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06/05/2016

« Les combats héroïques du Capitaine Manhès », LCL (r) Max Schiavon, éd. Pierre de Taillac

Extraits publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur et des éditions Pierre de Taillac. Droits réservés.

A la mémoire de nos arrière-grand-pères, combattants de la Grande-Guerre : Ernest Antoine, 37e RIT, mort pour la France le 1er janvier 1915 à Toul ; Fernand-Gaston Camut, 17e BC, 71e BC ; Abel Préau, 10e RG, 105e RAL, 46e RI ; Colonel Fiodor Zakharevitch Plakoff ; Vassilï Oskarovitch Lampe.

 

 

Ecoutez la clameur qui sort des hécatombes !

Nécropole de Notre-Dame-de-Lorette

  

Marchez dans les champs de croix, à Verdun, en Argonne, en Champagne, dans la Somme, dans les Vosges... Qu’ils sont effroyablement beaux, ces cimetières de la Grande-Guerre…

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Mais devons-nous nous contenter de l’émotion que distille la grandeur d’un Douaumont ? Cette émotion, aussi honnête soit-elle, ne reste-elle pas très abstraite ? C’est là où la lecture des « combats héroïques du Capitaine Manhès » présentés par le LCL (r) Max Schiavon, s’avère une véritable déflagration affective : sous ces alignements parfaits de croix blanches, sous ce gazon bien tondu, derrière la litanie des noms gravés dans le marbre, que de terreur vécue, que de crasse, de pourriture et de puanteur, que de souffrance, que d’effroi, que de hurlements ; et que d’héroïsme aussi, que de valeur et de sacrifices, que d’amour ; et que de grandeur enfin, chez ces jeunes hommes, ces petites gens, ces humbles : nos si valeureux Poilus.

Qu’ils sont effroyablement beaux, ces cimetières de la Grande-Guerre…

Qu’il est effroyablement beau, ce livre.

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Front des Vosges ; l’Hartmannwillerkopf, ou plutôt ce qu’il en reste. Photo issue du livre.

Un sifflement strident, une gifle formidable dans une haleine de four ; je titube un instant et, quand je reprends notion du monde extérieur, je vois à mes pieds un pauvre diable ouvert en deux, du sternum aux cuisses, comme un poisson qu’on vide et qui hurle pendant des secondes, ou des siècles (…) Le fracas continue, immense et trépidant. Je suis assis au pied d’un tronc d’arbre ; un Chasseur tout jeune s’est faufilé sous moi ; il sanglote et je sens son pauvre corps de gosse se soulever avec une cadence saccadée de moteur. D’autres se sont groupés autour de moi, leur sac sur la tête, et me regardent comme si j’étais l’égide protectrice. Il a suffi à ces pauvres diables de voir mes galons d’officier pour chercher d’instinct le salut près de moi. Et moi, qu’est-ce que je pense de cet enfer ?

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Photos issue du site de la Fédération Nationale des Amicales de Chasseurs

Les Allemands attaquent. C’est un soulagement infini.

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Photos issue du site de la Fédération Nationale des Amicales de Chasseurs

Roulé dans ma pèlerine, je me tasse dans un vestige de boyau. Sous un ciel étincelant, clouté d’or, et qui semble se craqueler de froid, je grelotte éperdument. Un âpre vent du nord fait pétiller les étoiles : il me pénètre comme si j’étais nu ; Dieu ! Que j’ai froid. Brusquement, au matin, le vent tourne, le ciel se couvre et, au lever du soleil, une abondante chute de neige efface les déchirures de la terre, ensevelit les morts et les vivants endormis, ouate silencieusement la forêt.

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Le Capitaine Manhès, nouvellement décoré de la Légion d’honneur et Croix de guerre avec palme. Photo issue du livre.

Je bavarde à bâtons rompus avec mes hommes ; encore une fois, comme ces causeries familières, aisées, amusantes et affectueuses sont plus utiles à tout point de vue que les « amphis » prônés dans les écoles et par les états-majors ! Le soir vient. La nuit est d’un calme plat. Une fois de plus, mes chefs s’excitent et mon silence les affole. Je suis assailli de coups de téléphone du capitaine et du commandant : « Que se passe-t-il donc chez vous ? Que signifie ce silence anormal ? ». Pauvres âmes qui ont besoin de beaucoup de bruit pour ne pas avoir peur de la nuit !

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Combat de l’Hilsenfirst, nouvelle Sidi-Brahim. Les Chasseurs du CNE Manhès sont encerclés et combattent à coup de rochers. Dessin de José Simon publié dans le journal L’Illustration du 31 juillet 1915

Guillermet est toujours debout, resplendissant de vigueur et de jeunesse, souriant, beau comme un jeune dieu. Le petit Martin, en tête de sa section, est très bien lui aussi. Mais le feu ennemi est terrible et nous décime. A ma gauche, le vieux Cardot, sergent de la territoriale venu à sa demande au 7e bataillon, est tué raide d’une balle en pleine tête. Tout autour, je vois tomber des pauvres corps, morts et affaissés. Et devant ces pertes répétées, il y a de nouveau du flottement. Je vois plusieurs hommes se coucher ; il faut intervenir vivement ; je le fais de la voix et du geste. Je repère un petit Chasseur de la classe 15 [20 ans] qui, manifestement, s’est couché. Je veux le faire relever, il refuse. Je l’empoigne alors par le col de sa vareuse et le soulève de force, à bout de bras. Je vois une pauvre figure de gosse, bouleversé, les yeux fous criant : « Non, mon Capitaine, non, je ne peux plus, je ne peux plus ! » Brusquement, son corps cesse de se raidir, de lutter contre moi ; au bout de mon bras, je le sens complètement mou : pendant que je le soulevais, une balle l’a frappé dans la tempe gauche.

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Tranchée allemande conquise par les Chasseurs, front des Vosges. Photos issue du site de la Fédération Nationale des Amicales de Chasseurs

Sur l’ensemble plane une effroyable odeur de cadavre en décomposition ; des centaines de morts jonchent le terrain tout autour de nous. La puanteur vous prend à la gorge à 1500 mètres de la position. Sur place, c’est insoutenable ; mes hommes et moi, le cœur soulevé, nous vomissons à qui mieux mieux depuis notre arrivée. A deux pas de mon trou, un Allemand en vingt morceaux m’empoisonne. Inutile de changer de trou, c’est partout pareil.

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Tranchée allemande conquise par les Chasseurs, front des Vosges. Photos issue du site de la Fédération Nationale des Amicales de Chasseurs

Vers 7 heures, sous la pluie du ciel et la grêle des marmites [obus allemands], je reconnais les emplacements pour l’opération que je fais ce soir. Je rencontre le Général Serret, visiblement fatigué au physique comme au moral, errant comme une âme en peine, paraissant nettement chercher la marmite. Nous nous asseyons un moment au bord d’un trou d’obus et le général promène son regard sur l’effroyable tableau qui s’étend devant nous, un regard d’une indicible tristesse, désespéré.

Puis il me regarde longuement et me dit simplement : « Mon pauvre petit ».

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Le GAL Marcel Serret sur le front des Vosges. Il mourra le 6 janvier 1916 de la gangrène, suite à une blessure reçue quelques jours après sa discussion avec Manhès.

***

DSC00524.JPGJean-Louis Manhès nait en 1888 dans une famille de la bourgeoisie auvergnate. Il intègre Saint-Cyr puis Saumur. Cavalier au 18e RC, 9e RH, il est en Algérie avec le 3e RS lorsque la Grande-Guerre éclate. Craignant « de ne pas participer vraiment  et de toutes [ses] forces à une guerre où étaient engagées les destinées de la patrie et où se jouait cette revanche qui jusque-là avait été l’idée maîtresse de [sa] vie », il demande sa mutation dans l’Infanterie et rejoint le 13e BCA. Sur le front des Vosges, il est chef de compagnie du 7e BCA lorsque sa compagnie est cernée sur l’Hilsenfirst. Il y écrit une page de gloire de l’armée française, nouvelle Sidi-Brahim, en résistant aux allemands à coup de rochers, ce qui lui vaut la Légion d’honneur et la Croix de guerre à 26 ans. Il est blessé le 1 janvier 1916, 5 jours après avoir été nommé capitaine. Remis sur pied mais trop affaibli, à son grand damne, pour rejoindre le front, il est officier de liaison aux 11e et 168e Divisions d’Infanterie. Il retrouve la première ligne en 1917 au 4e BC puis 169e RI où il réalise de nouveaux exploits sur le front belge. Passant l’entre-deux-guerres dans plusieurs postes d’état-major, il est Colonel, chef de corps du 141e RIA pendant la Campagne de France. Nommé Général, il reste fidèle au gouvernement de Vichy, ce qui brisera se carrière militaire. Il est totalement réhabilité en 1961 par Pompidou, qui a été son lieutenant. Il décède en 1974 à l’hôpital du Val-de-Grâce. Ses descendants, ayant précieusement conservé son journal de marche, ont la bonne idée de contacter Max Schiavon pour envisager sa publication…


Lcl_SCHIAVON.jpgLe  Lieutenant-Colonel (r)  Max  Schiavon, intègre l’Armée en 1978 comme élève-officier  de  réserve.  Après  une  première  partie  de  carrière  dans  le Matériel, en Allemagne et en France, il commande une compagnie à l’Ecole Polytechnique. Diplômé en  informatique et en management stratégique, il effectue des missions sur les cinq continents et dirige pendant cinq ans le  bureau  des  télécommunications  et  systèmes d’information  de  la région  terre  Nord-Est à Metz. Docteur en Histoire, il devient en 2010 directeur de la recherche du Service Historique de la Défense. On lui doit de très nombreux livres, historiques sur la Grande-Guerre, la campagne de France, biographies des généraux Georges, Vauthier, Salan, etc. [voir plus bas].

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« Les combats héroïques du Capitaine Manhès - Carnets inédits d'un Chasseur alpin dans les Vosges, 1915-1916 », présenté par Max Schiavon.

Témoignage *exceptionnel*

Prix spécial de la Saint-Cyrienne (ô combien mérité !) 2016

ISBN 978-2364450523 – Prix 19 ,90 € - Format 19 x 14, 352 pages, cahier-photo

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Aux éditions Pierre de Taillac

Disponible ici.

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Avec Max Schiavon au Salon du Livre 2015

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Devant le monument aux Chasseurs et au COL Driant, bois des Caures, avril 2016

Hommage

Aux Chasseurs de la Grande-Guerre,

A tous nos valeureux Poilus !

Quand Madelon vient nous servir à boire…

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Rarissime autochrome d’une compagnie du 13e BCA en 1915. Collection Jules Gervais-Courtellemont - Cinémathèque Robert-Lynen. Crédit photo Francetvéducation ici.

Hier, ma compagnie a perdu 31 tués et 55 blessés. C’est une dure épreuve. Que sera la journée de demain ? Je ne crois pas pouvoir demander à mes hommes la continuation d’un pareil effort. Ce qu’ils ont fait aujourd’hui est surhumain. Ce que je peux les aimer d’une chaude affection, profonde, immense, ces braves gens dont je sens encore peser sur moi ces regards anxieux, mais confiants (…) Tout à l’heure, un brave garçon avec lequel je bavardais sur les durs événements de cette abominable journée, m’a dit avec une charmante candeur, toute simple et sans aucune vanité de ton :

« On est quand même de sacrés bonhommes, mon Capitaine ».

 

 

 

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