle est superbement contée, écrite avec le cœur et une humilité qui honore son auteur, s’attachant au vécu, fourmillant d’anecdotes.

Un témoignage majeur, l'un des plus notables sur les FFL.

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L’Ar Zénith

Quand nous larguons les amarres, maman est toujours là, avec notre frère de onze ans, courageuse et digne, entourée d'une foule silencieuse qui semble assister à un enterrement. Quant à nous, nous ne pensons qu'à une chose : partir au plus vite avant que les Allemands n’arrivent. Nous nous dirigeons vers la sortie du port, escortés sur le môle de quelques curieux ou sympathisants. Petit arrêt rapide pour récupérer quelques retardataires. Enfin, ouf ! nous laissons le phare derrière nous. Ce matin nous y croyions à peine et maintenant nous voilà enfin parti.

Pour combien de temps ? Quand reverrons-nous Audierne, si jamais nous le revoyons ? Je lance un dernier regard vers cette côte familière, mon pays.

20 juin 1940, départ pour l’Angleterre via l’île de Sein, à bord de l’Ar Zénith

 

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Alexis Le Gall, au premier plan, devant son frère Jacques et 4 camarades présents comme eux sur l’Ar Zénith : de gauche à droite Patrice Jouen, François Laurent, Louis Tessier et Jean Lozac’haneur. Juillet-août 1940, Delville Camp, Angleterre.

Je me dis, en jetant les yeux autour de moi : « Dire qu'on est tous là et que, dans ce seul cinéma, se trouvent toutes les troupes de la France Libre, les seuls Français à avoir accepté de Gaulle comme chef, les seuls Français à vouloir continuer la lutte. C'est triste, c'est pitoyable. Pauvre général qui n’a que nous sur qui s’appuyer. » En même temps, je suis fier et heureux d’en être, de faire partie, même une minuscule partie, de cette poignée. Je repasse en mémoire tous les évènements de cette journée, ce cinéma capable de contenir notre Armée, cette étrange chanteuse de Marseillaise, ce défilé cafouilleux mais émouvant, cette fête nationale de 1940. Nous avons serré les dents, mais aussi serré les rangs autour de notre chef, si esseulé mais si plein d'assurance et d’espoir.

14 juillet 1940, Londres, Olympia Hall où sont regroupés les volontaires de la France Libre

 

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Section Mitrailleuse 2 (SM2) du BM5, en Italie, avant le débarquement de Provence. En haut : à gauche Alexis Le Gall ; 2ème à droite Chich, 3ème Alain Tanguy.

Un soir que nous sortions pour aller boire un pot, Jean Bervas, qui avait un œil de verre, eut l’idée loufoque de l'enlever et de le poser sur la table de notre tente, pour surveiller les boys pendant notre absence. Ce que voyant, l'un de nos autres copains sortit son dentier pour mordre, dit-il, celui que l'œil lui signalerait comme voleur ou fainéant. Effroi, au moins apparent, des boys devant ces Blancs qui pouvaient à volonté s’enlever qui un œil, qui des dents. Cela suffit-il à les empêcher de nous voler ? Je n'en crois rien, mais nous pûmes toujours en rire (et très probablement les boys aussi, de leur côté, derrière notre dos).

Mai 1941, Camp de Pointe Noire, Congo

 

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De gauche à droite : Alexis Le Gall, Jean Jestin, François Azel, Robert Perrier, Pierre Lenain

Il s'appelait Gonidec et était de Douarnenez. Il venait du camp de Batchenga, alors sous la férule du Lieutenant Giraud et des Français du Cameroun qui se réclamaient de Pétain et avaient refusé de rallier la France libre. Je ne pus m'empêcher de lui dire « - Mais enfin, pourquoi restes-tu dans ce camp ? Rejoins-nous chez de Gaulle. Tu seras beaucoup mieux et ce sera plus honorable.

- Quand je t’aurai raconté mon histoire, tu comprendras pourquoi je ne rallierai jamais de Gaulle ». Il était embarqué à Mers El Kebir sur je ne sais quel bateau quand les Anglais vinrent les bombarder. Il fût coulé et la plupart de ses camarades tués ou blessés.  On l’expédia alors sur le Richelieu à Dakar. Là aussi de Gaulle et les Anglais le bombardèrent et endommagèrent son navire.  On l’affecta sur le Bougainville au Gabon. Peu après ce fût le Savergnan de Brazza, battant pavillon à Croix de Lorraine, qui se présenta. A sa première bordée, il atteignit la Bougainville qui dut s’échouer pour ne pas couler.  « Ils m’ont coulé deux fois et bombardé trois fois, et tu voudrais en plus que je les rejoigne ? Pour tirer peut-être sur des copains ? Ca jamais. » Nous bavardâmes jusqu’au soir et je vins le revoir le lendemain. Il ne souffrait pas mais était très fatigué. Le troisième jour, ma visite fut inutile : il était mort dans la nuit.

En ce temps-là, on mourait pour la France des deux côtés. Il nous aurait probablement rejoint plus tard, comme ses autres camarades.

1941, Hôpital de Yaoundé, Cameroun. Alexis y est soigné pour une forme dérivée de paludisme.

 

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Alexis Le Gall et ses Tirailleurs du BM5

Devant l’attaque, les Allemands eurent pour tactique de descendre systématiquement les cadres européens en supposant que, sans chefs, les tirailleurs faibliraient ou seraient pris de panique. Le résultat fut inverse à celui espéré. Furieux de voir leurs chefs, officiers et sous-off’, atteints, les Camerounais devinrent fous de rage et taillèrent à merci à coups de machette dans tout ce qui se présentait, provoquant un carnage. Piozin, leur commandant de compagnie, chargeait lui, sabre au clair, se promettant d'embrocher le premier ennemi à sa main. Hélas son sabre, bien loin d'une arme de Tolède, était de piètre qualité : pupille de la nation, Piopio ne disposait pas à sa sortie de Saint-Cyr des finances voulues pour se payer une épée de valeur. Au lieu de traverser l’Allemand, son sabre se plia, ce qui sauva la vie du Chleu.

Mai 1943, Bataille de Takrouna, Tunisie

 

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1ère DFL à Pontecorvo

De partout sortent des rafales, arrivent des obus de mortier ou d'artillerie. L'Attaque est lancée sur Pontecorvo. Nous voyons des véhicules de Fusiliers-Marins, chars légers, Half-Tracks qui avancent, zigzaguent, tirent et de temps en temps nous arrivent obus et rafales. Une fois de plus je vois la bonne bouille du tirailleur Tournar qui, avec un grand sourire et toutes dents dehors, me lance : « Y’a chaud Sergent ».

Mai 1944, Campagne d’Italie

 

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Débarquement en Provence. Photo INA.

La plage est archi-calme, pas un ennemi à l’horizon, pas un tir. Moment d’émotion ! Pour la première fois depuis quatre ans, nous foulons la terre de France. Certains regardent avidement. D’autres se penchent vers le sol. Chacun ressent intérieurement et garde son émotion pour lui. Je regarde Tanguy et Hochet et dis : « Et voilà, on est quand même arrivés ».

16 août 1944, débarquement à Cavalaire, Provence

 

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1ère DFL en Alsace

Il fait froid. Il y a bien longtemps que le litre de schnaps est terminé et nos conserves de « ration K » sont gelées. J'en ouvre cependant une boîte. On peut sucer le bloc glacé qu'elle contient. J'ai toujours les jambes et les pieds trempés et glacés. Comme tout est calme, je vais rejoindre le sous-off commandant le groupe de voltigeurs qui nous accompagnent, car son poste est sous rondins et il y fait un peu plus chaud. Nous bavardons tranquillement quand brusquement on entend des éclats de voix, des éclatements de grenade et des tirs : nous sommes attaqués. Je me précipite vers mon emplacement et dis à Poncelet : « Tu ne tires que si tu distingues quelque chose ». Mais nous scrutons en vain. Devant nous et sur le côté, on se bat, Allemands, Français mélangés. On n’y voit goutte. Soudain, on m’allume d’une rafale de mitraillette, tirée à moins de 10 mètres. J’ai reçu un grand coup de poing dans le bras gauche.

1er février 1945, Alexis est blessé en Alsace

 

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8 mai 1945

C'est noir de monde. A 15 heures s'élève des haut-parleurs la voix du grand Charles bientôt couverte par les hourras et les bravos. Des groupes se forment, chantent, dansent, hurlent, s'embrassent et je me trouve subitement loin, si loin d'eux. Je m'étais fait une fête de ce moment, mais je ne participerai pas à la liesse générale. Je ne veux pas me mêler à tous ces jeunes en folie. Mes pensées vont vers les autres, mes amis, les vrais vainqueurs. Et repasse alors devant mes yeux tout ce chemin que nous avons parcouru ensemble : l'Angleterre,  le Cameroun, le Western Desert, l’Italie, la Provence, les Vosges, l’Alsace et viennent s'y superposer les visages de tous les copains disparus, tout ce qui était ma famille, P’tit Jean Jestin, Franch Arzel, Jaffret « la coterie », Robin l’ami juif, le petit Seité, Le Bastard notre « moujik » du Camp d’Ornano, Jaillet le « cureton », Delrieu notre capitaine de football, Javanaud à la mèche blanche, Antoni le petit Corse qui est mort à ma place, Douard le Marseillais tué à Takrouna et Dupin et mes deux petits gars morts et gelés à leur mitrailleuse dans l’Ill Wald et tous les autres, tous les autres…

8 mai 1945, Champs Elysées

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Projet1.jpgDès le 20 juin 1940, Alexis Le Gall (17 ans) et son frère Jacques (19) traversent la Manche, avec la bénédiction de leur mère veuve et laissée seule avec deux plus jeunes enfants, et rejoignent le Général de Gaulle à Londres. Ils sont dès lors des fondateurs des FFL. Alors que Jacques devient sous-marinier, Alexis, optant pour l’Armée de Terre, fait toutes les campagnes de la 1ère Division Française Libre aux côtés de ses Tirailleurs Camerounais du Bataillon de Marche n°5 : Egypte, Levant, Libye, Tunisie, Italie, Provence... jusqu'en Alsace où il est blessé en 1945. Après guerre, il intègre l’administration coloniale et retourne au Cameroun où il passe treize années de sa vie. Il revient en France et s’installe dans sa Bretagne natale où il demeure toujours, soucieux de maintenir la mémoire de ce qu'il a vécu avec ses camarades.

Vidéo « Les frères Le Gall » ici.

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Avec Alexis Le Gall au Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr-Coëtquidan 2017

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Les Clochards de la Gloire, ADJ (er) Alexis Le Gall

Préface de l’EV Jacques Le Gall, postface du GAL Patrick Jardin

ISBN 978-2914417518 – Prix 22€ - Format 24x15,2, 388 pages, cahier-photo 

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Aux éditions Charles Hérissey

Disponible ici

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Hommage

Aux morts pour la France du Bataillon de Marche n°5,

Aux morts pour la France de la 1ère Division Française Libre,

A tous les morts pour la France durant la 2nde Guerre Mondiale,

Aux blessés,

Aux tirailleurs camerounais,

A tous les Français, soldats et résistants, qui ont combattu pour la libération de la patrie, à nos alliés.

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Ce qu'a pu faire pour la France la 1ère Division Française Libre,

Ce qu’elle a su faire par le cœur, le corps, les armes de ceux qui en était,

Ce qu'elle a pu faire avec ses chefs Koenig, Brosset, Garbet, avec ses officiers, ses soldats,

C'est un des plus beaux morceaux de notre Grande Histoire,

C'est un rocher que les vagues du temps ne détruiront jamais,

C'est pour toujours un défi lancé à ceux qui doutent de la France.

 

Général de Gaulle

 

 

 

 

 

15/07/2017

« Ceux de 40 »

« Routes de sable et de nuages », GAL (2s) Claude Le Borgne, éd. Albin Michel

« La gloire de nos pères », CNE (er) Didier Hertoux, autoédité

« Les canons étaient sous le bureau », Pierre Andolenko, éd. Librinova

« 2 710 jours », Sapeur Lucien Violleau, éd. Les Archives dormantes

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation des auteurs – Droits réservés.

 

A la mémoire de mes grand-pères Roger Broquet et Maurice Camut, 69e BC, et de mon oncle Pierre Dusausoy, 2e RSA, combattants de 40.

 

 

Combien d’hommes admirables, et qui avaient de très beaux génies, sont morts

sans qu’on en ait parlé ?

La Bruyère

 

Ils étaient de la bonne bourgeoisie provinciale, nés pour porter gants blancs et Casoar, ou maçons aux mains calleuses. Ils étaient descendants de boyards, à leur aise au Ritz, ou petits paysans vendéens guinchant aux bals musettes …

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Tout les éloignait, si ce n’est cet orage grondant à l’Est, discours éructant, bannières claquant au vent. Alors, les uns comme les autres ont pris les armes et ont combattu. Nous connaissons l’issue : la guerre fut drôle, puis éclair.

Certes personne n’a oublié la défaite de 40. Par contre, les hommes qui ont mené le combat, on en parle bien peu. On les a presque moqués ! Qui d’ailleurs connait le nombre de soldats français tués en mai-juin 40 ? 60 000 en 5 semaines ! Et 120 000 blessés. C’est beaucoup pour une armée qui, d’après nos « facétieux » amis anglo-saxons, aurait immédiatement agité le drapeau blanc…

Pour l’illustrer, voici quatre beaux récits qui ont le mérite, outre de réparer une injustice criante, d’aborder des parcours variés : 2ndes classes ou officiers, fantassins, sapeurs, cavaliers, légionnaires ou marsouins ; certains, après la bataille, se remettant de leurs blessures ou survivant tant bien que mal dans les stalags, d’autres participant à la glorieuse victoire finale ou à la défense de l’Empire. Après-guerre, ils retrouveront leurs chantiers de maçonnerie, leurs champs de blé, ou mèneront d’autres combats, dans les rizières et le bled. Ainsi va la vie.

Ils garderont cependant tous ce point commun : l’honneur d’avoir défendu la patrie. Combien peuvent s'en honorer ?

Hommage à « Ceux de 40 ».

« Routes de sable et de nuages », GAL (2s) Claude Le Borgne, marsouin, méhariste, para-colo.

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Tirailleurs sénégalais, 1940. Photo ECPAD

C’est au mois de juin [40] que nous montâmes en ligne, si l’on peut ainsi dire d’un front qui, rompu, n’existait plus et que le haut commandement s’efforçait de rétablir de cours d’eau en cours d’eau. Le nôtre fut la Dordogne (…) Ma section fut chargée de défendre un pont au droit d’un charmant village. N’ayant de voisin visible ni d’un côté, ni de l’autre, ma responsabilité me parut immense. J’étais décidé à l’assumer.

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Tirailleur sénégalais, 1940. Photo ECPAD

Le pont était de petite taille mais suspendu et je n’avais les moyens ni de le défendre ni de le faire sauter. J’entrepris de déposer les poutres du tablier, travail qui n’excédait pas la force de mes trente Africains. Quand il comprit ce que j’avais décidé de faire, la maire du village tenta de s’interposer. Il fit valoir au gamin que j’étais que la guerre était perdue et que sauver l’honneur ne valait la destruction de son village, promise par la stupide résistance que je préparais.

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Claude Le Borgne en Mauritanie, après la Bataille de France

J’étais jeune il est vrai [18 ans]. Face au maire et sans la moindre hésitation, je sortis de son étui mon pistolet et, l’en menaçant, lui déclarais que la mission que j’avais reçue serait accomplie, quoi qu’il en coûte à son charmant village. Telle fut, dans cette malheureuse campagne, la seule occasion que j’eux de mettre l’arme au poing.

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Plutôt qu'une autobiographie classique, « Route de sable et de nuages » s'apparente à un recueil de pensées, nées de la longue, brillante et quelque peu atypique carrière du général marsouin Claude Le Borgne : Saint-Cyrien au cursus écourté par la Blitzkrieg, sous-lieutenant tout minot (18 ans), il est lâché avec une poignée de tirailleurs sénégalais "à vue de nez" dans la débâcle de 40. Reprenant son cursus d’officier en Afrique du Nord, la reconquête métropolitaine se passera de lui : il est méhariste dans les sables de Mauritanie, au contact, avec ses goumiers et tirailleurs, des tribus-seigneurs maures. Abandonnant ses "chameaux" pour les ailes de Saint-Michel, il fait la campagne d'Indochine comme para. C'est ensuite l'Algérie, qui le laisse meurtri. Il poursuit cependant sa carrière, à Madagascar, puis dans l'Europe nucléarisée de la Guerre-Froide.

Du haut de ses 94 vaillants printemps, beaucoup d'humour, de recul et de sens de l'analyse. Un livre profond, qui s'avère le témoignage remarquable -distillant un rien de nostalgie- d'un militaire trait d’union entre France d'hier et d'aujourd'hui.

Claude est le frère du GAL Guy Le Borgne, autre figure de l'Armée française. 

Aux éditions Albin Michel.

Disponible chez votre libraire préféré(e), éventuellement sur commande, ou sur les sites du Net.

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Avec le GAL Claude Le Borgne, grand monsieur, au Salon des Ecrivains-Combattants 2016

Il est bien connu que le vieillard, sentant sa mort prochaine, voit le monde courir à sa perte du même pas que lui. Nul n’ajoute foi à ses jérémiades. Il en va toujours ainsi.

Pourtant, le tocsin que branle le vieux pourrait bien être, pour la première et dernière fois, le bon.

Essayons, fût-ce sans espoir, de le faire entendre…

***

« La gloire de nos pères », CNE (er) Didier Hertoux

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René Brondeau, 1er RCA, au Maroc avant-guerre

11 mai - On pouvait lire maintenant, sur chaque visage, la même anxiété. Les Allemands n’étaient pas loin. Plus bas, des maisons écroulées fumaient depuis des heures. Dès que la nuit tombait, la même peur, la même angoisse, étreignait les sentinelles.

12 mai - Les canons des panzers tiraient sur leurs défenses ébranlant la terre qui se soulevait dans un vacarme d’apocalypse. Après des heures de combat les hommes avaient senti l’épuisement les gagner, mais ils résistèrent courageusement. René vit tomber deux camarades. L’un d’eux gémissait. L’autre semblait avoir été tué. Ils parvinrent à repousser l’ennemi mais au prix de dizaines de tués. Le régiment avait perdu surtout des appelés, des pères de famille. René en fut très ému. Il s’était immédiatement identifié à ces soldats tués, car il était père lui aussi, et depuis si peu !

13 mai - Les panzers apparurent. C’était une gigantesque armada bruyante et enfumée, qui fonçait droit vers le régiment…

Didier Hertoux d’ap. René Brondeau, sur la ligne de front Trilemont-Huy

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A gauche René Hertoux, cuisinier et trompette du 91e RI, 1938

Sommes-nous toujours à la même heure ? Que faut-il que je fasse pour que les heures se remettent en marche ? J’ai comme un souvenir ou une sensation, ou une vision qui m’effleure et qui monte et se diffuse comme de la vapeur autour de mon corps. Dans le ciel il y a des nuages d’eau et de chaleur. Et dans cette buée, je vois la tristesse des soldats se mélanger. On ne peut plus rien distinguer mais la tristesse fait une passerelle entre les soldats. Mais ces soldats ne bougent pas. Ils attendent tout le temps. Et puis, à un moment, ils disparaissent tous. Je ne les vois plus. Je suis triste de ne plus les voir, mais je ne sais pas pourquoi. Et je sens qu’eux aussi, ça les rend triste. Je suis au pays de nulle part, au pays du temps qui se perd. Que se passe-t-il ? J’ai envie de m’enfuir de moi et de me faufiler dans un univers heureux, comme dans un rêve. Ça y est ! J’y suis ! (…) Je reconnais la ferme. Mais je n’entends rien. C’est bizarre. Il y a quelque chose qui n’est pas normal.

René Hertoux à l’hôpital, après ses trois graves blessures reçues au combat.

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Didier Hertoux, ancien officier para des Forces Spéciales, aurait pu aborder sa propre carrière (on le souhaite, cela dit en passant…), et pourtant il a choisi de retracer les parcours de son père René Hertoux, 91e RI, 124e RI, et de son beau-père René Brondeau, 1er RCA, 11e RDP, 1er GFM, pendant la campagne de France, la défaite, l'internement dans les Stalags.

Ces deux René, humbles bonnes gens, se sont comportés avec un immense courage : le premier est grièvement blessé au combat, plusieurs camarades tués à ses côtés ; le second lutte avec le 11e Régiment de Dragons Portés, laminé par la déferlante des panzers et des Stukas, puis avec le 1er Groupe Franc du CNE de Neuchèze auprès des cadets de Saumur. Fait prisonnier, il s’évade de son stalag ; repris, il est envoyé à Rawa-Ruska et n’est libéré qu’en 45.

Jamais sans doute les deux René n’auraient imaginé faire l’objet d’un livre. Et pourtant il existe bel et bien, ce livre (et est de plus fort joliment écrit.). Une belle œuvre de mémoire.

Disponible auprès de l'auteur (18,50€ port compris - bénéfices au profit de l'association des blessés de l'Armée de Terre). didier.hertoux @ gmail.com. Bon de commande ici.

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1985, René Hertoux reçoit la médaille militaire. Trop ému, son discours est lu par son fils Didier

Un soldat sort sa blague à tabac. D’un index dur il bourre sa pipe. Un autre, entre ses doigts courts et noueux, roule habilement une cigarette. Sous la peau cornée de leur pouce, la molette râpeuse d’un briquet fait jaillir la flamme. Ils ont des mains d’ouvrier, des mains de paysan ; un type d’homme commun tiré à des milliers d’exemplaires à travers l’Europe. Un type d’homme identique à ceux d’en face.

René Hertoux, mai 40

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« Les canons étaient sous le bureau », Pierre Andolenko, fils du GAL Serge Andolenko, légionnaire

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Dimitri Amilakvari, Serge Andolenko et sa mère

C’est là qu’est grièvement blessé mon ami de toujours, le prince Obolenski, engagé lieutenant du 12e Régiment Etranger, deux balles de mitrailleuse dans le poumon, pour avoir ramené sur son dos son capitaine blessé entre les lignes.

C’est là qu’est exécuté d’une balle dans la nuque mon camarade de promotion Alain Speckel, avec sept autres officiers et deux de ses hommes, pour avoir tenté de protéger ses tirailleurs sénégalais du massacre par les allemands.

C’est là, à Stonne, bataille oubliée alors que l’une des plus dures de la seconde guerre mondiale, selon les Allemands eux-mêmes, que les 42 000 Français du 21e Corps d’Armée tiennent tête aux 90 000 Allemands des VIe et XVe Korps. Du 15 au 17 mai, le village est pris et repris 17 fois.

C’est juste à côté, à La Horgne, que la 3e Brigade de Spahis marocains et algériens, à cheval, affronte une brigade de la 1ère Panzer Division.

C’est là que se distingue le Général Juin lors de la défense de Lille, retardant les Allemands vers Dunkerque, permettant aux Anglais de s’éclipser.

C’est là que le Général de Lattre de Tassigny, commandant la 14e DIM, se bat pied à pied du début à la fin de la campagne jusque dans la région de Périgueux, resté invaincu.

C’est là que la ligne Maginot, prise à revers, se bat pour certains ouvrages jusqu’après l’armistice.

C’est là que l’Armée des Alpes réduit à néant l’attaque italienne et bloque les Allemands devant Grenoble.

C’est là que l’Armée de l’Air abat près de 1 000 avions allemands qui feront défaut pour la Bataille d’Angleterre

C’est là que meurent près de 100 000 Français, en cinq semaines.

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Voici une bien jolie biographie : celle du Général Serge Andolenko, par son fils Pierre. Personnage haut en couleur, Russe-blanc réfugié en France, Saint-Cyrien, le général a servi aux 1er, 3e, 4e, 5e et 6e RE, et comme homme du Renseignement, 2ème bureau de la 3e DIA. Pacification du Maroc, du Levant, Syrie face aux Australiens et Français Libres (dont son camarade le Légionnaire-prince Amilakvari, dans le camp gaulliste – chapitre certes dramatique de l’histoire française, mais qui nous vaut de savoureuses anecdotes, Amilakvari et Andolenko réussissant à se contacter au téléphone, d’un côté du front à l’autre, grâce à un légionnaire [« - Comment as-tu fait ? - Je m’ai démerdé »] et s’arrangeant pour que leurs hommes ne se retrouvent pas face à face et obligés au combat !). Revenu dans le giron allié, c’est la glorieuse campagne d'Italie et la reconquête de la France. Chef de corps du 5e Etranger pendant la guerre d'Algérie, il vit la guerre-froide comme attaché militaire à Vienne.

On peut s'étonner que son nom ne résonne pas avec plus d'éclat, si ce n'est à la Légion. Mais il est vrai qu'une certaine omerta a perduré pour les officiers restés fidèles au gouvernement de Vichy. Triste ; le devoir de mémoire ne peut être sélectif.

Ajoutons que le texte de Pierre est très complet, tout en se lisant comme un roman d’aventure (c’est un compliment).

La première édition du livre est épuisée, mais une seconde est en projet avec un nouvel éditeur. Nous contacter pour mise en relation avec l'auteur.

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Avec Pierre Andolenko, 2016

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Entre deux attaques, passé en deuxième ligne, je déjeune avec trois de mes lieutenants. Nous sommes sur une crête, pour rester attentif à tout mouvement possible. Au milieu du casse-croûte, l’artillerie commence à tirer et nous voyons, à intervalles réguliers, des paquets d’obus remonter vers nous. La dernière volée tombe à moins de cent mètres. Et là, quelques secondes qui durent des siècles, et dans la tête : « Lequel d’entre nous va se coucher le premier ? Pas moi en tous cas, j’aurais trop l’air d’un con ! ». Et nous nous regardons tous dans les yeux. Et nous nous disons tous, les uns aux autres « Je suis mort de trouille, mais je ne me coucherai pas ! ». Et la volée suivante tombe sur la crête, derrière nous. Stupide, bêtise, mais qu’est-ce qu’on est bien vivant après ça !

***

« 2 710 jours », Sapeur Lucien Violleau, 8e RG, 1ère CMT, 38e RG

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Sapeur Lucien Violleau

Janvier 1937 – Dimanche soir, bal de la Saint-Vincent à la salle des fêtes. Pas de permission de spectacle car « garde d’écurie », mais cela ne m’a pas empêché d’y aller et de me coucher à deux heures du matin. Une visite du lieutenant-colonel vétérinaire est annoncée pour la semaine suivante. Pansage et fayotage. Dimanche soir, permission de spectacle : bal à Saint-Martin, retour à trois heures du matin. Aventure survenue à Théveneau sur le bord d’un mur avec une pétasse de Montoire : fou rire tout le lundi.

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Sapeur Lucien Violleau

Mai 1940 – Un violent bombardement m’a fait passer des minutes terribles ; les premiers obus allemands sont tombés à cinq cent mètres de nous (…) J’ai juste le temps de traverser la route pour rejoindre le central [de communication], un premier obus est tombé à cinquante mètres, puis se rapprochant, une douzaine, dans un rayon de 20 mètres. Un autre est tombé au centre du village, enflammant une maison. Enfin, le plus terrible est tombé dans un angle de grange, à l’endroit même où s’était réfugié le sergent-chef Duny. L’obus lui coupe un bras, près de l’épaule, et le pauvre chef expire quelques minutes après. Une drôle de panique s’ensuit (…) Toutes les lignes téléphoniques sont coupées.

Tout laissait prévoir ce bombardement… Le quartier général entier de la division et beaucoup d’officiers s’étaient installés, avec toute les lignes téléphoniques, très en vue du terrain occupé par les Boches. En un mot, tous les soldats croient, soit à une trahison, soit à un haut-commandement incapable. Le moral est à zéro.

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Chambrée de Stalag

Décembre 1944 – Un certain soir de décembre 1940, je débarquais sur la terre ennemie. Quatre années de captivité dans le pays chleu. Combien d’heures de découragement, de désespoir, tristes, inhumaines ? Malmené, travail par tous les temps, à contrecœur, contre mon intérêt. Combien d’injustice, de privations, matérielles et morales, de réflexions moqueuses et insolentes endurées ? Combien d’heures de bonheur, de joies perdues et qui ne se rattrapent jamais ? Combien de larmes, de soupir au pays ? Quel poids de haine un cœur de prisonnier peut-il accumuler, pendant quatre longues années, contre ses inhumains geôliers ?

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Lucien Violleau prisonnier en Allemagne

Mars 45 - A six heures du soir passe à toute allure une chenillette allemande descendant du front. Peu après, c’est des chars des autos, à toute allure également. Puis arrive une grande nouvelle, apportée par un soldat allemand à pied, sale, dans un état poussiéreux incroyable, boitant, avec un soulier sans talon. Et voici la nouvelle, bonne, à tel point bonne qu’on a tous douté, même devant la réalité de la fuite éperdue. Et cette nouvelle, dont on aurait tous chanté et dansé de joie, la voici : les Américains sont à six kilomètres ! Ce soldat allemand nous dit : « Maintenant la guerre est finie, enfin, c’est temps ».

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« 2710 jours » est le journal intime d'un jeune agriculteur vendéen, conscrit de 1937, emporté dans la tourmente de 40 et qui passe 5 ans en captivité en Allemagne. De l’insouciance, voire l’ennui, du service militaire, ponctué heureusement par les bals musettes, au travail forcé, le froid, la faim, les brimades des Stalags, en passant par la drôle de Drôle de Guerre et l’ouragan de la Blitzkrieg. Le texte, écrit à l’origine sur des cahiers d’écolier, outre l’évident intérêt historique, rend le personnage extrêmement attachant. Une petite merveille de livre. Tout ce qu’on aime.

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Le petit-fils de Lucien, Damien Pouvreau (à l’origine de la publication du livre, qu’il nous a gentiment dédicacé, et qui a fourni les photos inédites qui illustrent cet article) s'est inspiré du journal de son grand-père pour composer l'album "2710 jours de ma jeunesse" et créer un spectacle musical, actuellement à l'affiche du Grenier à sel d'Avignon, tous les jours à 20h et jusqu'au 27 juillet, dans le cadre du festival d'Avignon (sélection pays de la Loire). Voir ici. Le devoir de mémoire prend de bien heureuses formes.

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Page FaceBook de Damien Pouvreau ici. Vidéo

« 2710 jours » est publié par Les Archives Dormantes, très sympathique maison.  Disponible ici.

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Lucien Violleau

Avril 1941 – Les civils allemands ont une foi sans limites dans la victoire finale, une admiration sans borne pour Hitler, qu’ils portent aux nues par leurs paroles et leurs gestes. Ils ont remplacé les formules de politesse "bonjour", "bonsoir", "au revoir", "salut" par le "Heil Hitler" qu’ils prononcent tout naturellement, à chaque instant avec grand respect. C’est le cri à la mode. Les hommes, en se saluant ainsi, lèvent la main "à la Hitler". La folie.

***

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Hommage

Aux combattants de 39-40

60 000 soldats français morts au combat,

7 500 Belges, 6 000 Polonais, 3 500 Britanniques, 3 000 Néerlandais, 1 300 Norvégiens,

150 000 blessés.

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2CL René Hertoux, 124e RI, vétéran de 39-40, blessé de guerre, médaille militaire, croix de guerre, citation à l’ordre de l’Armée, 3 citations à l’ordre du régiment.

La voie de l’honneur est un chemin étroit et peu fréquenté. Les plus anonymes y sont capables de coups d’éclats, et le banal peut se teinter de sublime. L’historien a fait son œuvre et pour décrire la débâcle de 1940 et l’effondrement de la France, il a analysé, recoupé, enquêté. Avec le recul, le sens de l’histoire peut se redessiner. Les héros discrets peuvent enfin y trouver leur place, car leur courage solitaire et obstiné force l’admiration.

« La gloire de nos pères », CNE (er) Didier Hertoux

 

 

 

 

18/01/2016

« Monclar - Le Bayard du XX° siècle », Fabienne Monclar, éd. Via Romana

 Extraits et photos publiés avec l'aimable autorisation de l'auteur. Droits réservés. 

 

"Quand le monde aura cessé de comprendre ce qu’est le sacrifice, les hommes ne sauront plus ce qu’aimer veut dire.

Ils ne comprendront plus que les exploits étaient accomplis et offerts, parce qu’ils n’étaient pas demandés."

Chesterton

 

 

Monclar est un nom qui devrait claquer dans le vent de l’histoire de France tel un fier drapeau national. Est-ce bien le cas ? On peut malheureusement en douter…

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Cette biographie est donc la bienvenue. Elle s’apparente d’ailleurs plus à des mémoires, le livre ayant été écrit par Fabienne, fille de Général Raoul Magrin-Vernerey dit Monclar, à partir des notes de son père et des témoignages de ses soldats.

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Monclar, debout au centre, convalescent après une nième blessure

Quelle injustice qu'un tel combattant soit tombé peu à peu (et sciemment ?) dans l'oubli ; jugez-en : tentative d'engagement dans la Légion à 16 ans. Saint-Cyrien, il fait toute la Grande-Guerre avec le 60e RI alias Royal Besançon Marine, dans un esprit très "Montmirail" (nom de sa promotion de l’ESM), charge en gants blancs, casoar ébouriffé par le vent ; blessé 7 fois, cité 11 fois...

Saint-Cyr avait cristallisé notre mystique, forte liqueur qui m’enivra toute ma vie. Nous y sommes entrés comme dans un ordre de chevalerie. Notre exaltation se renforçait de l’exaltation voisine, nous emportait et devenait puissante comme une marée. Nous avions tous le besoin d’agir. Nous étions partis avec le désir tout simple de nous offrir en sacrifice, renouveler la folie de la Croix. Ce fut l’ivresse de 14, puis la course à bout de souffle de 1915 qui nous donnèrent l’expérience de 1918.

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Monclar, au centre de dos, présente la 13e DBLE au général de Gaulle, Angleterre 1940

Entre-deux-guerres : pacification du Levant, s'appuyant sur les Alaouites (clin d'oeil à l'actualité...), du Maroc, du Tonkin. A la tête de ses Légionnaires de la 13e DBLE, il écrase les allemands à Narvik, seule victoire française de 39-40 ! En pleine Blitzkrieg, pour ne pas être fait prisonnier, il part en barque en Angleterre pour continuer le combat ; ses Képis blancs l’y rejoignent. De ce fait, il apporte à de Gaulle et la France libre sa seule unité constituée (souhaitant en son for intérieur poursuivre la guerre avec les Canadiens plutôt que les Anglais, qu'il ne porte guère dans son cœur). Campagne d'Erythrée où sa brigade française libre d'Orient prend Massaouah, faisant prisonniers 9 officiers généraux, 440 officiers et 14 000 soldats italiens !

« On raconte de lui, mais peut-être n’est-ce qu’une légende, qu’ayant entendu par hasard un de ses hommes mécontent d’une punition dire à ses camarades « je vais lui faire la peau », le Colonel s’approcha et lui donna son revolver chargé : « suis-moi, dit-il, nous partons en patrouille ». Il se promène pendant une heure, toujours suivi de son Légionnaire, et rentre au PC sans encombre. «Tu avais dit que tu me tuerais et tu ne l’as pas fait ; tu feras huit jours de salle de police. Cela t’apprendra qu’un Légionnaire ne doit jamais mentir. »

D’ap. Colonel Sassi, Narvik.

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Monclar et ses Légionnaires, Levant 1941

Et puis se présente la campagne du Levant : il refuse de combattre les Français restés fidèles à Vichy, il refuse que ses Légionnaires combattent d'autres Légionnaires... Dès lors il est laissé à l'écart par de Gaulle (qui "pousse" son second, Koenig) et ne participe pas à la reconquête de la métropole... Il poursuit cependant le combat, en Syrie et au Liban, contre les mouvements indépendantistes arabes soutenus par l'Angleterre (contrôle du pétrole, déjà), dans l'indifférence générale d'une France fêtant la victoire.

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Au centre Rollet, à sa gauche, Monclar. Indochine, entre-deux-guerres

Le sourire revient lorsqu’il retrouve ses Légionnaires, dont il devient inspecteur général, nouveau "père Légion" après Rollet qu'il a croisé en Indochine.

C’est l’aventure qui amène le plus de monde [à la Légion]. Il reste toujours des gens dont, durant l’enfance, l’imagination s’est nourrie de grandes chevauchées, de grands coups de sabre des cavaliers de Sobieski ou de Murat. Il y a aussi, pour les peuples des brumes du Nord, la nostalgie de la mer bleue, des chaudes contrées du Sud. Il y a encore tous ceux dont les aspirations ne s’engrènent pas avec le prosaïsme, la platitude du monde moderne, qui entendent la musique d’un autre monde, qui fuient les conditions sociales et économiques d’une société qui se réduit et que sa veulerie voue à la décrépitude.

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Monclar en Corée avec le GAL Douglas McArthur

Pour un dernier clin d’œil au destin, à la veille de la retraite, il se porte volontaire pour prendre le commandement du Bataillon français de l'ONU en Corée. Il abandonne pour cela ses étoiles de général pour les barrettes panachées de lieutenant-colonel. Le bataillon, dans des conditions dantesques dignes de la Grande-Guerre, se couvre de gloire, forçant l’admiration des Américains.

Le Général décède en 1964 alors qu'il est Gouverneur des Invalides, plaçant toute son énergie dans le soutien aux blessés de guerre et anciens combattants.

Qui n’a entendu résonner les tambours assourdis et voilés, leur roulement lourd et lent comme le pas d’un homme à l’entrée du cercueil dans la chapelle, ignore le culte des traditions militaires qui vont faire retentir par les clairons crêpés la sonnerie aux morts, comme sur le champ de bataille, le chant d’adieu des hommes à leurs frères d’armes (…) Sous la voute, les chœurs y vibrent comme si ces voix venaient d’ailleurs, d’un monde sans pesanteur évoquant une veille de résurrection sur un de ces champs de bataille que l’on espère. Dieu viendra visiter parmi les premiers et désignant les vaillants et les humbles, Il réveillera ceux qui sont morts debout.

Fabienne Monclar, obsèques de son père à Saint-Louis des Invalides

***

Ce valeureux Saint-Cyrien-Légionnaire, catholique fervent, officier le plus décoré de France, gaulliste critique, à qui l’on doit des victoires éclatantes, mérite tout sauf l'oubli de la Nation.

Merci à sa fille Fabienne de le remettre à l'honneur grâce à ce livre-épopée très réussi, très complet, superbement écrit.

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ISBN 979-1090029873 - Prix 25€ - Format 20,5 x 13,5 467 pages, cahier-photo.

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Aux éditions Via Romana

Disponible ici

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Avec Fabienne Monclar au salon des Ecrivains Combattants 2014

*

Donnez-nous la force et la vaillance,

De vivre debout, officiers de France.

Notre nom est un nom de victoire ;

Il est le vôtre, Général Monclar.

Chant de la 171e promotion de l’ESM de Saint-Cyr "Général Monclar"

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Les soldats sont ces fous que Dieu aime. Ils ne savent que se sacrifier. La République les a envoyés se battre pour bâtir des pays divisés et ensanglantés par des rivalités tribales, les pacifier, y construire des hôpitaux, des écoles. Mais la politique reprend ses droits, ses calculs.

Quant aux militaires, tout est perdu ; fors l’honneur, qui n’a pas de prix.

Général Monclar 

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06/09/2014

"Obéir ? Journal de l'Amiral Paul Marzin", Marie-Paule Leclerc-Marzin. Ed. Charles Hérissey

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de Mme Leclerc-Marzin. Droits réservés.

+ A la mémoire de mon cousin le CBA Jacques Boyer, marsouin, qui, s’échappant de son camp de prisonniers en 1941, rejoignit l’Armée d’Afrique +

 

 

Juge digne de toi toute parole et tout acte qui est selon la nature. Ne t'en laisse détourner ni par le blâme, ni par les calomnies, dont parfois le blâme est suivi. Du moment que ce que tu as fait, ou ce que tu as dit, est bien, ne crois jamais que ce soit au-dessous de ta dignité. Les autres ont leur propre raison qui les conduit et ils obéissent à leur impulsion propre.

Marc-Aurèle, "Pensées pour moi-même".

 

Dans la marche de l’Histoire, il est des morts que l’on préfère oublier. Comme des épines dans le pied. Alors elle avance, cette Histoire, en espérant que ces échardes disparaitront d’elles-mêmes. Mais parfois, elles finissent par faire boiter et il n’y a guère d’autre option que de s’assoir au bord du chemin et d’enlever la chaussure. Cela s’est produit pour les épines « Harkis » et « Torture en Algérie ». C’est le cas, actuellement, pour les épines « Mutins de 14 ». Le verra-t-on un jour, pour celles des soldats restés fidèles au gouvernement de Vichy ?

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Nous imaginons déjà des sourcils se froncer à la simple évocation de lever un voile marqué d’un grand « Collaboration ! ». Et pourtant, il s’agit simplement de regarder son histoire en face et d’écouter ceux qui ont le courage de témoigner. Nous sommes à ce titre heureux d’aborder « Obéir ? », journal de l’Amiral Paul Marzin, commandant du cuirassé Richelieu, qui s’est opposé à la tête de son équipage au débarquement anglais et français-libre à Dakar en 1940, puis a rejoint l’Amirauté à Vichy. 

Les sourcils sont toujours froncés ? Alors, lisez. La chaussure doit être enlevée. Il n’y a pas d’autre option : un soldat sait qu’un pied abimé peut s’infecter. Il est temps de le soigner. 

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Le Richelieu à Brest – Carte postale « Gaby »

Juin 1940. Alors que la Blitzkrieg s’est abattue sur la France, Le Richelieu est en rade à Brest. Paul Marzin en a été nommé commandant le 1er juillet 1939. Les ouvriers travaillent fébrilement à son achèvement.

Toute la nuit, nombreuses alertes aériennes. On tire au jugé sur des avions qui survolent la rade. J’aperçois très nettement deux parachutes portant sans doute des mines magnétiques qui tombent au-delà de la jetée. Le 18 juin, au petit jour, nouvelle alerte : trois avions allemands Heinkel venant de l’est nous attaquent en vol horizontal et lancent trois bombes qui tombent environ cent cinquante mètres par bâbord arrière (…) Nos [canons de] 100 ripostent furieusement, l’un des avions paraît touché.

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Mers-el-Kebir - photo merselkebir.unblog.fr 

3 Juillet 1940. Pour ne pas tomber dans les mains des Allemands, Le Richelieu a vogué vers Dakar. Entre-temps, l’armistice a été signé à Rethondes. Mais la puissante Royale, épargnée par les combats, inquiète l’allié anglais.

A 17 heures, coup de tonnerre : un message intercepté m’apprend que l’escadre de l’Amiral Gensoul vient d’être attaquée à Mers-el-Kebir près d’Oran par les Britanniques. J’envisage avec l’Amiral Cadart les mesures à prendre pour la défense du mouillage, bien mal organisé et surveillé : les phares continuent à fonctionner, la ville est illuminée, le barrage n’est pas gardé, les batteries de côte ne sont pour ainsi dire pas armées, les avions n’obéissent à aucune règle de survol de la rade…

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Le Richelieu à Dakar, protégé par des filets anti-torpilles - photo dakar.1940.free.fr

8 juillet 1940. Le porte-avion anglais Hermes mouille au large de Dakar. Devant le refus du gouverneur général Pierre Boisson de livrer la ville aux anglais…

5h05. Nous entendons des bruits de moteurs d’avion à bâbord, ainsi que le crépitement des mitrailleuses du Bougainville. Presque aussitôt surgissent deux ou trois biplans de porte-avion anglais Swordfish (…) Ces avions ont simplement servi de « bruiteurs » pour attirer l’attention de la défense, alors que deux autres groupes d’avions sont restés invisibles des veilleurs (…) Nous apercevons deux sillages de torpilles venant de bâbord arrière et qui font route droit sur le Richelieu ; moment d’attente angoissante puis soupir de soulagement quand on se rend compte qu’elles ont dû passer sous le bâtiment. Au même instant le maître-timonier Legac me signale un sillage de torpille venant de tribord avant. La marche de l’engin est bien réglée cette fois… 

Touché, le Richelieu est immobilisé dans la rade, mais sa puissance de feu reste redoutable. L’escadre anglaise reste au large, pour un temps…

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L’attaque britannique. Gerbe de 380 autour du Richelieu – photo issue de l’album personnel de l’Amiral Marzin.

23 septembre. Suite à l’appel du 18 juin, les Forces Françaises Libres se constituent. Le Général de Gaulle envoie ses émissaires à Dakar, tentant de faire basculer la colonie, mais reçoit une fin de non-recevoir du gouverneur. Les Britanniques lancent un ultimatum.

11 heures. On entend des détonations dans le sud et des gerbes s’élèvent dans le port, encadrant le Richelieu (…) D’autres obus tombent au même moment sur la ville près de la batterie du cap Manuel ; l’hôpital indigène, des villas du plateau, des cases de la Médina sont touchés (…) Quelques instants auparavant, deux des croiseurs légers britanniques ont ouvert le feu sur le sous-marin Persée qui, surpris en surface, avait été touché de trois obus au moment où il lançait sur eux deux torpilles. Le Persée, touché, coule.

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A bord de l’épave de l’Audacieux - photo dakar.1940.free.fr

16h30. L’Audacieux sort de la rade par la passe Est et bientôt sa coque est masquée à ma vue par la pointe la plus basse de Gorée. Je vois néanmoins sa mâture défiler entre les palmiers, au moment où elle va se masquer dans le clocher de la vieille église, une flamme immense s’élève au-dessus de l’ile pendant que de fortes détonations retentissent. Surpris par un croiseur anglais, l’Australia, il est canonné à bout portant : un obus explose dans la soute à munitions, la chaudière est en flammes, quatre-vingts hommes sont tués, il y a une centaine de blessés.

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Tir du Richelieu sur les navires anglais - photo dakar.1940.free.fr

Mais le Richelieu réplique. La bataille dure 3 jours. Les Britanniques ont lancé leurs cuirassés Barham et Resolution : ils sont sévèrement touchés par les tirs et torpilles françaises. Ils doivent rompre le combat. L’opération est un échec, la Royal Navy se retire définitivement. 98 défenseurs, 68 civils, 36 Anglais et 2 Français-Libres ont été tués dans les combats.

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25 septembre, les marins du Richelieu accueillent avec enthousiasme le sous-marin Bévéziers qui rentre au port après avoir atteint d'une torpille le cuirassé britannique Resolution - photo atf40.forumculture.net

De Gaulle fût très marqué par cet épisode. Il pensait qu’il arrivait en libérateur, que les Allemands allaient s’emparer de Dakar, que la ville était affamée. Il n’avait pas non plus assez mesuré le choc de l’attaque de Mers-el-Kebir.

« Les jours qui suivirent me furent cruels. J’éprouvais les impressions d’un homme dont un séisme secoue brutalement la maison et qui reçoit sur la tête la pluie de tuiles qui tombent du toit ».

Charles de Gaulle, Mémoires de guerre.

*

Mais le journal de l’Amiral Marzin ne s’arrête pas là. En février 1941, il quitte le commandement du Richelieu et rejoint l’Amirauté à Vichy.

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Anniversaire de la bataille de Dakar. De gauche à droite, Amiral Darlan, gouverneur général Boisson, Vice-Amiral Bourragué, Contre-Amiral Marzin. Sept. 1941. Collection MP. Marzin

1941. En arrivant à l’Amirauté, je ressentis une impression de malaise : j’y étais accueilli comme un intrus par le chef d’état-major, l’Amiral Le Luc et avec défiance par certains de ses adjoints (…) Auphan lui-même me reçut avec une certaine réticence (…) Il avait déjà deviné que l’Allemagne ne pouvait plus gagner la guerre et il manœuvrait pour éviter une rupture brutale avec l’Amérique, qu’il pensait devoir être un jour l’arbitre de la paix. Il lui fallait modérer constamment l’amiral Darlan qui s’était lancé à fond dans la collaboration. Aussi redoutait-il mon influence qu’il supposait, a priori, aveuglément antibritannique.

Je commençais dès les premiers jours à me rendre compte que la politique de Vichy était singulièrement tortueuse.

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L’Amiral Darlan accueilli à Berchtesgaden par Hitler (caché par ses aides de camps) - photo INA

Le 11 mai 1941, l’amiral Darlan rencontre Hitler à Berchtesgaden. A l’issue, des négociations s’engagent sur une collaboration militaire (en échange d’hypothétiques retours de prisonniers de guerre). Cet accord prend le nom de « Protocole de Paris ». Il concerne La Syrie, la Tunisie… et Dakar.

Il s’agissait de livrer Dakar aux Allemands pour en faire une importante base d’aviation et de sous-marins (…) Notre résistance de 1940 avait eu lieu sans arrière-pensée, car le pavillon avait été insulté sans que les agresseurs puissent invoquer le moindre prétexte. Aussi la lecture du protocole m’ouvrit-elle définitivement les yeux, et me mit dans un état de rage concentrée.

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Rue de Rivoli - photo occupation-paris.blogspot.fr

Dès lors, l’amiral Marzin met tout en œuvre pour torpiller l’accord. Pour la Syrie, il est trop tard : Français « vichystes », Britanniques et Français-Libres se battent déjà.

Le 11 juin, j’eus le loisir de jeter un rapide coup d’œil sur un Paris vide et morne, pavoisé d’emblèmes hitlériens, et ce premier contact avec l’Occupation ne fit que m’assombrir d’avantage. En déambulant rue Royale, je pensais avec amertume à tous ceux de Syrie qui tombaient pour la fidélité à la parole donnée, pendant que j’allais discuter des mesures qui pouvaient mettre la Tunisie à feu et à sang.

Ce même 11 juin 1941, l’épouse de Paul Marzin écrit dans son propre journal : Darlan fait une folie. Les Allemands ne lâchent rien et nous engagent à fond. Paul discute tout seul avec la délégation allemande de Wiesbaden. Que va-t-il en sortir ?

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Le Maréchal Pétain et le vice-président du conseil Pierre Laval - photo INA

Le 11 novembre 1942, suite au débarquement allié en Afrique du Nord, les allemands envahissent la zone libre. L’Amiral Marzin considère que le Maréchal Pétain n’a qu’une option : démissionner. Il faut aussi sauver la flotte en la faisant appareiller de Toulon pour l’Afrique. Pétain ne fait ni l’un ni l’autre.

Jusqu’à ce jour, j’avais patienté dans la discipline en rongeant mon frein, lorsque je constatais les abdications successives de nos indignes gouvernants, en bataillant pour maintenir la Marine dans la ligne de l’Armistice. Malgré Montoire [collaboration économique entre la France et l’Allemagne], Saint-Florentin [rencontre entre le MAL Pétain et Hitler], je n’avais jamais cessé de croire au double jeu du Maréchal, ni d’espérer que dans la situation présente, celui-ci allait enfin se démasquer. Hélas ! Je m’étais trompé ou plutôt, j’avais été indignement trompé comme tant d’autres : de l’Armistice dans l’honneur de juin 1940, il ne restait plus d’armistice, et l’honneur était irrémédiablement perdu…

Le 19 novembre, l’Amiral Marzin présente sa démission. 

Le 27 novembre, l’Amiral de Laborde, encerclé par les troupes allemandes à Toulon, ordonne le sabordage de la flotte. 

 

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Img0001.JPGPaul Marzin naît en 1894 dans une famille brestoise. L’un de ses grands-pères s’est engagé comme mousse au milieu du XIX°, l’autre est charpentier de marine. Son père s’engage à son tour à 18 ans et devient officier principal d’administration par concours interne. Très bon élève, Paul Marzin intègre l’Ecole Navale en 1912. Durant la Grande-Guerre, il est affecté à l’escadre de Méditerranée, assurant la protection des convois militaire, chassant le sous-marin allemand ou austro-hongrois. Pendant l’entre-deux-guerres, il sert comme chef d’artillerie sur plusieurs navires, avant de prendre service à terre, notamment au Centre des Hautes Etudes Navales et à l’Etat-Major. En 1938, il est nommé commandant du cuirassé Richelieu, alors en construction. En 1940, resté fidèle au gouvernement du Maréchal Pétain, il défend Dakar contre la tentative de débarquement anglo-gaulliste. Rejoignant l’Amirauté à Vichy, ouvrant peu à peu les yeux sur les orientations d’un gouvernement décidé à plus de collaboration avec l’Axe, il entre à sa manière en résistance, tentant de « torpiller » les projets militaires allemands devant impliquer la France. Démissionnaire après l’invasion de la zone libre, volontaire pour rejoindre l’Afrique du nord, Paul Marzin est laissé à l’écart, certainement trop « marqué » par l’épisode de Dakar. A la Libération cependant, son attitude patriote est reconnue par les vainqueurs. Il n’est donc pas mis en cause lors de l’épuration. Il décède subitement en 1963 après avoir poursuivi sa carrière dans l’Administration portuaire.

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La famille Marzin en 1943 à Vichy. 1er rang à droite Marie-Paule - photo MP. Marzin

Cette période de l’histoire me remplit d’une grande tristesse et d’une sombre amertume. Beaucoup croyaient sincèrement faire leur devoir, mais ont été trompés par ceux à qui ils avaient prêté serment.

Marie-Paule Leclerc-Marzin 

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Rencontre avec Mme Leclerc-Marzin au Salon des Ecrivains-Combattants 2013 - photo Natachenka/UPpL'E

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Prix : 20€ - ISBN : 978-2914417464 – format 15,4x23,8 – 240 pages, cahier photo.

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Aux éditions Charles Hérissey

Disponible ici

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L’Amiral Gensoul aux funérailles des 1297 marins français morts Mers-el-Kebir - photo merselkebir.unblog.fr

Hommage

Aux morts de Mers-el-Kebir, de Dakar, du Gabon, de Syrie, de Madagascar, d'Afrique du Nord ; Français restés fidèles au gouvernement et Français-Libres, tombés dans des combats fratricides, mais restant unis dans l’honneur de la parole donnée.

"Je n’ai appris le bombardement des navires français dans la baie d’Oran que par les journaux. Les marins britanniques furent atterrés par cette nouvelle. Les pertes humaines furent tragiques et la tristesse de cet événement n’a cessé de hanter la Royal Navy ces trente-neuf dernières années, bien que, pour autant que je sache, personne ne l’ait exprimé. C’est pourquoi, j’aimerais saisir cette occasion pour dire que nous regrettons sincèrement que les choses se soient passées ainsi. Je voudrais exprimer notre sympathie à tous ceux qui en ont souffert et nos condoléances à tous ceux qui ont perdu un parent dans cette tragédie."

Lord Mountbatten, Amiral de la Royal Navy, dernier vice-roi de l'Inde britannique, oncle de la reine Élisabeth II, à propos de Mers-el-Kebir. 4.12.1979

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 Photo merselkebir.unblog.fr

En 2005, le cimetière des Marins de Mers-el-Kebir, proche d’Oran, a été saccagé, les croix brisées. Avec « l’autorisation du gouvernement algérien », il a pu être réhabilité par la France. Sans doute pour ne pas choquer sur l’autre rive de la Méditerranée, les croix n’ont pas été relevées, les tombes étant désormais marquées par de simples plots.

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Les officiers du Richelieu. Au centre Paul Marzin.

Je n’ai jamais vu de semblable débarquement à celui qui se déroula ce jour-là sous nos yeux. Il est vrai que si l’affection profonde que nous portions à notre commandant résultait de sa bonté et de sa simplicité, elle n’en traduisait pas moins notre attachement né dans le travail, dans la peine, dans le combat, dans la victoire. L’équipage s’était rangé dans la bande, dans la tour et les superstructures, les officiers avaient gagné la plage arrière. Quand la vedette qui le transportait à terre poussa, elle mit à petite vitesse pour défiler le long du bord. Au garde à vous, le capitaine de vaisseau Marzin salua une dernière fois son vaillant équipage pendant que celui-ci hurlait des hourrahs sans fin.

26.2.1941, Paul Marzin quitte le commandement du Richelieu. Scène décrite par l’Ingénieur-Mécanicien Pen, membre de l'équipage.

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 L'équipage du Richelieu