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10/01/2019

« Pilotes de combat », Nicolas Mingasson, d’après un récit du CNE Mathieu Fotius, ALAT, éd. Les Belles Lettres

Extraits publiés avec l’aimable autorisation de l’auteur. Droits réservés.

 

« Ce qui donne un sens à la vie

donne un sens à la mort »

Antoine de Saint-Exupéry

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Déjà, nous tombions. Le temps des sensations n'est pas celui du temps qui passe. Combien de milisecondes se sont écoulées entre le moment où tu réalisas que la turbine nous lâchait et celui où je réalisais, moi, que nous allions tomber ? Rien d'autre que le temps d'un éclair, rien d'autre qu'une fraction de temps qui ne laissa de place pour aucune pensée. Ni pour la vie que nous allions quitter, ni pour ce que nous allions laisser derrière nous. Non, je n'ai pas eu le temps de penser à la mort qui nous attendait et de laquelle nous nous rapprochions inexorablement. Trente mètres… Non je n'ai pas eu le temps de penser à Stéphanie. Vingt mètres… Non je n'ai pas eu le temps de regretter de finir ici seul avec toi dans cet étroit cockpit au cœur d’un massif afghan qui avait refusé de nous laisser la moindre chance. Dix mètres… Et tu vois, Mathieu, je ne me souviens même pas m’être préparé à l'impact. C'était écrit, c'était ainsi, et j'attendais. Cinq mètres…

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Les chiens aboient et moi je crève. Mon CIRAS m'étouffe. Mon casque m’assomme. Les chiens aboient et je ne peux pas bouger. Je me traîne dans le sable et la poussière. Qu'est-ce que c'est que ce merdier ?! Je vire mon casque, c'est déjà ça. Pour le reste, impossible de m'extraire de mon pare-balles ; j'ai beau me contorsionner, me débattre comme un poisson jeté sur une rive sablonneuse, rien à faire… je dois être lamentable. Il faudrait que je me lève, que je m'assoie, que je bouge, mais mes jambes refusent de répondre, de faire le moindre mouvement. Elles m’ont abandonné. En tout cas, je n'ai pas mal, c'est toujours ça.

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J'ai capté de nouveau et de très loin le souffle des deux machines. Mais surtout ne me demande pas combien de temps s'était écoulé, je serais incapable de te le dire. Deux Black Hawk se rapprochent de nous, volent vers nous. Les entends-tu, les vois-tu nous survoler, passer à notre verticale ? Faut-il y croire ? Faut-il prendre le risque d'y croire ? Mais oui ! Oui ! Ils se mettent à décrire une large boucle et viennent se poser derrière nous dans un immense nuage de sable à et de poussière. Voilà, c'est fini ! Je vais enfin pouvoir fermer les yeux sans avoir peur de sombrer dans le désespoir et de renoncer. Je vais enfin pouvoir laisser un grand vide en moi.

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Les lieutenants Mathieu Fotius et Matthieu Gaudin en Afghanistan. Photo prise le matin de l’accident. Droits réservés.

Tu n’es plus là ! Tu n’as pas survécu au crash. Le destin t’a envoyé sur un autre chemin que celui de cette salle d'Urgence où nous aurions dû nous retrouver, où nous aurions attendu ensemble notre rapatriement en France, où nous aurions échangé des regards que nous seuls aurions compris, où nous aurions, déjà peut-être et malgré la douleur, commencé à débriefer notre vol, le chasse-poussière, la turbine, le crash… ces dernières minutes où nous avons lutté ensemble, côte-à-côte. Nous aurions essayé de comprendre… Mais tu n'es plus là.

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En 2011, les lieutenants Mathieu Fotius et Matthieu Gaudin du 3e RHC sont déployés en Afghanistan. Le 10 juin, quelques jours après leur arrivée sur le théâtre d’opération, leur Gazelle est prise dans une terrible tempête de sable et s'écrase. Le LTN Gaudin décède de ses blessures.

Fruit de la collaboration entre le CNE Fotius et l’écrivain Nicolas Mingasson, voici un texte court, intense, bouleversant, brillamment écrit. Un superbe hommage au capitaine Gaudin, à la fraternité d'armes et aux bérets cobalt, qui a largement mérité le prix Erwan Bergot attribué par l’Armée de Terre en 2018. A lire impérativement.

Aux éditions Les Belles Lettres, disponible ici.

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Lors de notre belle rencontre avec le CNE Mathieu Fotius au Festival International du Livre Militaire de Saint-Cyr Coëtiquidan 2018.

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Avec Nicolas Mingasson et Pauline Maucort au F.I.L.M. 2017.

Nicolas est en outre auteur de « Journal d’un soldat français en Afghanistan », publié chez Plon, « Afghanistan – La guerre inconnue des soldats français » abordé il y a 6 ans (déjà !) ici et « 1929 jours : Le deuil de guerre au XXIe siècle », éditions Les Belles Lettres ; Pauline Maucort de « La guerre, et après… » également aux Belles Lettres.

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Hommage

Au CNE Matthieu GAUDIN, 3e RHC, mort pour la France en Afghanistan ; à ses proches,

au CNE Mathieu Fotius, 3e RHC, blessé de guerre, et à tous ses camarades de l’ALAT,

à tous ceux qui sont tombés en Afghanistan, aux blessés.

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CNE Matthieu Gaudin. © famille Gaudin

Ces mois entiers de préparation et d'entraînement pesaient de plus en plus lourd à mesure que nous nous rapprochions du premier vol. Sortir, voler, était aussi une libération, une délivrance. Enfin allions-nous pouvoir plonger dans les paysages immenses et d'une beauté majestueuse qui nous séparaient des zones de combats. Enfin allions-nous pouvoir investir la troisième dimension, notre dimension, celle de l'air et du vol. Enfin allions-nous pouvoir faire notre job et des centaines de fantassins qui, du nord au sud de la Kapisa, dans les moindres recoins de la zone verte, à moins que ce ne soit sur une route ou un IED aura fait sauter leur convoi, attendait que viennent du ciel les appuis qui leur permettraient de se dégager de l'emprise des insurgés, de s'en sortir et de continuer à vivre.

Afghanistan, printemps 2011