10/11/2017
« La naissance d’un pilote – L’enfant qui rêvait d’un Mirage », LCL Marc Scheffler, EC3/3, EC2/3, EPAA, éd. Nimrod
Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur. Droits réservés.
Il n'y a qu'une façon d'échouer,
c'est d’abandonner
avant d'avoir réussi.
Georges Clémenceau
Il est bien connu que plus on s’en approche, plus un mirage s’éloigne. Il existe cependant des exceptions…
Avec « La naissance d’un pilote », comme un prequel à son remarquable « La guerre vue du ciel », Le Lieutenant-Colonel Marc « Claudia » Scheffler revient sur toute la période de sa vie allant des rêves d’un ado à la chambre décorée de posters de Mirage, à son installation effective dans le cockpit d'un 2000D. Et ce ne fût pas facile… Révisions-nuits-blanches de la « prépa » ; virilité des relations au sein de l’Ecole de l’Air ; stress et sueur pour maîtriser ses montures, Tucano et Alphajet ; épuisants « jeux » de chat et de souris aériens avec des instructeurs intraitables ; toutes les étapes qui ont fait du damoiseau un chevalier du ciel.
Récit brillant qui se lit comme un roman d'aventure, aidé par des dialogues percutants (marque de fabrique de l’auteur). Une leçon de vie aussi, celle d’un rêve accompli à force de volonté, courage et abnégation. Absolument passionnant.
Un feulement lointain résonne dans les vallées. J’embrasse du regard toutes les montagnes environnantes. J’aperçois soudain des éclats traînant de minces filets gris. Trois petites flèches sombres disposées en triangle se dessinent au-dessus des sommets et virent vers nous. Un trio de Mirage F1 nous rase dans le rugissement des réacteurs. Je les regarde, rêveur, s’éloigner sur l’horizon.
Marc Scheffler ; accueil « musclé » par les anciens, à l’école des Pupilles de l’Air en 1991
- Tes résultats en maths sont catastrophiques. Tu n’as pas le niveau pour suivre une Maths sup, je ne parle même pas de Maths spé. La Fac ouvre ses portes dans quelques semaines. Tu as encore le temps de t’inscrire et d’arrêter ta « Sup » maintenant.
- Nous ne sommes qu’au tout début de l’année…
- Crois-en mon expérience, tu n’iras pas dans la classe supérieure. Vous êtes une soixantaine, nous n’en garderons qu’une quarantaine.
- Je vais progresser, laissez-moi…
- De tout façon, tu n’auras aucune chance aux concours !
1991, « prépa » aux Pupilles de l’Air
Marc Scheffler à Ecole de l’Air, 1994
Le vol, c’est avant tout beaucoup de travail au sol, à emmagasiner et à digérer de la théorie (….) Pour réviser, je me suis construit une cabine de Tucano « made in Marco ». Sur des panneaux en contreplaqué j’ai collé des impressions en couleur de la planche de bord et des banquettes latérales. J’ai poussé le détail jusqu’à reproduire la manette de gaz et à rallonger le manche d’un joystick à l’aide d’un tuyau en pvc. Une simple chaise fait office de siège éjectable et j’ai installé un « flight simulator » sur mon Commodore 64 relié à une bonne vieille télévision cathodique. C’est là que le soir, reproduisant les gestes, je grave dans ma mémoire toutes les procédures (…) Je rabâche les actions réflexes jusqu’à en rêver la nuit.
1994, Ecole de l’Air
Marc Scheffler dans son Tucano, Ecole de l’Air, 1994
Un élève du 1er escadron vient de se faire arrêter de vol et la nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre. Pour prendre la température, nous nous rassemblons autour de Ranx, l’une des vedettes de l’unité.
- On n’est pas des bouchers. Si le gars en vaut la peine, on est forcément plus bienveillant. Après, s’il se ramasse complètement, il y a un moment où tu ne peux plus rien faire pour lui (…) On lui laisse une chance, mais s’il se croûte une deuxième fois, on se dit que le jour où il fait ça avec quatre-vingt paras derrière, ça peut mal se terminer (…) Avec notre expérience, on doit vous aider, vous former et décider. On préfère ne pas prendre le risque avec un jeune plutôt que de le voir échouer ensuite, ou pire, se tuer plus tard. C’est dur à entendre pour vous, mais c’est la réalité.
Le discours paraît soudain rude et froid. Conscient que ce n’est pas le message qu’il veut faire passer, Ranx s’empresse d’ajouter :
- Mais ne pensez pas à ça. Foncez, donnez tout ce que vous avez, l’Armée de l’Air a besoin de bons mecs qui se tirent les doigts du cul pour réussir.
Tucano de l’Ecole de l’Air, atterrissage en patrouille serrée ; 1994
[Décollage prématuré…]
Nous sommes alignés sur la piste. Dans un balancement franc de la tête d’arrière en avant, Tong vient toucher sa poitrine avec son menton et libère son Tucano. Sans réfléchir, je l’imite…
- WOW ! WOW ! WOW ! s’écrie Carlis derrière moi, on n’en est pas encore au décollage en patrouille serrée !
Meeeeerrrrrrde ! Je devais décoller dix secondes derrière ! Réflexe, je me jette sur les freins.
- Relâche, relâche ! Hurle Caris, maintenant qu’on est partis, on continue. Tu restes à côté de lui sans converger.
Nos Tucano s’élèvent côte à côte. Une fois remis de sa surprise, Tong lance d’un ton moqueur :
- On ne me l’avait jamais faite celle-là…
1997, Ecole de l’Air
Debriefing, Ecole de l’Air, 1994
De retour dans le box de débriefing, je m’attends à une sérieuse remontée de bretelles (…) Boubou m’expose en détail mes lacunes et conclut :
- Tu dois travailler ta rigueur et ta précision en pilotage, anticiper, analyser et percuter plus rapidement sur l’avion, la radio, etc. C’était mieux à la fin ; au départ, tu étais complètement à la rue …
- J’ai eu du mal…
- Il y a quatre mots de trop ! A la prochaine remarque, je te sors du box à l’horizontal. Sois tu écoutes et tu apprends, soit tu vas aller faire autre chose.
Février 97, Ecole de l’Air
Vol en formation ; Ecole de l’Air, 1994
- Allez Claudia, à toi !
J’empoigne le manche et la manette des gaz. Immédiatement, le Tuc se met à s’agiter. Comme je suis crispé, mes va-et-vient aux gaz sont trop amples et mes coups de manche trop appuyés. Presque à le toucher, le Tucano de Tong danse à quelques mètres devant moi.
- Compense l’appareil, souffle un peu et remets-toi en position souplement, me conseille Caris.
Je bataille sans réussir à trouver le bon dosage sur les gouvernes. Dès que je me rapproche trop, nos deux Tucano se repoussent comme des aimants. Mon leader ne me lâche pas des yeux, prêt à dégager si je m’approche trop. Trop prêt, je suis dangereux. Trop loin, je ne suis pas en place. Mon espace vital s’est soudain rétréci. Jusque-là je n’avais évolué que seul et le ciel était à moi. Là, pendant dix minutes, je fais l’accordéon avec l’avion de Tong. Caris tente de dédramatiser :
- Commence par te calmer un peu, j’entends ton souffle saccadé et j’ai l’impression de voler derrière un asthmatique…
Mai 1997, Ecole de l’Air
Marc Scheffler « sur le toit »
Mon Gadget vibre, à la limite de la perte de contrôle. Tassé sur mon siège par le facteur de charge, je résiste. Le monde tournoie à toute vitesse, en blanc et bleu. Par instants, ma vision se voile. Le cœur dans les chaussettes, les manettes de gaz « dans le phare », j’ai attrapé le manche à deux mains pour lui emboîter le pas et me coller dans son sillage, le plus près possible. Ne pas se laisser distancer, ne pas se laisser déphaser.
Puisqu’il ne parvient pas à se débarrasser de moi, Dalvi change de tactique. Il fonce en bordure de grosses volutes blanches et rondes et s’enroule autour à pleine vitesse. Je le perds quelques secondes avant de le retrouver derrière presque à la verticale, accroché au flanc cotonneux. Tu ne vas pas me baiser aussi facilement ! D’une traction virile, je repars à sa poursuite.
Mars 1998, Ecole de l’Air
Marc Scheffler dans son Alphajet, Ecole de Guerre 1998
Je comprends que Kaman a l’intention de me donner une bonne correction. Piqué au vif, je m’agite en cabine pour retrouver ce putain d’enfoiré… Je m’agrippe à la poignée gauche de la verrière afin de m’aider à tourner encore plus mon buste vers l’arrière, presque à me démancher le cou. Ma nuque me tiraille, j’en chie de plus en plus. Il réapparaît enfin, légèrement plus bas, en retrait, et remonte, le nez pointé vers moi. Il est offensif, en position favorable, et va durcir le combat. Je suis défensif, me voilà contraint à chercher une porte de sortie pour me débarrasser de mon poursuivant et éviter une mort virtuelle. Mais j’ai l’avantage de l’altitude. Mâchoire serrée, je vire en plongeant vers lui et ruiner ses espoirs de me trouer.
Septembre 1998, Ecole de l’air
Je rentre de mon dernier vol sur Alphajet. Mes oreilles sont pleines du bourdonnement du vol et ma tête est encore à des milliers de pieds au-dessus du sol. Pendant une poignée de secondes, je reste là, assis dans mon cockpit, encore coupé du monde par mon casque. Je regroupe calmement les affaires, cartes et documentation diverse et descends de l’avion. Jamais l’air ne m’a paru plus léger.
Novembre 1998, Ecole de l’Air
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Le Lieutenant-Colonel Marc « Claudia » Scheffler entre à l’Ecole de l’Air en 1994, promotion « Lieutenant Pierre Soubeirat ». Il a servi au sein de l’EC 3/3 « Ardennes » et de l’EC 2/3 « Champagne » à Nancy-Ochey comme pilote de Mirage 2000D, chasseur-bombardier biplace optimisé pour les frappes au sol. Il a participé à onze détachements opérationnels dont Ex-Yougoslavie, Tchad (2 fois) et RDC, Afghanistan (5 fois) et Lybie (2 fois), cumulant 4700 heures de vol, dont près de 2 200 sur Mirage, et plus de 150 missions de guerre.
Après 10 ans en escadron de Chasse et 6 ans à l’Ecole de Pilotage de l'Armée de l'Air (EPAA), il a été appelé à d’autres fonctions au sein de l’armée de l’Air.
Avec nos camarades Marco et l'éditeur Nimrod au Salon du Livre de Paris 2017
Marc est auteur de deux récits « La guerre vue du ciel », abordé ici, et « La naissance d’un pilote ».
« Naissance d’un pilote – L’enfant qui rêvait d’un mirage », LCL Marc Scheffler
ISBN 978-2915243697 - Prix 21€ - Format 23x15, 244 pages, cahier-photo couleur
Aux éditions Nimrod, disponible ici.
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Hommage
A tous les aviateurs morts pour la France, au combat et en service commandé,
Aux blessés.
A tous ceux qui transmettent leur savoir aux aiglons.
Monte sans peur vers le soleil.
Le sol pour toi n'est qu'une escale
Et ton royaume, c'est le ciel.
Chant de tradition de l’Ecole de l’Air
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Je me relâche. Derrière nous, le paysage et la civilisation s’éloignent. Aucune vibration. Je me sens soudain libre, en équilibre au-dessus du vide. Mon cockpit prend des allures de terrasse panoramique. Les champs ne sont plus qu’une mosaïque de carrés verts et jaunes, les lacs deviennent des taches d’encre sur le dégradé vert des forêts. Les routes ne sont bientôt plus qu’un enchevêtrement de veinules grisâtres, la Loire et ses affluents de longs serpentins bleus. Et moi, je suis suspendu dans le ciel, avec pour seul souci de réussir ma mission. Un sentiment extraordinaire m’envahit, un mélange indescriptible de griserie, de plénitude et d’évasion totale.
A part nous, qui peut vivre ça ?
LCL Marc « Claudia » Scheffler
10:57 Publié dans Aviateurs, Ecoles, Cadets, Mili-Livre | Lien permanent | Commentaires (0)