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27/10/2013

"Les cloches sonnent aussi à Kaboul", père Jean-Yves Ducourneau, aumônier militaire, Ed. EdB

 

Extraits et photos publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Tous droits réservés.

 

 

« Il n’y a pas de difficulté de fond, ni d’impossibilité, de vivre ensemble la vocation chrétienne et la vocation militaire. Si l’on considère ce qu’il est positivement, le service des militaires est une chose très belle, très digne et très bonne. Le cœur de la vocation militaire n’est rien d’autre que la défense des siens. Trouvons le principe explicatif de la participation d’une guerre : si elle est une défense de la partie oppressée, une défense des persécutés, des innocents, une défense  au risque même de sa vie, cette défense peut causer des dommages ou apporter la mort à l’oppresseur. Mais dans ce cas, c’est lui qui en est responsable. »

Jean-Paul II

 

 

« - Tu vois ce gars qui soulève 115kg de fonte ? - Ouais. - A ton avis, c’est qui ? - J’sais pas. Un Légionnaire ? Un Marsouin ? - Et bien non, c’est notre Com Ciel. - Notre quoi ? - Notre Commandement Ciel, notre padre, notre aumônier quoi… »

Cette conversation est fictive, mais s’est peut-être tenue, qui sait, sur une base d’Afrique ou d’Afghanistan… L’armoire à glace dont on parle est le père Jean-Yves Ducourneau, aumônier catholique aux Armées et auteur. Grâce à lui, et après « Dieu désarmé » de notre cher padre Kalka, nous avons la joie d'aborder un nouveau récit d’aumônier : « Les cloches sonnent aussi à Kaboul ».

 

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« Les cloches sonnent aussi à Kaboul » est le journal de marche du père Ducourneau lors de ses déploiements en Afghanistan, mais il dépasse largement le cadre strictement factuel de la vie d’un aumônier militaire. C’est un livre profond, dense, qui invite à la méditation. Jean-Yves s’expose, se livre, ne cachant en rien ses émotions, même s’il reste homme pudique. Certes, un lecteur anticlérical acharné pourra  rester sourd aux mots de Jean-Yves. Dommage, ce ne sont que mains tendues. Mais ce même lecteur ne pourra nier l’amour  que le padre porte à ses frères d’armes. Ou mieux, à ses fils d’armes…

Quelques extraits.

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L’aumônier militaire que je suis maintenant n’a pas la vocation d’un curé de paroisse. Je suis plus heureux en marchant sur les cailloux acérés d’Afghanistan qu’assis autour d’une table bien cirée du XIX°, en train de remplir les lignes de mon agenda paroissial.

 

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Bénédiction d'un VAB à la demande des soldats

Nous savons bien qu’ici [en Afghanistan], sur cette terre de cailloux rugueux et de sang versé depuis des lustres, la vie est précaire. Lorsque, avant de venir dans ce pays de tous les extrêmes, nous remplissons nos sacs militaires camouflés, entassant tant bien que mal nos rangers et autres treillis de combat, chacun pense à l’éventualité cruelle de ne plus jamais ranger ses affaires au retour, tant ce retour semble incertain, surtout pour les combattants de première ligne, dont la jeunesse innocente me donne parfois beaucoup de signes d’inquiétude et de compassion, comme si j’étais, à ce moment-là, leur père.

Leur père, je le suis, par la grâce de Dieu. Je suis leur padre.

 

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Soudain, dans le fracas de cette matinée que d’aucuns redoutaient, nous déplorions un blessé, le très jeune Caporal Jérôme, du 35e RI, qui sentit siffler dans son dos le projectile 7.62, froid et tueur. Porté par ses copains jusqu’à leur véhicule blindé, il fût rapidement évacué. Puis le service médical, avec à sa tête Xavier, le colonel médecin du 1er RIMa à qui je veux rendre un hommage appuyé, le prit tout de suite en charge. A peine arrivé sur les lieux, Jérôme, que le chef de corps veillait déjà, me reconnut et m’appela : « Ah ! Padre ! ». Ses larmes devinrent discrètement les miennes, son silence devint parole criante en moi et, en retour, ma main devint la sienne.

 

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Photo © Thomas Goisque

Épris de liberté et de grands espaces [il] était maintenant enfermé dans ce cercueil de zinc qui trônait au milieu de l’allée de notre chapelle en bois. Je revois ses camarades, dressés autour de lui, habillés de leurs atours militaires, au garde-à-vous malgré un froid sans nom qui nous saisissait tous de l’intérieur, retenant leurs larmes d’hommes blessés dans leur chair de parachutiste du 35e RAP de Tarbes. Tous semblaient attendre une explication… Je ne leur ai parlé que d’espérance, d’amour et de miséricorde, de fraternité blessée, de soutien nécessaire, de prière, du sens du sacrifice d’une vie donnée pour la mission et du sens de la vie et de la mort que chacun portait en soi… Ces mots dérisoires, je le sais, qui semblent vides et creux à ceux qui touchent de leur doigt la mort d’un frère aimé, étaient pourtant les mots que l’Esprit de Dieu, dans la faiblesse de ma voix, mettait pour eux en mon cœur.

 

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Photo © Thomas Goisque

Aujourd’hui 15 octobre 2010, jour de la fête liturgique de sainte Thérèse d’Avila, celle qui a fait de sa vie un sacrifice éternel pour l’Eglise du Christ, nous avons perdu notre infirmier-major, l’adjudant-chef Thibault Miloche (…). Il vient d’écrire en lettres de sang son nom sur la trop longue liste de plus de 480 noms des soldats de la coalition tombés depuis le début de l’année.

(…) L’hommage que ses frères d’armes lui ont rendu a été à la hauteur du personnage, chaleureux et émouvant. Durant la messe du souvenir que nous avons célébrée à Tora en présence de tous ses amis, j’ai vu une belle et sainte fraternité prendre corps et s’élever comme une offrande vers le Ciel ouvert. Ensuite, durant cette longue procession de frères aux visages graves jusqu’à l’hélicoptère gris qui attendait sur la zone de se poser pour emporter le corps loin de nos yeux embrumés, j’ai entendu la plainte intérieure des cœurs en larmes crier vers le mystère divin qui, soudain, semblait toucher chacun d’entre nous de ses doigts saints.

 

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Mon fils, laisse-moi te dire que sur ta route de militaire, tu rencontreras aussi, et cela quelle que soit ta foi, des aumôniers. Ces étranges personnages qui grenouillent çà et là, dans les compagnies, les services, les postes de garde ou les terrains de manœuvre, qui sont sans armes et sans grades. Ils sont à ton service pour t’aider à grandir, dans ta foi si tu es croyant, ou dans la vie tout simplement, si ta route n’a pas encore croisé Dieu. N’hésite pas à aller vers eux si tu vois qu’ils ne viennent pas vers toi. Ils t’accueilleront comme leur enfant qu’ils ont reçu par la grâce de Dieu et tu pourras leur faire confiance. Ils sont là pour toi, crois-moi sur parole.

Padre Jean-Yves Ducourneau

 

* * *

 

v_auteur_242.jpgLe père Jean-Yves Ducourneau est né en 1960. Elevé pour une grande part en famille d’accueil, une mère lointaine, sa jeunesse est faite d’errance (dont un engagement dans l’armée qui fait long feu), et de quête de soi. Le 1er janvier 1985, il ressent « le besoin d’entrer dans une église », et se lie d’amitié puis d’affection avec le prêtre. C’est dès lors un tout autre cap qui est donné  à sa vie. Il entre au séminaire, en ressort ordonné en 2004. Mais ce n’est pas un homme de paroisse. D’abord aumônier des prisons, c’est vers l’armée qu’il se tourne en 1996. Il devient aumônier militaire, rattaché à la base aérienne de Mont-de-Marsan, dans sa Gascogne qu’il aime tant. Dès lors vient le temps des OPEX : Tchad, Ex-Yougoslavie, RCA, Côte d’Ivoire, Liban, deux déploiements en Afghanistan...  Prêtre de la Mission de Saint-Vincent-de-Paul, il est auteur de plusieurs livres : « Les cloches sonnent toujours à Kaboul », « L’autre combat », « Jésus, l’église et les pauvres », et de nombreux essais sur Saint-Vincent.  Figure de l’armée, le padre Ducourneau allie physique d’haltérophile et profonde spiritualité. Il revendique le surnom de « Com Ciel » [Commandement Ciel] donné aux aumôniers, et s’amuse de son sang O+,  qu’il lit « Ô Croix », comme manifestation de l’humour de Dieu. Le père Ducourneau est actuellement aumônier de l’ENSOA de Saint-Maixent.

Le padre Ducourneau en "live"

 

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Prix : 17,20€ - ISBN 978-284024-398-4 – Format 13,5x21, 376 pages

 

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Disponibles aux Editions des Béatitudes/EdB ici.

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Les aumôniers dans votre bibliothèque militaire

Non exhaustif 

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Du même père Ducourneau : « L’autre combat », essai sur la reconstruction humaine après des blessures visibles ou invisibles. Disponible chez EdB ici.

Une Plume pour l'Epée abordera prochainement ce livre.

 

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Incontournable, « Dieu désarmé » du padre Richard Kalka. Nous avons abordé ce récit formidable ici.

Disponible chez l’éditeur Little Big Man ici.

 

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Pour les fans d'histoire : « L’aumônier militaire d’Ancien Régime - La vie du prêtre aux Armées des guerres de Religion à la Première République (1568-1795) », par le père Robert Poinard, vicaire général du diocèse aux Armées.

Aux éditions L’Harmattan, disponible ici.

 

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Pour les fans d’uniformes : « Insignes et tenues des aumôniers militaires français depuis 1852 », par Dominique et Marie-Claude Henneresse.

Aux éditions ETAI, disponible ici.

 

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A venir : "Un prêtre à la guerre" du padre Christian Venard. Rattaché au 17e RGP de Montauban, il était sur les lieux après la tuerie opérée par Mohammed Merah et est accouru pour accompagner le jeune CPL Abel Chennouf dans la mort.

Parution début décembre aux Ed. Taillandier. Peut être commandé ici.

 

Autres confessions 

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« Soldats de la parole », ouvrage collectif sous la direction du grand rabbin Haïm Korsia.

Publié par l’Aumônerie Israélite des Armées. Disponible ici.

 

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« Aumônier en Algérie », Journal du pasteur Caumont, aumônier protestant.

Chez Ampelos Editions. Disponible ici.

 

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Pour contacter toutes les aumôneries, voir ici.

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Hommage

Au CNE Patrice Sonzogni, 35e RAP, mort pour la France en Afghanistan,

A l’ICS Thibaut Miloche, 126e RI, mort pour la France en Afghanistan,

A tous les morts pour la France en Afghanistan,

Aux blessés, tant dans leur physique que dans leur psychisme.

 

Avec le salut fraternel du Chasseur et de la Russe-blanc

 

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Il est des endroits où les cloches telles qu’on les connaît, jolies, polies et bien arrondies, sont inexistantes. C’est pourquoi, avec l’habilité et l’ingéniosité de bon nombre de soldats, on arrivait à fabriquer des cloches avec les moyens du bord (…) Une douille d’obus peut ainsi avoir une seconde vie beaucoup plus pacifique que la première !

Cependant, une chose reste pour moi une évidence humaine et pastorale : quelle que soit la matière dans laquelle la cloche est fondue, elle ne sonnera jamais juste tant que les souffrances des pays traversés seront  sur sa portée musicale. Aucune mélodie harmonieuse ne pourra danser dans le vent de Dieu tant que les droits les plus élémentaires des pauvres, des veuves, des enfants, des personnes âgées et des malades de toutes les régions du monde dans lesquelles nos soldats sont envoyés seront bafoués par des conflits fratricides dus au péché de l’homme, à son arrogance, son insolence, son goût du pouvoir et son amour de l’argent.

Padre Jean-Yves Ducourneau

 

 

 

 

Aumônier des armées, récit biographique, journal de marche, Afghanistan

19/10/2013

« Afghanistan – La guerre inconnue des soldats français », Nicolas Mingasson, écrivain-photographe intégré au 21e RIMa, Ed. Acropole

 

Extraits et photos © Nicolas Mingasson [sauf mention contraire], publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés.

 

 

Cette chronique est dédiée à Mme Monique Panezyck, maman du CCH Jean-Nicolas Panezyck, 21e RIMa, mort pour la France le 23 août 2010 en Afghanistan. Avec notre affection.

 

 

"La première victime de la guerre, c'est toujours la vérité" 

Rudyard Kipling, écrivain britannique.

 

La fraternité militaire fait souvent preuve d’amertume lorsqu’elle évoque la société civile : incompréhension sur le sens de son engagement, indifférence envers ses sacrifices… Et pourtant, il existe une poignée de ces civils qu’il convient de mettre à part : Un beau matin, ils ont frappé à la porte du Ministère de la Défense. Comme les soldats, ils ont dû prouver leur force, physique et mentale. Comme les soldats, ils ont fait leurs bagages. Comme les soldats ils ont serré dans leurs bras femme, enfants, proches, en leur disant : « Ne vous inquiétez pas, je serai prudent ». Comme les soldats, ils se sont envolés vers des pays où règne le fracas des armes. Mais, contrairement aux soldats, ils n’emportaient qu’appareils photo, stylos et pc portables.

Ils s’appellent Yves, Sébastien, José, Alphonse, Thomas, Sylvain, Bertrand… Ils s’appellent aussi Nicolas Mingasson.

Ce sont des reporters, des photographes, des écrivains, qui loin d’un travail journalistique d’opportunité, ont décidé d’accompagner nos troupes sur le long terme.

Et s’ils n'ont pas été en mesure d’apporter leur soutien aux soldats sur le terrain, c’est au retour qu’ils l'ont fait, en témoignant du sens de leur engagement, de leurs sacrifices…

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« Afghanistan – La guerre inconnue des soldats français » est avant tout l’histoire d’une rencontre : celle de Nicolas Mingasson et du Sergent Christophe Tran Van Can, 21° RIMa. Ce dernier s’est porté volontaire pour « accueillir » Nicolas, au grand dam (dans un premier temps) des hommes de sa section.

Durant toute l’année 2010, le photographe-écrivain collera aux basques du Sergent, partageant toute la vie des Marsouins, entraînements, patrouilles, chambrées…

De cette « vie commune » naissent « Journal d’un soldat français en Afghanistan », témoignage de Christophe écrit avec le soutien de Nicolas et « Afghanistan – La guerre inconnue des soldats français », propre ressenti de Nicolas, accompagné de ses photos. Un livre fort, superbement écrit et illustré, très facile d’accès, donc particulièrement conseillé aux non-initiés.

C’est dans un premier temps sur le second ouvrage que nous nous penchons, mais nous reviendrons évidemment sur le premier.

 DSC01712.JPG Le Sergent Christophe Tran Van Can, 21e RIMa, Fréjus

Ils sont ailleurs. Pas seulement loin, mais véritablement dans un ailleurs ; un autre monde qui ne partage rien avec celui où je me trouve : la France estivale des vacances, la France des courses au supermarché, du cinéma, de l’usine ou du bureau… Et je me surprends souvent à penser à eux, au détour d’un rayon ou au comptoir d’un café. 

A lui seul, ce paragraphe justifie le sous-titre choisi par Nicolas : « La guerre inconnue des soldats français ». Car qui peut prétendre connaître cette guerre ? Les combattants, les Afghans, quelques initiés, dont Nicolas. Mais le Français moyen ? Comment pourrait-il connaître cette guerre ? Quelques secondes au journal télévisé, et encore, lorsqu’un homme est tombé ; quelques reportages, souvent bons, mais en 2nde partie de soirée...

La guerre est, pour celui qui ne la subit pas, une inconnue. Qui peut mesurer le degré d’abnégation des soldats ? De leurs proches ? Qui peut imaginer le stress, l’épuisement, la crasse et la peur ? Qui peut imaginer le résultat d’un attentat suicide ? Voit-on des morts ? Voit-on des jambes arrachées ? Entendons-nous les cris du copain blessé ?

Inconnue la guerre, et celle-là plus encore : l’Afghanistan, pays lointain géographiquement, culturellement… l’Afghanistan, si éloigné des préoccupations des français…

Alors, on oublie ? On passe à autre chose ? Non. Douze ans de guerre, des dizaines de milliers d’hommes et de femmes déployés, 88 tués, des centaines de blessés dans leur chair, dans leur psychisme, des familles meurtries, des soldats qui se sentent incompris, quantité négligeable de la république, après tant de sacrifices… Il ne faut pas passer à autre chose. On lit le livre de Nicolas, pour que ne nous soit plus si inconnu ce qu’endurent ces jeunes gens, envoyés au bout du monde, parfois vers la mort. Car ne l’oublions pas, le soldat a certes choisi le métier des armes, mais il est envoyé au combat par nous et pour nous

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Impatients comme des fauves en cage, ils rêvent d’y être déjà, mais voudraient aussi pouvoir reculer le jour de la séparation [d’avec leurs familles]. Ces semaines d’entrainement sont pour eux des voleuses de temps qui les séparent encore des vallées poussiéreuses et brûlantes d’Alasay et de Bedraou.

Ici, rien ne va changer. Mois après mois, les mêmes personnes se promèneront sur les mêmes plages, emprunteront le même tronçon d’autoroute pour rentrer du travail. Et, cet été, les vacances seront joyeuses et reposantes. Mais pour eux ?

Ce soir, ils ne s’extraient pas seulement physiquement du monde commun. Ils en sortent aussi psychologiquement. Même s’ils n’en ont pas encore conscience, ils vont au-devant de l’indicible, de l’inénarrable.

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Ils vont passer des heures sous la tente à se préparer, à s’équiper (…) Je suis littéralement fasciné par leur souci du détail. Ils peuvent passer dix minutes à se demander si telle poche aura mieux sa place à droite ou à gauche, si elle n’est pas trop basse, si le câble de la radio ne gênera pas un mouvement ou ne risquera pas d’être arraché. Ils en discutent ensemble, observent comment fait  le copain. Ils essaient, défont ce qu’ils viennent de faire, recommencent encore et encore jusqu’à ce que cela leur convienne parfaitement.

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Dans quelques heures, un foyer américain pleurera son soldat, quelque part en Alabama ou en Arizona. A moins que cela soit au Kansas. Du Black Hawk qui vient de se poser, des Marines extraient le corps d’un soldat. Soudain, le temps se fige autour de nous, les pales de l’hélico semblent tourner dans un vide immense et silencieux. Plus rien n’a d’importance que ce soldat qui ne rentrera pas à la maison. Autour de moi, les gars se redressent un à un et se mettent au garde à vous. Un soldat reconnaît un autre soldat. (…) La réalité du monde extérieur vient de leur sauter à la gueule, comme une vague submerge une digue. Et c’est peu dire que l’ambiance n’est plus la même. Peu à peu, les gars s’enfoncent dans leurs pensées (…) ils sont secoués et se mettent à gamberger. C’est Christophe qui finit par sortir la section de sa torpeur, balançant une énorme connerie à Guigui. Il a réussi son coup, les gars reprennent le dessus.

Je commence à comprendre que l’une de leurs forces est de savoir dresser des barrières autour de leurs émotions pour se concentrer sur l’essentiel : la mission. Et je continuerai à découvrir, dans les mois qui vont suivre, la force de caractère, la volonté que cela exige d’eux.

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Impossible d’y pénétrer du regard. C’est à pied qu’il faut s’y enfoncer pour la découvrir. Les chemins qui la parcourent sont étroits et bordés de murets en terre, si bien qu’il est impossible d’y circuler avec des blindés. Leur sentiment d’oppression ne fait que croître à mesure qu’ils s’y infiltrent. C’est un véritable labyrinthe au milieu duquel la population les observe. Les visages sont impénétrables, dénués de toute émotion apparente. Qui est qui ? Qui fait quoi ? Comment le sauraient-ils ? Un seul rôle est clair, celui des soldats. Et ils sont la seule cible non seulement visible mais clairement identifiée. En face d’eux, au contraire, tout est trouble, c’est un véritable brouillard. Insurgé ? Paysan ? Informateur ? Les deux à la fois ? Ca gamberge sévère…

Je comprends leur frustration. Des mois, des années de préparation, un armement comme ils n’en ont jamais eu, l’envie de « faire le boulot ». Ils sont jeunes, téméraires, tout en muscles et bourrés d’hormones. Ils n’ont peur de rien, sûrs d’eux et de leur technique. Ils ont un côté chiens fous mais ne sont pas dupes,  il ne s’agit pas de jouer avec le feu. « On fait les malins à vouloir y aller, mais c’est vrai que c’est complètement con. Quand on reviendra avec un gars dans un sac ou avec une patte en moins, on fera moins les finauds. » Mais c’est plus fort qu’eux ! L’envie de vivre l’emporte sur l’envie de survivre. Et vivre, pour eux, à 400 mètres des positions insurgées, c’est combattre. 

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La peur est une émotion qui se maîtrise. C’est même pour beaucoup la définition même du courage. La contenir au point de pouvoir repartir de l’avant en sachant que  les insurgés sont dans la zone, qu’un copain est entre la vie et la mort. Etre capable de sortir d’une ruelle, de s’exposer pour récupérer P, de le mettre à couvert et lui sauver la vie. Quand je leur parle de courage, ils me répondent : «  On fait notre job », « N’importe quel gars ici ferait la même chose ». Ces dialogues sont à l’image de ce qu’ils sont : des garçons ordinaires qui, par les valeurs qu’ils ont acquises, par la cohésion qu’ils ont développée et par les situations auxquelles ils sont confrontés, sont capables d’accomplir des actes réellement héroïques.

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Il faut de la rage pour sortir de là, une force venue de loin, quelque chose d’animal, de vital. Les uns après les autres, les gars se lancent en tirant une rafale vers la zone des insurgés. Et, dans un même mouvement, toute la compagnie fait corps autour d’eux, en faisant pleuvoir un déluge de plomb sur les talibans. Les poumons en feu les jambes tremblantes, il faut avancer encore et encore. Vingt mètres, dix mètres, cinq mètres… et pouvoir plonger, enfin, de l’autre côté du muret protecteur (…)

Cette journée qu’ils me racontent au mois de septembre, près de deux mois plus tard, est encore toute fraiche dans leur esprit. Il reste dans leur voix des accents d’excitation, de plaisir d’avoir vécu ensemble ces moments extrêmement forts et puissants. D’en être sortis vivants aussi. Quand je les avais quittés fin juin, trois jours seulement avant cette journée de combat autour du pont de Tagab, l’expression « frères d’armes » sonnait creux pour eux. Plus maintenant.

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Fin de la garde. Prendre les ordres auprès de l’adjudant Cédric. Les transmettre aux gars du groupe. Au programme du lendemain : protection d’une action CIMIC [civilo-militaire] à Shekut. Départ à 5 heures du matin. Les gars ont à peine dormi la nuit précédente, ils sont crevés. Déjà 22 heures. La douche, l’ordinaire ? L’ordinaire en premier ; à cette heure, il ne devrait pas y avoir encore trop de queue. La douche et enfin son box. Peut-être un tour au foyer pour acheter quelques barres de céréales ou des cigarettes… Ils auraient bien aimé passer un coup de fil en France, mais le réseau est coupé depuis plusieurs heures déjà. Quant à la salle Internet, où il faudra peut-être attendre une bonne demi-heure, peu y pensent. Se coucher. Dormir.

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Mais Panezyck ne rejoindra pas l’autre rive. Il s’écroule au bout de quelques mètres, fauché par un tir précis. A quelques dizaines de mètres de lui, un insurgé l’a regardé s’élancer et courir. Et a décidé qu’il ne passerait pas. Pourquoi lui et pas un autre ? Mauvaise question, sans réponse (…) Quelques secondes plus tard, le lieutenant Mezzasalma s’élance au secours de Panezyck alors que tout autour de lui les hommes ouvrent le feu en direction de la zone d’où proviennent les tirs. C’est un acte d’un courage insensé, qui touche à ce qu’il y a de plus sacré entre tous les soldats : être capable de donner sa vie pour les autres. Touché à son tour alors qu’il rejoint le corps de Panezyck, il se bat jusqu’au dernier souffle, tirant ses dernières balles avec son arme de poing. 

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En raccrochant, je ne peux m’empêcher de m’en vouloir de ne pas être là-bas. C’est un sentiment étrange, difficile à cerner. Un mélange d’empathie et de cohésion avec un groupe au milieu duquel j’évolue depuis des mois. Mais je m’en veux aussi de ne pas y être pour capter ces moments dramatiques qui témoignent de leur engagement. Nous avions plusieurs fois évoqué cette question : devrais-je prendre ou non des photos si l’un d’eux venait à être tué ou blessé. Tous me répondaient que « Oui, évidemment, il faudra que tu fasses des photos ! » Ne pas montrer jusqu’où ils sont prêts à aller leur semblait être une forme de trahison. Mieux, ils ne comprennent pas ou n’acceptent pas la pudeur de leurs chefs et des politiques qui veulent donner à leur guerre un visage qu’elle n’a pas, sans morts ni blessés.

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F est déjà nostalgique à l’idée de quitter l’Afghanistan : « Après, c’est sûr, on ne fera que de la merde. »

Je le retrouve plusieurs fois le regard perdu vers la vallée de Bedraou.

Que lui dire ?

2013 : Des éléments du 21e RIMa sont déployés au Mali, dans le cadre de l’Opération Serval. Ils forment le 1er Groupement Tactique Inter Armes avec des unités du 2e RIMa, du 1er RHP, du 3e RAMa, du 6e RG, du 3e RPIMa, du 1er REC et du CPA 20.

Le 28 janvier, après un raid blindé aux côtés de l’armée malienne, ils s’emparent de Tombouctou.

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Nicolas Mingasson

 

Voilà, « Afghanistan – La guerre inconnue des soldats français » est refermé.

Alors, me direz-vous, le lecteur connait-il désormais cette guerre ? Et bien non, elle restera pour lui, à jamais, une inconnue, puisqu’il n’est ni combattant, ni civil afghan.

Et pourtant, Nicolas a magnifiquement réussi son projet. Son livre est un incontournable, rejoignant le panthéon des grands récits sur l’engagement français en Afghanistan.

Contradictoire ? Non, car pour le lecteur, quelque chose de formidable ne lui sera plus inconnu, et là est l’essentiel :

Grâce à Nicolas, le lecteur connait désormais les hommes qui font cette guerre pour lui.

 

Vidéo de Nicolas réalisée en 2010. Retrouvez le Sergent Tran Van Can et les Marsouins du 21e en "live", entre action et émotion.

 

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Nicolas Mingasson

A Nicolas : Merci pour ton accueil, merci pour Christophe, merci pour Lorenzo et Jean-Nicolas, merci pour eux tous.

 

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Nicolas.JPGNé en 1967, Nicolas Mingasson tombe tout jeunot dans la photo de guerre, inspiré par les Don McCullin et autres Gilles Caron. Reporter à Gamma et France soir, il couvre en 1993 le conflit bosniaque. Il se passionne également pour le monde polaire : expédition à ski au Pôle Nord en 1995, 6 mois dans l’Arctique russe en 2008.  C’est à cette occasion qu’il exploite ses talents d’écrivain et publie  « Terre des Pôles » en 2008 puis  « Sentinelles de l’Arctique » en 2009.

En 2010, Nicolas sollicite l’armée français. Il soumet  un projet précis : suivre un unique soldat pendant un an, raconter « les hauts comme les bas », parler du soldat, mais aussi de l’homme qui se cache derrière : mari, père de famille… Ce projet a certainement fait débat, mais Nicolas est finalement autorisé à suivre le Sergent Christophe Tran Van Can, du 21e RIMa, évidemment volontaire. Partageant les mêmes piaules, vivant au rythme exact du groupe, participant à tous les entraînements, Nicolas rejoint à trois reprises les marsouins en Afghanistan dans leur base de Tagab en Kapisa. Il est présent lors du désengagement du régiment, vers Kaboul puis la France. De cette « expérience » naît « Journal d’un soldat français en Afghanistan » co-écrit avec le sergent Tran Van Can (Ed. Plon), puis en 2012 « Afghanistan - La guerre inconnue des soldats français », où il livre son propre ressenti, accompagné de ses photos.

Nicolas vit entre Paris et Sarajevo, est marié et père de trois enfants.

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« Journal d’un soldat français en Afghanistan » a reçu en 2011 la mention spéciale du prix de l’Armée de Terre Erwan Bergot, le prix Grand Témoin de la France Mutualiste et le prix de la Saint-Cyrienne, association des élèves et anciens élèves de l’ESM, en 2012. Bien entendu, Une Plume pour l'Epée abordera prochainement ce récit.

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Prix : 21€ - Format 19x26 - 192 pages, tout couleur, ISBN 978-2-7357-0664-7 

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Aux éditions Acropole

Livre disponible dans toutes les bonnes librairies et sur le Net.

Site de Nicolas Mingasson ici

 

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Hommage

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Au Capitaine  Lorenzo  Mezzasalma, 21e RIMa, mort pour la France en Afghanistan,

Au Caporal-Chef Jean-Nicolas Panezyck, 21e RIMa, mort pour la France en Afghanistan,

Aux Marsouins du 21e morts pour la France,

Aux blessés. 

 

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Photos © AB

Ces deux vitrines, présentées lors de l’exposition « 45 ans d’opérations extérieures », hôtel de ville de Versailles en 2013, sont composées des décorations et objets personnels du CCH Panezyck, prêtés par sa mère.

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Mme Monique Panezyck, dans la chambre de son fils à Versailles. © JP Guilloteau/L'Express

 

Les soldats français qui se sont battus et qui se battent toujours en Afghanistan ne regrettent rien de leurs choix et de leur engagement. Ils sont même, pour l’immense majorité d’entre eux, fiers et heureux d’avoir rempli la mission que la France leur a confiée. Mais ils sont amers. Amers du manque de reconnaissance de la nation française. Ils rêvent de drapeaux agités à leur retour, d’un peu plus que les trente secondes traditionnelles consacrées par le journal télévisé de 20 heures lors du décès d’un des leurs. Ils rêvent d’une nation qui les soutienne, d’une nation qui reconnaisse les sacrifices qu’ils font pour elle.

Nicolas Mingasson

 

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Ceci n'est qu'une image virtuelle. Mais ne vous y trompez pas, soldats, elle est le reflet du cœur d'une multitude de Français.

Vous les trouvez trop silencieux ? Vous avez raison. Mais prêtez l'oreille :

Pour toutes celles et ceux qui lisent ce texte, vous n'êtes pas des inconnus, et ils vont s'adresser à vous, en prononçant ce mot avec nous :

Merci !

 

Avec le salut fraternel du Chasseur et de la Russe-blanc

 

 

 

 

 Livre, photos sur les Marsouins en Afghanistan, 21e RIMa

06/10/2013

« La guerre vue du ciel », LCL Marc Scheffler, EC 3/3 « Ardennes », EC 2/3 « Champagne », Ed. Nimrod

 

Extraits et photos publiés avec l'aimable autorisation de l'auteur. Tous droits réservés.

 

 

Porté par ma fougue, je n’ai qu’une envie : être projeté au cœur de l’action. Non pas pour participer de façon obscène à une guerre et son cortège de drames humains effroyable, ni pour la gloire de quelques médailles. Mais un sentiment profond d’injustice me pousse à vouloir combattre pour une cause qui me parait juste. On n’embrasse pas une carrière sous les drapeaux, qui plus est en risquant sa peau au quotidien dans une machine à tuer, sans avoir une certaine idée de son pays et de ses valeurs.

LCL Marc « Claudia » Scheffler

 

A la Chasse… BORDEL ! 

« Cri » de tradition des pilotes de Chasse

 

Les avions de Chasse m’ont toujours fasciné. Je me revois tout gosse, dans notre jardin, lever le nez vers le ciel dès le premier grondement d’un réacteur, chercher des yeux le Mirage IIIE, le Jaguar, en provenance de Reims, Dijon ou Nancy. J’avais même droit, parfois, au « boum » du passage du mur du son. Comme si le pilote me saluait.

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Qu’est-ce que j’aurais aimé lire, dès cette époque, « La guerre vue du ciel » du Lieutenant-Colonel Marc « Claudia » Scheffler ! Pensez : le récit d’un chevalier du ciel, 15 ans aux commandes d’un Mirage 2000D, chasseur-bombardier biplace optimisé pour les frappes au sol. Missions de guerre au Tchad et Congo, en Libye,  six déploiements en Afghanistan… Il y a matière à conter.

Et Marco le fait brillamment, avec un parti pris assumé : coller le plus possible à la réalité (ce qui impose un soupçon de jargon aéronautique, mais très facile à assimiler).

Alors, plongé dans l’action, on se prend à stresser avec « Claudia » : Allons-nous finir par l’enquiller ce foutu panier du Boeing ravitailleur en vol ??!! Mais où sont-ils  ces p* de talibans !!?!

Comme si nous étions le troisième homme d’équipage…

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Marc et son NOSA Jeff, Kandahar, Afghanistan, 2010. © M. Scheffler

Nota : le Mirage 2000D est un avion biplace. L’équipage est constitué du pilote en place avant, et du NOSA, Navigateur Officier Système d’Arme, en place arrière.

 

Allez. Rugissement du réacteur… Décollage !

 

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Mirage 2000D, © C. Ambroise/Armée de l’Air

 

Entrainement – exercice Red Flag aux USA

Je maintiens ma position à 0,3 Nm. Soudain, une énorme masse noire accompagnée d’un rugissement jaillit devant moi et remplit ma verrière en une fraction de seconde ! Par réflexe je tire brutalement sur le manche. Trop tard ! Je passe de plein fouet dans le souffle d’un réacteur. La claque est phénoménale. Je lutte à grands coups de manche pour garder le contrôle de l’avion en m’écartant vers le haut et en surveillant dehors, puis je jette un coup d’œil aux paramètres moteurs. Tout est bon. J’expulse un « PUTTAAIN !!! » pour évacuer le trop-plein d’émotion. Je viens de croiser à quelques mètres d’un autre avion je viens surtout de croiser la mort. (…)

Derrière moi, Fioqui, mon navigateur, reste d’abord muet. Puis il rompt le silence :

- C’est pas passé loin…

 

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Ravitaillement en vol, © BA 133 Nancy-Ochey

 

Ravitaillement en vol « sport » au-dessus du Tchad

L’air est si turbulent et la visibilité si faible que nous avons du mal à rester en position. Par instant, je ne distingue que les saumons d’aile du Boeing qui danse au gré des violents soubresauts. La tenue de place accapare toute mon attention. Mes corrections au manche et aux gaz sont devenues brutales. Les grésillements incessants à la radio me rendent nerveux. (…) L’extrémité de ma perche de ravitaillement se pare subitement d’un panache violacé : les feux de Saint-Elme. L’air est chargé d’électricité statique. (…) Mon appareil fait des bonds de plusieurs mètres. Chaque virage est une torture. Pris de vertiges, je m’acharne à rester en place. Mon oreille interne me joue des tours. J’ai la sensation de voler sur le dos. (…) Après une éternité, j’ai l’impression que ça tabasse un peu moins. Le « boomer » en profite et déroule les deux tuyaux de ravitaillement en vol (…) Je me présente pour une première tentative. Impossible d’enquiller devant les mouvements erratiques du panier. Il se dérobe dans les derniers centimètres et ma perche passe immanquablement à côté. Après plusieurs essais et quelques belles frayeurs, je commence à être sur les nerfs. Les niveaux de carburant deviennent critiques. (…) 

[s’adressant à son navigateur]

- Transe, j’opte pour la méthode offensive !

- Tu vas faire quoi ?

Sa voix trahit une certaine appréhension…

(…) Nouvelle tentative.

Le panier part vers le haut. J’envoie un coup de manche vers l’arrière pour remonter le nez et l’attraper au passage. Ma correction est trop brutale. Le gland atterrit au-dessus du panier, qui vient se coincer entre la perche et le radôme.

- Et merde…

- Marco, ta technique c’est pas du 100%...

- Tu veux les commandes ?

- Non, non… je te rappelle juste que j’ai une femme et des enfants.

Sa réponse est un rappel à l’ordre. Je ne suis pas seul à bord. Je réduis légèrement les gaz. L’avion recule de quelques centimètres, mais le panier reste bloqué. L’espace d’un instant, le Boeing traîne le Mirage.

RAAAAAACK !

Le panier se libère et racle l’avant du fuselage. Transe est silencieux.

 

Appui des troupes au sol par un Mirage 2000D en Afghanistan.

"Armée de l’Air ! Armée de l’Air !"

Avec 40° de piqué, j’ai l’impression de plonger à la verticale. Je redresse au dernier moment, lorsque le sol me saute au visage. Le relief serpente devant moi. Jeff a intégré les coordonnées du point dans les centrales. Elles se matérialisent dans ma VTH par une petite croix. En transparence, je devine parfaitement la petite bâtisse rectangulaire est ses quatre murs d’enceinte crénelés.

Du fond de la vallée, je remonte vers la crête le long de la pente. Une centaine de mètres du sol, lancé à 1000 km/h. (…) Une seconde avant le passage, je distingue les cinq silhouettes des insurgés sur le toit…

 

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Expulsion de leurres pour un « show of force ». Un Mirage 200D du Champagne « montre ses muscles ». Photo © EMA

 

Soudain, c’est l’apocalypse dans la VTL. Des crépitements lumineux clignotent depuis les toits des véhicules italiens. Ce sont des tirs de riposte. Les mitrailleuses font feu de tout bois et les canons dansent sur les tourelles en arrosant les rangées d’arbres de part et d’autre de la chaussée. Gladiator 17 [homme du convoi, en liaison radio avec Marc] s’est jeté sur la fréquence et crie pour se faire entendre :

- Rage 31 de Gladiator 17, nous sommes tombés dans une embuscade, nous prenons des tirs des deux côtés de la route et nous ripostons. Je vous demande immédiatement…

Plus rien. Sa voix s’est arrêtée net. L’intensité du silence nous étouffe. La boule au ventre, je peux sentir battre mon pouls jusque dans les tympans. J’ai un mauvais pressentiment. J’écrase l’alternat pour un check radio. Pas de réponse. Tataï a compris comme moi :

- Marco, là, ça craint…

- Cherche sur les bas-côtés, sous les arbres !!! Et trouve-moi des types qui tirent !!!

 

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Marc et son NOSA Axel, avant un vol de nuit sur la Libye, 2011 © M. Scheffler

Moteur coupé, tout redevient calme. J’ouvre la verrière. J’enlève mon casque. Une légère brise me frappe le visage, et je frissonne dans ma sueur. Le calme après la tempête. Je savoure ce moment de plénitude. Much est déjà en bas de l’échelle. Les traits tirés, souriant, il rayonne de fierté.

 ***

 

1152081_2352711_460x306.jpgLe Lieutenant-Colonel Marc Scheffler, dit « Claudia », sort breveté de l’Ecole de l’Air en 1998. Il est affecté à l’EC 3/3 « Ardennes », puis à l’EC 2/3 « Champagne » de Nancy-Ochey comme pilote de Dassaut Mirage 2000D, chasseur-bombardier biplace optimisé pour les frappes au sol de précision (bombes guidées laser ou GPS). Il a participé à dix détachements opérationnels dont Tchad/RDC, Afghanistan (6 fois) et Lybie, cumulant plus de 3 800 heures de vol, dont 2 200 sur Mirage, et plus de 150 missions de guerre.

Après 15 ans en escadron de Chasse, Marco rejoint Cognac et l’Ecole de Pilotage de l'Armée de l'Air (EPAA), où il avait déjà été instructeur en 2006-2009. Il transmet désormais sa grande expérience du vol et du combat à nos  futurs pilotes de chasse.

Marc est marié et père de deux enfants.

 *

MIRAGE_2000D_couv-53fec.jpg« La guerre vue du ciel » a été écrit en collaboration avec Frédéric Lert, que nous n’oublions pas. Frédéric est un journaliste indépendant, référence dans le monde de l’aéronautique militaire. On lui doit de nombreux articles dans la presse spécialisée (Air Fan, DSI…) et une vingtaine d’ouvrages, dont « Mirage 2000D » aux éditions Histoire et Collections.

 

 

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Prix : 23€  € - Format 15x23, 480 pages, cahier-photo couleur -  ISBN 978-2915243567

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Disponible sur le site de l’éditeur Nimrod ici.

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Page FaceBook de la Base Aérienne 133 Nancy-Ochey ici.

Site et page FaceBook de l'EC 3/3 Ardennes ici et ici.

Site de l'EC 2/3 Champagne ici.

Site et page FaceBook de l'EC 1/3 Navarre ici et ici.

 

Nous saluons évidemment les autres composantes de la BA 133 : ETD 2/7 Argonne, CFAA, ESTA, et tous ceux qui interviennent dans le cadre du soutien et de la sécurité.

Profitons de cette occasion pour présenter "Dans le repaire du Mirage 2000D - Nancy-Ochey", beau livre photo d'Alexandre Paringaux, en collaboration avec... Frédéric Lert (again).

 

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Il le trouve facilement, sur tous les sites du Net. Ou mieux : directement sur celui de l'EC 1/3 Navarre où il fait figure de collector, car dédicacé par l'auteur et le commandant de l'escadron.

Voir ici.

***

 

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Nous avons eu la joie de rencontrer Marco lors du Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr Coëtquidan. Comme c’est souvent le cas avec nos amis militaires, il y a une certaine dualité chez l’homme : du « Dr Jekyll et Mr Hyde ». D’un côté, le pilote, exigeant, engagé, pas commode *du tout* quand les choses ne vont pas comme elles devraient. Et de l’autre, dans un contexte civil, un garçon éminemment sympathique, disponible, qui respire la gentillesse, très tourné vers les autres, ce qui transparaît d’ailleurs dans son livre, car il ne cache pas ses doutes et remords lorsqu’il impose à sa famille des choix de carrière qui vont rendre la vie de famille compliquée. Pas d’esbroufe chez Marco, pas de fausse modestie non plus, mais une saine humilité, que l’on retrouve chez la majorité des militaires.

 

[Lors de sa première affectation, présentation aux pilotes et navigateurs du 3/3. La tradition veut que chaque pilote possède un sobriquet]

« - C’est quoi ton surnom ?

- Claudia.

Silence général. Je précise :

- Claudia, comme Claudia Scheffler.

Hilarité générale… »

 

 

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© CedT

Piloter un avion de chasse était mon rêve de gosse, ma vie. A chaque fois que je pars en vol, je m’offre un petit plaisir qui n’a pas de prix : j’admire mon mirage pendant quelques instants. Année après année, il m’a emmené partout sans jamais me décevoir. Mon bureau se trouve là, à quelques mètres du sol. Immobile. C’est encore une masse sans âme. Mais il raisonnera bientôt de la fureur de son réacteur. Je suis toujours subjugué par son air martial. Dans quelques minutes, je serai installé aux commandes, entièrement absorbé par la mission. Des milliers de jeunes rêveraient d’être à ma place. Ils ont raison.

LCL Marc « Claudia » Scheffler

 

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EC 3/3 Ardennes, EC 2/3 Champagne

 

Hommage 

Aux Pilotes et Navigateurs morts pour la France, morts en service aérien commandé,

Aux blessés

 

Avec le salut fraternel du Chasseur (à pied...) et de la Russe-blanc

 

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Que fais-tu dans la vie ? Ce que j’ai toujours rêvé de faire ! Tu n’as pas été déçu ? Non, la réalité a dépassé mes rêves… Tu as bien de la chance, vivre sa passion n’a pas de prix. Et tu fais quoi ? Je suis pilote de chasse.

LCL Marc « Claudia » Scheffler

 

 

 

 

 

 Livre, récit biographique d'un pilote de Chasse, Mirage 2000D, Afghanistan, Lybie, EC 2/3 Champagne, EC 3/3 Ardennes, BA 133 Nancy-Ochey, Armée de l'Air