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24/05/2017

« Le soleil se lève sur nos blessures », collectif « Debout Marsouins ! », 3e RIMa, autoédité

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation des auteurs. Droits réservés

 

 

La plus grande gloire n’est pas de ne jamais tomber,

mais de se relever à chaque chute.

 Confucius

 

Ils portaient en eux, parfois inconsciemment, une certaine idée de la France. Ils se sont engagés. Ils ont été envoyés au bout du monde par les Français. Ils ont combattu pour les Français. Ils l’ont fait avec courage. Mais ils sont tombés.

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Ils ne sont pas morts. Ils ont été blessés dans leur chair ou leur esprit. Cependant, pour eux, ce fût tout comme une mort : ils n’ont pu poursuivre la mission; ils ont abandonné leurs camarades; ils ont failli; ils se sont demandés si la vie avait encore un sens.

Nous voici bien graves, et ce n’est pas faire justice à cette attachante équipe de joyeux lurons qu’est « Debout Marsouins ! » et à leur livre plein d’espérance, « Le soleil se lève sur nos blessures ». Mais il est vrai que l’histoire n’est pas terminée :

Les cicatrices sont vives, le potentiel physique est diminué, les nuits peuvent être agitées de cauchemars, et le deuil des frères d’armes est porté à jamais. Le chemin a été long, semé de souffrance et de doutes, mais tous ces soldats se sont relevés, et ont décidé de se confier.

On connait une des clés fondamentales de la guérison : accepter les mains tendues et parler. Avec ce livre, nos amis du 3e RIMa tendent à leur tour les mains et parlent : aux soldats en soin, handicapés, souffrant de SSPT, à leurs camarades, aux proches… et pourquoi pas aux Français dans leur brouillard métro-boulot-dodo ?

Saluons la volonté des CCH Benjamin Itrac-Bruneau et Rodolphe Guadalupi, à l’origine du projet. Ils ont su fédérer les énergies et ont convaincu des camarades à se livrer (et il faut du courage pour le faire, nous en sommes conscients). Et le résultat est là : un livre très émouvant, écrit avec un talent certain. L’un des grands récits milittéraire de ces dernières années, qui fait honneur au bel esprit Colo et à l’armée en général.

Le soleil se lève sur nos chers Marsouins de Vannes. Il n’est pas encore bien haut sur l’horizon pour certains, mais même s’il n’atteint jamais le zénith, ce n’est déjà plus la nuit.

Si notre métier n’est pas d’écrire, nous savons néanmoins nous exprimer avec nos cœurs et nos tripes. Et c’est ce que nous avons fait. Nous avons voulu réaliser ce livre pour nos frères d’armes morts pour la France ou blessés, pour tous les soldats de nos armées, pour leurs familles et leurs proches et pour vous, nos concitoyens. (...) Nous ne recherchons aucune gloire, mais espérons simplement que notre engagement et, dans une plus large mesure, celui de nos frères d’armes, soit connu, compris et reconnu par les Français.

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Marsouins à l’entrainement, région d’Ati, Tchad.

Ca ne siffle plus autour de nous, ça claque en permanence. Un avertissement que répétaient ceux qui avaient connu l’épreuve du feu me revient à l’esprit : « quand ça claque ce n’est pas bon signe, c’est que ça passe tout près ». Pour commander mon groupe, il me faut un minimum de champ visuel. Je suis donc légèrement accroupi. Soudain, je reçois comme un grand coup dans la gueule, ce genre d’uppercut à assommer un cheval. Je ne réalise pas que je viens de me faire toucher. Je cherche à commander, sans me rendre compte que j’en suis incapable, je ne peux pas parler, je parviens juste à émettre des borborygmes en crachant du sang, dès que j’ouvre la bouche. Je me sens faiblir.

LCL Jean-François Libmond, blessé en 1978 au Tchad lors du combat d’Ati.

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CCH Rodolphe Guadalupi en Bosnie

Avant même de comprendre ce qu’il m’arrive, une multitude de pensées imprécises se bousculent dans ma tête. Il me semble de n’avoir d’autre choix que d’accepter quelque chose que je ne comprends pas ni ne maîtrise. J’ai l’impression qu’une sorte de bulle se crée autour de moi, à l’intérieur de laquelle le temps se fige et l’espace se réduit à ma stricte personne. Un peu comme si l’Univers ne se limitait plus qu’à moi et moi seul. Je ne perçois absolument plus rien de mon environnement. Plus rien n’existe à part moi, tout le reste ne compte plus.

CCH Rodolphe Guadalupi, blessé en 1995 en Bosnie

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CCH Salami Abdou en Afghanistan

Je commence à reprendre mes esprits. Je mesure ce qui m’arrive mais sans comprendre et surtout sans l’admettre. Le fait de me retrouver en France, loin de mes camarades et de ne plus pouvoir continuer la mission m’anéantit (…) J’ai envie de tout casser ; j’ai envie de hurler ; Je me demande pourquoi moi ? Pourquoi ai-je été obligé de rentrer avant la fin du mandat ? J’ai le sentiment d’avoir abandonné mon groupe et ma section (…) Je veux revoir mes potes. J’ai besoin qu’ils me rassurent, qu’ils m’aident à me libérer de ce sentiment d’inachevé. J’ai besoin qu’ils me disent qu’ils ne m’en veulent pas de les avoir laissé tomber au milieu de ce vaste merdier.

CCH Salami Abdou, blessé en 2009 en Afghanistan

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CCH Benjamin Itrac-Bruneau en Afghanistan

Je passe mon premier mois à Percy entre pansements, soins, séances de kiné, visites de camarades du régiment, d’autorités, d’amis, de la famille, d’anciens… J’ai parfois l’impression d’être une bête de foire, répondant aux mêmes questions, certains se sentant obligés de me raconter leurs campagnes, comme pour justifier la souffrance qu’ils lisent dans mes yeux et qu’ils ne connaissent pas. Mais au moins je suis rarement seul et cela m’évite de ressasser sans arrêt l’embuscade du 3 août. Car si mon corps est à Paris, mon esprit est resté dans ce petit verger où, pendant quelques instants, ma vie a été plus intense, plus perceptible, plus concrète, plus vive qu’elle ne l’avait jamais été. En quelques instants je suis passé du courage à la peur, de la vie à la mort, de la résignation à la lutte ; mais de Marsouin… à plus rien.

CCH Benjamin Itrac-Bruneau, blessé en 2009 en Afghanistan

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CCH Salami Abdou, médaille militaire, et ADC Nadège Donzé, marsouin d’honneur, à Vannes

Je ressens comme un sentiment d’injustice. Pourquoi eux ? Y en aura-t-il encore d’autres ? Et si oui, combien ? Bien qu’aucun lien de parenté n’existe entre eux et moi, je me sens affectée et me surprends à laisser couler quelques larmes. Je suis effondrée, un peu comme si ces hommes étaient mes frères. Bien sûr, dans nos traditions militaires, nous parlons de « frères d’armes », mais ces hommes, au fond, me sont inconnus. Pourtant, c’est quelque chose de plus fort que moi, presque un besoin, de les voir, de modestement contribuer à améliorer leur quotidien entre les quatre murs blancs de leur chambre d’hôpital.

ADC Nadège Donzé, affectée au cabinet du ministre de la Défense, visite les blessés sur son temps libre

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Le pont de Vrbanja, Bosnie

Je retourne sur le pont. Décidément, les ponts jalonnent ma vie (…) J’entame le deuxième pack de bière. Ma tête commence à tourner, je commence à gueuler, à crier très fort, encore plus fort. Je gueule pour évacuer le stress, le mal-être, la rage, la haine, toute cette merde qui me ronge depuis dix ans. Le bruit des voitures couvre mes cris. Je gueule, je hurle à m’en faire péter les cordes vocales. Dans quelques instants, l’ivresse m’attirera vers le bas et mon voyage tourmenté se terminera.

Je crois aujourd’hui que je ne voulais pas mourir, je ne voulais pas quitter la vie, je ne voulais pas abandonner ma famille, mes amis. Je voulais juste qu’on m’aide.

CCH Eric, blessé physiquement et psychologiquement en Bosnie en 1995 lors de la reprise du pont Vrbanja

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Soldats français au Mali

Nous devons humblement accepter de n’être que des hommes. Nous ne sommes pas des machines de guerre insensibles à toutes les blessures faites à notre corps, à notre cœur et à notre esprit. C’est sans doute en acceptant cette fragilité qu’il est possible de sortir de la dépression. Il n’y a que dans l’abandon du rôle qu’il s’attribue ou que les autres lui attribuent que le blessé psychologique pourra se reconstruire.

CCH Eric, blessé physiquement et psychologiquement en Bosnie en 1995

***

150px-3eme_RIMa.pngLe collectif « Debout Marsouins ! » a été créé à l’initiative de deux Caporaux-Chefs du 3e RIMa Rodolphe Guadalupi et Benjamin Itrac-Bruneau, avec la volonté de témoigner de leur engagement au service de la France, mais aussi de leur reconstruction physique et psychologique, après leurs blessures respectives en Bosnie et Afghanistan. Fédérant autour d’eux plusieurs Marsouins du 3e, vétérans du Tchad, de Bosnie et d’Afghanistan, blessés physiquement ou moralement, mais aussi des proches, des personnes œuvrant dans le soutien, des psychologues, infirmiers et médecins militaires. L’aventure est menée à bien et quinze textes sont publiés en autoédition, sous le beau titre « Le soleil se lève sur nos blessures ». Préface du COL (r) Pierre Servent.

Nous ne sommes pas des têtes brûlées. Nous sommes des citoyens au service de nos concitoyens et de notre pays, dont nous défendons les intérêts, les armes à la main, dans la discipline, dans le respect des lois, et sans état d’âme à chaque fois qu’on nous le demande. Nous sommes en même temps le bras armé de la Nation et le bouclier de chaque Français.

Nous ne sommes pas des victimes. Nous sommes des blessés de guerre.

Collectif « Debout Marsouins ! »

 

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Souvenirs de nos bons moments avec Nadège, Benjamin et Rodolphe en 2016. Déjeuner à Paris, Salon du Livre et Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr à Coët. 

Mais notre relation avec les soldats auteurs ne s’arrête pas après une rencontre sur un salon, la lecture du livre et son humble promotion. Nous la vivons dans la durée et beaucoup sont devenus des amis proches. Un exemple : Le 20 mai dernier, nous avons assisté à une conférence de l’IHEDN sur le thème « Les gueules cassées, blessures visibles et invisibles », organisée par notre chère Nadège du collectif « Debout Marsouins ! ».

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Sous la houlette du médecin en chef (COL) Jean-Christophe Amabile, du Service de Santé, excellentes interventions, passionnantes et d’une heureuse spontanéité, du CCH Frédéric Cantelou, Marsouin du 1er RIMa blessé physique et psychique au Mali, de l’ADC Christian Bonnot, chef du bureau environnement humain du 1er RIMa, et de Mr Henry Denys de Bonnaventure, président de l’UBFT – fondation « Les Gueules Cassées », blessé en Algérie. Parallèlement, l’artiste René Apallec présentait ses œuvres, impressionnants collages sur le thème de la blessure de la face. Voir son site ici.

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Le 16 mars 2013, au Mali, Frédéric Cantelou est gravement blasté, blessé, brulé, par l’explosion d’un IED.  Le CPL Alexandre van Dooren, pilote de leur AMX10RC, est tué ; les deux autres membres de l’équipage sont grièvement blessés eux aussi. Nous étions présents sur le pont Alexandre III, pour honorer le sacrifice d’Alexandre et manifester notre soutien à ses proches et camarades. Nous avions tenus à partager notre émotion sur le blog naissant. C’est ici.

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A l'issue de la conférence, les participants ont  manifesté leur soutien à l’association « Au-delà de nos handicaps » représentée par son président le GAL (2s) Georges Lebel, via une participation financière au projet  « Mercantour Dream Warriors », raid que vont effectuer en juin huit militaires atteints de blessures physiques invalidantes ou psychiques/SSPT et deux jeunes adultes civils handicapés. Soutenez comme nous ce beau projet ici. Page FaceBook

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Et pour conclure ce semi aparté (vous aurez noté le Général Lebel posant avec le livre), nous adressons toute l’affection des CCB (Caporaux-Chefs de Bataillon) d’Une Plume pour L’Epée à nos camarades Marsouins ! (blague privée :))

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« Le soleil se lève sur nos blessures » par le collectif « Debout Marsouins ! »

[grades et fonctions à l’époque des faits]

SGT Jean-François LIBMOND, blessé par balle à la gorge lors du combat d'Ati, Tchad, 1978,

1CL Eric, blessé lors la reprise du pont de Vrbanja, Bosnie, 1995,

1CL Rodolphe GUADALUPI, blessé à Sarajevo, Bosnie, 1995 ; Catherine BLANDIN sa maman,

1CL Benjamin ITRAC-BRUNEAU, blessé en Kapisa, Afghanistan, 2009 ; 1CL Chay-Dene, premier camarade à lui porter secours,

CPL Salami ABDOU, blessé par explosion d'IED en Kapisa, Afghanistan, 2009,

1CL Maxime GARNIER, blessé psy après sa mission en Kapisa, Afghanistan, 2009 ; propos recueillis par le collectif et retranscris par Georges GUEHENNEUX,

Olivier BOREL, psychologue de la CISPAT,

COL Thierry MALOUX, chef de la CABAT,

Médecin-général inspecteur Dominique FELTEN, ICAS Anne-Sophie REHEL et MAJ Sébastien KEIRSSE, médecin et infirmiers au groupe médico-chirurgical de Sarajevo, Bosnie, 1995, propos recueillis et retranscris par Sabine FOSSEUX,

ADJ Nadège DONZE, chargé du suivi des dossiers des blessés au sein du cabinet du MINDEF en 2008/2009,

Préface du COL (r) Pierre SERVENT.

ISBN 9781364289119 – Format 15x23, 200 pages – Prix 8,45€

Disponible ici.

Page FaceBook .

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Hommage

A l’ADJ Jean-Louis Allouche, Tchad

Au CPL Joseph Lenepveu, Tchad

Au 1CL Guy Jolibois, Tchad

Au CPL Johnny Comtois, Bosnie

Au CPL Marcel Amaru, Bosnie

Au 2CL Jacky Humblot, Bosnie

Au CPL Anthony Bodin, Afghanistan

Au CPL Johan Naguin, Afghanistan

Au CCH Thomas Rousselle, Afghanistan

Au 1CL Kevin Lemoine, Afghanistan

Au SGT Johann Hivin-Gérard, Afghanistan

A tous les Marsouins du 3e RIMa morts pour la France,

A tous les morts pour la France,

Aux blessés physiques et psychologiques,

A leurs proches.

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« Amazing Grace » par le 3e RIMa, sous la direction de Philippe Hardy 

Durant toutes les années que mon fils a passées au 3e RIMa et à chacun de ses départs en mission, mon entourage familial et amical me montrait une sollicitude un peu encombrante, comme si j’étais la victime, la mère d’une future victime de guerre. J’ai refusé de tous cette attitude et l’ai combattue. J’estimais en effet que le métier de Rodolphe, malgré les terribles risques qu’il comportait, ne devait pas inspirer la « pitié », mais plutôt le courage et la fierté, accompagnés de noblesse, cette noblesse de ceux qui vont au bout de leurs convictions.

Catherine, maman du CCH Rodolphe Guadalupi, blessé en 1995 en Bosnie

 

Je suis aujourd’hui sergent. Je voulais quitter ce métier militaire qui m’a tant fait souffrir. Mais au bout du compte, je ne vois pas d’entreprise capable d’autant d’attentions à l’égard d’un de ses fils. Fils, un mot bien différent des termes usuels : salarié, employé, personnel, ressortissant… J’existe aux yeux de mes frères d’armes, je ne suis pas jugé, je suis un guerrier des Troupes de Marine, je suis un soldat de France.

SGT Maxime Garnier, vétéran d’Afghanistan, blessé psy